Les boutiques de Paris

Flâner dans les rues de Paris en ces années permet également de s'attarder aux devantures de boutiques réputées, dont certaines existent toujours. En avant donc pour la promenade !

Arrêt impératif au 3 quai Conti, chez Granchez : c'est là, messieurs, que vous trouverez les plus belles cannes. Charles Raymond Granchez, né à Dunkerque, s'y est établi en 1767, ouvrant une boutique rapidement très courue, Au petit dunkerque. On y trouvait de la bijouterie, des objets venant des quatre coins du monde et donc, pour les messieurs, les plus belles cannes de Paris. Vous ne manquerez pas son enseigne, un navire trois mâts en métal (déposé en 1913 et envoyé au musée Carnavalet). Notre homme faisait déjà sa publicité dans les journaux de l'époque, au moyen d'annonces détaillées sur ses produits. Parmi ses cannes les plus fameuses, ne manquez pas celles renfermant un fouet de cabriolet, celles en bois de Perpignan (du bois de micocoulier en fait), en rotin ou jonc de Malacca, en bambou, mais aussi des cannes "en or et pierres de Cayenne" (en fait, des galets de quartz ou de calcédoine). Les dames ne sont pas oubliées : Le Mercure de France de 1776 leur annonce qu'elles pourront trouver en boutique "Cannes pour femme en bois de Perpignan, couvertes en soie et or, à pomme de nacre garnie d’or".
Mais vous y trouverez aussi une foule de curiosités et d'objets étonnants, comme ce bouchon orné d'un navire en argent massif :



Nous poursuivons à La garde royale, quai des orfèvres, où Pierre Germain, dit le Romain, a installé en 1758 sa boutique d'orfèvrerie, l'une des plus renommées de Paris.
Vous pouvez également faire un saut Au chagrin de Turquie, rue de la Monnaie, chez Lazare Duvaux, joaillier-bijoutier et fournisseur de Madame de Pompadour. Notre homme s'est spécialisé dans les pendules fleuries, comme celle-ci, La pendule au magot (le magot, c'est ce petit personnage chinois, joufflu, rondouillard et rieur, passant pour incarner la prospérité) :



Mais aussi des objets plus étonnants comme cette "boule à sangsues" :



Il s'agit en fait d'une banale "boule à riz", en étain, destinée à cuire le riz, les pois, voire le vermicelle. Puis, on s'en servît très vite en médecine, pour transporter les sangsues, dont on faisait à l'époque un grand usage, usage qui perdurera au siècle suivant.

Vous trouverez d'autres objets inédits ou étonnants Au singe vert, rue des Arcis. En 1791, la boutique se lancera dans le nouveau jeu à la mode, "l'émigrette", ancêtre de notre yo-yo et en fera fabriquer 25 000 en quelques jours.



Vous cherchez un tabletier ? Une seule adresse, chez Biennais. Martin Guillaume Biennais, arrivé à Paris en 1788, à 24 ans, s'est tout de suite imposé comme une référence. Vous trouverez chez lui, rue Saint Honoré, tabatières, peignes, bonbonnières, jeux d'échecs, de dames, de tric-trac, dominos et dés en ivoire... Mais aussi des meubles comme des secrétaires ou encore des commodes, ce qui lui vaut la colère et les plaintes des ébénistes. En 1790, notre homme achètera une seconde boutique, plus vaste, dans le même immeuble. Il profitera l'année suivante de la loi Chapelier, mettant fin au système des corporations et lui permettant ainsi de vendre tous les genres de meubles. Il est le seul à accepter de vendre à crédit un nécessaire de voyage à un pauvre général guère fortuné, qui s'est fait refouler par tous les autres, un certain Bonaparte. Devenu empereur, ce dernier se montrera reconnaissant en faisant de Biennais son fournisseur officiel.



Vous fumez ? Prisez ? Direction le Palais Royal où vous trouverez les meilleurs tabacs à l'enseigne de La Civette.

