Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
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Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
Chers amis,
Nous avions laissé la duchesse de Luynes aux prises avec Calonne dans le sujet "Lettre d'une dame inconnue à Calonne". La voici de retour en compagnie de la duchesse de Polignac par missives interposées grâce au comte de Las Casas, ambassadeur d'Espagne à Venise en 1791. Il s'agit d'un rapport de ce diplomate à son gouvernement au profit duquel il assurait les liaisons auprès des milieux émigrés proches des princes (notamment d'Antraigues qui l'alimentait en informations sur la situation en France, Bombelles et les Polignac). Il est daté de l'été 1791 soit quelques semaines après Varennes et alors que s'amorçaient les relations secrètes de la reine avec les triumvirs (Duport, Barnave, Lameth). Ce document appartient au fonds de l'ambassade d'Espagne à Venise conservé dans les archives nationales espagnoles. J'ai trouvé sa copie dans le livre de Jacqueline Chaumié intitulé Le réseau d'Antraigues et la Révolution (1791-1793), Plon, 1965, page 350, note 50:
L'émigration cependant ne se laissait pas toute entière tromper par le double jeu de la reine. La duchesse de Polignac qui pendant des années avait été la confidente de la reine, et qui n'ignorait pas la haine que cette souveraine vouait aux Constitutionnels, expliquait cette attitude par une feinte.
Las Casas qui, plus tard acceptera les interprétations d'Antraigues comme paroles d'évangile, pendant l'été 1791, a conservé encore son esprit critique et confronte les dires d'Antraigues avec ceux d'autres émigrés.
La duchesse de Polignac était en correspondance avec la duchesse de Luynes et communiquait à l'ambassadeur d'Espagne les nouvelles qu'elle recevait de Paris: " La duchesse de Polignac, écrivait Las Casas à Florida Blanca, assure qu'il est impossible que la Reine se confie aux mains de la duchesse de Luynes, parce qu'elle la connait et la déteste. La duchesse de Polignac a soutenu une correspondance avec la duchesse de Luynes, bien que leurs principes soient diamétralement opposés, parce qu'elle a espéré qu'en établissant des rapports d'une apparente confiance, d'utiles lumières surgiraient de cette correspondance. Elle m'a montré ses dernières lettres.
Elle y parle, il est vrai, de son intelligence avec la Reine, et de celle qu'elle entetient entre le Roi et ses amis, qui sont ceux la même que citent d'Antraigues, mais la duchesse attribue cette attitude de la Reine à l'unique fin de réussir à n'être pas séparée du Dauphin qu'elle idolâtre et aussi de s'attirer celui qui sera probablement chargé à l'Assemblée de son éducation, c'est à dire l'abbé Siéyès, très intime ami de la duchesse de Luynes. La duchesse de Poligac affirme que s'il y avait autre chose, la duchesse de Luynes ne le lui tiendrait pas caché. Elle affirme aussi que la Reine n'est pas disposée maintenant à entreprendre aucune négociation, qu'elle est extrêmement abattue et qu'elle vit à l'écart de tout, parce que le Roi lui a jeté en pleine figure avec dureté et mauvaise humeur, qu'elle est la seule cause de tant de maux. Depuis il s'est montré entièrement opposé à recevoir des conseils de la Reine."
Nota: Comme vous le savez sans doute le duc de Luynes avait adhéré aux idées nouvelles et était resté en France. La duchesse de Luynes qui, sans doute partageait ses idées, fréquentait les milieux de l'Assemblée Constituante. On s'aperçoit que la duchesse de Polignac, de son lointain exil à Venise, scrutait autant que ses possibilités le lui permettaient la situation intérieure et particulièrement celle du couple royal.
Roi-cavalerie
L'émigration cependant ne se laissait pas toute entière tromper par le double jeu de la reine. La duchesse de Polignac qui pendant des années avait été la confidente de la reine, et qui n'ignorait pas la haine que cette souveraine vouait aux Constitutionnels, expliquait cette attitude par une feinte.
Las Casas qui, plus tard acceptera les interprétations d'Antraigues comme paroles d'évangile, pendant l'été 1791, a conservé encore son esprit critique et confronte les dires d'Antraigues avec ceux d'autres émigrés.
La duchesse de Polignac était en correspondance avec la duchesse de Luynes et communiquait à l'ambassadeur d'Espagne les nouvelles qu'elle recevait de Paris: " La duchesse de Polignac, écrivait Las Casas à Florida Blanca, assure qu'il est impossible que la Reine se confie aux mains de la duchesse de Luynes, parce qu'elle la connait et la déteste. La duchesse de Polignac a soutenu une correspondance avec la duchesse de Luynes, bien que leurs principes soient diamétralement opposés, parce qu'elle a espéré qu'en établissant des rapports d'une apparente confiance, d'utiles lumières surgiraient de cette correspondance. Elle m'a montré ses dernières lettres.
Elle y parle, il est vrai, de son intelligence avec la Reine, et de celle qu'elle entetient entre le Roi et ses amis, qui sont ceux la même que citent d'Antraigues, mais la duchesse attribue cette attitude de la Reine à l'unique fin de réussir à n'être pas séparée du Dauphin qu'elle idolâtre et aussi de s'attirer celui qui sera probablement chargé à l'Assemblée de son éducation, c'est à dire l'abbé Siéyès, très intime ami de la duchesse de Luynes. La duchesse de Poligac affirme que s'il y avait autre chose, la duchesse de Luynes ne le lui tiendrait pas caché. Elle affirme aussi que la Reine n'est pas disposée maintenant à entreprendre aucune négociation, qu'elle est extrêmement abattue et qu'elle vit à l'écart de tout, parce que le Roi lui a jeté en pleine figure avec dureté et mauvaise humeur, qu'elle est la seule cause de tant de maux. Depuis il s'est montré entièrement opposé à recevoir des conseils de la Reine."
Nota: Comme vous le savez sans doute le duc de Luynes avait adhéré aux idées nouvelles et était resté en France. La duchesse de Luynes qui, sans doute partageait ses idées, fréquentait les milieux de l'Assemblée Constituante. On s'aperçoit que la duchesse de Polignac, de son lointain exil à Venise, scrutait autant que ses possibilités le lui permettaient la situation intérieure et particulièrement celle du couple royal.
Roi-cavalerie
Roi-cavalerie- Messages : 551
Date d'inscription : 20/09/2014
Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
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Oui en effet, je me souviens de cette motivation de la relation entre les duchesses de Luynes et de Polignac . Vous me donnez envie de creuser à nouveau la question ! Las Casas était un intime des Polignac ( nous le disions il y a quelques jours encore ), quant au comte d'Antraigues, je n'ai jamais su au juste dans quel sombre desseins d'espionnage il trempait, ni pourquoi sa femme et lui ont été assassinés .
Vous avez le chic, cher Roi-cavalerie, pour piquer ma curiosité ! :n,,;::::!!!:
Je me replongerai demain dans Les Hommes de l'Emigration du duc de Castries !
Oui en effet, je me souviens de cette motivation de la relation entre les duchesses de Luynes et de Polignac . Vous me donnez envie de creuser à nouveau la question ! Las Casas était un intime des Polignac ( nous le disions il y a quelques jours encore ), quant au comte d'Antraigues, je n'ai jamais su au juste dans quel sombre desseins d'espionnage il trempait, ni pourquoi sa femme et lui ont été assassinés .
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Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Le réseau d'Antraigues et la Révolution (1791-1793) de Jacqueline Chaumié
Roi-cavalerie a écrit:Chers amis,
Nous avions laissé la duchesse de Luynes aux prises avec Calonne dans le sujet "Lettre d'une dame inconnue à Calonne". La voici de retour en compagnie de la duchesse de Polignac par missives interposées grâce au comte de Las Casas, ambassadeur d'Espagne à Venise en 1791. Il s'agit d'un rapport de ce diplomate à son gouvernement au profit duquel il assurait les liaisons auprès des milieux émigrés proches des princes (notamment d'Antraigues qui l'alimentait en informations sur la situation en France, Bombelles et les Polignac). Il est daté de l'été 1791 soit quelques semaines après Varennes et alors que s'amorçaient les relations secrètes de la reine avec les triumvirs (Duport, Barnave, Lameth). Ce document appartient au fonds de l'ambassade d'Espagne à Venise conservé dans les archives nationales espagnoles. J'ai trouvé sa copie dans le livre de Jacqueline Chaumié intitulé Le réseau d'Antraigues et la Révolution (1791-1793), Plon, 1965, page 350, note 50:
Merci, cher Roi-cavalerie, pour cette nouvelle référence ! :n,,;::::!!!:
Dire que je n'ai pas encore lu de biographie de ce si mystérieux personnage ... Je connais bien-sûr les lettres très amicales que lui adresse Vaudreuil pendant l'émigration . Mais c'est tout !
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CHAUMIE (Jacqueline).
Le Réseau d'Antraigues et la Contre - Révolution (1791 - 1793). Avant - propos de Robert MANDROU.
Collection "Histoire des Mentalités" (dirigée par Robert MANDROU). Paris, Plon, 1965.
D'Antraigues et son réseau (un révolutionnaire aristocrate, d'Antraigues et Breteuil, les membres du réseau). Le réseau pendant les derniers mois de la Constituante (mai - septembre 1791) : manoeuvres d'Antraigues pour devenir conseiller de l'émigration du Cabinet de Madrid, la "machine" et le Comité secret des Jacobins, informations du réseau sur la politique jacobine, lettres du Directoire des Jacobins à la Société affiliée de Villeneuve - de - Berg. L'alliance entre aristocrates et Jacobins (contre les Constitutionnels, les Tuileries, contre la garde constitutionnelle, contre l'évasion du Roi). La "machine" pendant les premiers mois de la Législative : d'Antraigues et Las - Casas veulent diriger la contre - révolution, les espions du réseau au Comité secret des Jacobins, influence occulte du Duc d'Orléans au Directoire des Jacobins. Le réseau et la guerre (exaltation et déception des royalistes). Le raidissement des partis avant le 20 juin 1792 (le complot de la garde constitutionnelle, dissolution de la garde). Les cinquante jours (le succès feuillant exaspère les aristocrates, aristocrates et Jacobins contre la garde nationale et La Fayette, le complot Breteuil, le 14 juillet 1792, projet d'évasion de La Fayette, attente des armées étrangères). La chute de la royauté (intrigues du réseau avant le 10 août, le réseau contre l'évasion du Roi, Despomelles et Lemaître témoins du 10 août). L'attente de la "victoire", du 10 août à Valmy (le réseau et le prisonnier du Temple, d'Antraigues favorable à la Régence de Monsieur, les agents du réseau échappent aux massacres de septembre, les amis d'Antraigues attendent à Paris le Duc de Brunswick). L'effondrement contre - révolutionnaire après Valmy (lenteur à admettre la défaite, les aristocrates expliquent par une intrigue la victoire de Dumouriez, dispersion de l'armée des Princes). Aristocrates et Girondins dans les premiers mois de la Convention (Pétion et d'Antraigues, le réseau et Pétion). Les agents d'Antraigues dans les Comités révolutionnaires (la "machine" dans les premiers mois de la Convention, membres des Directoires secrets, le Comité girondin, le Comité orléaniste, le Comité montagnard). Le procès et la mort du Roi (le réseau face au procès du Roi, optimisme dans les premières semaines de janvier 1793, les nuits des 15 et 16 janvier 1793, le réseau tente de sauver Louis XVI, la mort du Roi, d'Antraigues interprète la pensée posthume de Louis XVI).
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http://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1966_num_124_1_449721_t1_0321_0000_2
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Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
Mme de Sabran a écrit:;
Oui en effet, je me souviens de cette motivation de la relation entre les duchesses de Luynes et de Polignac . Vous me donnez envie de creuser à nouveau la question ! Las Casas était un intime des Polignac ( nous le disions il y a quelques jours encore ), quant au comte d'Antraigues, je n'ai jamais su au juste dans quel sombre desseins d'espionnage il trempait, ni pourquoi sa femme et lui ont été assassinés .
Vous avez le chic, cher Roi-cavalerie, pour piquer ma curiosité ! :n,,;::::!!!:
Je me replongerai demain dans Les Hommes de l'Emigration du duc de Castries !
Mais oui, Chère Eléonore, il faut absolument que vous et ceux d'entre nous qui s'intéressent à cette période mouvementée de notre histoire lisent Le réseau d'Entraigues et la Contre-Révolution. Remarquablement détaillé et s'appuyant sur des sources authentiques, ce livre permet de mieux connaitre les diverses tendances qui ont divisés en ces années 1789-1793 les milieux royalistes compromettant parfois volontairement les chances d'un retour au pouvoir de Louis XVI. Il s'agit en quelque sorte d'une plongée très éclairante dans la Révolution versus royaliste qu'il ne faut pas manquer.
Bien amicalement. Roi-cavalerie
Roi-cavalerie- Messages : 551
Date d'inscription : 20/09/2014
Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
Roi-cavalerie a écrit: les milieux royalistes compromettant parfois volontairement les chances d'un retour au pouvoir de Louis XVI.
Vous pensez à la conspiration de Favras, n'est-ce pas ?
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Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
Mme de Sabran a écrit:Roi-cavalerie a écrit: les milieux royalistes compromettant parfois volontairement les chances d'un retour au pouvoir de Louis XVI.
Vous pensez à la conspiration de Favras, n'est-ce pas ?
Non je faisais référence au rapprochement tactique momentané qui s'est opéré, en septembre 1791 au moment de l'élection de la nouvelle assemblée entre la droite royaliste et les Jacobins afin de saper les chances de l'établissement d'une monarchie constitutionnelle comme le souhaitaient les Monarchiens et qui se concrétisa parfois par des réunions entre les différent responsables de ces partis.
"C'est ainsi qu'après la démission de Bailly les royalistes préférèrent voter pour Pétion et Roederer pour occuper respectivement les fonctions de maire de Paris et de procureur syndic plutôt qu'apporter leur voix à La Fayette et d'André qui étaient les candidats des Monarchiens. Maîtres de la municipalité, Pétion et Roederer semblent avoir immédiatement songé à affermir leur autorité. Ils prennent dès premières semaines de leur arrivée à l'Hôtel de ville, des mesures pour faire face à un retour des forces de droite selon toutes probabilités pour donner une nouvelle impulsion à la Révolution.
Jusqu'au 10 août les Jacobins et les Tuileries prépareront leurs troupes clandestines cependant que les Constitutionnels s'efforceront en vain d'empêcher le choc sanglant. Les royalistes jaloux de l'appui que le roi trouve auprès du parti de Breteuil pour former sa garde[projet de formation d'une garde constitutionnelle composée en partie d'aristocrates afin de protéger le roi que les royalistes se sont efforcer de contrecarrer], dénoncent aux Jacobins les projets d'évasion du roi et les manoeuvres des Tuileries pour se constituer une armée.
Le parti de Breteuil et les Tuileries soupçonnèrent le jeu des royalistes. Augeard, dans ses Mémoires secrets, raconte comment le samedi 12 octobre, l'abbé de Fontenay aurait publié dans son journal le second projet d'évasion du roi dans le plus grand détail. Il aurait livré le plan du roi afin d'obliger l'Assemblée nationale à surveiller plus étroitement Louis XVI. Fersen eut connaissance de cet article de Fontenay. Dans son journal il écrit: "Le Journal général, fait par l'abbé de Fontenay,un aristocrate, écrit des choses affreuses contre Breteuil, Mercy, Thugut, et avertit de se garder du départ du Roi.Cet article est sûrement envoyé de Coblence. C'est abominable."
"
Ou comment l'esprit de division au sein de la droite monarchiste qui est l'une des caractéristiques de notre nation depuis les Gaulois a peut être compromis les chances de l'établissement en France d'une monarchie constitutionnelle! On constate de nos jours les difficultés que rencontrent les partis du centre à faire valoir leur opinion entre les tenants d'une droite et d'une gauche elles même divisés. On ne refait pas l'histoire mais on pourrait en tirer des leçons!
Roi-cavalerie.
