La maladie de la princesse de Lamballe
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La maladie de la princesse de Lamballe
La princesse de Lamballe avait le malheur d'être réellement malade à une époque où les vapeurs et les névroses étaient à la mode, que des charlatans tels que Mesmer s'empressaient de soigner avec leurs méthodes officieuses et plutôt rocambolesques.
C'est grâce au Dr. Seiffert (ou Saiffert), d'origine saxonne, le médecin attitré de la princesse de Lamballe depuis 1785 (qui fut à deux doigts de la guérir entièrement après un traitement assez particulier et sévère), que nous avons obtenu des détails qui concernent sa maladie.
C'est en effet en 1805 que Seiffert insère un long article en allemand sur les particularités de la maladie de la princesse de Lamballe, intitulé « Die Krankheitsgeschichte der Prinzessin de Lamballe », dans Die Europäische Annalen (Les Annales Européennes), un périodique allemand dirigé jusqu'en 1804 par l'historien Ernst Ludwig Posselt (1763-1804), auteur d'une biographie sur Gustave III parue en 1792 ainsi que d'un livre sur le procès de Louis XVI publié en 1793.
C'est grâce au travail de traduction de Raoul Arnaud que nous possédons en français le récit circonstancié de la main de Seiffert (il a cependant omis quelques détails jugés superflus). L’article est mentionné pour la première fois en français dans le quatrième volume du Dictionnaire historique de la médecine ancienne et moderne, rédigé par Jean Eugène Dezeimeris en 1828-1839, sans toutefois qu’il y ait de traduction disponible à cette époque.
Arnaud l'a d'abord fait publier en trois parties dans le journal Le Temps du 20 au 22 février 1910, pour ensuite reprendre la matière dans sa biographie sur la princesse parue en 1911, plus précisément dans le chapitre « Intrigues et violences ».
Ensuite, c'est le Dr. Cabanès qui aborde le thème dans son livre « La princesse de Lamballe intime, d'après les confidences de son médecin » édité en 1926, se basant sur la traduction du même récit de Seiffert, qu'il avait fait faire par M. Louis Vicat en 1896, révisée ensuite par M. Otto Friedrichs.
Heureusement nous avons pu mettre la main sur l'article original paru en allemand dans les Annales européennes de 1805, car nous avons constaté quelques discordances et omissions dans les deux versions traduites, ce qui rend impératif la consultation de l'original paru en 1805.
Nous nous basons donc sur le texte en allemand mais citerons les traductions en français provenant des sources mentionnées ci-dessus, dans la mesure où celles-ci ne dévient pas du texte original.
Ailleurs, dans le neuvième tome de « La France littéraire ou dictionnaire bibliographique des savants, historiens et gens de lettres de la France, ainsi que des littérateurs étrangers qui ont écrit en français , plus particulièrement pendant les XVIIIe et XIXe siècles » (ouf ), édité en 1828, nous trouvons cet autre résumé sur les publications médicales de Seiffert :
Les clichés d'une princesse de Lamballe s'évanouissant devant un tableau avec des homards ou un bouquet de violettes, perdant conscience à tout bout de champ, devenue ainsi la risée de la cour, sont connus de tous. Si l'on écarte un instant ces stéréotypes qui, entre autres, trouvent leur source dans les préventions de Mme de Genlis contre les femmes moins intelligentes et moins brillantes qu'elle, on peut se demander à juste titre en quoi consistait exactement la pathologie de la princesse de Lamballe.
Dans les lettres de l'ambassadeur Mercy adressées à l'impératrice Marie-Thérèse, nous voyons de temps à autre passer le nom de la princesse de Lamballe, mais jamais dans des termes très élogieux. La faveur de la position de surintendante au sein de la Maison de la Reine qui lui est accordée en 1775 est suivie d'un mauvais œil de l'ambassadeur, à cause des dépenses que cela entraîne et les exigences de la princesse qui, sur les conseils du duc de Penthièvre son beau-père, très à cheval sur l'étiquette et les préséances, refuse qu'on en diminue les émoluments.
En 1776, Mercy rapporte notamment dans un de ses courriers destiné à la cour d'Autriche que la santé de la princesse de Lamballe est mauvaise et que cela l'oblige à des absences fréquentes pour se rendre aux eaux de Vichy ou de Plombières, où elle reste six semaines ou deux mois.
Un an après, en 1777, quand la princesse revient des eaux de Plombières, Marie Antoinette l'accueille avec des démonstrations de bonté qui toutefois ne trompent pas Mercy : « (...) cet accueil n'est qu'une forme de bienséance qui devient de plus en plus embarrassante et gênante. La reine cherche quelquefois à se tromper elle-même à cet égard, mais comme elle permet toujours, à l'abbé de Vermond et à moi, de lui exposer sans détour nos réflexions et nos remarques, S. M. finit par convenir de bonne foi que nous ne nous méprenons guère sur le vrai état de ses affections. »
Peu à peu, la princesse perd effectivement la confiance de la reine, et se voit exclue de son cercle d’amis intimes. La cause de l'éloignement entre la reine et sa surintendante, serait-elle la maladie de cette dernière, ou l’aggravement est-elle plutôt la conséquence de cet éloignement ? Nous examinerons la question plus tard, quand nous aurons suffisamment d'indices quant à la nature des maux de la princesse.
