Le train des Tzars

Je vous propose aujourd'hui un voyage dans le passé, à bord du train impérial, qui transportait le Tzar, sa famille et leur entourage lors de leurs déplacements.
Composé de six voitures à l'origine, il n'en reste plus que trois aujourd'hui, exposées, qui permettent de se faire une idée du confort et du raffinement de ce train :






Les premières voitures furent construites en Allemagne, entre 1860 et 1870, les suivantes en Finlande. A bord, on trouvait un fumoir, des chambres et des toilettes privatives, une salle de bain... Boiseries précieuses, cuir de Russie, cristaux de Bohème, tissus brodés, rien ne manquait.
Il y avaient en fait deux trains, un pour les déplacements à l'étranger, un autre, tout aussi élaboré, pour les déplacements en Russie même. Construit tardivement pour Nicolas II, vers 1894, ce dernier comportait dix voitures d'un luxe et confort équivalents avec : un wagon-lit pour le Tzar et l'impératrice, une voiture-salon, une voiture-salle à manger, une voiture pour les enfants, une autre pour les familiers... Sans oublier la cuisine entièrement équipée et l'automobile du souverain. En 1899, une onzième voiture, la voiture-chapelle, fût rajoutée, afin que la famille puisse accomplir ses dévotions durant le trajet.












Les wagons étaient donc peints en bleu, leur châssis était en bronze ciselé. Un blason aux armoiries impériales séparait chaque fenêtre. Les parois intérieures étaient capitonnées, en cuir ou en tissu épais (pour protéger les occupants en cas de violentes secousses). Les boiseries, les meubles et les plafonds étaient en chêne, noyer blanc et gris, hêtre, érable et bouleau.

La salle de bains était au centre de la voiture réservée au couple impérial, avec d'un côté la chambre du Tzar et de l'autre celle de la Tzarine. Elle était équipée d'un système pour chauffer l'eau à la température voulue et le bassin était équipé de panneaux latéraux, pour éviter d'éclabousser partout quand des secousses se produisait sur le trajet... La dame d'honneur de la Tzarine avait sa chambre, à côté de celle de sa maîtresse et le valet du tzar avait la sienne, à côté de celle de son maître. Un écran en soie bleue brodé de fleurs d'or séparait chaque chambre de son bureau. Un coffret en bois précieux contenait jeu de dames, d'échecs, de dominos et autres, en nacre et ivoire, pour s'occuper. L'ensemble était éclairé par des appliques en bronze.

Détail surprenant : le lit de l'impératrice était suspendu, comme un hamac. Cela permettait à la souveraine, qui avait du mal à s'endormir, d'être "bercée" par le léger roulis du train...










Le 29 octobre 1888, le train impérial roule à travers l'immensité russe. A son bord, le Tzar Alexandre III, sa famille et leur suite. Le train ne comporte pas moins de 15 voitures (ce qui est beaucoup trop). Soudain, c'est l'accident : le convoi déraille brusquement, les wagons se détachent, se renversent. 21 personnes sont tuées sur le coup, une trentaine sont blessées.
La famille impériale, qui se trouvait dans la voiture-restaurant, est indemne grâce au Tzar. Alexandre III est un colosse, un géant (pour épater ses invités, il s'amuse à plier un tisonnier ou à déchirer un paquet de cartes à jouer avec ses mains). La voiture déraille, le toit cède et s'effondre. Le Tzar soutient alors le toit pour permettre à l'impératrice et à leurs enfants de s'extraire. Cet exploit lui causa un choc violent au niveau des reins, ce qui contribua sans doute aux problèmes rénaux qui allaient l'emporter quelques années plus tard.
Sur le coup, le fait que le Tzar et sa famille soient sains et saufs fût interprété comme un miracle et une cathédrale fût édifiée sur le lieu de l'accident.

Merci, mon cher Calonne.   C'est très impressionnant de traverser avec toi ces wagons si insolemment luxueux ( la salle à manger !  ...  une chapelle !!! etc ... etc ... ) pour, en bout de course, basculer dans le vide dans un empilement de cadavres ...

A l'origine bien-sûr le Transsibérien .  Le Tsar régnait sur un empire si démesuré qu'il lui fallait déployer les grands moyens pour le traverser de part en part, en l'occurrence jusqu'à Vladivostok, aux confins de l'Eurasie .

C'était quand-même une véritable caravane ambulante ! Jusqu'à 15 voitures, transportant le Tzar, sa famille, sa suite, ses gardes, sans oublier le personnel de bord (cuisinier, médecin...), voire des familiers ou invités.

C'est Nicolas Ier qui inaugure le chemin de fer en Russie, à partir de 1850, en reliant Moscou à Saint-Pétersbourg. Le train impérial ne va pas bien vite : 50 km/h pour parcourir les 800 kilomètres entre les deux villes... Une vitesse pourtant à l'origine de l'accident de Borki...
Le train impérial atteint le sommet de son confort et de son raffinement avec Nicolas II. Les voitures des grandes duchesses et de l'impératrice disposaient même de leur propre "dressing" où s'entassaient leurs robes.
C'est également dans ce train, dans la voiture-salon, que Nicolas II signa son abdication...

