En Belgique, Floralies du château du Grand Bigard, et Tulipomania

Je dédie ce sujet au marquis de Belgrade, très éminent spécialiste de la Tulipe !  






Le château de Grand-Bigard, dont les origines remontent au XIIe siècle, est entouré d'un large fossé où dort une eau profonde et que délimitent les hautes frondaisons d'une couronne de grands hêtres plusieurs fois séculaires.
Un pont à cinq arches, commandé par deux magots héraldiques du XVIIème siècle l'enjambe et conduit au pont-levis qui précède le châtelet d'entrée dont la partie centrale date du XIVe siècle.



Le château est un bâtiment aux vastes proportions et d'une pureté de style admirable: il constitue un spécimen remarquable de la Renaissance flamande, et se compose d'un long corps de logis à un étage dont la brique rose, sur laquelle tranche la pierre blanche des entablements des hautes fenêtres à meneaux, se marie agréablement aux pentes bleutées de la toiture d'ardoises.



La chapelle, à l'aile droite, n'a subi aucune modification depuis trois siècles et l'aile gauche est surmontée d'un bulbe
 ( prémonitoire !    ) .

Erigé vers 1347, le donjon, qui dresse sa silhouette massive, haute de trente mètres, à gauche du châtelet d'entrée, comporte quatre étages. Les murs ont une épaisseur de deux mètres. De la plate-forme du quatrième étage, entourée d'un mur crénelé, un panorama prestigieux se déroule sur Bruxelles et le pays flamand à trente kilomètres à la ronde.
https://www.kasteelgrootbijgaarden.be/fr/geschiedenis/


Bal des Ifs !      



Je me demande combien de jardiniers il faut, chaque année,  pour planter à la main plus d’un million de bulbes , sur les 14 hectares du parc !  Ils offrent ensuite cette magnifique floraison au début du printemps, mêlée de jacinthes et de narcisses.    
Elle ne compte pas moins de 400 variétés de tulipes.
 Certaines, énormes, ressemblent à des pivoines !  



































La tulipe a été découverte dans la région du Pamir en Himalaya au XIIIème siècle.  Le Pamir signifie « toit du monde » et le Tien-Shan, « montagnes célestes ».
Plusieurs tribus guerrières vouent un véritable culte à ces fleurs qui sont pour la plupart rouges comme le sang.   Les nomades turcs adoptent cette fleur symbole de la régénération de la nature.  Ils font de cette fleur, le symbole de vie et de fertilité, annonciatrice du printemps. La tulipes étaient vénérée en Perse comme métaphore de la beauté féminine parfaite, symbole de perfection.  Elles sont non pas conquérantes mais attirantes car elles séduisent le cœur des hommes
Combinées aux roses odorantes elles créent le paradis terrestre.

Qui en douterait ?  





  Les Persans lui vouent un véritable culte et la considèrent comme symbole de l'éternité et d'amour éternel. Pendant longtemps, cette fleur resta l'apanage des riches jardins de Constantinople. La fleur était alors l'emblème des sultans de plus hautes lignées. Le commerce de cette fleur était très jalousement interdit. La tulipe sera brodée sur les tissus, sculptée sur les armures et portée sur les turbans.




La tulipe était donc à l'origine une fleur sauvage poussant spontanément au pied de la chaîne de l'Himalaya. La contrée était sous la domination du vaste empire ottoman conquis par le turc Sulman le Magnifique.



 Les précieuses fleurs arrivèrent donc à Constantinople comme tributs des provinces soumises.
Ceci explique pourquoi, la tulipe est considérée à tort comme une fleur originaire de Turquie.



Mais au XVIème siècle, alors que Constantinople devenait un carrefour incontournable du commerce, de nombreux visiteurs étrangers découvrent cette fleur sacrée avec émerveillement. Très vite, son renom dépasse les frontières de la capitale ottomane pour parvenir à l'oreille des princes d'Europe.  


Un botaniste français est alors à l'origine de l'histoire d'amour entre les Pays-Bas et la tulipe.