Il ne s'agit toutefois pas d'une disgrâce totale pour la princesse de Lamballe : elle ne perd pas sa place de surintendante. Voilà une des raisons pour laquelle les intrigues continuent d'aller bon train et redoublent d'intensité pour essayer de la perdre définitivement dans l'esprit de la reine et de la démettre de ses hautes fonctions si convoitées à la cour, si l'on peut se fier au récit de Seiffert.
C'est notamment ses défaillances physiques que ses adversaires mettaient en avant pour discréditer la princesse. Nous verrons plus loin, dans le récit de Seiffert, comment ses adversaires œuvraient et quels moyens ils employaient pour parvenir à leurs fins. Mais pour le moment, c'est-à-dire en 1777, Seiffert n'est pas encore apparu à l'horizon sombre de la princesse tourmentée par ses maux.
Quasiment tout ce que l'Almanach royal contenait de médecins à Paris et à la cour furent consultés, dont le fameux Dr. Tronchin ainsi que Lassone, médecin de la reine, mais aucun n'apportait un remède efficace aux maux physiques de la princesse de Lamballe, car personne, paraît-il, n'était parvenue à la diagnostiquer correctement. Leur diagnose se bornait à la conclusion que Mme de Lamballe fut épileptique, et quant à Lassone, il était d’opinion qu’elle souffrait d’une maladie chronique.
Or, suite aux prescriptions inefficaces dues à la diagnose erronée, l'état de la princesse s'aggrave d'année en année. Ses maux de tête s'accompagnent depuis 1782 de convulsions, et deux fois par jour la princesse tombe dans des crises dont elle ne revient que graduellement.
Voici ce qu'on peut lire à ce sujet dans le livre du Dr. Cabanès :
« On recourt aux calmants, à tous les antispasmodiques connus : graines de pavot, suc de laitue, fleurs de tilleul et fleurs d'oranger, feuilles de mélisse et de vulnéraire, liqueur d'Hoffmann et laudanum de Sydenham; camphre et pilules de Fuller. Les drogues les plus disparates de la pharmacopée sont mises à contribution, sans succès.
Après la thérapie, le bouillon de tortue ; les décoctions de fleurs de sureau alternent avec les pilules d'ipéca, la poudre tempérante de Stahl avec la poudre de nénuphar et l'esprit de nitre dulcifié. (...) Tout cet arsenal thérapeutique restait sans action, et loin de disparaître, les accès semblaient augmenter. »
Qu'on ait achevé la princesse plutôt que de la guérir, après lui avoir prescrit toutes ces potions pour le moins burlesques, ne nous aurait guère étonnés. ( )
En septembre 1784, la marquise de Lage de Volude, une des dames de la princesse, écrit ceci à propos d’elle dans un billet adressé à Mme de Polastron : « J’ai été hier à la Comédie Italienne, ma chère amie. J’y ai vu Mme de Lamballe avec Mme de Las-Cases. Elle n’avait pas mis de rouge et de loin elle était d’une pâleur horrible. »
En 1785, désillusionnée et désespérée, la princesse de Lamballe finit par accepter de se faire ausculter par le docteur Seiffert, médecin consultant du comte d’Artois, répertorié dans l’Almanach Royal (édition de 1785 pour l’extrait) sous le nom de "Seiffer" :
C’est d’ailleurs le comte d’Artois qui, dans une lettre adressée à la marquise de Lage de Volude le 27 octobre 1785, fait mention de l’état de santé fragile de la princesse de Lamballe : « L’humeur que la princesse de Lamballe vous a témoignée ne serait pas excusable, si elle-même n’était pas aussi souffrante et si elle n’avait pas besoin de vos soins. Cette humeur vous donne une preuve entière de son amitié ; et quand même votre cœur ne vous y porterait pas, il est de votre intérêt de chercher à la conserver. Dans le fond c’est une bien bonne femme (...) ».
Il va sans doute que l’état de santé lamentable de la princesse lui donnait des sauts d’humeur.
Selon les biographes Cabanès et Raoul Arnaud, Seiffert aurait également été le médecin en chef du beau-frère de la princesse, le duc de Chartres (devenu duc d'Orléans plus tard dans l'année), qui lui aurait déjà proposé depuis quelque temps d'envoyer Seiffert à son chevet. Cependant, aucune trace de ceci dans les Almanachs royaux de ce temps ; pourtant, le duc de Chartres (plus tard Orléans) y est quand même mentionné avec son arsenal de médecins, comme les autres princes de la Maison Royale.
Étant donné la perspicacité du comte d’Artois dans sa lettre à la marquise de Lage de Volude et le fait que Seiffert fut un de ses médecins consultants, on serait plus enclin à croire que c’était sur les conseils du comte d’Artois, peut-être par l’intermédiaire de la comtesse de Lage de Volude, que la princesse de Lamballe avait fait appel aux services du docteur.
