Les gardes abyssiniens du Tzar

Les Tzars avaient à leur service une foule de serviteurs (6000 au Palais d'Hiver en présence du couple impérial, 1000 en son absence). Mais certains se révélaient inattendus : les gardes abyssiniens.

Au nombre de quatre, en service par deux, ils veillaient aux portes des appartements privés du Tzar, portes qu'ils ouvraient et fermaient à l'arrivée du couple impérial et à son départ. Ils veillaient également aux portes du bureau du Tzar quand ce dernier y travaillait ou aux portes du boudoir de l'impératrice quand elle se reposait. Cet usage datait de Pierre le Grand, c'est le consul de Russie en Ethiopie qui se chargeait de recruter ces gardes ou le Negus, empereur d'Ethiopie, qui les offrait en présent au Tzar. Les seules conditions étaient qu'ils soient très grands et chrétiens.

La présence de serviteurs noirs n'était pas rare à la cour de Russie. Sous le règne de Pierre le Grand, un enfant abyssinien avait été enlevé par des marchands d'esclaves, puis transféré au Sérail du sultan Ahmed III. L'ambassadeur de Russie avait fait enlever l'enfant de neuf ans pour l'offrir au Tzar. Ce dernier l'avait pris en affection, le rebaptisant Abraham Piotr Hannibal et toute la cour parlait du "nègre de Pierre le Grand" (Notre ancien esclave servira fidèlement quatre souverains, dont Pierre le Grand en tant que secrétaire personnel avant de finir général sous Catherine II).

Mais revenons à nos gardes abyssiniens. Les deux derniers sont restés célèbres, en partie parce qu'ils n'étaient pas éthiopiens mais américains. L'un deux, nommé Sam, venait d'une plantation en Géorgie. Le plus connu, Jim Hercules, était né en 1867, d'esclaves affranchis.


Jim se rendît à New York où il devînt un boxeur reconnu. Au cours d'une tournée en Europe, il se fixa à Londres et obtînt la nationalité britannique. Il fût alors remarqué par l'impératrice de Russie Marie Feodorovna qui l'invita en Russie où Alexandre III, lui-même un colosse, lui offrît d'intégrer les fameux gardes abyssiniens. Jim Hercules accepta et se retrouva donc au service des Tzars avec son compatriote Sam, jusqu'à la Révolution de 1917. Tous les deux ans, Jim était autorisé à retourner en Amérique pour voir sa famille. A son retour, il rapportait des spécialités à l'attention des grandes duchesses, filles de Nicolas II, principalement de la gelée de goyave.
Témoignage du prince Christophe de Grèce : "Grands, splendides dans leur uniforme coloré et leurs turbans blancs, ils se tenaient de chaque côté des portes, telles des statues de bronze".

Nul ne sait ce que devinrent Sam et Jim suite à la Révolution. D'après certains, Jim resta aux côtés de Nicolas II jusqu'à son abdication. Au début des années 1920, un américain séjournant en Russie resta stupéfait de croiser dans les rues de Moscou un grand et puissant homme noir, vêtu pauvrement mais enveloppé dans un manteau frappé de l'aigle impérial bicéphale et marchant avec une grande dignité.
Était-ce Jim Hercules ? Ou Sam peut-être ?  Mystère...

Calonne a écrit:Au début des années 1920, un américain séjournant en Russie resta stupéfait de croiser dans les rues de Moscou un grand et puissant homme noir, vêtu pauvrement mais enveloppé dans un manteau frappé de l'aigle impérial bicéphale et marchant avec une grande dignité....

Cet homme-là avait sans doute été l'un des gardes de Nicolas II ...  Quel destin incroyable que celui d'un boxer américain connu, devenu garde du corps du dernier tsar,  témoin des fastes séculaires de l'empire russe puis de son naufrage.
La vie de Jim Hercules pourrait offrir le scénario d'un film formidable !!!  
Merci, mon cher Calonne.


The Arabian Hall with one of the Tsar's four "Ethiopians",
by Konstantin Ukhtomsky (1860s)
Photo WIKI.

Les divers noms géographiquement confus de la salle arabe dérivent, non pas d'un contenu particulier, mais des quatre pseudo-gardes du corps officiels du tsar qui ont voyagé de palais en palais avec la famille impériale. Ils étaient quatre "nègres massifs" fantastiquement vêtus de pantalons écarlates, de vestes dorées, de turbans blancs et de chaussures courbes.  Partout où le Tsar était, ils gardaient les portes entre le monde privé et le monde officiel. Ils n'avaient d'autre fonction que d'ouvrir et de fermer les portes; leur apparition soudaine mais silencieuse dans une pièce était le signal qui annonçait l'apparition immédiate du Tsar ou de la Tsaritsa .
https://en.wikipedia.org/wiki/Arabian_Hall_of_the_Winter_Palace

Jim Hercules semble avoir été proche de la famille impériale : outre la gelée/confiture de goyave qu'il rapportait aux grandes duchesses, c'est lui qui aurait rapporté un "Tepee" (tente indienne) et un canoé au tzarévitch Alexis (ces objets apparaissent sur de nombreuses photos de la salle de jeu du jeune prince). Sur une autre photo, on voit Jim se promener dans le palais de Tsarskoie Selo, habillé en "civil".
Quant à cette fameuse rencontre dans les rues de Moscou, elle aurait eu lieu en 1924, le témoin étant un diplomate américain qui avait vu Jim à plusieurs reprises au palais. Il affirma l'avoir reconnu et, étant en voiture, demanda à son chauffeur de faire demi-tour mais l'homme avait déjà disparu...

Quant à ses prédécesseurs, on retiendra Alexandre Gabriel et Nelson, de service en 1809 auprès d'Alexandre Ier. Le premier était cuistot sur un navire américain et avait déserté lors d'une escale dans un port russe. Il y avait huit gardes "nubiens" présents lors de la procession du couronnement d'Alexandre II.

Voici une photo de la salle de jeu du Tsarévitch Alexis, fils de Nicolas II, au palais Alexandre de Tsarskoie Selo. On y voit le teepee et deux canoës :

Merci cher Calonne pour ce beau sujet !

Quel dommage que, contrairement au reste des fastueux appartements, ceux biens bourgeois des derniers Romanov au palais Alexandre aient été détruits par les Bolcheviks - il s’agissait d’éviter de les rendre « simples » et sympathiques.

Vous mentionnez Abraham Hannibal, nous en connaissons tous le descendant : Pouchkine le poète !

Gouverneur Morris a écrit:

Vous mentionnez Abraham Hannibal, nous en connaissons tous le descendant : Pouchkine le poète !

... et même l'un des plus grands poète russes !