Voici quelques clichés du train que Nicolas II utilisa en particulier pendant la guerre pour faire les trajets entre Pétrograd et Mohilef, son QG, souvent en compagnie de son fils, qu’il initiait au métier de soldat.
Il signa en effet son abdication dans ce train, sous la pression de certains de ses généraux…

Quelle unité vestimentaire !
 Nicolas, ses généraux, et même le petit tsarévitch,  tous sont sanglés dans la même vareuse militaire grise ou kaki, je ne sais pas trop.

Oui, ces images colorisées sont très réalistes…
Je voulais préciser que ce fameux train impérial s’était modernisé par rapport au précédent. Nicolas et Alexandra s’étaient équipé de tout le confort moderne: électricité, téléphone, comme dans leur palais de Tsarskoie Selo. Pour le confort, l’intérieur des wagons était capitonné. En réalité, rien de bien différent de ce qu’utilisaient les autres souverains européens ( Allemagne, Italie, et bien sûr Angleterre…)
Le train continuera d’être utilisé après la Révolution. Puis Staline le fit venir à Tsarskoie Selo, où il fut ouvert à la visite du public comme le palais. Il fut, je crois, complètement détruit lors des bombardements pendant la seconde guerre mondiale.
Encore quelques clichés pris à l’intérieur et à l’extérieur du train en présence de la famille impériale :

( suite )

Vicq d Azir a écrit: Pour le confort, l’intérieur des wagons était capitonné. En réalité, rien de bien différent de ce qu’utilisaient les autres souverains européens ( Allemagne, Italie, et bien sûr Angleterre…)

Eh oui, déjà Sissi sillonnait l'Europe avec tout le confort ( confort de l'époque, s'entend ) !

Cette photo du petit Alexis Nikolaïevitch me fend le coeur ...

Quelques clichés encore de l’intérieur du dernier train : le salon, les cuisines :

Et le bureau impérial, ainsi qu’un cliché du Tsar à table, avec deux officiers :

L’abdication est signée par le Tsar, dans son train, le 15 mars 1917
Le train a été bloqué alors qu’il revenait de Mohilef pour retourner à Pétrograd.
Le document a été tapé à la machine dans le wagon même.

Vicq d Azir a écrit:
Quelques clichés encore de l’intérieur du dernier train : le salon, les cuisines :

Merci, cher Févicq.
Tout de même, il doit être bien agréable de faire partie des grands de ce monde ... quand une révolution ne vous tombe pas sur le coin du nez.

Je ne suis pas sûr que le sort de Nicolas II ( ni celui d’ Alexandra Fedorovna ) ait été enviable, même du temps de son règne… Mais il est vrai qu’il y avait sûrement quelques compensations… Les progrès techniques de cette époque ( accessibles à quelques uns ) me fascinent…

Quand on visite Saint-Pétersbourg, quand on s'intéresse à la vie des derniers Romanov, c'est surtout le décalage entre leur monde, leur style de vie et celui du reste de la population qui est sidérant. Rien que les oeufs de Fabergé donnent une idée du luxe, du raffinement et des moyens dont ils disposaient. Le fameux bal de 1903 dont nous avons parlé en est un autre exemple, de même que le train impérial, ces palais disséminés ici et là, ses parures fabuleuses...

Certes, dans toutes les civilisations, il y a un gouffre entre le mode de vie des élites et celui des masses populaires. Mais dans la Russie de cette époque, c'était vraiment marqué je trouve. Les élites russes vivaient dans le XXème siècle dans un pays encore majoritairement ancré dans le XVIIIème.

Il y a eu un progrès industriel incontestable dans les années 10.La Russie d’alors atteignait la production américaine… Des villes comme St Petersbourg étaient devenues des villes occidentales avec l’électrification, le téléphone. Le réseau de chemin de fer était très développé. La contre partie, en effet, était le développement d’un prolétariat ouvrier, une stagnation de l’agriculture ( paysans endettés après l’abolition du servage dans les années 1860 ), et surtout un régime politique incapable de se réformer. Puis survint la guerre, désastreuse pour les Russes, victimes des alliances, et pas du tout préparés à ce conflit.

Vicq d Azir a écrit: Je ne suis pas sûr que le sort de Nicolas II ( ni celui d’ Alexandra Fedorovna ) ait été enviable…

Je trouve que nous avons fait un sort bien pire à Louis XVI et sa famille, car enfin Nicolas II et les siens sont restés ensemble jusqu'à la fin. Ils n'ont pas su, paraît-il, que c'était la fin mais croyaient à une simple séance de pose pour une photo quand ils ont tous été abattus. Je ne sais pas quelle est la véracité de cette information ?

Vicq d Azir a écrit: Les progrès techniques de cette époque ( accessibles à quelques uns ) me fascinent…

Fascinante aussi est la justesse des prédictions catastrophistes de Raspoutine au tsar :
"Je mourrai dans des souffrances atroces. Après ma mort, mon corps n'aura point de repos. Puis tu perdras ta couronne. Toi et ton fils vous serez massacrés ainsi que toute la famille."