Quoiqu’il en soit, Seiffert avait établi une solide réputation à Paris, et la princesse de Lamballe a sûrement entendu les échos de ses succès, ce qui l’a incitée à l’appeler à son chevet.
Vous vous demanderez peut-être à juste titre : Qui était ce mystérieux docteur Seiffert, d'où vient-il et que faisait-il en France ?
Originaire de Saxe en Allemagne, né à Leipzig en 1747, nous ignorons pratiquement tout de la vie d'Andreas (parfois on fait mention de Jean-Geoffroy) Seiffert ou Saiffert, à part les quelques bribes d'information qu'il a bien voulu nous communiquer lui-même. Selon ses dires, il pratiquait la médecine en Allemagne mais aurait été chassé de ce pays par un certain comte de Lusace qui, pendant quelque temps, était son employeur ; Seiffert ne nous dit toutefois rien sur les causes de cette disgrâce. Étant donné son esprit de liberté et son franc-parler (nous verrons plus loin quel ton il emploie vis-à-vis du duc de Penthièvre), cela ne nous étonnera guère que ce comte de Lusace était offusqué par le ton et les manières employés par Seiffert.
Attiré par la philosophie des Lumières, le progrès de la science et sans doute aussi la franc-maçonnerie, il trouve rapidement le chemin vers la France où il s'installe dans des bourgades en tant que médecin traitant au début des années 1770. Ce ne sera qu'en 1774 ou 1775 que Seiffert s'installe à Paris, rue Croix-des-Petits-Champs, dans la maison du chirurgien-dentiste Bourdet.
Comme la mode était aux étrangers, il se faisait rapidement une clientèle. Depuis la mort du Dr. Tronchin, Seiffert gagne peu à peu en renommée, à tel point qu’il devient médecin-consultant du comte d’Artois.
S'il est avéré que Seiffert était franc-maçon, il n'est pas étonnant qu'il soit aussi devenu médecin en chef du Palais-Royal, le duc d'Orléans étant lui-même grand maître de la Grande Loge de France de la branche franc-maçonne installée à Paris depuis 1728.
Nous voilà donc arrivés à l'époque où le destin de la princesse de Lamballe, elle-même franc-maçonne, va croiser celui de Seiffert. C'est précisément en juin 1785 que la princesse fait appel à lui. Voici ce qu'il en dit lui-même de cette première entrevue avec la princesse dans son récit rédigé vingt ans après les faits :
« En l'année 1785, vers la fin du mois de juin, je fus appelé auprès d'une femme âgée de 36 ans ; cette femme mérite, en raison de sa destinée malheureuse, d'être nommée : c'était la princesse de Lamballe, massacrée d'une manière horrible et cruelle, malgré son innocence, à Paris, en 1792, par les septembriseurs. Cette innocence et cette triste fin me feront pardonner quelques détails véridiques et utiles à l'histoire, bien qu'ils ne se rapportent pas à mes traitements médicaux des affections chroniques... Cette femme, qui fut si atrocement mutilée, avait été déclarée épileptique et incurable par les médecins qui la traitaient d'habitude ; elle tombait tous les jours à la même heure subitement sans connaissance, dans des convulsions qui duraient deux heures ; elles étaient suivies de neuf heures de léthargie cataleptique, et après onze mois de traitement, elle fut radicalement guérie. Il était naturel qu'elle m'engageât à continuer à rester son médecin. »
« Quelques détails véridiques » nous écrit Seiffert. On est pourtant en droit de s'interroger sur la véracité de son récit.
Qu'est-ce qui parle en sa faveur, et qu'est-ce qu'on peut lui poser comme objections ?
Tout d'abord, il ne faut pas oublier que Seiffert était un républicain dans l'âme, faisant partie du club des jacobins et sans doute, lors de la Révolution, mêlé aux intrigues de la faction des Orléans.
Il fut en même temps un médecin qui prenait sa profession au sérieux, sans égard au rang de la personne, traitant des patients d'origine noble et roturière de la même manière.
C'est sans doute ce professionnalisme qui a fait qu'il s'intéressait au cas médical assez particulier de la princesse de Lamballe, et qu'il a mis toute sa volonté et tout son savoir-faire dans la guérison de celle-ci, sans égard au haut rang de la princesse.
Ce qui me paraît parler en faveur du récit qu'il a fait de l'historique de la maladie de la princesse de Lamballe, c'est le fait que Seiffert, en tant qu'étranger, n'avait nul besoin de se justifier de ses actions en 1805 (année de publication de son récit), comme c'était le cas de certains révolutionnaires ou adeptes de Napoléon sous la Restauration dix ans plus tard.
En outre, rompant avec le secret médical dans le cas de la princesse de Lamballe, c'était en quelque sorte lui rendre justice, après la tourmente révolutionnaire et la haine dont la princesse était la triste victime.