Vous êtes invité à souper et voulez amener le dessert ? Une seule adresse, chez Raguenau, fondé par Cyprien Raguenau, pâtissier-rôtisseur-traiteur, mort en 1654 mais dont l'oeuvre s'est poursuivie. Ses tartelettes Amandine, entremets à la crème d'amande nappés de confiture de framboise font accourir tous les gourmands de Paris. Vous trouverez les meilleurs échaudés rue de la Verrerie.


Vous préférez offrir des fleurs artificielles à la maîtresse de maison ? Depuis que nos dames ne veulent plus que des fausses fleurs au lieu des vraies, on ne peut plus garer devant la boutique de Wenzel. C'est là que vous trouverez les plus belles roses et fleurs en papier, en soie... Notre homme donne même des cours aux dames afin de composer les plus beaux bouquets de fausses fleurs. En confidence, Madame de Genlis fait partie de ses élèves, réussissant de forts beaux bouquets de bleuets, coquelicots, myosotis et marguerites.

Vous trouverez bien d'autres adresses en consultant nos journaux.
Vous pourrez ainsi trouver de très beaux agendas, "composés de six cahiers pour chaque année, à raison d'un cahier par deux mois, réunissant à l'avantage de pouvoir contenir beaucoup de papiers, celui de présenter chaque jour séparément tout ce que le besoin peut exiger, souvenir, recettes, dépenses, pertes et gains, le tout partagé par des feuillets blancs pour les notes et observations, avec en plus fermeture à patte à l'anglaise". Vous les trouverez Au porte-feuille anglais, au 26 de la rue Dauphine.
Chez dame Bellette, rue de Clichy, vous trouverez "la meilleure pratique pour épurer de tous insectes les laines à matelas ou les matelas eux-mêmes".
C'est chez M.Tourillon, au Palais Royal, au 132 de la galerie des Bons-Enfants, que vous trouverez ces fameux gilets "hydrostatiques, simples, légers, commodes, ne nécessitant pas plus d'une minute pour être endossés, remplis d'air par la bouche en moins de 12 secondes, pour apprendre à nager ou sauver, sans crainte d'enfoncer, toute personne en danger de se noyer".
Enfin Messieurs, si votre valet de chambre se montre maladroit à chaque fois qu'il vous rase, vous serez heureux d'apprendre que M. Lethien, coutelier de la reine et du duc d'Orléans, vient d'inventer "un rasoir à six lames à rabot d'argent et sans rabot, avec un ressort qui fixe la lame au point voulu, pour se raser sans courir le risque de se couper, en damas pur luxe, raffiné au feu et trempé dans des sels les faisant opérer contre les barbes les plus fortes". Vous les trouverez rue Neuve-Saint-Merri, près de l'hôtel Jabac.

Bon shopping !

Merci, mon cher Calonne !  

Voilà qui me rappelle, pour certains articles,  notre sujet sur les marchands merciers, " Vendeurs de tout, faiseurs de riens ".
https://marie-antoinette.forumactif.org/t3976-exposition-a-cognacq-jay-la-fabrique-du-luxe-les-marchands-merciers-parisiens-au-xviiie-siecle?highlight=marchands
Peut-être avais-tu vu l'exposition au musée de Cognacq-Jay ?!

Je ne savais pas que l'Amandine, très traditionnelle petite douceur, était aussi vieille !
Ta photo me fait saliver ...

Ce Pierre Germain, dont vous nous vantez les mérites plus haut, fait-il partie de la famille des Thomas Germain, orfèvre exceptionnel  sous le Bien-aimé ?

Hé bien non !
Les deux n'ont pas de lien de parenté. Par contre, il s'est formé dans l'atelier de Thomas Germain. Il a travaillé également, longuement, avec Jacques Roettiers et fût en apprentissage avec Nicolas Besnier.