"C'est ainsi qu'après la démission de Bailly les royalistes préférèrent voter pour Pétion et Roederer pour occuper respectivement les fonctions de maire de Paris et de procureur syndic plutôt qu'apporter leur voix à La Fayette et d'André qui étaient les candidats des Monarchiens. Maîtres de la municipalité, Pétion et Roederer semblent avoir immédiatement songé à affermir leur autorité. Ils prennent dès premières semaines de leur arrivée à l'Hôtel de ville, des mesures pour faire face à un retour des forces de droite selon toutes probabilités pour donner une nouvelle impulsion à la Révolution.
Jusqu'au 10 août les Jacobins et les Tuileries prépareront leurs troupes clandestines cependant que les Constitutionnels s'efforceront en vain d'empêcher le choc sanglant. Les royalistes jaloux de l'appui que le roi trouve auprès du parti de Breteuil pour former sa garde[projet de formation d'une garde constitutionnelle composée en partie d'aristocrates afin de protéger le roi que les royalistes se sont efforcer de contrecarrer], dénoncent aux Jacobins les projets d'évasion du roi et les manoeuvres des Tuileries pour se constituer une armée.
Le parti de Breteuil et les Tuileries soupçonnèrent le jeu des royalistes. Augeard, dans ses Mémoires secrets, raconte comment le samedi 12 octobre, l'abbé de Fontenay aurait publié dans son journal le second projet d'évasion du roi dans le plus grand détail. Il aurait livré le plan du roi afin d'obliger l'Assemblée nationale à surveiller plus étroitement Louis XVI. Fersen eut connaissance de cet article de Fontenay. Dans son journal il écrit: "Le Journal général, fait par l'abbé de Fontenay,un aristocrate, écrit des choses affreuses contre Breteuil, Mercy, Thugut, et avertit de se garder du départ du Roi.Cet article est sûrement envoyé de Coblence. C'est abominable."
"
Ou comment l'esprit de division au sein de la droite monarchiste qui est l'une des caractéristiques de notre nation depuis les Gaulois a peut être compromis les chances de l'établissement en France d'une monarchie constitutionnelle! On constate de nos jours les difficultés que rencontrent les partis du centre à faire valoir leur opinion entre les tenants d'une droite et d'une gauche elles même divisés. On ne refait pas l'histoire mais on pourrait en tirer des leçons!
Roi-cavalerie.
Roi-cavalerie- Messages : 551
Date d'inscription : 20/09/2014
Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
Roi-cavalerie a écrit:
Le parti de Breteuil et les Tuileries soupçonnèrent le jeu des royalistes. Augeard, dans ses Mémoires secrets, raconte comment le samedi 12 octobre, l'abbé de Fontenay aurait publié dans son journal le second projet d'évasion du roi dans le plus grand détail. Il aurait livré le plan du roi afin d'obliger l'Assemblée nationale à surveiller plus étroitement Louis XVI. Fersen eut connaissance de cet article de Fontenay. Dans son journal il écrit: "Le Journal général, fait par l'abbé de Fontenay,un aristocrate, écrit des choses affreuses contre Breteuil, Mercy, Thugut, et avertit de se garder du départ du Roi.Cet article est sûrement envoyé de Coblence. C'est abominable."
Abominable, c'est le mot !!!
Qui est ce félon d'abbé de Fontenay ? Est-ce Louis-Abel de Bonafous ?
Et comment est-ce que les projets d'évasion de la famille royale pouvaient être connus de tout un chacun, et même d'un obscur Bonafous que je n'ai jamais croisé dans mes lectures ?!!! àè-è\':
Enfin quoi ! ça n'a pas le sens commun !!!
Fersen soupçonnait les princes à Coblence ...
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Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
Mme de Sabran a écrit:Roi-cavalerie a écrit:
Le parti de Breteuil et les Tuileries soupçonnèrent le jeu des royalistes. Augeard, dans ses Mémoires secrets, raconte comment le samedi 12 octobre, l'abbé de Fontenay aurait publié dans son journal le second projet d'évasion du roi dans le plus grand détail. Il aurait livré le plan du roi afin d'obliger l'Assemblée nationale à surveiller plus étroitement Louis XVI. Fersen eut connaissance de cet article de Fontenay. Dans son journal il écrit: "Le Journal général, fait par l'abbé de Fontenay,un aristocrate, écrit des choses affreuses contre Breteuil, Mercy, Thugut, et avertit de se garder du départ du Roi.Cet article est sûrement envoyé de Coblence. C'est abominable."
Abominable, c'est le mot !!!
Qui est ce félon d'abbé de Fontenay ? Est-ce Louis-Abel de Bonafous ?
Et comment est-ce que les projets d'évasion de la famille royale pouvaient être connus de tout un chacun, et même d'un obscur Bonafous que je n'ai jamais croisé dans mes lectures ?!!! àè-è\':
Enfin quoi ! ça n'a pas le sens commun !!!
Fersen soupçonnait les princes à Coblence ...
Il s'agit effectivement de Louis Bonafous de Fontenay, jésuite, dont vous trouverez une bio sur le lien:
http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/088-louis-bonafous-de-fontenay.
Je ne sais si ce qui est écrit dans le livre de Mme Chaumié au sujet des écrits de cet abbé de Fontenay est vrai mais en tout les cas, ce qu'en dit Fersen doit bien être vérifiable dans son journal.
Ce qui me semble exact c'est que, selon Jacqueline Chaumié, les royalistes (c'est à dire la frange des aristocrates qui s'étaient opposés en 1788 au despotisme royal dont le comte d'Antraigues était l'un des plus éminents représentants) n'hésitèrent pas, quitte à s'allier aux Jacobins, à faire en sorte que le projet de Monarchie Constitutionnelle échoue. A mon époque,il m'en souvient, cette collusion sur un objectif commun entre deux factions que tout opposait, était encore enseignée dans les cours d'histoire ayant trait à cette période. Cela a bien été le cas pour l'élection du maire de Paris et du syndic procureur et ceci est tout à fait avéré. Cela a été également constaté dans le cadre du projet d'établissement d'une garde constitutionnelle pour le Roi au sujet duquel ils refusèrent de s'engager comme d'ailleurs, selon Mme Chaumié, les fidèles du comte d'Artois qui n'avaient pas émigré. Ce faisant, ils étaient naturellement en communion de vues avec les Jacobins qui voyaient d'un très mauvais oeil ce projet. En ce qui concerne les projets d'évasion du roi et de la reine, Mme Chaumié se base sur les lettres que d'Antraigues faisait parvenir à Las Casas, et notamment sur une missive du 4 octobre 1791 dans laquelle il laisse entendre que ses amis, les royalistes de Paris, de connivence avec les Jacobins, prenaient les mesures nécessaires pour empêcher le roi de s'évader.
Pour bien comprendre ce rapprochement de circonstance, voici comment cette historienne, au début de son chapitre intitulé L'alliance entre aristocrates et jacobins ( Fin septembre 1791- février 1792), explique le comportement assez étonnant du groupe des aristocrates dont faisait partie d'Antraigues:
"L'adhésion de Louis XVI à la Constitution de 1791 fut déterminante dans l'évolution politique d'Antraigues et de son réseau. Au Jeu de Paume, le 23 juin 1789, Louis XVI en prenant partie pour les privilégiés et contre le Tiers Etat avait rompu avec la tradition plusieurs fois séculaire des Capétiens. L'entente entre la Monarchie et le Tiers Etat était brisée. Cette attitude lui avait valu l'appui des Aristocrates qui [pourtant] s'étaient révoltés contre la Monarchie en 1788. D'Antraigues et ses amis mirent alors une sourdine à leurs rancoeurs contre le despotisme royal. Les divers plans d'accommodement de l'été 1791 les avaient certes fort inquiétés. Mais s'ils accusaient la reine de s'entendre avec les Constitutionnels, ils espéraient que le roi défendrait les privilèges de la noblesse. L'adhésion de Louis XVI à la Constitution de 1791 anéantit toutes leurs illusions. Non seulement le roi sembla accepter de plein gré l'abolition de la Monarchie absolue, mais donner son assentiment à la suppression des privilèges."
Lisez cette ouvrage, ma chère Eléonore, lisez le, même si la personnalité d'Antraigues a été très contestée, car il va vous faire vivre la révolution de l'intérieur et vous comprendrez mieux ce qui s'est passé.
Roi-cavalerie
Roi-cavalerie- Messages : 551
Date d'inscription : 20/09/2014
Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
C'est fou, complètement fou, cette alliance royalistes/jacobins, pourtant je comprends que cela réponde à une certaine logique, mais de là à saboter une possible évasion de la famille royale !!!!
Cela dépasse l'entendement !!!
Fersen met tout Coblence dans le même sac, et il est vrai que l'ambition a titillé Artois ( à un moindre degré de félonie que Provence ), je n'en disconviens pas, mais nous voyons bien dans sa correspondance avec Vaudreuil que la mouvance Polignac l'exhorte à la sagesse .
Cela dépasse l'entendement !!!
Fersen met tout Coblence dans le même sac, et il est vrai que l'ambition a titillé Artois ( à un moindre degré de félonie que Provence ), je n'en disconviens pas, mais nous voyons bien dans sa correspondance avec Vaudreuil que la mouvance Polignac l'exhorte à la sagesse .
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Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Le réseau du comte d'Entrevues et la Révolution
Roi-cavalerie a écrit:
Nota: Comme vous le savez sans doute le duc de Luynes avait adhéré aux idées nouvelles et était resté en France. La duchesse de Luynes qui, sans doute partageait ses idées,
La duchesse de Luynes est elle-même une Montmorency Laval, toute sa famille est gagnée par les idées nouvelles.
Lucius- Messages : 11656
Date d'inscription : 21/12/2013
Age : 33
Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
J'ai finalement déplacé et regroupé ici messages et sujets.
La biographie du comte d'Antraigues reste toutefois présentée et accessible, ici :
https://marie-antoinette.forumactif.org/t2268-l-enigmatique-comte-d-antraigues
Pour en revenir à ce sujet complexe, j'encourage une nouvelle fois ceux que cela intéresse à lire ce livre :
La première contre-révolution (1789-1791)
De Jacques de Saint Victor
Chez Puf - Collection Fondements de la politique
Présentation :
La contre-révolution paraît associée en France à la défense de l'absolutisme. Pourtant, à ses débuts, la plupart des premiers contre-révolutionnaires se sont opposés à la Révolution en se réclamant des doctrines d'opposition à la monarchie absolue d'Ancien Régime.
Ces esprits ont même obtenu la convocation des Etats généraux. Mais ils ont très vite été dépassés par les événements et se sont retrouvés désignés comme des " aristocrates ".
Ils n'ont pas pour autant renoncé à leur ambition d'établir en France une monarchie limitée. Et, s'ils restent attachés à " l'espace gothique " de la société d'ordres, certains se révèlent, comme Cazalès, très visionnaires sur les mécanismes du futur gouvernement parlementaire.
La pensée et l'action de ces contre-révolutionnaires, généralement méconnus, mettent en lumière la complexité des premiers courants conservateurs en France. Elles témoignent d'une sensibilité " libérale " conservatrice qui ferait, comme en Angleterre, la transition entre Montesquieu et Burke.
C'est à l'examen de ces défenseurs d'une monarchie limitée qui, par certains côtés, annonce certaines monarchies du XIXe siècle, notamment allemandes, que cette étude est consacrée. A travers un examen particulier des archives du Vatican, elle évoque aussi le rôle majeur que certains ont eu dans le schisme religieux de 1791.
Le comte d'Antraigues y est très souvent mentionné et cité, et sa pensée politique est bien expliquée.
Je préviens cependant que c'est un livre très pointu, très difficile à lire (enfin, pour ma part, j'ai pédalé dans la semoule )
Sont présentés les différents concepts politiques, philosophiques, religieux, culturels, juridiques etc. qui ont agité les débats durant cette période.
Tout ceci était, en effet, bien plus complexe que ce que nous pensons savoir...
La biographie du comte d'Antraigues reste toutefois présentée et accessible, ici :
https://marie-antoinette.forumactif.org/t2268-l-enigmatique-comte-d-antraigues
Pour en revenir à ce sujet complexe, j'encourage une nouvelle fois ceux que cela intéresse à lire ce livre :
La première contre-révolution (1789-1791)
De Jacques de Saint Victor
Chez Puf - Collection Fondements de la politique
Présentation :
La contre-révolution paraît associée en France à la défense de l'absolutisme. Pourtant, à ses débuts, la plupart des premiers contre-révolutionnaires se sont opposés à la Révolution en se réclamant des doctrines d'opposition à la monarchie absolue d'Ancien Régime.
Ces esprits ont même obtenu la convocation des Etats généraux. Mais ils ont très vite été dépassés par les événements et se sont retrouvés désignés comme des " aristocrates ".
Ils n'ont pas pour autant renoncé à leur ambition d'établir en France une monarchie limitée. Et, s'ils restent attachés à " l'espace gothique " de la société d'ordres, certains se révèlent, comme Cazalès, très visionnaires sur les mécanismes du futur gouvernement parlementaire.
La pensée et l'action de ces contre-révolutionnaires, généralement méconnus, mettent en lumière la complexité des premiers courants conservateurs en France. Elles témoignent d'une sensibilité " libérale " conservatrice qui ferait, comme en Angleterre, la transition entre Montesquieu et Burke.
C'est à l'examen de ces défenseurs d'une monarchie limitée qui, par certains côtés, annonce certaines monarchies du XIXe siècle, notamment allemandes, que cette étude est consacrée. A travers un examen particulier des archives du Vatican, elle évoque aussi le rôle majeur que certains ont eu dans le schisme religieux de 1791.
Le comte d'Antraigues y est très souvent mentionné et cité, et sa pensée politique est bien expliquée.
Je préviens cependant que c'est un livre très pointu, très difficile à lire (enfin, pour ma part, j'ai pédalé dans la semoule )
Sont présentés les différents concepts politiques, philosophiques, religieux, culturels, juridiques etc. qui ont agité les débats durant cette période.
Tout ceci était, en effet, bien plus complexe que ce que nous pensons savoir...
Dernière édition par La nuit, la neige le Mar 01 Déc 2015, 14:43, édité 1 fois
La nuit, la neige- Messages : 18132
Date d'inscription : 21/12/2013
Lettres de Vaudreuil au comte d'Antraigues
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M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Coblence, le 23 juillet 1791
J'aurais voulu avoir plus de temps pour vous écrire, mon cher comte, mais je n'ai qu'un moment pour vous embrasser. Sérent vous rendra compte de notre position, qui est bonne et ne peut plus manquer de s'améliorer chaque jour. Je jouis ici de l'amour et de la vénération qu'on a pour notre charmant prince, auquel nous devons le rétablissement du trône et l'existence et l'honneur. J'espérais recevoir ici de vos nouvelles, et je n'en ai pas encore eu. J'ignore si vous êtes encore à Turin ou si vous êtes allés dans vos montagnes. Mandez-moi vos projets et où je pourrai vous écrire en sûreté.
Les Suisses viennent de se prononcer comme des gens qui sentent de grandes forces à leur appui. La diète de Ratisbonne marche bien, et le roi de Prusse se prononce. Cela ira, cela ira. Il faut bien que cette sacrilège chanson soit enfin sanctifiée. On désirerait que M. Audainel fit un second volume à son excellent ouvrage. Si vous avez pouvoir sur lui, engagez-le à travailler ; mais surtout qu'il garde du temps pour écrire à ses meilleurs amis.
Je vous embrasse de tout mon coeur.
*****
... ma préférée !!!! :n,,;::::!!! :n,,;::::!!!:
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Coblence, le 19 août 1791
J'ai envoyé, mon cher comte, votre lettre à votre abbé et je vous l'expédierai pour Turin dès qu'il aura touché barre ici. Notre jeune prince est absent ; son zèle et son bon esprit lui avaient suggéré ce que Sérent et vous aviez cru nécessaire. Il est allé à Vienne et à Berlin, non pour assurer les secours qui nous sont promis, mais pour en hâter l'époque. Les peines, les fatigues, le travail et même les dégoûts ne sont pas capables d'arrêter le zèle infatigable de notre jeune héros. Aussi l'aimé-je bien ; aussi sera-t-il la gloire et le restaurateur des lis. Il est parti le 13, s'est arrêté chez l'électeur de Mayence, et sera aujourd'hui à Vienne. Peut-être ira-t-il à l'entrevue des deux monarques à Pillnitz ; mais du moins il verra sûrement le roi de Prusse avant de revenir ici. Je n'ai donc pas pu lui communiquer tout ce que vous me mandez pour lui ; mais je lui en rendrai compte à son retour, et vous pouvez être sûr qu'il prise bien votre zèle et votre talent. Votre travail avec Las Casas est d'une utilité importante ; continuez-le avec la même ardeur et le même succès.