De surcroît, en 1785, la princesse de Lamballe était encore en bons termes avec son beau-frère Louis-Philippe, et comme lui (et sans doute Seiffert) membre de la Franc-maçonnerie. Après les liens noués depuis cette année-là et l'amélioration de la santé de la princesse qui était due aux bons résultats du traitement, il n'est pas étonnant que Seiffert ait pris à cœur le sort de sa patiente, et, après l'assassinat de celle-ci, ait voulu rendre public les impressions qu'il a retenues d'elle en tant que témoin oculaire.
Revenons maintenant à son récit.
Seiffert veut bien guérir la princesse, à la seule condition qu'elle se confesse à lui complètement et ne lui cache rien de sa vie passée. Elle doit répondre à toutes les questions qu'il lui convient de poser ; seulement de cette manière il lui sera possible de reconnaître la nature du mal de la princesse.
Ainsi, Seiffert devance Freud, en voulant creuser dans la psychologie de la princesse de Lamballe afin de l'aider à retrouver l'origine de sa constitution maladive.
La princesse acquiesce, prête à tout pour sortir au plus vite de son lamentable état.
- Interrogez, monsieur, interrogez, dit-elle, je n’ai rien à vous cacher.
Elle raconte à Seiffert comment elle souffre de maux de tête fréquents depuis sa plus tendre enfance :
« (…) ces douleurs diminuèrent vers l’âge de douze ou treize ans et je ne souffrais plus alors que tous les mois, à des périodes régulières. On m’assura que, dès que je serais mariée, cesseraient complètement ces douleurs de tête. Il n’en fut rien ; au contraire, après mon mariage, mes souffrances devinrent plus vives et de plus longue durée.
Mon médecin ordinaire et Tronchin me firent prendre des calmants qui ne me soulagèrent point et, au début de 1782, je commençais à avoir des défaillances et des convulsions. Je cherchais du secours chez les médecins les plus célèbres. Hélas ! C’est sans doute l’usage de leurs médicaments qui m’a précipitée dans une situation faite pour inspirer l’effroi et la tristesse à tout le monde. De deux jours l’un, l’après-midi, exactement je tombe, monsieur, tous les deux jours, après une heure, dans une attaque d’un mal qui m’est inconnu, et je reviens à moi peu à peu, mais actuellement au bout de neuf heures seulement, et je reste comme brisée. »
Chaque six mois, les remèdes avaient changé. Ils avaient consisté, pour la plupart, en narcotiques et en calmants. Le plus grand nombre des formules du gigantesque Codex du dix-huitième siècle semblait avoir été employé, depuis l’inoffensif millefeuille de mouton jusqu’à l’herbe-aux-chats… ( )
Seiffert continue son interrogatoire en demandant à la princesse si elle a eu la teigne ou des poux dans le passé, et si quelquefois elle a rendu des vers.
Il poursuivait son enquête en demandant à la princesse si elle a eu des maladies de la peau, la rougeole ou la petite vérole ; ensuite, si elle a eu ses règles de façon régulière. Il va plus loin encore dans son enquête, jusqu’à creuser dans la vie la plus intime de la princesse, lui demandant si elle s’est donnée des fois à des attouchements d’ordre intime. Dans le texte allemand, nous lisons le terme « Selbstspiel » dans la question que Seiffert pose à la princesse, ce qui veut dire « masturbation ». Dans les textes français d’Arnaud et de Cabanès, cette question pour le moins explicite et directe est omise. Sans doute dû à l’influence du puritanisme qui régnait à la fin du XIXe siècle.
Toutefois, n’oublions pas qu’au XVIIIe siècle la masturbation était considérée comme un mal qui provoque bon nombre de maladies. Pensons par exemple au livre si répandu du Dr. Tissot (« L’onanisme. Dissertations sur les maladies produites par la masturbation », Lausanne, 1761) qui a connu un grand succès dans le monde médical jusqu’au début du XIXe siècle. Outre le fait qu’au XVIIIe siècle, la pudeur n’avait pas encore fait ses entrées (on appelait un un ) dans toutes les classes de la société, il n’y avait donc rien d’étonnant dans cette question posée à la princesse.
La princesse répond que, un peu avant son mariage, elle s’y était adonnée, mais que depuis lors elle avait abandonné cette « pratique ». Elle évoque en même temps les rumeurs qui courent que la reine et elle se seraient adonnées à des pratiques licencieuses de ce genre ; rumeurs qu’elle réfute catégoriquement.
« Je vous l’aurais dit, s’il en avait été autrement » dit-elle à Seiffert.
N’empêche que depuis son veuvage, l’espoir de contracter un autre mariage avec un prince du sang étant quasiment exclu, elle avoue au docteur d’avoir pris un amant. Toutefois, s’il est dans l’intérêt du traitement que Seiffert lui proposera, elle est prête à sacrifier cette liaison. Dans le texte allemand, nous lisons ce que Seiffert a dit à ce propos : « Die Beleibung wurde von mir verboten ». Ce qui veut dire qu’il lui a interdit les rapports sexuels avec l’amant en question, le temps de sa cure.
Une dernière question de Seiffert : - Avez-vous été enceinte ?
La réponse : non.
