Vapeurs, sels de pâmoison et fainting room

- Mon ami, je me sens venir une vapeur !

Phrase que l'on pouvait entendre dans les salons de certaines dames, au XVIIIème et au au XIXème siècle, surtout au cours de l'époque victorienne. Certaines de ces dames, suite à une émotion trop vive (la princesse de Lamballe tombant dans les pommes devant une peinture représentant un homard tué - le homard aux pommes, pourquoi pas ?) à un effort physique trop fort ou à un petit coup de chaud nous faisaient donc une "vapeur", c'est à dire un malaise.

On se portait alors au secours de la dame et si cette dernière était évanouie, on la ranimait en utilisant des sels. Mais de quoi s'agissait-il exactement ? Ces fameux sels étaient en fait un mélange de différents acides et alcalis (ammoniaque) dont l'odeur très forte et désagréable faisait en général immédiatement revenir la personne à elle. Ces sels avaient même un nom, on parlait de "sels de pâmoison". Chaque dame avait donc dans sa bourse ou son aumônière un petit flacon de sels, au cas où, en soirée ou au spectacle. Messieurs, vous pouviez également être sujets à ce petit malaise et les sels fonctionnaient pour vous également mais on n'en parlait pas, surtout au XIXème siècle : un homme se doit d'être fort, solide et donc de ne pas afficher une petite faiblesse passagère. L'évanouissement était donc "réservé" à la femme, pauvre créature fragile et émotive... C'était également l'occasion pour ces messieurs de se comporter en galant homme et de venir au secours de la dame.

Mais si évanouissement il y avait, il fallait du repos et parfois même dégrafer le corsage de Madame pour lui permettre de mieux respirer. Guère convenable en public... On voit donc apparaître aux Etats-Unis au XVIIIème siècle, la "fainting room" qui deviendra incontournable au siècle suivant dans les grandes maisons. Plutôt que de transporter Madame en son boudoir (et donc de pénétrer son intimité - en tout bien tout honneur malheureux, qu'allez-vous penser !), on créa donc une pièce spéciale, petite et équipée d'une méridienne confortable. La dame évanouie pouvait y être déposée et s'y mettre à l'aise en toute discrétion, en présence de sa femme de chambre ou d'un médecin le cas échéant. On vit même apparaître des "fainting couchs", méridiennes capitonnées à souhait et confortables, garnies de coussins, spécialement conçues pour ces pièces. L'accoudoir permettait la position inclinée du corps ou de poser la tête sur un coussin et le haut dossier permettait de préserver la pudeur de la dame vis à vis d'éventuels témoins tandis qu'on la dégrafait.
Etes-vous remise Madame ?

Fainting room, tiens tiens ! Je ne connaissais pas ce terme. Merci, mon cher Calonne.
Toujours garder à portée de main son flacon de sels !

Te souviens-tu de la réplique un brin subversive de la soubrette Rosine, dans la bouche de Marie-Antoinette, sur la scène de son petit théâtre de Trianon :

Est-ce que les femmes de mon état ont des vapeurs, donc ? c'est un mal de condition qu'on ne prend que dans les boudoirs ...

Oui, la fameuse "vapeur" semble presque, surtout à l'époque victorienne, une attitude des femmes de la bonne société. Vision machiste qui fait de la femme une créature émotive, délicate et fragile, en opposition à l'homme viril, fort et décidé. Il est alors de bon ton qu'une dame se montre "sensible", quitte à forcer un peu le "malaise"...

La fameuse "fainting room" pouvait avoir également une raison d'être nettement plus sordide...

Au XIXème siècle, l'hystérie féminine, une trop grande émotivité chez la femme, une crise d'anxiété, de fréquentes bouffées de chaleur, sont considérées comme liées à l'appareil génital, à une "congestion sexuelle". D'ailleurs, le mot Hystérie vient du grec ancien Hystera qui veut dire "matrice". La solution pour soulager Madame dans ce cas ? La masturbation.
Pudiquement renommée "massage pelvien" et habillée du therme d'acte médical, c'était une pratique courante, qui pouvait donc avoir lieu dans la fameuse fainting room si un médecin était dans l'assistance.

Ou Madame pouvait se rendre au cabinet de son médecin. Elle prenait alors place sur un siège "gynécologique", une tenture était pudiquement placée au-dessus d'elle, le médecin se frottait les mains avec des huiles chauffantes et faisait ce qu'il avait à faire. Sur la fiche de consultation, il ne restait qu'à écrire "hystérie" pour se donner bonne conscience et justifier l'acte.
C'est d'ailleurs dans le cadre de cette pratique et pour la rendre plus efficace que Mortimer Granville inventa à l'époque le "marteau Granville", c'est à dire le premier vibromasseur...

Calonne a écrit:
C'est d'ailleurs dans le cadre de cette pratique et pour la rendre plus efficace que Mortimer Granville inventa à l'époque le "marteau Granville", c'est à dire le premier vibromasseur...

Mais oui, bien-sûr ! C'est le sujet du film Histeria ( en français " Oh my God " ) réalisé par Tanya Wexler en 2011.

À l'époque victorienne, à Londres, le Dr. Mortimer Granville est engagé par un médecin spécialisé dans le traitement de l'hystérie, le Dr. Dalrymple. Le traitement consiste à stimuler manuellement les patientes au cabinet du médecin jusqu'à un paroxysme qui les apaise. Épuisé, il élabore avec l'aide de son ami Sir Edmund St-John Smythe, un outil permettant d'administrer le traitement sans effort, inventant ainsi le vibrateur.