Dans les années 1560, Conrad Gesner puis Carolus Clusius  ( Charles de l'Ecluse plus simplement,  pour l'état civil ) , Préfet du Jardin Impérial d'Herbes Aromatiques de Vienne, réussirent à se procurer clandestinement des bulbes.
C'est à Clusius que l'on doit les premiers croisements de différentes variétés toutes plus belles et rares les unes que les autres.  En hommage à son travail, une tulipe botanique porte son nom: Tulipe Clusiana, blanche barres de rouge et légèrement parfumée...
... que voici, que voilà !    


Charles de Lécluse est installé à Leiden. Le coup de foudre est immédiat : les Hollandais, subjugués par les couleurs vives de la tulipe, sont saisis de « tulipomanie ». Le commerce des bulbes fait l'objet d'une spéculation délirante : au début du XVIIIème siècle, une tulipe coûte plus cher qu'une maison !  


En 1637, la bulle des bulbes éclate et le marché s'effondre.  


Mais la passion des Hollandais pour la tulipe demeure intacte.    Mieux :  la fleur devient l'emblème du pays !

Au printemps, le spectacle des champs de tulipes, aux couleurs flamboyantes, dégage une poésie irrésistible. La plaine prend des allures de gigantesques tapis multicolores, aux nuances infinies


Au XVIIème siècle, les bourgeois hollandais dépensent des sommes folles       pour acheter les précieux bulbes, ce qui ne manque pas d'attiser la convoitise de quelques commerçants avides de gros profits.  Au plus fort de la tulipomania, en février 1637, des promesses de vente pour un bulbe se négociaient pour un montant égal à dix fois de salaire annuel d’un artisan spécialisé.

Un vent de folie souffle alors sur le commerce de la tulipe. Les bulbes deviennent en quelques années une marchandise se négociant à prix d'or. Mais subitement la frénésie s'effondre. Des fortunes colossales se trouvant englouties à jamais, la spéculation s'arrête d'elle-même. Le retour à la normale permet alors à la fleur de se démocratiser. La tulipomania, souvent appelée « Crise de la tulipe » en histoire économique, est le nom donné à l’augmentation démesurée puis l’effondrement des cours de l’oignon de tulipes dans le Nord des Provinces-Unies (actuels Pays-Bas) au milieu du XVIIème siècle.


Dans l'art ottoman, la Tulipe a été utilisée pendant de longs siècles comme élément décoratif  .


Avec quelques autres fleurs prisées, la tulipe donnera son nom à une époque historique : « l'Ere des tulipes », de 1703 à 1717, sous l'Empire Ottoman.
Voyageant en Turquie au début du XVIIème siècle, George Sandys écrit :
« On ne peut sortir dans la rue sans que des derviches ou des janissaires ne vous offrent des tulipes et des bagatelles ».

Les Persans conférent à la tulipe une haute valeur symbolique, synonyme d'éternité et d'amour intarissable.  
Elle jouit d'un capital affectif et religieux incomparable parmi toutes les fleurs.
Les premiers voyageurs occidentaux découvrent ébahis  la passion des Ottomans, qui ont l'habitude d'arborer une tulipe fichée comme une aigrette dans les
plis de leur turban. Les Turcs appellent la tulipe lâle, mot qui s'écrit avec les mêmes lettres que le nom d'Allah.


La tulipe orne l’armure royale en Hongrie (en hongrois : tulipán) . Elle est un symbole ancien du folklore hongrois. Selon l'ethnographe Gábor Lükő, il s'agit du plus vieux motif floral de la culture hongroise, sans doute lié aux origines centre-asiatiques du peuple magyar. Symbole très chargé de la religion proto-magyare, on le trouve comme motif récurrent sur les broderies traditionnelles, les décorations d'objets du quotidien ou certains monuments ayant une forte connotation rituelle .

En Perse, une tulipe glorieuse d’une vingtaine de centimètres était dessinée ainsi que sur le heaume du Sultan et incrustée de pierres précieuses.
Sélim II ordonna de lui expédier 50 000 bulbes de tulipes pour ses jardins impériaux.    