Après cette première entrevue avec la princesse, rendez-vous est pris pour le lendemain, dans sa demeure à Passy, car Seiffert aimerait observer lui-même en quoi consistent exactement les crises de la princesse et quel en est la durée.
(Vue sur l'hôtel de Passy depuis les bords de la Seine)
Voilà les impressions de Seiffert après avoir vu comment la princesse tombe dans un état de léthargie absolue :
« Vers une heure cinq minutes, elle devint pâle comme la mort, son pouls tomba jusqu’à soixante-cinq pulsions ; à une heure dix minutes, ses paupières se fermèrent, après s’être abaissées trois fois de suite ; puis il se produisit des spasmes précipités des muscles des yeux, auxquels succédèrent de violentes secousses convulsives de tout le corps. Elle tenait la bouche strictement fermée, et je n’ai point remarqué qu’il s’en échappât le moindre filet de salive, contrairement à ce qui s’observe dans l’épilepsie. »
Ensuite, le docteur va palper la princesse et découvre une sorte de tuméfaction dure qui avait la grosseur de l’œuf d’une oie. Selon Seiffert, cette tumeur était sans aucun doute la cause de la maladie de la princesse de Lamballe ; or, il est manifeste que Seiffert avait pris l’effet pour la cause.
Les convulsions de la princesse duraient deux heures et vingt minutes, après lesquelles la princesse restait encore plus de six heures sans conscience. Les phénomènes observés pendant les convulsions disparaissaient petit à petit, et quand la princesse revenait à elle, un sifflement partait du gosier et son pouls redevenait normal.
Seiffert allait revenir le lendemain pour examiner sa patiente une fois de plus, quand celle-ci aurait retrouvé son état normal, pour ensuite établir la cure à suivre.
Alain Vircondelet, dans sa biographie, nous dit ceci à ce propos : « Peut-être plus intuitif que ses confrères, qu’il tenait dans le plus profond mépris, Seiffert avait décelé chez [la princesse] une nature d’une telle complexité qu’elle était selon lui la cause de sa maladie. La princesse souffrait en effet d’une maladie d’origine à la fois épileptique et d’un dérèglement du système nerveux proche de l’hystérie. »
Le verdict de Seiffert est le suivant :
« En matière scientifique, il faut, avant toutes choses, employer les termes les plus explicites. On a, jusqu’à présent, considéré la maladie chronique de la princesse comme une variété d’épilepsie, je suis d’avis qu’elle appartient plutôt à l’espèce des affections léthargiques ; pour parler un langage qui soit compris de mes confrères, j’estime que c’est une léthargie chronico-périodique, précédée de convulsions orageuses et cataleptiques.»
Ensuite, dans son récit, nous retrouverons une longue prescription diététique ainsi qu’une énumération de ce que la princesse devra prendre comme poudres, aliments ou boissons et aussi toutes les substances qu’il faudra éviter.
Seiffert croit qu’avec le traitement qu’il donnera à la princesse, il pourra la guérir dans onze mois, à condition qu’elle s’engage à respecter les prescriptions du docteur.
Mme de Lamballe, heureuse de cette annonce d’une éventuelle guérison, voudrait que Seiffert devienne son médecin attitré. Mais Seiffert, étant déjà trop sollicité ailleurs, refuse, en lui disant qu’il suffira qu’elle suive le traitement prescrit et qu’elle garde son médecin habituel.
Le lendemain, Seiffert est convoqué chez le duc de Penthièvre. Il croyait que le duc voulait peut-être aussi faire appel à son savoir-faire médical. Loin de là, c’était justement pour critiquer son savoir-faire et émettre des doutes quant à la guérison de sa belle-fille.
Le duc de Penthièvre trouvait que c’était un acte irréfléchi de la part de Seiffert de rejeter tous les avis des médecins du pays et de prétendre guérir Mme de Lamballe, là où tous les médecins français étaient unanimes dans leur verdict que la princesse était inguérissable.
Le duc signalait ensuite à Seiffert que sa belle-fille est une princesse du sang et que lui n’est qu’un étranger, de surcroît pas catholique. Il était donc d’avis que la démarche de Seiffert était irresponsable et pourrait, au lieu d’améliorer la santé de la princesse, abréger ses jours.
Nous pouvons aisément nous imaginer que Seiffert devait se sentir piqué au vif après ces observations peu clémentes de la part du duc.
S’il n’est pas, lui dit-il, de la même foi que le duc, en tant que honnête médecin il traite ses patients selon sa conscience, et plus encore, en tant que médecin éclairé, sa seule religion c’est de faire le bien, en laissant toutes les formes extérieures de la religion aux autres (et toc ). S’il n’a pas demandé l’avis aux autres médecins, c’est qu’ils se sont trompés quant à l’origine du mal de la princesse et fatalement aussi des remèdes à proposer.
Seiffert poursuit sa défense en disant que le rang de la princesse ne joue aucun rôle dans le traitement qu’il lui donne, que pour lui la princesse est une patiente comme une autre et que la santé ne connaît pas de préséance.