Vous vous plaignez de n'avoir pas de réponse de notre prince ni de Calonne. Le premier est, en vérité, plus accablé de travail que je ne puis vous le dire, et je ne conçois pas comment il y tient. Le second a été à Londres, a été jeté avec sa voiture dans le Rhin près d'Andernach, et s'en est sauvé par miracle ; il vient de partir avec notre prince pour Vienne et Berlin ou Pillnitz, et, dans l'intervalle, a écrit des volumes aux dépens de son sommeil et de sa santé. Voilà sa vie. Ainsi vous le trouverez excusable de ne pouvoir suffire à tout. Il serait même impossible à la longue qu'il pût y résister, si on ne lui donne pas de bons aides.
Le chevalier de Roll vient d'arriver de Berlin. Fort fâché de s'être croisé avec notre prince qu'il venait chercher, il repart sur-le-champ pour courir après lui, et espère le joindre à Dresde. Il nous a apporté d'excellentes nouvelles, et je crois enfin que nos malheurs intéressent et arment l'Europe. Nous saurons du moins d'ici à huit jours à quoi nous en tenir et si les époques de nos espérances seront prochaines ou reculées. Si les mouvements sont prompts, ils seront sûrs ; si on retarde, la besogne deviendra difficile et incertaine.
On vient de nous envoyer un second ambassadeur des Tuileries ou de l'Assemblée, M. l'abbé Louis, qui nous était annoncé. Mais il a su à Bruxelles que sa mission serait au moins inutile et qu'elle pourrait même être dangereuse pour lui, et il est sur-le-champ retourné à Paris après avoir passé quelques heures avec M. de Mercy, que l'on croit disgracié et qui est parti pour l'Angleterre.
Le chevalier de Coigny a remis deux lettres du Roi, une à Monsieur, et l'autre à M. le comte d'Artois, et puis il est allé à Spa. Son objet en se chargeant d'une mission était, je crois, uniquement de se tirer du repaire des brigands et de n'y plus rentrer qu'en bonne compagnie.
Ce 22,
J'avais suspendu ma lettre, espérant que votre abbé arriverait ici et que, partant pour Turin, il vous la porterait. Mais, comme il n'arrive pas, je ne veux pas retarder ma réponse. Je viens de recevoir votre lettre du 11, et j'y réponds en même temps que la dernière.
Je veux vous gronder de trop croire les bruits qu'on se plaît à répandre relativement à la Reine. On ne veut pas assez calculer quelle est sa position affreuse, et, si elle a l'air d'écouter les enragés, c'est à coup sûr pour les tromper et les endormir. Ne mandait-on pas les mêmes choses avant son évasion ? Elle les trompait alors ; elle les trompe à présent, soyez-en sûr et très sûr. Elle est mère et femme ; serons-nous assez barbares pour ne lui pas pardonner des terreurs que ses infâmes ennemis n'ont que trop justifiées ? Mais je vous garantis qu'elle est bien loin de s'opposer aux secours que nous implorons. Vous dites qu'on se dégoûte d'attendre, et je suis loin de blâmer une impatience que je partage ; mais ne soyons pas injustes en décriant une princesse malheureuse, qui a bien prouvé, par l'effort qu'elle a fait pour rompre ses fers, qu'elle en sent toute la pesanteur. D'ailleurs c'est Louis XVI et Antoinette que nous voulons replacer sur le trône ; il faut donc dissimuler leurs torts, et non les exagérer. Mandez cela à ceux qui vous donnent des nouvelles très contraires à celles que nous avons. Les nôtres sont positives, palpables ; il ne faut pourtant pas les ébruiter, de peur de compromettre leur sûreté. Le temps découvrira la vérité.
J'ai lu avec transport votre ouvrage ayant pour titre : Point d'accommodement. Il est de la plus parfaite logique ; il démontre en style de feu le danger et l'impossibilité des accommodements, et il en peint la honte de manière à en préserver. Il me tarde bien qu'il soit imprimé et fort répandu. Il y a un article que vous ne traitez qu'en passant et qui ferait, à lui seul, l'objet d'un ouvrage bien important. Vous devriez travailler à démontrer jusqu'à l'évidence que les créanciers de l'Etat sont perdus, si l'anarchie actuelle subsiste encore six mois, que la banqueroute est comme faite et sera sûrement faite, et qu'il n'y a que le rétablissement de l'ordre qui puisse sauver une grande partie au moins de leurs créances.
Voilà nos colonies indépendantes jusqu'à l'époque où le Roi reprendra son autorité. Quelle perte, en attendant, pour le commerce et pour le numéraire que les échanges résultant de nos sucres, cafés et indigo produisaient à la France ! Traitez cette importante matière, et ouvrez les yeux de cette classe avide, qui ne cessera d'être révolutionnaire que quand son intérêt la rendra anti-révolutionnaire.
Votre mémoire adressé à M. de Las Casas est parfaitement bien fait et combat victorieusement le plus dilatoire, le plus absurde de tous les plans ; mais ne le faites pas imprimer, parce qu'il renferme des vérités politiques qu'il ne faut pas publier.
J'ose espérer enfin que nous touchons à la grande époque des vengeances et de la punition des brigands qui ont ensanglanté et, qui pis est, déshonoré notre malheureuse patrie. L'Angleterre, que nous redoutions, a fait une excellente réponse officielle à la Prusse et à l'Empereur qui sont parfaitement d'accord. On verra que Calonne ne s'était pas trompé et n'avait pas trompé dans ce qu'il a toujours dit avec assertion de l'Angleterre.
Vous savez à présent que le duc d'Havré est allé en Espagne, et, comme il y est connu et considéré, ce choix était encore préférable sous ce rapport à celui du marquis de Choiseul, dont je connais d'ailleurs les excellents principes et le talent ; mais je ferai connaître aux Princes le prix de son zèle et de son travail.
Quant au baron de Choiseul, la présence de M. le comte d'Artois et des Français contenait le déraisonneur. Réduit à lui seul, il redevient ce que la nature l'a fait.
Les nouvelles de Trevor sont rarement bonnes, et j'ai de la peine à croire que M. Mounier se montre à Aix-la-Chapelle. Il faudrait, pour y arriver, traverser bien des villes remplies de Français, auxquels le pair Mounier pourrait avoir affaire. Les chemins sont peu sûrs pour ces pairs futurs. On ne retient pas aisément la rage de deux mille français, victimes d'une révolution, dont le vertueux Mounier et compagnie ont été les premiers auteurs.
Rien n'est plus suspect que l'accident qu'a éprouvé M. de Calonne. Je pense, comme vous, que sa chute dans le Rhin n'est pas l'effet d'un malheureux hasard. Il y a beaucoup d'indices qui font soupçonner que c'est un assassinat prémédité ; mais à qui s'en prendre, quand il y a autant de scélérats soupçonnables ?
Je vous préviens, mon cher comte, de n'écrire en toute franchise que par des occasions ; les lettres de Turin ici sont ouvetes en route, j'en suis sûr.
Ma santé n'est pas bonne depuis quelques jours. Cependant les plus qu'espérances que nous avons me feront du bien.
Ecrivez-moi souvent et aimez-moi toujours comme je vous aime.
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Coblence, le 23 juillet 1791
J'aurais voulu avoir plus de temps pour vous écrire, mon cher comte, mais je n'ai qu'un moment pour vous embrasser. Sérent vous rendra compte de notre position, qui est bonne et ne peut plus manquer de s'améliorer chaque jour. Je jouis ici de l'amour et de la vénération qu'on a pour notre charmant prince, auquel nous devons le rétablissement du trône et l'existence et l'honneur. J'espérais recevoir ici de vos nouvelles, et je n'en ai pas encore eu. J'ignore si vous êtes encore à Turin ou si vous êtes allés dans vos montagnes. Mandez-moi vos projets et où je pourrai vous écrire en sûreté.
Les Suisses viennent de se prononcer comme des gens qui sentent de grandes forces à leur appui. La diète de Ratisbonne marche bien, et le roi de Prusse se prononce. Cela ira, cela ira. Il faut bien que cette sacrilège chanson soit enfin sanctifiée. On désirerait que M. Audainel fit un second volume à son excellent ouvrage. Si vous avez pouvoir sur lui, engagez-le à travailler ; mais surtout qu'il garde du temps pour écrire à ses meilleurs amis.
Je vous embrasse de tout mon coeur.
*****
... ma préférée !!!! :n,,;::::!!! :n,,;::::!!!:
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Coblence, le 19 août 1791
J'ai envoyé, mon cher comte, votre lettre à votre abbé et je vous l'expédierai pour Turin dès qu'il aura touché barre ici. Notre jeune prince est absent ; son zèle et son bon esprit lui avaient suggéré ce que Sérent et vous aviez cru nécessaire. Il est allé à Vienne et à Berlin, non pour assurer les secours qui nous sont promis, mais pour en hâter l'époque. Les peines, les fatigues, le travail et même les dégoûts ne sont pas capables d'arrêter le zèle infatigable de notre jeune héros. Aussi l'aimé-je bien ; aussi sera-t-il la gloire et le restaurateur des lis. Il est parti le 13, s'est arrêté chez l'électeur de Mayence, et sera aujourd'hui à Vienne. Peut-être ira-t-il à l'entrevue des deux monarques à Pillnitz ; mais du moins il verra sûrement le roi de Prusse avant de revenir ici. Je n'ai donc pas pu lui communiquer tout ce que vous me mandez pour lui ; mais je lui en rendrai compte à son retour, et vous pouvez être sûr qu'il prise bien votre zèle et votre talent. Votre travail avec Las Casas est d'une utilité importante ; continuez-le avec la même ardeur et le même succès.
Vous vous plaignez de n'avoir pas de réponse de notre prince ni de Calonne. Le premier est, en vérité, plus accablé de travail que je ne puis vous le dire, et je ne conçois pas comment il y tient. Le second a été à Londres, a été jeté avec sa voiture dans le Rhin près d'Andernach, et s'en est sauvé par miracle ; il vient de partir avec notre prince pour Vienne et Berlin ou Pillnitz, et, dans l'intervalle, a écrit des volumes aux dépens de son sommeil et de sa santé. Voilà sa vie. Ainsi vous le trouverez excusable de ne pouvoir suffire à tout. Il serait même impossible à la longue qu'il pût y résister, si on ne lui donne pas de bons aides.
Le chevalier de Roll vient d'arriver de Berlin. Fort fâché de s'être croisé avec notre prince qu'il venait chercher, il repart sur-le-champ pour courir après lui, et espère le joindre à Dresde. Il nous a apporté d'excellentes nouvelles, et je crois enfin que nos malheurs intéressent et arment l'Europe. Nous saurons du moins d'ici à huit jours à quoi nous en tenir et si les époques de nos espérances seront prochaines ou reculées. Si les mouvements sont prompts, ils seront sûrs ; si on retarde, la besogne deviendra difficile et incertaine.
On vient de nous envoyer un second ambassadeur des Tuileries ou de l'Assemblée, M. l'abbé Louis, qui nous était annoncé. Mais il a su à Bruxelles que sa mission serait au moins inutile et qu'elle pourrait même être dangereuse pour lui, et il est sur-le-champ retourné à Paris après avoir passé quelques heures avec M. de Mercy, que l'on croit disgracié et qui est parti pour l'Angleterre.
Le chevalier de Coigny a remis deux lettres du Roi, une à Monsieur, et l'autre à M. le comte d'Artois, et puis il est allé à Spa. Son objet en se chargeant d'une mission était, je crois, uniquement de se tirer du repaire des brigands et de n'y plus rentrer qu'en bonne compagnie.
Ce 22,
J'avais suspendu ma lettre, espérant que votre abbé arriverait ici et que, partant pour Turin, il vous la porterait. Mais, comme il n'arrive pas, je ne veux pas retarder ma réponse. Je viens de recevoir votre lettre du 11, et j'y réponds en même temps que la dernière.
Je veux vous gronder de trop croire les bruits qu'on se plaît à répandre relativement à la Reine. On ne veut pas assez calculer quelle est sa position affreuse, et, si elle a l'air d'écouter les enragés, c'est à coup sûr pour les tromper et les endormir. Ne mandait-on pas les mêmes choses avant son évasion ? Elle les trompait alors ; elle les trompe à présent, soyez-en sûr et très sûr. Elle est mère et femme ; serons-nous assez barbares pour ne lui pas pardonner des terreurs que ses infâmes ennemis n'ont que trop justifiées ? Mais je vous garantis qu'elle est bien loin de s'opposer aux secours que nous implorons. Vous dites qu'on se dégoûte d'attendre, et je suis loin de blâmer une impatience que je partage ; mais ne soyons pas injustes en décriant une princesse malheureuse, qui a bien prouvé, par l'effort qu'elle a fait pour rompre ses fers, qu'elle en sent toute la pesanteur. D'ailleurs c'est Louis XVI et Antoinette que nous voulons replacer sur le trône ; il faut donc dissimuler leurs torts, et non les exagérer. Mandez cela à ceux qui vous donnent des nouvelles très contraires à celles que nous avons. Les nôtres sont positives, palpables ; il ne faut pourtant pas les ébruiter, de peur de compromettre leur sûreté. Le temps découvrira la vérité.
J'ai lu avec transport votre ouvrage ayant pour titre : Point d'accommodement. Il est de la plus parfaite logique ; il démontre en style de feu le danger et l'impossibilité des accommodements, et il en peint la honte de manière à en préserver. Il me tarde bien qu'il soit imprimé et fort répandu. Il y a un article que vous ne traitez qu'en passant et qui ferait, à lui seul, l'objet d'un ouvrage bien important. Vous devriez travailler à démontrer jusqu'à l'évidence que les créanciers de l'Etat sont perdus, si l'anarchie actuelle subsiste encore six mois, que la banqueroute est comme faite et sera sûrement faite, et qu'il n'y a que le rétablissement de l'ordre qui puisse sauver une grande partie au moins de leurs créances.
Voilà nos colonies indépendantes jusqu'à l'époque où le Roi reprendra son autorité. Quelle perte, en attendant, pour le commerce et pour le numéraire que les échanges résultant de nos sucres, cafés et indigo produisaient à la France ! Traitez cette importante matière, et ouvrez les yeux de cette classe avide, qui ne cessera d'être révolutionnaire que quand son intérêt la rendra anti-révolutionnaire.
Votre mémoire adressé à M. de Las Casas est parfaitement bien fait et combat victorieusement le plus dilatoire, le plus absurde de tous les plans ; mais ne le faites pas imprimer, parce qu'il renferme des vérités politiques qu'il ne faut pas publier.
J'ose espérer enfin que nous touchons à la grande époque des vengeances et de la punition des brigands qui ont ensanglanté et, qui pis est, déshonoré notre malheureuse patrie. L'Angleterre, que nous redoutions, a fait une excellente réponse officielle à la Prusse et à l'Empereur qui sont parfaitement d'accord. On verra que Calonne ne s'était pas trompé et n'avait pas trompé dans ce qu'il a toujours dit avec assertion de l'Angleterre.
Vous savez à présent que le duc d'Havré est allé en Espagne, et, comme il y est connu et considéré, ce choix était encore préférable sous ce rapport à celui du marquis de Choiseul, dont je connais d'ailleurs les excellents principes et le talent ; mais je ferai connaître aux Princes le prix de son zèle et de son travail.
Quant au baron de Choiseul, la présence de M. le comte d'Artois et des Français contenait le déraisonneur. Réduit à lui seul, il redevient ce que la nature l'a fait.
Les nouvelles de Trevor sont rarement bonnes, et j'ai de la peine à croire que M. Mounier se montre à Aix-la-Chapelle. Il faudrait, pour y arriver, traverser bien des villes remplies de Français, auxquels le pair Mounier pourrait avoir affaire. Les chemins sont peu sûrs pour ces pairs futurs. On ne retient pas aisément la rage de deux mille français, victimes d'une révolution, dont le vertueux Mounier et compagnie ont été les premiers auteurs.
