Jean Chappe d'Auteroche, l'abbé astronome

Né le 23 mars 1728 à Mauriac en Auvergne, Jean Chappe d'Auteroche est un astronome français.

Issu d'une vieille famille de notables, il entra dans les ordres au collège jésuite de Mauriac où il se prît de passion pour l'astronomie.
En 1760, l'Académie des Sciences (dont il est membre) le désigne pour une grande mission scientifique : aller à Tobolsk, en Sibérie, observer le passage de Vénus sous le disque du soleil, fixé au 6 juin de l’année. Commence alors un long et éprouvant voyage, d'abord jusqu'à Saint-Pétersbourg par voie de terre, puis au coeur de la Sibérie, endurant froid glacial et quantité de péripéties et dangers, en plein hiver. Notre abbé arrive sur place fin avril et fait construire à la hâte un petit observatoire. Le 6 juin approche, l'abbé s'alarme devant de nombreux nuages qui pourraient occulter le phénomène et réduire à néant sa mission, après un si dur périple. Mais non : le jour fatidique, le ciel se dégage, pur, lumineux, et notre astronome pût admirer le passage de Vénus sous le soleil, prenant quantité de notes.

Le voici de retour en France, après deux ans de voyage, publiant Voyage en Sibérie fait en 1761, en plusieurs tomes illustrés par Jean-Michel Moreau, Caresme de Fécamp et surtout Jean-Baptiste Le Prince qui, lui aussi, était allé en Russie et en Sibérie. Dans cet ouvrage, l'abbé ne se contente pas de relevés astronomiques : il dépeint avec force détails tout ce qu'il a découvert et observé au cours de son périple, notamment la vie des gens du peuple dans ces régions perdues. Et son récit n'est guère flatteur pour le régime impérial russe... A tel point qu'il provoque la colère de Catherine II. Furieuse, cette dernière riposte en publiant une brochure au titre explicite, Antidote ou Réfutation du mauvais livre superbement imprimé intitulé : Voyage en Sibérie, fait en 1761, par l’abbé Chappe. La souveraine y reprend, chapitre par chapitre, le récit de l'abbé pour mieux le discréditer. On pense aujourd'hui que derrière cette brochure se trouvaient deux personnages : la comtesse Dachkov, femme lettrée et intelligente, confidente de l'impératrice, fondatrice de l'Académie Impériale de Russie et le sculpteur français Falconet, invité en Russie par Catherine II pour former une nouvelle génération de sculpteurs russes.





En 1764, Louis XV ordonne une nouvelle mission à l'Académie des Sciences. Duhamel du Monceau et l’abbé Chappe doivent faire la preuve en mer de la montre marine de Ferdinand Berthoud. Ils embarquent à Brest, le 7 octobre, sur la corvette L’Hirondelle pour revenir le 24 octobre. Le 14 novembre, l’abbé Chappe lit à l’Académie le rapport de mission.

Six ans plus tard, nouveau voyage, au soleil cette fois.
L'abbé part pour la Californie (qui est à l'époque loin d'exister en tant que telle) pour y observer à nouveau le passage de Vénus devant le soleil de l'an 1769. Notre astronome se rendit donc en Californie (au Mexique pour être exact), accompagné de Vicente Doz et Salvador Médina, officiers de marine et astronomes du roi d’Espagne et du dessinateur Alexandre Jean Noël. Malheureusement, épuisé, l'abbé contracta la dysenterie à peine arrivé et en mourût, le premier août 1769. Malgré les pressions de ses compagnons qui lui intimaient de se reposer et soigner, l'astronome redoubla d'efforts, par une chaleur éprouvante, pour mener à bien sa mission, ce qu'il réussît mais ce qui sans doute hâta son trépas. Tous les autres membres de l'expédition le suivirent dans la tombe, sauf un seul qui, épuisé, exténué, parvînt à rentrer en Europe, rapportant avec lui les notes et les instruments de l'abbé. Des notes qui furent publiées par Cassini en 1772, à Paris. L'éloge funèbre de l'astronome est prononcé par Grandjean de Fouchy, Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, le 14 novembre 1770.

C'est fou !   Rien n'échappait à la vigilance de Catherine.