- Croyez-vous peut-être, dit-il au duc, que votre naissance vous a donné d’office des connaissances en médecine qui vous permettent de juger sur le cas médical de votre belle-fille ? En vous opposant par amour paternel au traitement que je propose à votre belle-fille, ce sera plutôt vous qui risquerez d’abréger les jours de la princesse et d’avoir d’éternels regrets par la suite.
Pour terminer sa défense, Seiffert rappelle au duc de Penthièvre qu’il ne s’était nullement imposé à sa belle-fille, mais que c’est elle qui, de son propre chef, lui avait demandé d’être auscultée.
Que le duc était choqué après cette réplique franche du docteur va sans dire. Il lui dit qu’il n’a ménagé en lui ni le prince, ni le père ; il admet tout de même que Seiffert est un homme consciencieux, même s’il parle sur un ton un peu trop libre, et qu’il n’y a donc rien d’autre à faire qu’à se résigner à être le spectateur d’une entreprise hasardeuse.
Avant de prendre congé du duc, Seiffert le rassure en lui disant que si la princesse s’engage à suivre méticuleusement ses prescriptions, il n’y a absolument rien à craindre.
Sur ces entrefaites, il retourne immédiatement voir la princesse de Lamballe pour lui communiquer l’entrevue qu’il a eu avec son beau-père.
« Pardonnez mon cher beau-père s’il vous a offusqué ; il prend simplement mon état trop à cœur. » dit-elle à Seiffert, en ajoutant que sa confiance en lui restera inébranlable.
Puis, elle lui tend une lettre de la reine dans laquelle nous pouvons lire :
« J’ai reçu votre lettre hier un peu tard, ma chère cœur, et j’ai tout de suite fait appeler Lassone auprès de moi et lui ai remis la consultation et les prescriptions de votre nouveau médecin. Il m’a répondu sur un ton de joyeuse humeur : je connais à fond cette tête d’allemand ; il ne promet que ce qu’il peut tenir ; il a promis de porter secours à la princesse, elle peut compter sur sa promesse ; nous n’avons, quant à nous, rien d’autre à faire qu’à tenir nos avis pour nuls. Ce n’est pas la première fois qu’il nous fait de semblables affronts, mais l’honneur de la science médicale prime toute autre considération.
Vous ne sauriez-vous figurer, amie très chère, le baume qu’à versé Lassone dans mon cœur, que votre maladie afflige profondément. »
Pour Seiffert il y a de quoi être flatté dans cette lettre. En tout cas, cela motive la princesse d’insister le lendemain pour qu’il devienne son médecin principal, ayant perdu confiance en son médecin traitant actuel, qui la croyait perdue. Seiffert répète ses objections, estimant son confrère parfaitement capable de suivre la princesse et de veiller à ce que le traitement prescrit soit respecté. Mais la princesse de Lamballe, tombant en pleurs, persiste en disant que son médecin actuel l’a déclarée incurable et que dès lors, il lui est impossible de le garder comme médecin. Seiffert lui promet par la suite de lui rendre visite chaque jour jusqu’à la fin de sa cure.
Quant à la lettre de Marie-Antoinette, est-elle authentique ? Nous l’ignorons, n’ayant que la copie que Seiffert nous donne dans son récit publié dans le journal allemand « Die Europäische Annalen ». Il est impossible, en tout cas, qu’on retienne mot pour mot une lettre écrite vingt ans après les faits ; alors, soit Seiffert avait demandé de copier la lettre, soit, au cas où il a vraiment été question d’une lettre, Seiffert l’a peut-être retranscrite à son avantage.
Nous voilà donc arrivés au moment où la cure de la princesse est entamée.
Nous verrons dans ce qui va suivre que le docteur Seiffert a failli payer de sa vie son dévouement à la princesse.
Car peu après le dernier entretien qu’il a eu avec la princesse de Lamballe, un duc d’une certaine importance (Seiffert ne dit pas son nom) se présente dans son cabinet, avec la proposition suivante :
« Vous avez conquis déjà une assez grande renommée dans votre art, pour qu’il vous soit indifférent de chercher à l’accroître par le succès d’une cure, si retentissante soit-elle. Vous risquez, par contre, de vous faire de puissants ennemis et de n’en recueillir qu’ingratitude et déboires. Voulez-vous vous assurer des amis haut placés et obtenir une charge de fermier général des douanes ? Il vous suffira de déclarer que la princesse de Lamballe est atteinte d’épilepsie, que la guérison de son affection est impossible ; que la vue seule de son mal n’est pas sans danger pour des femmes enceintes qui l’approcheraient ; si vous acceptez, au jour fixé par vous, je vous apporterai le brevet de la fonction qui vous est destinée. »
Comme nous pouvions nous en douter, la réaction de Seiffert ne tarde pas : « Pour qui me prenez-vous ! » s’exclame-t-il ». Le duc en question osait encore répondre « Pour un homme de bon sens et un médecin célèbre. ». Quand Seiffert lui demande de quitter sur-le-champ son cabinet, le duc essaie encore de parler, mais Seiffert crie « Non, non… ». Alors en partant, le duc lui dit qu’il s’était attendu à plus de sagesse de sa part. Alors Seiffert lui répond : « Vous auriez dû vous attendre à de la sincérité. » en fermant la porte derrière lui.