Rien n'est plus suspect que l'accident qu'a éprouvé M. de Calonne. Je pense, comme vous, que sa chute dans le Rhin n'est pas l'effet d'un malheureux hasard. Il y a beaucoup d'indices qui font soupçonner que c'est un assassinat prémédité ; mais à qui s'en prendre, quand il y a autant de scélérats soupçonnables ?
Je vous préviens, mon cher comte, de n'écrire en toute franchise que par des occasions ; les lettres de Turin ici sont ouvetes en route, j'en suis sûr.
Ma santé n'est pas bonne depuis quelques jours. Cependant les plus qu'espérances que nous avons me feront du bien.
Ecrivez-moi souvent et aimez-moi toujours comme je vous aime.
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
Je continue ! :n,,;::::!!!:
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 12 septembre 1791
Je vous envoie, mon cher comte, de quoi vous consoler des procédés de l'Espagne. C'est la déclaration imprimée qui a été signée à Pillnitz par l'Empereur et le Roi de Prusse. Les Princes n'ont pu se refuser à la nécessité de faire paraître cet acte au moment où la charte vient d'être présentée au Roi. Ils y ont joint une lettre d'envoi au Roi ; elle précède la déclaration et servira de confortatif au Roi pour refuser la charte, ou l'excuser s'il l'accepte, parce que les Princes déclarent qu'ils ne peuvent regarder cette acceptation que comme arrachée par violence et nulle de droit. Vous serez, je crois, content de cette lettre, forte en droit, du plus beau style, vigoureuse en principe et touchante par la tendresse qu'elle exprime pour un monarque infortuné qu'on trouve le moyen d'excuser et même de faire valoir aux yeux de ses peuples et de l'Europe attentive à tous ses mouvements.
Mais, grands dieux ! quelle est la conduite de l'Espagne ? Quoi ! nous trouverons donc partout trahison et corruption ?
Quel tort le renvoi de M. de Pannetier et de M. Froment va faire dans nos provinces méridionales ! Quel découragement cela va causer d'une part, et quelle audace de l'autre ! Il faut donc absolument nous passer de l'Espagne, quand elle a un si grand intérêt à nous soutenir ! Et partout les c... détruiront les empires ! ( : ) Ma rage est poussée au dernier degré, et je ne sais comment j'y survis. Je viens d'écrire à M. de Las Casas une lettre tracée avec le fiel mêlé à l'encre. Il me paraît tout aussi en colère que moi et honteux des procédés de sa cour. Ne nous laissons point abattre, mon cher comte. Il sera peut-être heureux d'avoir peu d'obligations aux puissances, et nous saurons faire nous-mêmes, par de grands efforts, ce qui aurait coûté si peu avec les secours de nos alliés. Au reste j'espère toujours que les promesses de l'Empereur se réaliseront. Nous attendons avec impatience un courrier du duc de Polignac.
Nous espérons beaucoup de l'effet intérieur que produiront la lettre et la déclaration. Nous étions excités de partout à faire paraître quelque chose en ce moment, et voilà le premier signal que nous aurons donné. J'en attends un grand succès.
Calonne doit nous écrire et répondre lui-même à la grande lettre que j'ai reçu de vous et qu'il a gardée pour cela ; mais il a tant travaillé depuis quelques jours que vous ne devez pas lui en vouloir de ce retard.
Ecrivez-moi moins librement par la poste, parce que je m'aperçois que toutes vos lettres sont décachetées, et surtout point d'injures pour tous ceux qui en méritent. Ces choses-là aigrissent et font souvent du mal. Notre preux est enchanté de votre zèle et de vos travaux. Ah ! qu'il mérite bien d'être ainsi servi ! Quelle pureté d'âme que la sienne, quelle activité, quelle patience, et quel courage !
Ma santé est encore bonne ; mais je sens qu'elle succombera à un travail forcé et à la rage qui m'agite. Les coups de canon ne sont rien en comparaison de ce danger.
L'émigration ne fait qu'augmenter d'une manière prodigieuse. Nous avons près de six mille gentilshommes depuis la Suisse jusqu'à Bruxelles et Luxembourg ; des compagnies de bourgeois bien montés s'offrent tant du Dauphiné que de la Flandre et de l'Alsace. Vous croyez bien qu'elles seront reçues avec reconnaissance. Et nos lâches alliés croient se compromettre en se montrant ! Tant mieux : nous en aurons la gloire, et eux la honte éternelle. Nos malheurs reflueront chez eux, et nous les secourerons.
Bonjour, mon ami. Je crois que j'irai seul attaquer nos ennemis, tant je les méprise.
Je vous embrasse du plus tendre de mon coeur
*****
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Coblence, le 28 septembre 1791
J'attends toujours pour vous dire des choses positives, mon cher comte ; mais je nage encore dans l'incertitude et le vague. Je n'ai pas assez de sagacité pour pénétrer la politique des puissances et leur accord avec les Tuileries. Je vois bien qu'on nous trompe sans cesse ; mais je ne vois pas l'intérêt que les unes et les autres ont à nous tromper, quand je les vois au contraire intéressées à nous aider, puisque nous ne voulons que les servir. Quelques grandes et criminelles intrigues frappent ma vue ; mais je ne suis pas assez positivement éclairé sur leur but et leur nature, et pas assez habile pour découvrir les remèdes. En conséquence je me suis préparé, résigné à tout, sans faiblesse, sans terreur, et presque sans regrets. Voulez-vous que je vous dise pourquoi ? C'est que la fin de tout est la mort, et que je la vois sans crainte et même avec joie. Ces temps cruels ont appris et invitent à mourir. Je sens que ma santé succombe à un travail fort au-dessus de mes forces ; ma tête n'est pas assez vigoureuse pour le supporter.
Il y a bien longtemps que nous n'entendons plus parler de l'Espagne, et j'en conclus que tout ce que vous m'avez mandé n'a que trop de fondement. Auri sacra fames ! Nous avons peu d'or, et ce siècle n'est pas celui de l'énergie ; il est celui de la corruption. Nous avons peu d'or, et nous ne sommes que purs et fidèles ; nous devons succomber. Toutes les lenteurs de la cour de Vienne entraînent celles des autres puissances, et réduits à nos moyens qu'obtiendrons-nous ? quelque gloire et la fin de nos maux. C'est quelque chose, et notre lot vaudra mieux que celui des lâches qui nous survivront.
Concevez-vous par quelle intrigue on a fait revenir de votre pays le marquis d'Apcher, M. de Roquefeuille et tous les gentilshommes dont la présence y était le plus nécessaire ? Cette émigration est irréparable. M. l'abbé de La Bastide m'écrit de Chambéry qu'il s'en désole et nous avons par écrit signé de lui que c'est lui-même qui l'a opérée. Il y a là-dessous quelque mystère que je ne pénètre pas ; aidez-nous à y voir clair, si vous pouvez. Le monde est plein de ceux qui veulent servir exclusivement et qui ne permettent pas le bien qu'on ferait sans eux. Il faudrait cependant avoir un lit avant de tirer à soi la couverture.
Cette acceptation du Roi ! Oh ! dieux, quelle honte, quel malheur ! La lettre des Princes a, dit-on, fait un grand effet ; on se l'arrache ; mais on a répandu qu'elle est supposée, et personne ne bouge. La terreur est dans tous les esprits, et les moins poltrons finiront par être les maîtres.
Parlez-moi donc de M. de Las Casas. Il y a longtemps que son silence et le vôtre nous étonnent ; il faut qu'on intercepte les lettres.
Calonne est épuisé ; il est malade dans ce moment. Cela nous tourmente beaucoup. Il n'y a point de force humaine qui puisse résister à tout ce qu'il fait. Quelle en sera la récompense ? la persécution des intrigants, l'ingratitude de ses maîtres, et l'abrègement de ses jours : voilà la vie.
Bonjour, mon cher comte ; je vous embrasse comme je vous aime.
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 12 septembre 1791
Je vous envoie, mon cher comte, de quoi vous consoler des procédés de l'Espagne. C'est la déclaration imprimée qui a été signée à Pillnitz par l'Empereur et le Roi de Prusse. Les Princes n'ont pu se refuser à la nécessité de faire paraître cet acte au moment où la charte vient d'être présentée au Roi. Ils y ont joint une lettre d'envoi au Roi ; elle précède la déclaration et servira de confortatif au Roi pour refuser la charte, ou l'excuser s'il l'accepte, parce que les Princes déclarent qu'ils ne peuvent regarder cette acceptation que comme arrachée par violence et nulle de droit. Vous serez, je crois, content de cette lettre, forte en droit, du plus beau style, vigoureuse en principe et touchante par la tendresse qu'elle exprime pour un monarque infortuné qu'on trouve le moyen d'excuser et même de faire valoir aux yeux de ses peuples et de l'Europe attentive à tous ses mouvements.
Mais, grands dieux ! quelle est la conduite de l'Espagne ? Quoi ! nous trouverons donc partout trahison et corruption ?
Quel tort le renvoi de M. de Pannetier et de M. Froment va faire dans nos provinces méridionales ! Quel découragement cela va causer d'une part, et quelle audace de l'autre ! Il faut donc absolument nous passer de l'Espagne, quand elle a un si grand intérêt à nous soutenir ! Et partout les c... détruiront les empires ! ( : ) Ma rage est poussée au dernier degré, et je ne sais comment j'y survis. Je viens d'écrire à M. de Las Casas une lettre tracée avec le fiel mêlé à l'encre. Il me paraît tout aussi en colère que moi et honteux des procédés de sa cour. Ne nous laissons point abattre, mon cher comte. Il sera peut-être heureux d'avoir peu d'obligations aux puissances, et nous saurons faire nous-mêmes, par de grands efforts, ce qui aurait coûté si peu avec les secours de nos alliés. Au reste j'espère toujours que les promesses de l'Empereur se réaliseront. Nous attendons avec impatience un courrier du duc de Polignac.
Nous espérons beaucoup de l'effet intérieur que produiront la lettre et la déclaration. Nous étions excités de partout à faire paraître quelque chose en ce moment, et voilà le premier signal que nous aurons donné. J'en attends un grand succès.
Calonne doit nous écrire et répondre lui-même à la grande lettre que j'ai reçu de vous et qu'il a gardée pour cela ; mais il a tant travaillé depuis quelques jours que vous ne devez pas lui en vouloir de ce retard.
Ecrivez-moi moins librement par la poste, parce que je m'aperçois que toutes vos lettres sont décachetées, et surtout point d'injures pour tous ceux qui en méritent. Ces choses-là aigrissent et font souvent du mal. Notre preux est enchanté de votre zèle et de vos travaux. Ah ! qu'il mérite bien d'être ainsi servi ! Quelle pureté d'âme que la sienne, quelle activité, quelle patience, et quel courage !
Ma santé est encore bonne ; mais je sens qu'elle succombera à un travail forcé et à la rage qui m'agite. Les coups de canon ne sont rien en comparaison de ce danger.
L'émigration ne fait qu'augmenter d'une manière prodigieuse. Nous avons près de six mille gentilshommes depuis la Suisse jusqu'à Bruxelles et Luxembourg ; des compagnies de bourgeois bien montés s'offrent tant du Dauphiné que de la Flandre et de l'Alsace. Vous croyez bien qu'elles seront reçues avec reconnaissance. Et nos lâches alliés croient se compromettre en se montrant ! Tant mieux : nous en aurons la gloire, et eux la honte éternelle. Nos malheurs reflueront chez eux, et nous les secourerons.
Bonjour, mon ami. Je crois que j'irai seul attaquer nos ennemis, tant je les méprise.
Je vous embrasse du plus tendre de mon coeur
*****
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Coblence, le 28 septembre 1791
J'attends toujours pour vous dire des choses positives, mon cher comte ; mais je nage encore dans l'incertitude et le vague. Je n'ai pas assez de sagacité pour pénétrer la politique des puissances et leur accord avec les Tuileries. Je vois bien qu'on nous trompe sans cesse ; mais je ne vois pas l'intérêt que les unes et les autres ont à nous tromper, quand je les vois au contraire intéressées à nous aider, puisque nous ne voulons que les servir. Quelques grandes et criminelles intrigues frappent ma vue ; mais je ne suis pas assez positivement éclairé sur leur but et leur nature, et pas assez habile pour découvrir les remèdes. En conséquence je me suis préparé, résigné à tout, sans faiblesse, sans terreur, et presque sans regrets. Voulez-vous que je vous dise pourquoi ? C'est que la fin de tout est la mort, et que je la vois sans crainte et même avec joie. Ces temps cruels ont appris et invitent à mourir. Je sens que ma santé succombe à un travail fort au-dessus de mes forces ; ma tête n'est pas assez vigoureuse pour le supporter.
Il y a bien longtemps que nous n'entendons plus parler de l'Espagne, et j'en conclus que tout ce que vous m'avez mandé n'a que trop de fondement. Auri sacra fames ! Nous avons peu d'or, et ce siècle n'est pas celui de l'énergie ; il est celui de la corruption. Nous avons peu d'or, et nous ne sommes que purs et fidèles ; nous devons succomber. Toutes les lenteurs de la cour de Vienne entraînent celles des autres puissances, et réduits à nos moyens qu'obtiendrons-nous ? quelque gloire et la fin de nos maux. C'est quelque chose, et notre lot vaudra mieux que celui des lâches qui nous survivront.
Concevez-vous par quelle intrigue on a fait revenir de votre pays le marquis d'Apcher, M. de Roquefeuille et tous les gentilshommes dont la présence y était le plus nécessaire ? Cette émigration est irréparable. M. l'abbé de La Bastide m'écrit de Chambéry qu'il s'en désole et nous avons par écrit signé de lui que c'est lui-même qui l'a opérée. Il y a là-dessous quelque mystère que je ne pénètre pas ; aidez-nous à y voir clair, si vous pouvez. Le monde est plein de ceux qui veulent servir exclusivement et qui ne permettent pas le bien qu'on ferait sans eux. Il faudrait cependant avoir un lit avant de tirer à soi la couverture.
Cette acceptation du Roi ! Oh ! dieux, quelle honte, quel malheur ! La lettre des Princes a, dit-on, fait un grand effet ; on se l'arrache ; mais on a répandu qu'elle est supposée, et personne ne bouge. La terreur est dans tous les esprits, et les moins poltrons finiront par être les maîtres.
Parlez-moi donc de M. de Las Casas. Il y a longtemps que son silence et le vôtre nous étonnent ; il faut qu'on intercepte les lettres.
Calonne est épuisé ; il est malade dans ce moment. Cela nous tourmente beaucoup. Il n'y a point de force humaine qui puisse résister à tout ce qu'il fait. Quelle en sera la récompense ? la persécution des intrigants, l'ingratitude de ses maîtres, et l'abrègement de ses jours : voilà la vie.
Bonjour, mon cher comte ; je vous embrasse comme je vous aime.
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... demain est un autre jour .
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Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
Nous passons à l'année 1792 ...
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 6 janvier 1792
Enfin vous allez voir votre Froment, que vous appelez à grands cris, mon cher ami, et ce qu'il vous donnera ne vous déplaira pas. Je conçois que vous ayez envie de le revoir, car je ne connais pas d'homme plus méritant de la chose publique et plus rempli d'âme et d'esprit.
Nous venons d'être ici dans la plus cruelle de toutes les crises. La déclaration de guerre faite le 14 décembre, au lieu de paraître aux princes de la frontière une ridicule fanfaronnade, leur a fait tant de peine, que M. le Prince de Condé a été congédié des Etats de Mayence, et que nous éprouvons ici tous les procédés résultant de la peur qui a gagné notre bon électeur, et surtout son ministre. L'électeur a eu la faiblesse de recevoir en qualité de ministre de France un M. de Sainte-Croix, grand démagogue et propagandiste outré. De cette première faute ont dérivé des tracasseries continuelles, que nous éprouvons à l'instigation de ce malheureux, qui aurait été à son arrivée envoyé à Cologne par bateau, sans la demande que nos Princes ont faite de le laisser tranquille. On nous disperse tous nos cantonnements ; on sépare tous nos corps militaires ; on nous fait vendre nos chevaux de vivres et d'artillerie, et on aurait fini par nous chasser aussi comme M. le prince de Condé. Mais je crois qu'enfin Dieu vient à notre secours. Je reçois des nouvelles de Vienne bonnes, excellentes. L'Empereur annule l'amnistie du Brabant, fait marcher des troupes ; 30.000 Prussiens commandés par le prince de Hohenlohe vont se mettre en mouvement, et l'époque des vengeances est enfin arrivée. Soignez le Midi, plus intéressant que tout le reste ; que les Espagnols et les Piémontais se hâtent, et bientôt tous les Titans qui menaçaient le ciel seront foudroyés.
