Le Mariage des Prêtres
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Le Mariage des Prêtres
La Journée du Vatican, ou le Mariage du Pape,
comédie-parade en trois actes, avec ses agréments, pièce non encore jouée, mais circulant imprimée, met le ricanement de Paris autour du trône de saint Pierre.
C’était le pape Braschi d’abord, ainsi monologuant : « Il faut que le pape se mêle des affaires de l’Église attaquée de tous côtés. Quel nom donner à cette Assemblée nationale? Encore si je pouvais… si j’osais… Oh! non… Ils se moqueraient de mes excommunications! — Frappant du pied. S’aviser de me dépouiller des annates!… ne me faire concourir à rien! Mariage des prêtres, divorce, renvoi des moines, ils n’en finiront pas! »
C’étaient Mme Lebrun et Mme de Polignac, travesties en femmes des Porcherons, soupant en déshabillé de pudeur avec le Saint-Père, lui disant : « Allons! papa, de la gaieté! » sans façon demandant aux abbés-servants, gelinottes, ortolans et truffes, sablant le champagne « père des bons mots », tutoyant Braschi de l’œil, de la parole et du geste; c’était Bernis, chantant la chanson à rire; l’archevêque de Paris Juigné, un peu inquiet du scandale, et s’informant entre deux rasades : « Avez-vous des journalistes ici? » C’était le pape ivre et libertin , « le sacristain de saint Pierre devenant philosophe », présidant le saint-siège dans les fumées du vin, acceptant la constitution et dansant, à la dernière scène, une fandango avec la duchesse de Polignac !
« Le mariage de prêtres! » faisait dire au pape l’étrange vaudeville.
En effet, les prêtres se mariaient.
Les clubs, après avoir agité la question de faire gardes nationaux les prêtres, avaient élevé celle de les faire citoyens, c’est-à-dire, époux et pères. Au club de Saint-Étienne-du-Mont, l’abbé Cournand, professeur de littérature française au Collège royal, avait été le promoteur de cet amendement. Le concile de Trente avait discuté six mois pour résoudre cette question.
Le club de Saint-Étienne y consacra trois séances, qui firent presque émeute à Paris, et remplirent l’amphithéâtre de Navarre d’athlètes et de spectateurs passionnés. Ceux-ci invoquaient pour le mariage des prêtres l’intérêt public des bonnes mœurs et de la religion : « Faut-il condamner les prêtres à faire le vœu antisocial, antipatriotique du célibat, c’est-à-dire de nullité, de stérilité absolue, semblables à ces friches honteuses qui couvrent une terre ingrate, ou qui attestent l’ignorance et la paresse de ceux qui les possèdent? » Ceux-là répondaient : « C’est tomber dans la damnation que de violer la foi conjugale donnée à Jésus-Christ », attestant la discipline de l’Église sur le mariage des prêtres, attestant le concile d’Elvire, concile de Néocésarée, second concile de Carthage, doctrines de saint Épiphane, de saint Jérôme et de saint Syrice .
Les tenants du mariage ripostaient par le canon des apôtres, saint Paphnuce, le concile de Nicée en 325, le neuvième canon du concile d’Ancyre. « D’ailleurs, disait un orateur jacobin, qu’est-ce qu’un concile? Une assemblée d’aristocrates! » Un autre appuyait le mariage « pour imprimer à la morale des prêtres je ne sais quoi de plus onctueux et de plus aimable. » Un autre citait, contre les pères de l’Église, les pères de la philosophie : « Voyez en France surtout, ces téméraires, ces malheureux qui font vœu de n’être pas hommes : pour les punir d’avoir tenté Dieu, Dieu les abandonne; ils se disent saints, et ils sont déshonnêtes. » Et un brutal, pour engager les prêtres à cultiver le monde, disait du célibat « que le grand faiseur d’animaux l’a proscrit par un précepte b… sage, en nous disant à tous de pulluler légalement. »
Tous ces arguments, ces discours, ces conseils, versaient l’huile sur le feu intérieur des pauvres aiguillonnés de la chair ( ), tant et si bien, qu’un aumônier de la garde nationale parisienne, l’abbé Bernet de Boislorette, écrivait à l’Assemblée nationale : « Nos seigneurs, nos vrais amis, je n’aurais que du pain et de l’eau, je serai heureux si vous déclarez que je peux avoir une femme : mon cœur l’a choisie; pourquoi arrêter ma main? Sa sagesse me la demande, je ne puis la lui refuser. Comme je ne suis pas un ange, je cède sagement au vœu de la bonne nature. » L’abbé Cournand avait pris l’avance. Appuyé sur les termes du décret de l’Assemblée nationale qui considérait le mariage comme un contrat civil, il faisait de Mlle Dufresne sa légitime épouse. Comme il présentait au secrétariat de la municipalité l’acte de mariage, son épouse au bras, survenait le pauvre Boislorette qui venait de faire un sermon où il avait intercalé une liste de tous les ecclésiastiques pris en flagrant délit . Mlle Dufresne était jolie, et elle promettait tant de bonheur, que l’aumônier de la garde nationale, pour suivre l’exemple de son confrère de Verberie, n’attendit pas la réponse de l’Assemblée .
Sur ces deux mariages, Maury avait quitté la France.