Francophile, comme Elizabeth Ière, Catherine II se tenait au courant de tout ce qui se passait en France et correspondait avec de nombreux intellectuels et penseurs français. Nul doute qu'elle aura entendu parler du rapport de l'abbé et qu'elle y aura eu accès...

Elle était de surcroît aidée par le comte Ivan Chouvalov, le "mécène des lumières russes" :


Ce dernier, ministre de l'Education, était surtout un mécène francophile, un amateur d'art éclairé, protecteur de nombreux artistes, correspondant de Voltaire, Diderot, Helvetius, d'Alembert... Il conseillait l'impératrice sur tout ce qui était culturel et artistique, surtout venant de France (c'était de famille, son cousin Pierre Ivanovitch occupa le même rôle auprès d'Elizabeth Ière, en étant en plus le chef de la police secrète impériale). Nul doute qu'il apprit ce que contenait le rapport de l'abbé et en informa Catherine. Certains pensent même que c'est en fait lui qui rédigea en partie ce fameux "Antidote"...

Merci Calonne ! Ces aventuriers-scientifiques sont fantastiques ! Quelle vie trépidante...

Calonne a écrit:
Le voici de retour en France, après deux ans de voyage, publiant Voyage en Sibérie fait en 1761, en plusieurs tomes illustrés par Jean-Michel Moreau, Caresme de Fécamp et surtout Jean-Baptiste Le Prince qui, lui aussi, était allé en Russie et en Sibérie.

Aucune édition moderne ? Quel dommage...

Calonne a écrit:
L'abbé part pour la Californie (qui est à l'époque loin d'exister en tant que telle) pour y observer à nouveau le passage de Vénus devant le soleil de l'an 1769.  

Cela me fait penser à une image animée vue récemment.
Elle résume près de trois siècles de découvertes de planètes et d'exoplanètes en quelques secondes. Vous verrez qu'il ne se passe pas grand chose de 1700 à 1995, puis...

Vive les sciences !



A l'époque où ce cher Chappe d'Auteroche se balade en Sibérie, il n'y a officiellement que 6 planètes dans notre système solaire. Uranus sera découverte en 1781.

Je crois que vous pouvez trouver son fameux Voyage sur le site de la BNF ou même sur le site d'un groupe qui a pris le nom de célèbres guerrières de l'Antiquité...

Après, sans vouloir dédouaner Catherine II, le récit de l'abbé, d'après ce que j'en ai vu ici et là, n'est pas exempt de certains partis-pris : il lui est reproché de reprendre beaucoup de préjugés et clichés sur la Russie, encore mal connue à l'époque (ne parlons pas de la Sibérie !). Catholique fervent, l'abbé voit une "superstition grossière" dans la religion orthodoxe, parle d'un pays inhumain et selon lui inculte. Selon certains, l'ouvrage serait même vu comme une leçon de philosophie et de morale par un homme de science progressiste face à un pays "d'incultes" plongé dans l'obscurantisme. Vu sous cet angle, on peut comprendre que l'impératrice n'ait pas trop apprécié l'ouvrage...

L'abbé a néanmoins la franchise de dénoncer le servage, les horreurs du bagne, les châtiments corporels inhumains auxquels il assiste ou encore les déplacements massifs de population.

Calonne a écrit:Je crois que vous pouvez trouver son fameux Voyage sur le site de la BNF ou même sur le site d'un groupe qui a pris le nom de célèbres guerrières de l'Antiquité...

Absolument.  
Les trois tomes, illustrés, sont accessibles ici : Voyage en Sibérie fait par ordre du roi en 1761, contenant les moeurs, les usages...

Calonne a écrit:
L'abbé a néanmoins la franchise de dénoncer le servage, les horreurs du bagne, les châtiments corporels inhumains auxquels il assiste ou encore les déplacements massifs de population.

Voici un extrait...










(...)

Sympathique . 
M'est avis qu'il faut vraiment être un psychopathe endurci pour exercer le métier de bourreau ...

Après, en France, on avait quand-même le supplice de la roue...
Rappelons que c'est Louis XVI qui a aboli la torture en France, la fameuse question.