M. le comte d'Artois et Calonne vous écrivent, et ce dernier en détail. D'ailleurs tout ce que Froment vous porte est considérable. Vous ne direz plus qu'on vous laisse sans nouvelles. Je ne sais si Monseigneur vous ordonne de rester où vous êtes ; mais je vous le dis de sa part, jusqu'à nouvel ordre.
Dites-moi donc pourquoi M. de Las Casas ne me répond plus à aucune de mes lettres ; me boude-t-il ? Je ne vois aucune raison pour cela, car je l'aime autant que je l'estime, et je ne crois pas avoir démérité près de lui.
Vous savez sans doute que j'ai été tout à fait ruiné par l'événement de Saint-Domingue. Une de mes habitations a été totalement détruite, et celle qui me reste suffit à peine à mes créanciers. Mais je n'ai pas le temps et la faculté de m'occuper de moi, et mes peines personnelles font dans mon âme l'effet d'une goutte d'eau dans la mer. Vengeons nos souverains, la monarchie et la religion, réparons l'honneur français, purgeons la terre des monstres qui la troublent ; rejoignons ensuite nos amis pour ne plus les quitter, et ma fortune sera faite.
Nous n'avons pas entendu parler de M. de La Bastide et sa conduite est plus que louche dans cette occasion.
Etéblissez vous-même votre correspondance de la manière que vous jugerez la plus sûre et la meilleure. L'argent nous manque terriblement, et c'est notre plus grand embarras ; le reste irait tout seul. Comment l'Espagne n'a-t-elle encore fourni aucun fonds à nos magnanimes Princes ? Mais ne nous plaignons pas d'elle, car je suis convaincu qu'elle ira bien. Il est ma foi temps de couper l'hydre aux cent têtes, car le bouleversement du monde allait se faire. Le Brabant est plus troublé que jamais, et la Styrie et la Galicie sont prêtes à se révolter. On y demande avec menaces la double représentation du tiers et l'abaissement du clergé et de la noblesse ; c'est tout comme chez nous. Enfin ces mouvements ont dessillé les yeux de Léopold, et c'est franchement, je crois, qu'il va agir. Mes amis ont fait à Vienne de la très bonne besogne et y sont aussi considérés qu'ils méritent de l'être. En attendant, ils sont totalement ruinés, et leur courage et leur philosophie sont au-dessus de tout éloge. Les Tuileries marchent bien à présent, et l'accord est bien rétabli ; soyez-en sûr, mais ne l'ébruites pas, parce que cela serait dangereux.
Bonjour, mon cher comte, je vous aime à la vie et à la mort.
*****
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 14 mail 1792
Le départ de Froment est si prompt, mon cher comte, qu'à peine ai-je le temps de vous écrire un mot. Calonne vous répondra relativement à votre grande lettre à M. le comte d'Artois, que je n'ai pas encore lue, parce qu'elle a été remise à Calonne. L'essentiel était de vous envoyer Froment, et il part. Je souhaite que vos opinions sur l'Espagne soient plus riantes que nos espérances, car le ministre à Vienne assure qu'elle ne fera rien, et la manière dont nos émigré sont à présent traités en Catalogne ne nous rassure pas. Mais enfin cela cache peut-être quelque important et utile mystère. Dieu le veuille, et je suis entraîné à le croire quand Las Casas et vous se mêlent de nos affaires ; certes elles ne peuvent être en mains plus habiles. Si je vous ai quelquefois grondé de la manière dont vous écrivez par la poste, ce n'est pas que je pense presque toujours comme vous, mais je vous ai averti que les lettres sont lues dans toute l'Allemagne, et souvent gardées quand elles ne plaisent pas ! Il en résulte que les lettres n'arrivent pas à leur but.
Je crois, par exemple, que M. le comte de Las Casas ne reçoit pas mes lettres, ou que je ne reçois pas les siennes, car il me doit réponse à sept ou huit, et il y a cinq mois que je n'en ai reçu aucune. ce que vous me mandez relativement à M. de Choiseul ne m'est parvenu qu'à sept semaines de date, à cause de ma course à Vienne, et il était bien tard pour que M. le comte d'Artois fît en sa faveur en Espagne la démarche que désirait M. de Las Casas. Je vous dirais de plus que je répugnais à le demander, par toutes sortes de considérations relatives à Sérent lui-même ; d'ailleurs M. le comte d'Artois est bien loin d'être en telle mesure vis-à-vis de M. d'Aranda. Voilà ce que j'ai mandé à M. de Las Casas, et j'attends sa réponse, car ce n'est qu'à mon retour à Vienne que j'ai reçu la lettre dans laquelle vous m'en parliez. S'il en est temps encore, écrivez-moi de nouveau à ce sujet.
L'important est de s'occuper des affaires du midi de la France, car ce côté-ci, attaqué bientôt par 100.000 Prussiens et Autrichiens, n'est pas en état de résister, et je crois toujours que les factieux porteront tous leurs efforts et leurs ressources pour former un vigoureux parti, appuyé dans les provinces méridionales par les protestants et peut-être par les Anglais. Le roi d'Espagne et celui de Sardaigne seront donc les véritables sauveurs de la monarchie française, s'ils réduisent et conservent les provinces du Midi. C'est là où je voudrais voir nos Princes, mais Monsieur ne se séparera pas de son frère sous aucun rapport et, puisqu'ici on a déjà combattu et puisqu'on y combattra encore, il faut qu'ils y prennent une attitude honorable.
La suite de la contre-révolution m'inquiète bien plus que la contre-révolution elle-même, car nous avons à faire à des lâches qui fuient, et ce qu'il y a de bon encore dans nos troupes sera à nous. Déjà Berchiny est parti ; tout Royal-Allemand, tout le régiment de Saxe sont passés avec armes et bagages à notre bord ; tout le reste suivra, dès que nous serons en posture de les recevoir. Mais ce n'est pas dans l'électorat de Trèves que les Princes peuvent jouer leur jeu ; notre position n'y est pas tenable ; la régence et le ministre sont à l'Assemblée, et l'électeur est d'une faiblesse au delà de toute expression. Nous ne sommes occupés que des moyens de sortir de cette souricière pour nous porter en avant et prendre une attitude qui convienne au caractère de nos Princes et au zèle de la noblesse.
Il est temps pour moi que cela finisse, car mes facultés physiques et morales s'usent tous les jours par la contrariété, l'impatience et la privation de mes amis. Ma santé n'y tiendra plus longtemps. Vous qui vous plaignez de la vôtre; comment pouvez-vous donc créer un ouvrage immortel dans le lit des douleurs ? Votre dernier ouvrage est un chef-d'oeuvre de principes et de style ; il suffirait seul pour votre éternelle réputation, et sera à jamais le code de tous les Français instruits et fidèles.
Je vous embrasse, mon cher comte, du plus tendre de mon coeur.
P.S.
M. le comte d'Artois nous écrit un mot qu'il a remis à Calonne. J'aime beaucoup Las Casas, aussi suis-je bien sensible à son silence.
*****
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 21 mai 1792
Le départ de Froment a été retardé par plusieurs raisons et entre autres par celle de l'argent ; mais enfin il part.
Notre position n'a point changé ; ainsi j'ai peu de choses à ajouter à cette lettre. Je vous dirai seulement que la marche des Autrichiens et Prussiens en aussi grand nombre ne nous laisse pas sans inquiétudes. Timeo Danaos et dona ferentes. L'Espagne peut donc seule , unie à la Russie, s'opposer à un démembrement peut-être projeté et défendre les pures bases de notre constitution. Si on y souffre la plus légère atteinte, le plus petit changement, nous retomberons dans de nouvelles crises. Comme vous le dites fort bien, ce n'est qu'avec les forces constitutionnelles inhérentes à la constitution même et conservatrices de la constitution qu'on peut y mettre des modifications ; mais le moment n'y est pas propre. Si le roi de Sardaigne veut jouer un beau rôle, nous lui en fournirons bientôt les moyens, et il aidera beaucoup et sans risque, sans frais, à la pacification des provinces méridionales ; mais ce plan n'est pas encore au net et n'est pas communiqué à Froment. Vous en serez inqstruit à temps.
Nous savons que Barthélémy en Suisse est l'agent du baron, qui correspond vivement avec lui. On trouve cet infernal homme partout, malgré les protestations qu'il fait de son dévouement aux Princes. Il vient d'envoyer ici son bras droit, l'évêque de Pamiers, pour faire l'apologie de sa conduite, et l'infâme a eu l'audace de rejeter sur le Roi tout ce qu'il y a de louche dans la conduite du baron. Quelle horreur ! Mon ami, j'en suis venu au point de haïr vigoureusement les hommes et d'en excepter un très petit nombre d'individus. Concluez-en que j'en aime plus vivement ceux que j'aime encore, et calculez aussi mon amitié pour vous.
L'abbé d'Eral n'est pas encore arrivé, et Fonbrune est allé à Vienne. De pareils courriers n'avancent pas les affaires.
*****
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 16 juin 1792
Vous serez bien étonné, en recevant cette lettre, de voir qu'elle est commencée il y a un mois et qu'elle n'est pas encore partie. Ce ne sera encore qu'au retour de Calonne, qui est allé à Francfort pour y avoir, s'il se peut, de l'argent, qu'elle partira.
La position de Paris devient de plus en plus critique pour nos malheureux souverains. Il me paraît clair que de mauvais conseils monarchiens les avaient engagés à entreprendre une contre-révolution constitutionnelle, et que les Jacobins, ayant éventé la mine, se sont portés à toutes les violences de la fureur et de la vengeance. Ils ont commencé par licencier la garde du Roi, resserré ses chaînes, lui font éprouver les plus cruels outrages, et le feront mourir ainsi que la Reine par l'effet des traitements qu'ils éprouvent, s'ils ne se déterminent pas à porter leurs mains criminelles sur nos maîtres infortunés. On croit être sûr que le projet des factieux est de transporter le Roi dans les provinces méridionales et d'y prolonger une guerre civile interminable, en s'emparant de cet ôtage sacré auquel ils dicteront leurs volontés, et dont les ordres, arrachés par la violence, augmenteront leurs moyens et leurs ressources. Le plus important serait donc de les prévenir et de leur ôter cette ressource. On envoie au comte Conway un plan qui, s'il est adopté par le roi de Sardaigne, ôterait aux factieux toute ressource dans notre Midi. Si l'Espagne voulait enfin se montrer, les monstres, attaqués de toutes parts, seraient bientôt anéantis. Mais il ne faut pas compter sur elle, et tâchons de nous en passer. On offre au roi de Sardaigne le plus beau et le plus sûr de tous les rôles ; il est prêt, ses troupes ont bonne volonté, et nous espérons qu'il ne se refusera pas à nos voeux.
De nos côtés, il faut que nous changions bientôt de posture, car les Prussiens, qui arriveront le 7 juillet, nous en chasseront. Les colonnes n'arriveront que vers le 20, mais il faut d'avance leur faire place dans l'électorat. Ainsi il est indispensable que nous partions les premiers jours de juillet. Où irons-nous ? Nous ne le savons pas encore ; moi je crois que ce sera en France. Oui, en France. Alors seulement l'horizon s'éclaircira à mes yeux, car jusqu'à présent je vois tout en noir, et je ne compte pas du tout sur la loyauté de la cour de Vienne principalement. On nous fera peut-être payer bien cher les secours que nous avons tant désirés. L'Espagne pouvait jouer un grand rôle et faire notre sûreté ; mais elle paraît entendre bien mal ses intérêts et les nôtres. Cela est par trop honteux ! Nous vous envoyons Froment à tout hasard, mais je crains bien qu'on ne veuille en rien faire. La Russie est malheureusement fort occupée de la Pologne, et cet appui, sur lequel nous comptions tant, paraît un peu s'affaiblir. L'arrivée de Nassau, que nous attendons à tout moment, nous expliquera tout ce que nous devons attendre ou craindre. J'espère toujours dans la grande âme et la magnanimité et les promesses de l'impératrice ; mais partout les intrigues de Breteuil ont fait plus ou moins d'effet contraire à nos intérêts. La Prusse cependant paraît agir franchement, et c'est notre véritable espoir. Notre courage et l'imperturbabilité des principes de notre loyal prince finiront par nous tirer d'affaire ; mais ce ne sera pas sans éprouver encore bien des secousses.
Je ne sais comment ma santé tient à mes peines et à mes chagrins. J'en ai de tous les genres ; mais je me suis décidé à ne pas mourir avant d'avoir vu la punition des méchants.
M. de Monteynard vient de parler encore de votre part de l'affaire de M. de Choiseul. Il y a six semaines que j'ai écrit sur cela à M. de Las Casas, et, comme je n'ai reçu de réponse ni à cette lettre ni à aucune autre, j'ai cru qu'il avait trouvé les raisons que je vous détaille au commencement de ma lettre bonnes, et qu'il y avait renoncé ! Véritablement, ce silence devient inexplicable.
Si le départ de Froment est encore retardé, je vous ajouterai encore quelques mots à cette lettre.
*****
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 22 juin 1792
Autre délai involontaire, mon cher comte, toujours provenant du défaut absolu d'argent. Nous en attendions hier, et, au lieu d'en recevoir, une lettre des banquiers qui devaient nous envoyer les lettres de change provenant du cautionnement du roi de Hongrie nous annonce qu'un ordre formel de M. de Metternich les oblige de déposer d'abord ces fonds à la caisse royale de Bruxelles. Voilà donc encore un retard, du moins si ce n'est une nouvelle ruse. C'est à en perdre le sommeil et la raison, car enfin le prêt va manquer, et le mouvement que nous allions faire pour faire place aux Prussiens sera arrêté par ce défaut absolu d'argent, étant impossible de remuer et de faire vivre en route 20.000 hommes sans avoir un écu. Voilà où nous en sommes aujourd'hui, 22. Peut-être changera-t-elle demain, car La Queille va arriver de Bruxelles et peut-être nous apportera ces mêmes fonds qui, pour la forme, ont apparemment dû passer à la caisse royale de Bruxelles. En outre le comte de Béon, que nous avions envoyé en Espagne, mande à sa femme, qui est ici, qu'il part le 3 juin de Barcelone pour Coblence et qu'il apporte aux Princes un million. Mais nous éprouvons à peu près le supplice de Tantale, et nous souffrons de la soif et de la faim. Nous apprenons que le roi d'Angleterre vient de faire signifier à l'Assemblée, par l'organe de son ambassadeur, que, si le Roi, la Reine et la famille royale éprouvaient le plus léger outrage, sa neutralité se changerait en une guerre terrible. Et les rois Bourbons se taisent ! Je n'y conçois rien. Peut-être cette menace de l'Angleterre sauvera-t-elle nos infortunés souverains ! Dieu le veuille !
Les procédés de la Prusse sont bien différents pour nos Princes de ceux de la cour de Vienne ; mais on nous recommande de paraître également contents des deux cours, vu leur extrême union : bene sit. Mais l'avenir apportera, je crois, de grands changements dans la politique de l'Europe, et il faut en revenir aux règles de la bonne et saine politique et ne plus s'allier contre nature, car cela ne produit que des monstres.
Je suspends encore ma lettre jusqu'au départ.
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 6 janvier 1792
Enfin vous allez voir votre Froment, que vous appelez à grands cris, mon cher ami, et ce qu'il vous donnera ne vous déplaira pas. Je conçois que vous ayez envie de le revoir, car je ne connais pas d'homme plus méritant de la chose publique et plus rempli d'âme et d'esprit.