Jules et Edmond de Goncourt : Histoire de la société française pendant la Révolution.
comédie-parade en trois actes, avec ses agréments, pièce non encore jouée, mais circulant imprimée, met le ricanement de Paris autour du trône de saint Pierre.
C’était le pape Braschi d’abord, ainsi monologuant : « Il faut que le pape se mêle des affaires de l’Église attaquée de tous côtés. Quel nom donner à cette Assemblée nationale? Encore si je pouvais… si j’osais… Oh! non… Ils se moqueraient de mes excommunications! — Frappant du pied. S’aviser de me dépouiller des annates!… ne me faire concourir à rien! Mariage des prêtres, divorce, renvoi des moines, ils n’en finiront pas! »
C’étaient Mme Lebrun et Mme de Polignac, travesties en femmes des Porcherons, soupant en déshabillé de pudeur avec le Saint-Père, lui disant : « Allons! papa, de la gaieté! » sans façon demandant aux abbés-servants, gelinottes, ortolans et truffes, sablant le champagne « père des bons mots », tutoyant Braschi de l’œil, de la parole et du geste; c’était Bernis, chantant la chanson à rire; l’archevêque de Paris Juigné, un peu inquiet du scandale, et s’informant entre deux rasades : « Avez-vous des journalistes ici? » C’était le pape ivre et libertin , « le sacristain de saint Pierre devenant philosophe », présidant le saint-siège dans les fumées du vin, acceptant la constitution et dansant, à la dernière scène, une fandango avec la duchesse de Polignac !
« Le mariage de prêtres! » faisait dire au pape l’étrange vaudeville.
En effet, les prêtres se mariaient.
Les clubs, après avoir agité la question de faire gardes nationaux les prêtres, avaient élevé celle de les faire citoyens, c’est-à-dire, époux et pères. Au club de Saint-Étienne-du-Mont, l’abbé Cournand, professeur de littérature française au Collège royal, avait été le promoteur de cet amendement. Le concile de Trente avait discuté six mois pour résoudre cette question.
Le club de Saint-Étienne y consacra trois séances, qui firent presque émeute à Paris, et remplirent l’amphithéâtre de Navarre d’athlètes et de spectateurs passionnés. Ceux-ci invoquaient pour le mariage des prêtres l’intérêt public des bonnes mœurs et de la religion : « Faut-il condamner les prêtres à faire le vœu antisocial, antipatriotique du célibat, c’est-à-dire de nullité, de stérilité absolue, semblables à ces friches honteuses qui couvrent une terre ingrate, ou qui attestent l’ignorance et la paresse de ceux qui les possèdent? » Ceux-là répondaient : « C’est tomber dans la damnation que de violer la foi conjugale donnée à Jésus-Christ », attestant la discipline de l’Église sur le mariage des prêtres, attestant le concile d’Elvire, concile de Néocésarée, second concile de Carthage, doctrines de saint Épiphane, de saint Jérôme et de saint Syrice .
Les tenants du mariage ripostaient par le canon des apôtres, saint Paphnuce, le concile de Nicée en 325, le neuvième canon du concile d’Ancyre. « D’ailleurs, disait un orateur jacobin, qu’est-ce qu’un concile? Une assemblée d’aristocrates! » Un autre appuyait le mariage « pour imprimer à la morale des prêtres je ne sais quoi de plus onctueux et de plus aimable. » Un autre citait, contre les pères de l’Église, les pères de la philosophie : « Voyez en France surtout, ces téméraires, ces malheureux qui font vœu de n’être pas hommes : pour les punir d’avoir tenté Dieu, Dieu les abandonne; ils se disent saints, et ils sont déshonnêtes. » Et un brutal, pour engager les prêtres à cultiver le monde, disait du célibat « que le grand faiseur d’animaux l’a proscrit par un précepte b… sage, en nous disant à tous de pulluler légalement. »
Tous ces arguments, ces discours, ces conseils, versaient l’huile sur le feu intérieur des pauvres aiguillonnés de la chair ( ), tant et si bien, qu’un aumônier de la garde nationale parisienne, l’abbé Bernet de Boislorette, écrivait à l’Assemblée nationale : « Nos seigneurs, nos vrais amis, je n’aurais que du pain et de l’eau, je serai heureux si vous déclarez que je peux avoir une femme : mon cœur l’a choisie; pourquoi arrêter ma main? Sa sagesse me la demande, je ne puis la lui refuser. Comme je ne suis pas un ange, je cède sagement au vœu de la bonne nature. » L’abbé Cournand avait pris l’avance. Appuyé sur les termes du décret de l’Assemblée nationale qui considérait le mariage comme un contrat civil, il faisait de Mlle Dufresne sa légitime épouse. Comme il présentait au secrétariat de la municipalité l’acte de mariage, son épouse au bras, survenait le pauvre Boislorette qui venait de faire un sermon où il avait intercalé une liste de tous les ecclésiastiques pris en flagrant délit . Mlle Dufresne était jolie, et elle promettait tant de bonheur, que l’aumônier de la garde nationale, pour suivre l’exemple de son confrère de Verberie, n’attendit pas la réponse de l’Assemblée .
Sur ces deux mariages, Maury avait quitté la France.
Jules et Edmond de Goncourt : Histoire de la société française pendant la Révolution.
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... demain est un autre jour .
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Date d'inscription : 21/12/2013
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