Oui Eléonore, ils sont restés ( et sont morts ) ensemble dans cette cave …
Quant à la raison invoquée pour qu’is descendent tous  ( ils étaient 11, avec le médecin et les domestiques) de nuit au sous-sol, on a parlé de cette séance de photos… Yourovski , le chef des exécuteurs était photographe dans la même ville, avant la révolution. Les victimes semblaient en effet poser, avant l’exécution. Deux étaient assis sur des chaises : l’impératrice et le tsarévitch, non encore remis d’une crise d’hémophilie.
Mais les témoins de la scène qui ont parlé plus tard ne reprennent pas cette histoire de photos. Ils disent plutôt que les victimes ont été disposées dans la pièce en fonction des tireurs qui allaient surgir ( 11 aussi, chacun au départ s’étant vu attribuer sa victime).
On a plutôt dit à la famille impériale qu’il fallait qu’elle descende de l’étage où se trouvaient les chambres, car les troupes blanches approchaient. On pouvait d’ailleurs entendre la canonnade, et ils s’attendaient sans doute à être évacués. On leur avait aussi demandé de s’habiller et prendre quelques affaires. De plus, ils pouvaient entendre le moteur d’un camion qui s’était posté à l’extérieur, ce qui pouvait laisser supposer qu’ils allaient partir. Le camion était là, hélas, pour couvrir le bruit des tirs, et évacuer ensuite les cadavres. Toute cette mise en scène avait été mise au point dès la veille.
L’approche des troupes blanches et étrangères sera reprise comme argument dans le texte que Yourovski lira au tsar avant de tirer sur lui.Je crois que c’est le médecin qui aurait dit: « mais alors, on ne part pas? »
Pour reprendre la comparaison avec Louis XVI et sa famille, je dirais que Nicolas II a été exécuté « à la sauvette ». Le procès que souhaitait entre autre Trotsky n’a pu se faire à cause des revers que subissaient les bolcheviks sur le territoire. L’exécution de toute la famille a été dissimulée au peuple ; on a parlé pour eux d’une simple évacuation, donnant lieu par la suite à toutes ces thèses de survivance …

Eh oui ... La plus célèbre des survivances est sans doute celle de la grande duchesse Anastasia ( jusqu'à un dessin animé de Walt Disney ! ), mais le grand duc Mikhaïl Alexandrovitch, le frère cadet de Nicolas ( et le premier Romanov à avoir été sauvagement exécuté, avec son secrétaire, près de Perm dans l'Oural ) est censé être réapparu lui aussi, des années après la Révolution .
Nous en parlions ici :
https://marie-antoinette.forumactif.org/t5385-michel-alexandrovitch-de-russie-frere-cadet-de-nicolas-ii

Pour revenir au sujet du train impérial, on trouve régulièrement en vente publique des assiettes et des plats de porcelaine des services du Tsar: pièces assez simples ornées tout de même de l’aigle impériale. Alexandre III commanda ce service, et son fils Nicolas II continua. Il s’agit ici du service du train, identifiable par le sigle visible à l’arrière, associant couronne impériale et outils ( tout de même pas la faucille et le marteau…)

 

Vicq d Azir a écrit:
couronne impériale et outils ( tout de même pas la faucille et le marteau…)

Eh ! il y a pourtant déjà un peu de ça .

Nicolas II avait fait construire dans les années 1900 une gare privée , tout près du palais Alexandre à Tsarskoie Selo, où il résidait avec sa famille. Cette gare privée était réservée à l’ Empereur et à ses proches . Elle avait été construite dans le style « vieille Russie », à la mode à l’époque. Elle n’était qu’à quelques centaines de mètres du palais, et face au village nouveau, construit dans le même style, ainsi que la cathédrale, toute proche ( ensemble Feodorovski ).
L’ensemble s’était dégradé avec le temps, et est actuellement en cours de restauration.
Voici l’état ancien, et l’état actuel de la gare:

( suite ):
Le plafond de la gare était peint :
Nicolas II y recevait ses hôtes étrangers :
À quelques centaines de mètres, au sein du palais, un des salons de l’ Impératrice, où était exposée une tapisserie qui ne nous est pas inconnue…

L'intérieur, avec le salon principal :



Trois voies partaient de cette gare, rejoignant deux résidences impériales et la ville de Gatchina où se trouvait le palais de la mère de Nicolas II.
De nombreux embranchements et aiguillages permettaient, à partir de ces trois voies, de gagner d'autres lignes et de rejoindre les domaines de chasse du Tzar ou sa villégiature d'été, au bord de la mer, en Crimée...

La famille impériale lors de ces déplacements :

 

Très intéressant ce thème, je peux vous dire que les trains russes ont gardé un peu du faste ancien puisque, il y a deux ans, j'ai eu le plaisir de prendre un train de Saint Pétersbourg à Moscou et les wagons étaient très confortables même luxueux avec de vrais lits, salle de bain équipée, un service privé restaurant, journaux ... le trajet a été un grand plaisir.
Dommage, je n'ai pas gardé des photos......