Nous venons d'être ici dans la plus cruelle de toutes les crises. La déclaration de guerre faite le 14 décembre, au lieu de paraître aux princes de la frontière une ridicule fanfaronnade, leur a fait tant de peine, que M. le Prince de Condé a été congédié des Etats de Mayence, et que nous éprouvons ici tous les procédés résultant de la peur qui a gagné notre bon électeur, et surtout son ministre. L'électeur a eu la faiblesse de recevoir en qualité de ministre de France un M. de Sainte-Croix, grand démagogue et propagandiste outré. De cette première faute ont dérivé des tracasseries continuelles, que nous éprouvons à l'instigation de ce malheureux, qui aurait été à son arrivée envoyé à Cologne par bateau, sans la demande que nos Princes ont faite de le laisser tranquille. On nous disperse tous nos cantonnements ; on sépare tous nos corps militaires ; on nous fait vendre nos chevaux de vivres et d'artillerie, et on aurait fini par nous chasser aussi comme M. le prince de Condé. Mais je crois qu'enfin Dieu vient à notre secours. Je reçois des nouvelles de Vienne bonnes, excellentes. L'Empereur annule l'amnistie du Brabant, fait marcher des troupes ; 30.000 Prussiens commandés par le prince de Hohenlohe vont se mettre en mouvement, et l'époque des vengeances est enfin arrivée. Soignez le Midi, plus intéressant que tout le reste ; que les Espagnols et les Piémontais se hâtent, et bientôt tous les Titans qui menaçaient le ciel seront foudroyés.
M. le comte d'Artois et Calonne vous écrivent, et ce dernier en détail. D'ailleurs tout ce que Froment vous porte est considérable. Vous ne direz plus qu'on vous laisse sans nouvelles. Je ne sais si Monseigneur vous ordonne de rester où vous êtes ; mais je vous le dis de sa part, jusqu'à nouvel ordre.
Dites-moi donc pourquoi M. de Las Casas ne me répond plus à aucune de mes lettres ; me boude-t-il ? Je ne vois aucune raison pour cela, car je l'aime autant que je l'estime, et je ne crois pas avoir démérité près de lui.
Vous savez sans doute que j'ai été tout à fait ruiné par l'événement de Saint-Domingue. Une de mes habitations a été totalement détruite, et celle qui me reste suffit à peine à mes créanciers. Mais je n'ai pas le temps et la faculté de m'occuper de moi, et mes peines personnelles font dans mon âme l'effet d'une goutte d'eau dans la mer. Vengeons nos souverains, la monarchie et la religion, réparons l'honneur français, purgeons la terre des monstres qui la troublent ; rejoignons ensuite nos amis pour ne plus les quitter, et ma fortune sera faite.
Nous n'avons pas entendu parler de M. de La Bastide et sa conduite est plus que louche dans cette occasion.
Etéblissez vous-même votre correspondance de la manière que vous jugerez la plus sûre et la meilleure. L'argent nous manque terriblement, et c'est notre plus grand embarras ; le reste irait tout seul. Comment l'Espagne n'a-t-elle encore fourni aucun fonds à nos magnanimes Princes ? Mais ne nous plaignons pas d'elle, car je suis convaincu qu'elle ira bien. Il est ma foi temps de couper l'hydre aux cent têtes, car le bouleversement du monde allait se faire. Le Brabant est plus troublé que jamais, et la Styrie et la Galicie sont prêtes à se révolter. On y demande avec menaces la double représentation du tiers et l'abaissement du clergé et de la noblesse ; c'est tout comme chez nous. Enfin ces mouvements ont dessillé les yeux de Léopold, et c'est franchement, je crois, qu'il va agir. Mes amis ont fait à Vienne de la très bonne besogne et y sont aussi considérés qu'ils méritent de l'être. En attendant, ils sont totalement ruinés, et leur courage et leur philosophie sont au-dessus de tout éloge. Les Tuileries marchent bien à présent, et l'accord est bien rétabli ; soyez-en sûr, mais ne l'ébruites pas, parce que cela serait dangereux.
Bonjour, mon cher comte, je vous aime à la vie et à la mort.
*****
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 14 mail 1792
Le départ de Froment est si prompt, mon cher comte, qu'à peine ai-je le temps de vous écrire un mot. Calonne vous répondra relativement à votre grande lettre à M. le comte d'Artois, que je n'ai pas encore lue, parce qu'elle a été remise à Calonne. L'essentiel était de vous envoyer Froment, et il part. Je souhaite que vos opinions sur l'Espagne soient plus riantes que nos espérances, car le ministre à Vienne assure qu'elle ne fera rien, et la manière dont nos émigré sont à présent traités en Catalogne ne nous rassure pas. Mais enfin cela cache peut-être quelque important et utile mystère. Dieu le veuille, et je suis entraîné à le croire quand Las Casas et vous se mêlent de nos affaires ; certes elles ne peuvent être en mains plus habiles. Si je vous ai quelquefois grondé de la manière dont vous écrivez par la poste, ce n'est pas que je pense presque toujours comme vous, mais je vous ai averti que les lettres sont lues dans toute l'Allemagne, et souvent gardées quand elles ne plaisent pas ! Il en résulte que les lettres n'arrivent pas à leur but.
Je crois, par exemple, que M. le comte de Las Casas ne reçoit pas mes lettres, ou que je ne reçois pas les siennes, car il me doit réponse à sept ou huit, et il y a cinq mois que je n'en ai reçu aucune. ce que vous me mandez relativement à M. de Choiseul ne m'est parvenu qu'à sept semaines de date, à cause de ma course à Vienne, et il était bien tard pour que M. le comte d'Artois fît en sa faveur en Espagne la démarche que désirait M. de Las Casas. Je vous dirais de plus que je répugnais à le demander, par toutes sortes de considérations relatives à Sérent lui-même ; d'ailleurs M. le comte d'Artois est bien loin d'être en telle mesure vis-à-vis de M. d'Aranda. Voilà ce que j'ai mandé à M. de Las Casas, et j'attends sa réponse, car ce n'est qu'à mon retour à Vienne que j'ai reçu la lettre dans laquelle vous m'en parliez. S'il en est temps encore, écrivez-moi de nouveau à ce sujet.
L'important est de s'occuper des affaires du midi de la France, car ce côté-ci, attaqué bientôt par 100.000 Prussiens et Autrichiens, n'est pas en état de résister, et je crois toujours que les factieux porteront tous leurs efforts et leurs ressources pour former un vigoureux parti, appuyé dans les provinces méridionales par les protestants et peut-être par les Anglais. Le roi d'Espagne et celui de Sardaigne seront donc les véritables sauveurs de la monarchie française, s'ils réduisent et conservent les provinces du Midi. C'est là où je voudrais voir nos Princes, mais Monsieur ne se séparera pas de son frère sous aucun rapport et, puisqu'ici on a déjà combattu et puisqu'on y combattra encore, il faut qu'ils y prennent une attitude honorable.
La suite de la contre-révolution m'inquiète bien plus que la contre-révolution elle-même, car nous avons à faire à des lâches qui fuient, et ce qu'il y a de bon encore dans nos troupes sera à nous. Déjà Berchiny est parti ; tout Royal-Allemand, tout le régiment de Saxe sont passés avec armes et bagages à notre bord ; tout le reste suivra, dès que nous serons en posture de les recevoir. Mais ce n'est pas dans l'électorat de Trèves que les Princes peuvent jouer leur jeu ; notre position n'y est pas tenable ; la régence et le ministre sont à l'Assemblée, et l'électeur est d'une faiblesse au delà de toute expression. Nous ne sommes occupés que des moyens de sortir de cette souricière pour nous porter en avant et prendre une attitude qui convienne au caractère de nos Princes et au zèle de la noblesse.
Il est temps pour moi que cela finisse, car mes facultés physiques et morales s'usent tous les jours par la contrariété, l'impatience et la privation de mes amis. Ma santé n'y tiendra plus longtemps. Vous qui vous plaignez de la vôtre; comment pouvez-vous donc créer un ouvrage immortel dans le lit des douleurs ? Votre dernier ouvrage est un chef-d'oeuvre de principes et de style ; il suffirait seul pour votre éternelle réputation, et sera à jamais le code de tous les Français instruits et fidèles.
Je vous embrasse, mon cher comte, du plus tendre de mon coeur.
P.S.
M. le comte d'Artois nous écrit un mot qu'il a remis à Calonne. J'aime beaucoup Las Casas, aussi suis-je bien sensible à son silence.
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M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 21 mai 1792
Le départ de Froment a été retardé par plusieurs raisons et entre autres par celle de l'argent ; mais enfin il part.
Notre position n'a point changé ; ainsi j'ai peu de choses à ajouter à cette lettre. Je vous dirai seulement que la marche des Autrichiens et Prussiens en aussi grand nombre ne nous laisse pas sans inquiétudes. Timeo Danaos et dona ferentes. L'Espagne peut donc seule , unie à la Russie, s'opposer à un démembrement peut-être projeté et défendre les pures bases de notre constitution. Si on y souffre la plus légère atteinte, le plus petit changement, nous retomberons dans de nouvelles crises. Comme vous le dites fort bien, ce n'est qu'avec les forces constitutionnelles inhérentes à la constitution même et conservatrices de la constitution qu'on peut y mettre des modifications ; mais le moment n'y est pas propre. Si le roi de Sardaigne veut jouer un beau rôle, nous lui en fournirons bientôt les moyens, et il aidera beaucoup et sans risque, sans frais, à la pacification des provinces méridionales ; mais ce plan n'est pas encore au net et n'est pas communiqué à Froment. Vous en serez inqstruit à temps.
Nous savons que Barthélémy en Suisse est l'agent du baron, qui correspond vivement avec lui. On trouve cet infernal homme partout, malgré les protestations qu'il fait de son dévouement aux Princes. Il vient d'envoyer ici son bras droit, l'évêque de Pamiers, pour faire l'apologie de sa conduite, et l'infâme a eu l'audace de rejeter sur le Roi tout ce qu'il y a de louche dans la conduite du baron. Quelle horreur ! Mon ami, j'en suis venu au point de haïr vigoureusement les hommes et d'en excepter un très petit nombre d'individus. Concluez-en que j'en aime plus vivement ceux que j'aime encore, et calculez aussi mon amitié pour vous.
L'abbé d'Eral n'est pas encore arrivé, et Fonbrune est allé à Vienne. De pareils courriers n'avancent pas les affaires.
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M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 16 juin 1792
Vous serez bien étonné, en recevant cette lettre, de voir qu'elle est commencée il y a un mois et qu'elle n'est pas encore partie. Ce ne sera encore qu'au retour de Calonne, qui est allé à Francfort pour y avoir, s'il se peut, de l'argent, qu'elle partira.
La position de Paris devient de plus en plus critique pour nos malheureux souverains. Il me paraît clair que de mauvais conseils monarchiens les avaient engagés à entreprendre une contre-révolution constitutionnelle, et que les Jacobins, ayant éventé la mine, se sont portés à toutes les violences de la fureur et de la vengeance. Ils ont commencé par licencier la garde du Roi, resserré ses chaînes, lui font éprouver les plus cruels outrages, et le feront mourir ainsi que la Reine par l'effet des traitements qu'ils éprouvent, s'ils ne se déterminent pas à porter leurs mains criminelles sur nos maîtres infortunés. On croit être sûr que le projet des factieux est de transporter le Roi dans les provinces méridionales et d'y prolonger une guerre civile interminable, en s'emparant de cet ôtage sacré auquel ils dicteront leurs volontés, et dont les ordres, arrachés par la violence, augmenteront leurs moyens et leurs ressources. Le plus important serait donc de les prévenir et de leur ôter cette ressource. On envoie au comte Conway un plan qui, s'il est adopté par le roi de Sardaigne, ôterait aux factieux toute ressource dans notre Midi. Si l'Espagne voulait enfin se montrer, les monstres, attaqués de toutes parts, seraient bientôt anéantis. Mais il ne faut pas compter sur elle, et tâchons de nous en passer. On offre au roi de Sardaigne le plus beau et le plus sûr de tous les rôles ; il est prêt, ses troupes ont bonne volonté, et nous espérons qu'il ne se refusera pas à nos voeux.
De nos côtés, il faut que nous changions bientôt de posture, car les Prussiens, qui arriveront le 7 juillet, nous en chasseront. Les colonnes n'arriveront que vers le 20, mais il faut d'avance leur faire place dans l'électorat. Ainsi il est indispensable que nous partions les premiers jours de juillet. Où irons-nous ? Nous ne le savons pas encore ; moi je crois que ce sera en France. Oui, en France. Alors seulement l'horizon s'éclaircira à mes yeux, car jusqu'à présent je vois tout en noir, et je ne compte pas du tout sur la loyauté de la cour de Vienne principalement. On nous fera peut-être payer bien cher les secours que nous avons tant désirés. L'Espagne pouvait jouer un grand rôle et faire notre sûreté ; mais elle paraît entendre bien mal ses intérêts et les nôtres. Cela est par trop honteux ! Nous vous envoyons Froment à tout hasard, mais je crains bien qu'on ne veuille en rien faire. La Russie est malheureusement fort occupée de la Pologne, et cet appui, sur lequel nous comptions tant, paraît un peu s'affaiblir. L'arrivée de Nassau, que nous attendons à tout moment, nous expliquera tout ce que nous devons attendre ou craindre. J'espère toujours dans la grande âme et la magnanimité et les promesses de l'impératrice ; mais partout les intrigues de Breteuil ont fait plus ou moins d'effet contraire à nos intérêts. La Prusse cependant paraît agir franchement, et c'est notre véritable espoir. Notre courage et l'imperturbabilité des principes de notre loyal prince finiront par nous tirer d'affaire ; mais ce ne sera pas sans éprouver encore bien des secousses.
Je ne sais comment ma santé tient à mes peines et à mes chagrins. J'en ai de tous les genres ; mais je me suis décidé à ne pas mourir avant d'avoir vu la punition des méchants.
M. de Monteynard vient de parler encore de votre part de l'affaire de M. de Choiseul. Il y a six semaines que j'ai écrit sur cela à M. de Las Casas, et, comme je n'ai reçu de réponse ni à cette lettre ni à aucune autre, j'ai cru qu'il avait trouvé les raisons que je vous détaille au commencement de ma lettre bonnes, et qu'il y avait renoncé ! Véritablement, ce silence devient inexplicable.
Si le départ de Froment est encore retardé, je vous ajouterai encore quelques mots à cette lettre.
*****
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 22 juin 1792
Autre délai involontaire, mon cher comte, toujours provenant du défaut absolu d'argent. Nous en attendions hier, et, au lieu d'en recevoir, une lettre des banquiers qui devaient nous envoyer les lettres de change provenant du cautionnement du roi de Hongrie nous annonce qu'un ordre formel de M. de Metternich les oblige de déposer d'abord ces fonds à la caisse royale de Bruxelles. Voilà donc encore un retard, du moins si ce n'est une nouvelle ruse. C'est à en perdre le sommeil et la raison, car enfin le prêt va manquer, et le mouvement que nous allions faire pour faire place aux Prussiens sera arrêté par ce défaut absolu d'argent, étant impossible de remuer et de faire vivre en route 20.000 hommes sans avoir un écu. Voilà où nous en sommes aujourd'hui, 22. Peut-être changera-t-elle demain, car La Queille va arriver de Bruxelles et peut-être nous apportera ces mêmes fonds qui, pour la forme, ont apparemment dû passer à la caisse royale de Bruxelles. En outre le comte de Béon, que nous avions envoyé en Espagne, mande à sa femme, qui est ici, qu'il part le 3 juin de Barcelone pour Coblence et qu'il apporte aux Princes un million. Mais nous éprouvons à peu près le supplice de Tantale, et nous souffrons de la soif et de la faim. Nous apprenons que le roi d'Angleterre vient de faire signifier à l'Assemblée, par l'organe de son ambassadeur, que, si le Roi, la Reine et la famille royale éprouvaient le plus léger outrage, sa neutralité se changerait en une guerre terrible. Et les rois Bourbons se taisent ! Je n'y conçois rien. Peut-être cette menace de l'Angleterre sauvera-t-elle nos infortunés souverains ! Dieu le veuille !
Les procédés de la Prusse sont bien différents pour nos Princes de ceux de la cour de Vienne ; mais on nous recommande de paraître également contents des deux cours, vu leur extrême union : bene sit. Mais l'avenir apportera, je crois, de grands changements dans la politique de l'Europe, et il faut en revenir aux règles de la bonne et saine politique et ne plus s'allier contre nature, car cela ne produit que des monstres.