Les menaces n’en restaient cependant pas là.
Retournons d’abord à Marie-Antoinette et les intrigues dont elle était entourée à la cour. Probablement poussée par son entourage, elle avait envoyé une lettre au Dr Seiffert, lui demandant s’il était vrai que la maladie de la princesse pouvait avoir une influence néfaste sur des femmes enceintes et s’il pouvait affirmer que la maladie dont souffrait la princesse de Lamballe était bien curable. La reine, selon le récit que Seiffert nous donne, serait à nouveau tombée enceinte, après la naissance du duc de Normandie en mars 1785. Nous savons toutefois que cela ne se pouvait pas, étant donné que le quatrième enfant, Sophie Hélène Béatrix, était venue au monde le 9 juillet 1786.
Désagréablement surpris par une telle lettre, Seiffert s’empressait toutefois de rassurer la reine et d’affirmer avec véhémence que le contact avec l’illustre malade ne comportait aucun danger et que si la princesse respectait les consignes données par lui, finirait par se rétablir entièrement au bout de la cure imposée.
Peu après, Lassone répandait un peu de lumière sur cette étrange lettre que Seiffert avait reçu de la part de Marie Antoinette. Seiffert note dans son récit que le médecin de la reine lui expliquait qu’une intrigue à la cour était à l’origine de tout ceci ; un prince du sang convoitait pour sa fille la place de surintendante de la reine et ferait tout en son pouvoir pour s’accaparer de cette place en faveur de sa fille. Dans ce but, des pamphlets étaient distribués à Versailles et étaient mis dans des endroits où ils allaient certainement tomber entre les mains de la reine.
Dans ces libelles la maladie de la princesse était annoncée incurable et la toucher serait dangereux pour une femme enceinte.
On essayait d’ailleurs en vain de convaincre la princesse qu’il fallait se résoudre à abandonner un poste dont elle ne pouvait plus exécuter les multiples tâches tout aussi pénibles qu’astreignantes.
Marie Antoinette, de son côté, avait demandé à Seiffert qu’il lui transmette tous les deux jours le bulletin de santé de la princesse de Lamballe ; cela permettait au docteur de lui révéler la visite inopportune du duc et sa tentative de le corrompre. La reine, au bout du compte, lui savait gré de lui avoir dévoilé toutes ces manigances et turpitudes.
Depuis ce moment, elle avait fait tout ce qui était dans son pouvoir pour contrecarrer les intrigues qui s’étaient formées autour d’elle pour écarter la princesse de son entourage et la défaire de ses charges importantes à la cour.
Depuis lors, nous constatons effectivement un rapprochement de Marie Antoinette avec sa « chère Lamballe ». Un rapprochement qui coïncidait avec l’époque où le frère bien-aimé de la princesse, Eugène-Marie de Carignan, était subitement décédé le 30 juin 1785. Une raison de plus pour la reine de renouveler son affection pour son ancienne amie.
Seiffert recevait au mois de juin 1785 une autre lettre de menaces anonyme dans laquelle il était écrit que les médecins français n’allaient pas être les témoins impuissants et passifs et qu’il pouvait s’attendre à une belle vengeance de la part d’eux.
Comme nous pouvons nous en douter, Seiffert n’était pas impressionné par ces menaces et continuait tranquillement le traitement qu’il avait prescrit à la princesse.
Vers la mi-août, les premiers effets positifs commençaient à être visibles et rapidement la bonne nouvelle se répandait à Paris et à la cour.
De nouvelles lettres de menaces anonymes, allant jusqu’à des menaces de mort, ne tardaient cependant pas d’arriver dans le cabinet du docteur vers la fin du mois d’août.
Le 29 août, des pierres étaient lancées contre les vitres de son carrosse qui volaient en éclats. Le lendemain soir, en sortant de chez la princesse, il était agressé par trois hommes ; heureusement, grâce à des passants, Seiffert a pu s’enfuir, n’ayant qu’une blessure pas trop grave. Il ne disait mot de cet incident à son cocher, ni à son valet.
Ensuite, le 1er et le 11 septembre, les vitres de son carrosse étaient à nouveau brisées par des pierres.
Les attaques contre le docteur n’en restaient cependant pas là.
Le 17 septembre, s’étant rendu chez une patiente, il y trouvait une jeune marquise.
Seiffert, désirant boire sa bière allemande, la marquise lui dit qu’elle voulait se joindre à lui dans la dégustation de cette bière, en ordonnant au valet d’apporter deux verres. Après avoir entamé le premier verre, Seiffert trouvait que la bière avait un goût de plomb et commençait à se sentir très mal. Il était en proie à des crampes et des accès de fièvre. De retour chez lui, il essayait de remédier au mal qui l’atterrait, mais sans succès.
Il a dû faire appel à un chirurgien de la maison d’Orléans au nom d’Imbert. Après avoir été pendant vingt-six heures entre la vie et la mort, Seiffert s’en sortait, probablement dû à sa robuste constitution.
