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Une lettre du comte d'Artois à Mme de Laage de Volude

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Une lettre du comte d'Artois à  Mme de Laage de Volude  Empty Une lettre du comte d'Artois à Mme de Laage de Volude

Message par Mme de Sabran Mar 09 Fév 2016, 13:57

Vers la fin de l'année  1785, Mme de Laage de Volude dut partir pour la Saintonge où habitait son beau-père et où sa famille était étable. Sa mère malade l'appelait; mais la princesse de Lamballe n'y voyait qu'un prétexte et se montrait froissée de ce qu'elle estimait être un abandon. La jeune femme souffrait de ces tiraillements entre les siens et sa protectrice et plus encore de la peine qu'elle allait causer en la quittant à Mme de Polastron qui venait d'être souffrante elle-aussi.
Mme de Laage s'en ouvrit au comte d'Artois qui lui répondit par la curieuse lettre ci-dessous. Elle contient l'aveu de son amour pour Mme de Polastron.

Jeudi, à 10 h. 1/2 du matin
(27 octobre  1785).

Enfin, Madame, j'ai un peu plus de temps à moi: mon âme est calme et tranquille, le Ciel m'a rendu au bonheur, les maux affreux que j'ai soufferts commencent à s'effacer; ils ont même une sorte de douceur pour moi et je puis vous confer une partie de mon bonheur.
Ah! Madame, qu'il est pur, qu'il est ravissant! Grands dieux, il est si vrai que dans l'univers entier je n'existe que pour elle seule! Jamais, non, jamais, le Ciel ne se plut à former deux coeurs, deux êtres mieux faits l'un pour l'autre; je le crois, j'ose même en être sûr, et vous n'avez pas d'idée combien cette pensée me donne d'orgueil. Mais si je suis digne de votre amie, si mon coeur est digne de rendre le sien heureux, c'est à elle, à elle seule, que je le dois; ce sont ses conseils et plus encore les sentiments qu'elle m'a fait connaître qui ont épuré, relevé mon âme; et jugez de tout ce que je lui dois, si elle m'a mis en état de faire son bonheur. Je ne puis rien dire de plus fort, ce mot est tout pour moi, et si j'avais mille vies, le Ciel sait avec quel transport je les lui sacrifierais. A une autre que vous, Madame, je me verrais obligé de faire des excuses sur ma franchise; mais non, loin de me rien reprocher, je m'en loue. Je connais votre vive tendresse pour votre amie et vous m'avez trop bien prouvé la bonté parfaite de votre coeur pour que je ne sois pas sûr qu'en vous parlant de  bonheur j'ajoute au vôtre.  Ah! puisse-t-il être parfait; vous le méritez si bien.
Vous me l'avez permis et je vais vous parler avec la dernière franchise. Sûrement, je sens votre position, je la trouve cruelle pour un coeur aussi sensible que le vôtre; il est affreux d'être forcée de éloigner de son amie dans le moment où elle  aurait encore besoin de vous. Mais, Madame, songez qu'en la quittant vous êtes sûre de la retrouver au bout de trois mois; et vous la laissez entre les mains de quelqu'un à qui elle tient lieu de tout et qui vous répond sur  sa  tête d'elle et du soin qu'elle prendra pour sa santé. Enfin, soyez tranquille; je le suis moi-même et c'est tout vous dire. Voilà ce 'qui intéresse le plus votre coeur.
Quant au reste, pardonnez ma franchise, mais je crains que la vivacité de votre tête ne vous fasse exagérer vos inquiétudes pour l'avenir.
L'humeur que Mme de Lamballe vous a témoignée ne serait pas excusable, si elle-même n'était pas souffrante et si elle n'avait plus besoin de vos soins. Cette humeur vous donne une preuve entière de son amitié; et quand même votre coeur ne vous y porterait pas, il est de votre intérêt de chercher à la conserver. Dans le fond, c'est une bien bonne femme; vous la ramènerez quand vous le voudrez et elle sera toujours la première à vous défendre contre , les projets injustes des parents de votre mari. Mais il est bien important qu'avant le la quitter vous lui ayez prouvé à quel point votre pauvre mère avait besoin de vous; vous la toucherez par des détails qui n'ont été que trop vrais; et enfin, autant que je peux la connaître, elle vous en aimera plus que jamais. Mais si vous laissez échapper ce moment, il est sûr qu'on cherchera à vous nuire dans son esprit; elle vous le témoignera par son humeur et vous seriez capable de faire par vivacité une démarche dont vous vous repentiriez toute votre vie et qui troublerait à jamais le bonheur de celle qui vous est si chère.
Le sacrifice que vous faites dans ce moment-ci est cruel, j'en conviens, je le sens parfaitement; mais il faut en profiter pour l'avenir et pour vous en faire maintenant plus de mérite, il faut faire sentir à M. de Laage, à ses parents et même à votre mère, que rien ne vous coûte quand il s'agit de venir les rejoindre. Cette demande ne peut que produire sur eux le meilleur effet. Parlez-leur de l'état de  Mme  de Lamballe, exagérez votre amitié pour elle, ce qu'il vous en a coûté pour vous en séparer; faites-les souvenir de ce qu'ils lui doivent; et si vous soutenez adroitement cette conduite pendant votre absence, je suis bien dans l'erreur, ou je vous réponds qu'à l'avenir vous n'en aurez plus d'aussi cruelle à redouter.
Si votre mère ne  se  trouvait pas bien de l'air du Grosbois et qu'elle préfère Saint-Germain, il est à vos ordres; quant à l'Arsenal, il dépendra de moi, après la mort de M.  de  Paulmy , et vous croirez sans peine que si l'appartement de votre mère n'était pas assez grand, je ne serais pas embarrassé de l'augmenter. Enfin, disposez de tout ce qui peut dépendre de moi et surtout ne m'en sachez aucun gré; en cherchant tous les moyens possibles pour vous fixer dans ce pays-ci, je suis trop sûr de faire le bonheur de votre amie.
Voilà, Madame, quelles sont mes idées, mes, projets; vous savez quel est le motif qui me les dicte; et si je suis dans l'erreur, au moins puis-je répondre de l'intention et du bonheur bien vrai, bien réel que j'éprouverai, si les conseils qui me sont inspirés par ma tendre amitié peuvent vous être de quelque utilité.
Dans aucune de mes lettres je ne parle à votre amie de votre départ; je sais trop le mal qu'il lui fera. Je vous envoie pour elle une lettre un peu longue; mais je n'ai pas pu résister au désir de lui parler de tout mon bonheur. Vous pourrez la lui lire, pour peu que cela la fatigue.
Ah Madame, je vous en supplie, je vous en conjure, au nom de votre amitié pour elle, continuez à la soigner, elle en a encore bien besoin; et ne vous laissez pas aller au noir de votre âme. Le ciel se plaira à vous protéger, à vous défendre; vous le méritez si bien.
Adieu; il me resterait mille choses à vous dire; il m'est si doux de parler d'elle, mais le courrier va partir et je suis forcé de vous quitter.
Soyez assez bonne pour me mander si ma lettre aura un peu relevé votre courage- J'ose l'espérer et croire qu'en travaillant à votre bonheur je m'occupe du mien, puisque j'assure celui de votre amie.

Adieu, Madame; conservez moi toujours votre amitié et croyez qu'elle me sera  à  jamais précieuse .

_________________
...    demain est un autre jour .
Mme de Sabran
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