Je suspends encore ma lettre jusqu'au départ.
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Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 24 juin 1792
Enfin les galions arrivent, et votre Froment partira. M. de Beon nous apporte un million d'Espagne en une seule lettre de change que j'ai vue et maniée. Le roi de Prusse a fait aussi remettre aux Princes, ce matin, 400.000 livres en or. Aussi cette journée est la meilleure que nous ayons eue depuis longtemps. Sans ces secours venus si à propos, le prêt allait manquer, le mouvement combiné avec la marche des Prussiens, pour ne pas croiser leurs colonnes, était arrêté. Le désespoir s'emparait absolument de nous, mais la Providence (je vais y croire) est venue à notre secours, et j'augure une bonne et prompte terminaison de nos maux. Ce matin encore nous avons appris la défaite d'un corps de 10.000 Français, qui avaient pénétré dans la Flandre autrichienne maritime et menaçaient Ypres, Furnes, Courtray et Ostende. Clerfayt les a bien battus, et Beaulieu leur a, dit-on, coupé toute retraite, de manière qu'il ne doit pas revenir un seul homme de ce corps commandé par MM. Carles et Moreton-Chabrillant.
(Cette nouvelle malheureusement n'est pas vraie ; elle avait été répandue comme bien d'autres.
Note de M. de Vaudreuil)
Grâce aux sommes qui nous parviennent, nous allons évacuer l'électorat pour faire place aux Prussiens. Nous ne prenons pas encore une position militaire et offensive ; mais nous serons dans des cantonnements en ligne, et point en arrière de l'armée prussienne. Là, nous nous armerons, nous nous exercerons, pour être en état d'agir vers le 15 août. Telles sont, pour l'époque des mouvements décisifs, mes combinaisons.
Je n'ai fait que parcourir très rapidement les dépêches du duc d'Havré que M. de Béon vient d'apporter avec le million. Il me paraît que M. d'Havré croit M. d'Aranda très royaliste, mais que le pénurie de l'Espagne quant à l'argent, au nombre et à la qualité de ses troupes, ses défiances sur les autres cours et principalement celle d'Angleterre, rendent sa marche timide et incertaine ; mais M. d'Havré ne doute pas que, dès que l'Espagne verra que Berlin et Vienne agissent franchement, M. d'Aranda prendra le galop, ne fût-ce que par vanité ! Cela me fait espérer que les députés des colonies, que nous venons d'envoyer à Madrid pour demander de prompts secours pour sauver Saint-Domingue, y seront accueillis. Nous les avons chargés d'un plan qui, s'il est admis, sauvera les colonies françaises et, par contre-coup éventuel, celles des Espagnols. Les Espagnol ont à San-Domingo 7.000 hommes de troupes, autant à Cuba et 2.000 à Porto-Rico. Il ne tient qu'à eux de nous délivrer des brigands qui désolent Saint-Domingue et qui finiront par porter la corruption et le désordre dans la partie espagnole. Je suis, comme M. Josse, orfèvre ; j'ai en conséquence été fort occupé de la rédaction de ce plan. Mais Dieu m'est témoin que je suis moins animé par mon intérêt propre que par l'intérêt général. Les moindres mouvements des Espagnols, combinés avec le roi de Sardaigne et les Suisses, pourraient sauver nos provinces méridionales, et à peu de frais l'Espagne réparerait le temps qu'elle a perdu et par conséquent son honneur. Les dépêches de M. d'Havré nous apprennent que, quoique le royalisme pur soit le principe de M. d'Aranda, il croit qu'on peut, qu'on doit même toucher aux biens du clergé sans le dépouiller tout à fait, et qu'il y a un grand parti à tirer de ses richesses pour la restauration des finances en France et en Espagne. Tel est le principe du destructeur des jésuites, et il ne sent pas qu'en détruisant les apôtres d'une religion toute monarchique, il a ébranlé toutes les monarchies, et que si, dans l'état où est l'Espagne, il ose toucher à une pierre de l'édifice, tout s'écroulera. Une autre erreur bien grande de M. d'Aranda (et c'est le fruit des intrigues du Breteuil), c'est qu'il compte les Princes et la noblesse émigrée pour rien dans les moyens d'opérer la contre-révolution, tandis qu'avec des vues droites et de bonnes lunettes sur son vilain nez, il devrait les compter comme le principal moyen.
J'ai été bien aise de vous fournir toutes ces bases, pour que vous travailliez à détruire ces faux principes et ces erreurs politiques. M. de Béon m'a dit de plus que lui, Béon, était persuadé que la reine d'Espagne n'aime pas M. le comte d'Artois ni Calonne ; il faut qu'elle soit bien dégoûtée ! M. d'Havré dans sa dépêche dit le contraire.
Je dois vous prévenir que la Russie et la Prusse désirent que nous nous confirmions à l'accord qui règne entre ces deux cours et celle de Vienne ; que cela est important pour le succès des opérations combinées et pour le salut de la France. Aisi faisons contre fortune bon coeur. Que de couleuvres, grands dieux ! Vienne nous a fait avaler ! ( àè-è\': ) Je voudrais, mon cher comte, que vous fissiez réimprimer votre dernier ouvrage. C'est le catéchisme de tout bon français, et je voudrais que tout gentilhomme en eût un exemplaire pour y lire son devoir et sa prière du matin et du soir. Je n'ai rien lu de plus parfait.
Mes yeux baissent de telle manière, depuis six mois, que j'en suis inquiet. Cela me force de vous quitter jusqu'au départ de Froment que je vais presser.
Je veux vous dire encore que le roi de Prusse et le duc de Brunswick donnent aux Princes les paroles les plus positives qu'ils joueront le rôle qui leur convient, c'est-à-dire le plus honorable, et qu'ils agiront de concert et de conserve. Nous n'avons qu'à nous louer de la noblesse et de la franchise de leurs procédés. Ce sont nos parents (les Bourbons) , nos alliés (Vienne et la Suisse) qui sont les plus froids pour nous. La Suisse a une pauvre marche dans tout ceci, et nous pourrons bien par la suite, au lieu des troupes suisses, avoir des troupes allemandes qui sont moins chères et tout aussi bonnes. Les bons Suisses aiment trop l'argent. Ils disent aussi que les princes ne sont pas une puissance. Notre Roi n'est-il donc pas dans les fers, et, pendant sa captivité, où est donc la puissance, si elle ne réside pas dans les plus proches héritiers du trône ? Il n'a jamais existé de siècle plus médiocre que celui-ci, où on croit avoir tant d'esprit. Les coeurs sont lâches et les esprits bornés. Aussi c'est un Spielmann qui conduit le cabinet de Vienne, et c'est un Breteuil qui sera son ministre en France. Cordonnier ou tonnelier, c'est tout un. En attendant la crise n'a jamais été aussi violente à Paris, et nos malheureux souverains sont en grand péril. Le changement du ministère subit, de Jacobins en Feuillantins, est une grande école qu'on a fait faire au Roi. Je frémis de toutes les suites que cela peut avoir. Et ce coquin de La Fayette, qui écrit à l'Assemblée une lettre fulminante contre les Jacobins, et cette lettre est envoyée par l'Assemblée aux 83 départements ! Que cela veut-il dire ? Veut-il faire le petit Monck ? Il n'a ni son talent ni son courage.
Je n'y entends rien.
Je vous quitte pour me reposer.
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Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 1er juillet 1792.
Vous finirez par recevoir un volume, pour peu que le départ de Froment soit toujours retardé ; mais cela tient toujours à l'argent, cette matière si vile et si nécessaire, cause première de tous biens et de tous maux. Combien, de huit jours en huit jours, la scène change ! Vous avez appris tous les événements déshonorants du 20 juin, cette scène plus horrible, plus injurieuse, plus dangereuse encore que celle du 6 octobre. Le Roi y a montré un courage de résignation au-dessus des forces humaines , et la Reine le maintien le plus noble et le plus imposant. L'un et l'autre doivent leur salut dans cette affreuse journée, non aux efforts qu'on a faits pour les défendre (car personne ne s'est montré) , mais à l'attitude fière qu'ils ont su prendre. La providence a détourné les piques et les poignards qui les menaçaient. Ils vivent encore. Cette journée les a grandis aux yeux de tous et a produit un effet favorable pour nos infortunés souverains. Puisse leur courage se soutenir et ce bon effet augmenter encore ! mais je crains toujours de nouvelles catastrophes. On en a essayé une le 25, mais les brigands et les faubourgs ont été contenus par les précautions prises.
Le duc de Brunswick arrive ici, du moins dans les environs, demain. Nos Princes le verront après-demain, et deux heures de conversation aplaniront plus de difficultés que toutes les dépêches, notes officielles possibles. Rien ne se peut comparer aux embarras que nous avons éprouvés pour le déblai, le départ de nos cantonnements. Avec beaucoup de dettes et presque sans argent comment quitter un établissement pour en aller prendre un autre ? Voilà pourtant ce que nous avons fait, et cela est miraculeux. On a payé une partie, laissé des billets à termes courts pour le reste, et des otages pour sûretés. Je préfèrerais les galères à la vie que mène Calonne depuis six mois ( : ) ; ni sommeil, ni repos, voilà son sort. Ne voir que des demandeurs impatients, mécontents et vraiment malheureux, calculer de la manière la plus minutieuse pour servir ce que l'on peut donner au plus pressant besoin, être toujours à la veille de manquer, y avoir mis toute la fortune de sa femme, y avoir sacrifié sa santé, et n'être souvent payé de tous ces travaux que par des plaintes ; telle est sa destinée, telle sera toujours celle des hommes qui se vouent au bonheur des hommes et surtout des Français. Il est vrai que les agents de Breteuil produisent tous ces embarras et ces plaintes toujours renaissantes. Ils sont habiles à brouiller, à exciter, à empêcher ; ils ne font rien, mais ils nuisent à qui veut faire. Tel est le troupeau de boucs, dont il est le plus puant. Sans cette infernale opposition, il y a longtemps que nous serions en France et que tous les maux seraient finis.
Il y a longtemps que nous n'avons de vos nouvelles, mon cher ami, et celles qui nous viendront de vous ne sont pas les moins importantes. Les dernières dépêches que M. de Béon nous a apportées d'Espagne contenaient d'abord un million, avec lequel nous avons exécuté notre mouvement ; elles nous donnent aussi l'espoir que les sentiments de d'Aranda deviennent plus favorables, et que, dès qu'on saura en Espagne que Vienne et Berlin sont franchement décidées à agir, d'Aranda prendra le galop. Le duc d'Havré est prudent et sage et plus fait qu'un autre pour nous inspirer confiance, car il voyait bien en noir avant cette dernière dépêche.
Si vous n'aviez pas été si utile où vous êtes à cause de vos correspondances, vous nous l'auriez été beaucoup ici, où nous sommes si accablés d'ouvrage, de traverses, que les forces s'épuisent.
La catastrophe du 20 juin a été amenée par les efforts impuissants des monarchiens et par la lettre, en style de Cromwell, de La Fayette à l'Assemblée. Les Jacobins irrités ont voulu montrer leur puissance, et, par la scène qu'ils ont produite, ils ont fait non seulement au Roi, mais à toutes les royautés de l'Europe, le plus sanglant et le plus influent peut-être de tous les outrages. C'est comme s'ils avaient dit à tous les peuples des monarchies : "Voyez où nous avons réduit notre monarque, le plus puissant de tous ; rougissez de ne pas suivre notre exemple." Le premier effet qu'ils ont produit a été l'indignation ; mais qui peut prévoir quel sera le second effet ? Ces coquins-là en savent plus long que nous, et je suis bien loin de croire que nous soyons hors de danger. Si les puissances ne laissent pas de côté les calculs de l'ambition et de la rivalité, si elles pensent à autre chose qu'à se réunir pour détruire une secte ennemie de tous les trônes et de tous les autels, elles finiront par se nourrir chez nous de poisons destructeurs qu'elles reporteront dans leur sein et qui entraîneront leur perte comme la nôtre. Je ne suis pas encore rassuré sur le désintéressement des puissances, mais il ne faut pas l'avouer.
Les deux rois auxquels nous avons affaire, de Prusse et de Hongrie, ont de la loyauté ; mais leurs cabinets ne sont pas aussi purs qu'eux, et en dernière analyse ce sont toujours les ministres qui décident. Je suis encore plus effrayé de l'avenir que du présent.
Notre position de cantonnements, en attendant le total arriéré des troupes et le commencement des opérations, sera à cheval sur le Rhin. Là nous pourrons nous armer et nous exercer. Du moins on sera occupé, et la fermentation sera moins grande ; elle était devenue excessive à Coblence, où se réunissaient les désoeuvrés et les faux frères qui y étaient en très grand nombre.
Le duc de Polignac suit l'Empereur au couronnement et viendra passer quelques jours avec nous ; puis il retournera à son poste. Le chevalier de Roll est ici depuis deux jours et y restera. Nassau doit être parti du 5 juin de Pétersbourg ; il devrait être arrivé. Ah ! s'il nous apportait quelque argent, qu'il serait bien reçu ! Car, en vérité, nous avons un temps bien dur à passer avant d'entrer en France ; une fois que nous y serons, , nous n'en serons plus embarrassés.
Il faut pourtant finir cette longue épître, mon cher comte, et je vous jette les bras au cou.
Ecrivez-moi à Bingen, dans l'électorat de Mayence.
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Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 7 juillet 1792.
Enfin Froment va partir, et j'ajoute un mot à cette énorme lettre. Nassau est arrivé en Russie le même jour que M. le duc de Brunswick est arrivé à Coblence. Nassau nous a apporté 700.000 francs et la certitude qu'au mois d'octobre nous aurons 15.000 Russes en France. M. le duc de Brunswick a eu des formes parfaites avec nos Princes, et sous tous les rapports son arrivée est le signal de notre bonheur. Il a dit à nos Princes que les deux cours qui lui ont confié le commandement de leurs armées voulaient que les Princes et la noblesse jouassent le rôle brillant qui leur convient, et qu'il ne se serait pas chargé de cette grande entreprise sous d'autres conditions. La parole d'un grand homme est pour moi plus positive que tous les contrats et que tous les serments.
Je vais vous parler avec confiance, mais pour vous seul, de ce que je prévois pour l'avenir. Je ne crois pas que le baron de Breteuil tire profit pour lui de toutes ses intrigues ; il est démasqué, méprisé, décrié et reconnu incapable ; mais Calonne ne sera sûrement pas l'homme qu'on mettra à la tête des affaires. La haine de la Reine est implacable, et il serait nuisible même aux affaires de lutter contre ces préventions indestructibles. Les agents de Breteuil ont même indisposé contre lui toutes les cours, sans avoir rien opéré en faveur de Breteuil. Qui tirera donc à lui la couverture ? Qui ? Celui-même que le Roi avait fait l'intermédiaire entre les Princes et Breteuil, le maréchal de Castries. Voilà ce que je vous prédis, mon cher comte. C'est un homme probe, et c'est beaucoup ; mais est-ce assez ? L'avenir nous l'expliquera, car cela sera comme je vous l'annonce.
Pour mon compte, tout m'est parfaitement égal, car j'ai bien positivement renoncé à tout, même à ma patrie, que je n'habiterai jamais. J'irai la reconquérir pour la quitter bien vite, après avoir fait tout ce que m'auront dicté le devoir et l'honneur.
Adieu, mon cher comte. Vous qui avez les grands talents qu'il faut pour se lancer dans la carrière, ne la quittez pas, et souvenez-vous toujours d'un ami bien tendre.
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M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 9 juillet 1792.
Enfin Froment part, mon cher d'Antraigues, et vous porte une lettre de moi, commencée en mai et finie en juillet. Vous ne la trouverez que trop longue, mais elle vous mettra cependant au fait de mille minuties qui sont cependant bonnes à savoir.
Oui, nous avons à présent de l'argent, mais beaucoup moins qu'il ne nous en faudrait, et cet argent est en lettres de change qu'il faut réaliser dans un pays presque sans ressources. Il en résulte des pertes, des délais insupportables, et conséquemment de l'humeur et de l'injustice de la part de ceux qui souffrent, et tout le monde souffre. Pour mon compte, je tire la langue d'un pied, et je n'ai pas de quoi faire mon très petit équipage : j'irai comme je pourrai.