Des marchands mercenaires venus d’Europe ramenèrent des tulipes et bulbes dans leurs bagages.  L’introduction de la tulipe va chambouler les mentalités.
Ogier Ghislain de Busbecq, flamand, a rédigé des récits de voyages et a noté la haute considération des turcs pour la tulipe au point que certains payent avec un bulbe. On suppose que le nom « tulipan » provient de la ressemblance des pétales avec un turban enroulé.

La tulipe n'a pas dérogé depuis, malgré la concurrence de la rose .     Elle est toujours la coqueluche des collectionneurs et l'objet de croisements savants.  Istanbul la fête chaque année en avril… c’est le Festival des Tulipes d’Istanbul ! Explosion de couleurs et de senteurs lorsque la ville se couvre de son tapis de tulipes.
https://grainedestambouliote.com/tulipe/

Cherchez l'intruse !  




Il y a des tulipes dont, personnellement, je me passerais bien ...  
C'est the Bouquet of Tulips de Jeff Koons située dans les jardins des Champs-Élysées près du Petit Palais à Paris, en hommage aux victimes de l'ensemble des attentats de 2015 et 2016.


Je crois qu'il n'y a qu'un utilitaire au monde capable d'arracher une plate-bande de tulipes pour y planter des choux.
Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835)
...    " un utilitaire " !  


Corneille cultivait peu les tulipes et ne s'occupait guère que de l'homme, mauvaise plante bien moins agréable à voir et surtout bien plus difficile à faire fleurir.
Alexandre Dumas La Tulipe noire (1850)





Alain Delon fut la flamboyante Tulipe Noire de Christian-Jaque, film de cape et épée de 1964...


...   comme Gérard Philipe avait été  son irrésistible Fanfan la Tulipe ,  sorti en 1952.


Tenez,  pour le plaisir, ce charmant portrait juvénile,  à la fenêtre !  

Et, pour finir sur une note optimiste :  



 Il est doux de songer que je servirai un jour à faire croître des tulipes.
Gustave Flaubert

Merci pour ces belles tulipes.
A signaler le film Tulip Fever (2017) qui relate cette tulipomanie
aux Pays-Bas au 17ème siècle.
Avec Alicia Vikander et Judi Dench notamment.
Il est sur Netflix, il me semble (en anglais). L'histoire romanesque est un peu étrange.


https://www.youtube.com/watch?v=XMKMr1gecDM

Merci pour ce beau reportage, et l'ouverture de ce sujet.

Dans la chambre de la reine, au Petit Trianon...

Image : Facebook château de Versailles / Thomas Garnier

Paire de vases candélabres à trois lumières
Porcelaine de Paris et ouquet de sept tiges à feuilles et fleurs de tulipes en bronze ciselé et doré
France, vers 1780
Saisie révolutionnaire chez les Montmorency-Laval à Paris
Image : RMN-GP (Château de Versailles) / Benoît Touchard


Voir notre sujet : Visite du Petit Trianon - La chambre de la reine

Elles sont exquises !

Quel régal, quel festin de couleurs, toutes ces tulipes que tu partages avec nous chère Eléonore
Et dire que depuis toutes ces années je n'ai jamais mis le pied au château du Grand Bigard.

Le marquis de Belgrade est très sensible à la dédicace et il t'en remercie

Cette Floralia a lieu chaque année, mon cher Félix. 2022 est la quinzième édition.
Tu ne manqueras pas la seizième, n'est-ce pas !


Vraiment, le spectacle était partout, puisque quelques marquises et beaux seigneurs,  échappés sans doute  du Carnaval de Venise ,  batifolaient comme nous dans le beau parc du Grand Bigard ...


      

Mme de Sabran a écrit:Cette Floralia

Vraiment, le spectacle était partout,  puisque quelques marquises et beaux seigneurs,  échappés sans doute  du Carnaval de Venise ,  batifolaient comme nous dans le beau parc du Grand Bigard ...  

Comme c'est charmant
Cela a certes rendu les lieux encore plus féériques avec ces jolis costumes du carnaval de Venise