Malgré cela, d'ici à quelques jours, je donnerai une note à Calonne de ce qu'il faut qu'il nous envoie dès qu'il le pourra. Il passe sa journée et une partie même de la nuit, entouré de cent personnes, qui lui demandent de l'argent et dont plusieurs lui disent des injures quand on ne leur en donne pas. Je préfèrerais les galères à la vie qu'il mène ; mais, pardieu, cet homme aura un grand mérite aux yeux des honnêtes gens pour son dévouement, son zèle, son courage et ses talents ; des autres, il s'en f..., et moi aussi . Bombelles à Pétersbourg, je ne sais qui en Espagne, Breteuil à Vienne, l'ont travaillé de toutes les manières ; souvent il humilie par sa supériorité les ministres médiocres avec lesquels il traite et correspond. Un homme supérieur, comme Las Casas, est au-dessus de toute jalousie ; mais où en trouve-t-on de cette trempe ? Un Spielmann ne pardonne jamais à celui qui lui prouve qu'il est lourd et entêté. Partout Calonne a trouvé à combattre les intrigues et les calomnies de Breteuil, qui s'est en même temps perdu lui-même ; mais M. de Castries tirera la couverture à lui et en aura tout le profit dans les premiers moments.
L'état de Paris est plus inquiétant que jamais. Les démarches de La Fayette et des autres généraux ont irrité les Jacobins contre les Tuileries, qu'ils croient d'accord avec La Fayette, et ils préparent de nouvelles horreurs qui sont annoncées pour le 14. Je crains tout pour nos infortunés souverains.
Pensez vivement à nos provinces méridionales ; pressez sans cesse, car c'est là où les rebelles veulent se ménager des ressources. Quelques secours de l'Espagne et de la Sardaigne, auquelles se rallieraient les infidèles, sauveraient ces belles et importantes provinces ; mais il n'y a plus de temps à perdre.
Ecrivez-moi désormais poste restante à Mayence, jusqu'à nouvel avis. J'y chargerai quelqu'un d'y recueillir mes lettres et de me les faire tenir où je serai. Ecrivez-moi avec prudence, car votre chiffre est tellement connu, qu'il est même inutile de vous en servir.
Ce que vous me dites de votre santé m'afflige et m'inquiète. La mienne s'en va aussi ; mais quelquefois j'en suis bien aise, car l'avenir m'alarme plus que le présent. Heureux ceux qui dormiront d'un sommeil éternel, tandis que les hommes se déchireront ! Ménageons-nous cependant pour avoir encore le plaisir de nous revoir et de nous embrasser.
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Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
Et voici l'année 1793, et la dernière lettre de Vaudreuil à Antraigues dans le recueil de Léonce Pingaud de la Correspondance intime de Vaudreuil et Artois.
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 15 avril 1793, à Vienne
Pendant que vous vous plaignez de notre silence, mon cher comte, nous nous plaignons du vôtre, et le seul coupable est la poste. En partant de Liège, je vous ai écrit une très longue lettre, dans laquelle je vous détaillais les motifs de mon départ, et, si vous les aviez reçus, je suis sûr que vous les auriez approuvés. Je vous mandais de me rejoindre à Vienne, où je m'acheminais. Arrivé ici, je n'ai pas reçu un mot de vous, et, après plusieurs jours d'attente, je vous ai écrit vers le 15 novembre. Pas plus de réponse à cette seconde lettre qu'à la première. De là sont arrivées toutes les funestes catastrophes qui ont couvert la France de deuil, de terreur et de honte. J'ai dû à l'impression que j'ai éprouvée de l'atroce événement du 21 janvier une maladie longue et dangereuse, une fièvre putride avec redoublements et délires. La force de mon tempérament et la sagesse de mes médecins m'ont sauvé ; mais ma convalescence a été longue et pénible. C'était avant de tomber malade que j'avais écrit à Las Casas pour savoir de vos nouvelles et où vous étiez, car j'ignorais si vous n'aviez pas changé de lieu et de position. J'ai reçu hier seulement sa réponse et votre lettre, et il ne me mande pas votre adresse dont vous ne m'instruisez pas davantage. Dans cette incertitude, j'envoie cette lettre à Las Casas, en vous priant de vous la faire parvenir.
Le duc et la duchesse me chargent de vous mander qu'ils ne sont ni paresseux ni prudents au point de se priver, par une bête politique, du plaisir de correspondre avec leurs amis. Ils ignoraient comme moi où vous étiez, et s'en chagrinaient avec moi. Reprenons nos anciennes manières, mon cher comte, et ne craignons pas de confier au papier des sentiments et des principes qui ne peuvent que nous honorer aux yeux des inquisiteurs qui nous liront.
Que d'événements se sont succédés avec rapidité, mon cher comte, depuis notre honteuse et incroyable retraite en Champagne ! Je m'exprimais dans ma lettre datée de Liège si librement et avec tant d'indignation sur le compte du duc de Brunswick que c'est sans doute par cette raison qu'elle ne vous est pas parvenue. Je souhaite qu'elle soit tombée entre ses mains et qu'il y ait vu le mépris qu'il a inspiré aux gens d'honneur. Ce sera une juste punition de tous les malheurs que sa manoeuvre ou ses manoeuvres ont attirés sur la France et sur l'infortuné Louis XVI. Mais enfin les braves Autrichiens, le vertueux Cobourg, un jeune Empereur qui, dès le commencement de son règne, montre de grandes qualités et des talents, répareront nos désastres, puniront les crimes, et rendront le repos au monde. Quel beau mois de mars ! Le ciel enfin se déclare pour la plus juste des causes, et les régicides sont à la veille de leurs supplices. Un bien grand et bien décisif événement, c'est le parti vigoureux que vient de prendre Dumouriez.. Il y a longtemps qu'il le méditait, j'ai de grandes raisons pour le croire ; mais il fallait attendre et saisir la circonstance, et acquérir par des succès une grande influence sur son armée. Ce moment est arrivé, et le nouveau Monck marche sur Paris. Il a déjà annoncé à la Convention nationale que son projet est d'exterminer les régicides, de rétablir la monarchie ; il a signifié à ces infâmes usurpateurs qu'il pleurait les succès qu'il a eus en soutenant une si mauvaise cause, et qu'il allait les expier. Le Moniteur du 2 avril vous aura enchanté comme nous. Que le moment est bien saisi lorsque les provinces se déclarent ! La Bretagne, l'Anjou, le Poitou, la Normandie, la Picardie sont déjà en armes. Je suis honteux que nos provinces du Midi restent encore dans une stagnation qui m'étonne. Electrisez-les donc, mon cher ami, puisqu'elles peuvent être soutenues par l'Espagne.
J'ai reçu des nouvelles de M. le comte d'Artois depuis son arrivée à Pétersbourg. Il est très content en tous points de son voyage qu'il aurait fait trois mois plus tôt, s'il avait suivi mes conseils. Il y a un mois que je lui ai mandé qu'à son retour de Pétersbourg il trouverait la contre-révolution faite, et faite sans lui, mais qu'il devait s'en réjouir ; que si sa gloire paraissait souffrir de n'avoir pas joué dans ce moment un rôle actif, on ne lui refuserait jamais le mérite d'en avoir été la première cause, d'avoir été imperturbable dans ses excellents principes, d'avoir donné la grande branle à l'Europe, d'avoir montré énergie, patience, sagesse et désintéressement, d'avoir été le soutien de la noblesse. Je lui mandais que d'ailleurs il avait encore une belle et noble carrière à parcourir ; car il ne suffit pas de rétablir la monarchie ; il faudra la maintenir, la consolider, l'honorer, et ce sera sa tâche.
J'ai depuis trois mois donné à Monsieur la démission de la place à son conseil ; vous devinez aisément les motifs qui m'y ont déterminé. Monsieur a bien voulu me témoigner les regrets les plus flatteurs pour moi, et même insister pour me faire changer à cet égard ; mais j'ai persisté dans le parti que j'avais pris après mûres réflexions. Tout ce qui est arrivé depuis, et tout ce qui se prépare, tout ce que j'entrevois, me fait m'applaudir de cette démarche prudente et prévoyante. D'ailleurs ma santé a besoin de repos et des douces jouissances de l'amitié. J'ai fait de reste tout ce que l'honneur me dictait, et je crois avoir bien acheté et gagné ma liberté ! Je laisse aux ambitieux toute prétention à des récompenses ; pour moi, je m'en tiens à l'estime que je suis sûr d'avoir acquise, au compte intérieur de ma conscience et aux sentiments de mes amis ; voilà le seul prix fait pour mon coeur.
Si Saint-Domingue est sauvé, je ferais vivre mes parents et mes amis ; sinon je vivrai à leurs dépens, et partout je serai heureux, aimant et aimé. Aimez-moi donc, mon cher comte, pour que mon bonheur soit complet ; vous le devez à la tendre amitié que je vous ai vouée pour ma vie.
Ecrivez-moi, écrivez-moi.
M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 15 avril 1793, à Vienne
Pendant que vous vous plaignez de notre silence, mon cher comte, nous nous plaignons du vôtre, et le seul coupable est la poste. En partant de Liège, je vous ai écrit une très longue lettre, dans laquelle je vous détaillais les motifs de mon départ, et, si vous les aviez reçus, je suis sûr que vous les auriez approuvés. Je vous mandais de me rejoindre à Vienne, où je m'acheminais. Arrivé ici, je n'ai pas reçu un mot de vous, et, après plusieurs jours d'attente, je vous ai écrit vers le 15 novembre. Pas plus de réponse à cette seconde lettre qu'à la première. De là sont arrivées toutes les funestes catastrophes qui ont couvert la France de deuil, de terreur et de honte. J'ai dû à l'impression que j'ai éprouvée de l'atroce événement du 21 janvier une maladie longue et dangereuse, une fièvre putride avec redoublements et délires. La force de mon tempérament et la sagesse de mes médecins m'ont sauvé ; mais ma convalescence a été longue et pénible. C'était avant de tomber malade que j'avais écrit à Las Casas pour savoir de vos nouvelles et où vous étiez, car j'ignorais si vous n'aviez pas changé de lieu et de position. J'ai reçu hier seulement sa réponse et votre lettre, et il ne me mande pas votre adresse dont vous ne m'instruisez pas davantage. Dans cette incertitude, j'envoie cette lettre à Las Casas, en vous priant de vous la faire parvenir.
Le duc et la duchesse me chargent de vous mander qu'ils ne sont ni paresseux ni prudents au point de se priver, par une bête politique, du plaisir de correspondre avec leurs amis. Ils ignoraient comme moi où vous étiez, et s'en chagrinaient avec moi. Reprenons nos anciennes manières, mon cher comte, et ne craignons pas de confier au papier des sentiments et des principes qui ne peuvent que nous honorer aux yeux des inquisiteurs qui nous liront.
Que d'événements se sont succédés avec rapidité, mon cher comte, depuis notre honteuse et incroyable retraite en Champagne ! Je m'exprimais dans ma lettre datée de Liège si librement et avec tant d'indignation sur le compte du duc de Brunswick que c'est sans doute par cette raison qu'elle ne vous est pas parvenue. Je souhaite qu'elle soit tombée entre ses mains et qu'il y ait vu le mépris qu'il a inspiré aux gens d'honneur. Ce sera une juste punition de tous les malheurs que sa manoeuvre ou ses manoeuvres ont attirés sur la France et sur l'infortuné Louis XVI. Mais enfin les braves Autrichiens, le vertueux Cobourg, un jeune Empereur qui, dès le commencement de son règne, montre de grandes qualités et des talents, répareront nos désastres, puniront les crimes, et rendront le repos au monde. Quel beau mois de mars ! Le ciel enfin se déclare pour la plus juste des causes, et les régicides sont à la veille de leurs supplices. Un bien grand et bien décisif événement, c'est le parti vigoureux que vient de prendre Dumouriez.. Il y a longtemps qu'il le méditait, j'ai de grandes raisons pour le croire ; mais il fallait attendre et saisir la circonstance, et acquérir par des succès une grande influence sur son armée. Ce moment est arrivé, et le nouveau Monck marche sur Paris. Il a déjà annoncé à la Convention nationale que son projet est d'exterminer les régicides, de rétablir la monarchie ; il a signifié à ces infâmes usurpateurs qu'il pleurait les succès qu'il a eus en soutenant une si mauvaise cause, et qu'il allait les expier. Le Moniteur du 2 avril vous aura enchanté comme nous. Que le moment est bien saisi lorsque les provinces se déclarent ! La Bretagne, l'Anjou, le Poitou, la Normandie, la Picardie sont déjà en armes. Je suis honteux que nos provinces du Midi restent encore dans une stagnation qui m'étonne. Electrisez-les donc, mon cher ami, puisqu'elles peuvent être soutenues par l'Espagne.
J'ai reçu des nouvelles de M. le comte d'Artois depuis son arrivée à Pétersbourg. Il est très content en tous points de son voyage qu'il aurait fait trois mois plus tôt, s'il avait suivi mes conseils. Il y a un mois que je lui ai mandé qu'à son retour de Pétersbourg il trouverait la contre-révolution faite, et faite sans lui, mais qu'il devait s'en réjouir ; que si sa gloire paraissait souffrir de n'avoir pas joué dans ce moment un rôle actif, on ne lui refuserait jamais le mérite d'en avoir été la première cause, d'avoir été imperturbable dans ses excellents principes, d'avoir donné la grande branle à l'Europe, d'avoir montré énergie, patience, sagesse et désintéressement, d'avoir été le soutien de la noblesse. Je lui mandais que d'ailleurs il avait encore une belle et noble carrière à parcourir ; car il ne suffit pas de rétablir la monarchie ; il faudra la maintenir, la consolider, l'honorer, et ce sera sa tâche.
J'ai depuis trois mois donné à Monsieur la démission de la place à son conseil ; vous devinez aisément les motifs qui m'y ont déterminé. Monsieur a bien voulu me témoigner les regrets les plus flatteurs pour moi, et même insister pour me faire changer à cet égard ; mais j'ai persisté dans le parti que j'avais pris après mûres réflexions. Tout ce qui est arrivé depuis, et tout ce qui se prépare, tout ce que j'entrevois, me fait m'applaudir de cette démarche prudente et prévoyante. D'ailleurs ma santé a besoin de repos et des douces jouissances de l'amitié. J'ai fait de reste tout ce que l'honneur me dictait, et je crois avoir bien acheté et gagné ma liberté ! Je laisse aux ambitieux toute prétention à des récompenses ; pour moi, je m'en tiens à l'estime que je suis sûr d'avoir acquise, au compte intérieur de ma conscience et aux sentiments de mes amis ; voilà le seul prix fait pour mon coeur.
Si Saint-Domingue est sauvé, je ferais vivre mes parents et mes amis ; sinon je vivrai à leurs dépens, et partout je serai heureux, aimant et aimé. Aimez-moi donc, mon cher comte, pour que mon bonheur soit complet ; vous le devez à la tendre amitié que je vous ai vouée pour ma vie.
Ecrivez-moi, écrivez-moi.
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Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
Lucius a écrit:Roi-cavalerie a écrit:
Nota: Comme vous le savez sans doute le duc de Luynes avait adhéré aux idées nouvelles et était resté en France. La duchesse de Luynes qui, sans doute partageait ses idées,
La duchesse de Luynes est elle-même une Montmorency Laval, toute sa famille est gagnée par les idées nouvelles.
Mme de Luynes, Guyonne-Elisabeth-Joséphine de Montmorency Laval, née en 1755, mariée en 1768 au duc de Luynes, Dame du Palais depuis 1775, fut néanmoins avec Mmes d'Aiguillon, de Castellane, de Coigny, de Lameth, de Tessé, du nombre des dames de l'aristocratie qui, au début de la Révolution, s'enthousiasmèrent pour les idées nouvelles et suivirent assidûment les séances de l'Assemblée Nationale . Le vicomte ( plus tard duc ) de Montmorency était son neveu .
( note de Léonce Pingaud )
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Re: Le réseau du comte d'Antraigues et la Révolution
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