Pour ne pas exciter davantage la haine de ses persécuteurs, le docteur n’a jamais dit un mot de cette tentative d’empoisonnement pendant son séjour en France.
A partir du mois d’octobre, il était de nouveau en état de faire la tour des visites à ses patient(e)s.
Toutefois, pendant l’absence de Seiffert, l’état de la princesse, qui soupçonnait que Seiffert avait peut-être subi une attaque à cause de son dévouement pour elle, ne s’améliorait plus. Mais dès son retour, après quelques semaines, la princesse semblait être entièrement guérie.
La princesse de Lamballe envoyait un bulletin à la reine, ensuite la bonne nouvelle de la guérison se répandait vite à Paris. Les félicitations à l’adresse du docteur venaient de toutes parts. Même le duc de Penthièvre envoyait une lettre à Seiffert dans laquelle il s’exprime en des termes flatteurs.
Quand Seiffert rencontrait Marie Antoinette chez la princesse, toujours d’après son récit, elle aurait commencé à lui parler en allemand pour critiquer haut et fort la nullité de la médecine française (excepté Lassone) et de louer le savoir-faire des médecins allemands.
Nous savons toutefois ce que la reine a dit à la baronne d’Oberkirch à propos de sa connaissance de l’allemand en 1782 ; or, nous ferions mieux de prendre les mots qu’il met dans la bouche de la reine avec des pincettes.
Seiffert est, semble-t-il, un homme habile pour se donner de l’importance en mettant des propos dans la bouche des autres qu’il se gardait d’avancer lui-même. Évidemment, en 1805 il n’y avait plus personne pour corroborer ses dires, surtout loin de la France, dans un périodique allemand.
S’il y a souvent un fond de vérité, nous avons parfois du mal à distinguer quelle est cette part de vérité, et quelle est l’exagération.
Sensible qu’il était aux plus démunis, Seiffert a également saisi l’occasion de parler de son idée de fonder un hospice pour maladies chroniques. Aussi bien Marie Antoinette que la princesse de Lamballe étaient enthousiastes à l’idée d’un tel hospice, et la princesse promettait un soutien financier fort important.
Survient ensuite une dernière tentative d’abréger les jours du docteur. Quelque temps après l’entretien qu’il a eu avec la princesse de Lamballe et la reine, il était assis un soir dans son cabinet et s’occupait de quelques prescriptions, quand soudainement il entendait briser une des fenêtres avec beaucoup de fracas. Le docteur, toutefois, n’en faisait pas grand cas, et continuait à visiter ses malades le soir même de cet incident. Le lendemain matin, son valet trouve une balle dans son cabinet. Alors il était clair qu’une tentative d’assassinat s’était produite. De nouveau, Seiffert cachait tout à la princesse.
Peu de temps après, c’était elle qui a failli mourir suite à ce que Seiffert croyait d’abord être un empoisonnement, après l’aveu de la princesse qu’elle avait mangé des truffes qu’elle croyait être envoyées par sa belle-sœur la princesse de Carignan depuis Turin, mais cet empoisonnement s’avérait plutôt être une intoxication suite à l’usage de poêles de cuivre dans la cuisine de la princesse.
(Tableau de Pehr Hilleström)
Le plus beau jour, selon Seiffert, fut celui où il était convaincu que la princesse, après quelques rechutes, était entièrement guérie.
Maintenant que cette heure du triomphe sur ses adversaires avait sonné, le docteur était d’avis que la princesse devrait de nouveau retourner vers son médecin habituel. Mais la princesse ne l’entendait pas de cette oreille et suppliait le docteur de continuer ses services auprès d’elle en tant que médecin attitré, malgré les objections de celui-ci.
Fatalement, après tant d’années d’attaques où son corps était sujet à des crampes pendant de longues heures, la princesse continuait à souffrir de douleurs musculaires. Seiffert avait alors conçu l’idée qu’elle devrait prendre des bains de vapeurs ; cette pratique n’étant pas répandue en France suite à des idées préconçues que c’était là des traitements pour des aliénés ou des gens victimes de morsures provenant de chiens enragés.
Seiffert recommandait alors à la princesse les bains à vapeurs à Brighton en Angleterre.
Après quelques hésitations, la princesse consentit, et en juin 1787 les préparatifs étaient entamés, mais quand la princesse lisait les recommandations que Seiffert avait rédigées pour ses confrères anglais, elle prenait peur.
Seiffert, prédisant les effets que les bains pourraient avoir sur la princesse, mentionnait dans sa lettre qu’elle pourrait être sujette à des fièvres, des éruptions cutanées ainsi qu’un retour éventuel des attaques.
Elle refusait de partir, si Seiffert ne l’accompagnerait pas à Brighton ; il ne voulait cependant pas partir avec la princesse, car il avait bon nombre de patients et d’engagements à tenir à Paris.
Ce n’était que grâce à l’intervention du duc d’Orléans, que Seiffert finissait par fléchir.
Quoique la princesse s’empresse de promettre à Seiffert une modique compensation de vingt mille livres, il prétend dans son récit que ce n’était absolument pas pour ces raisons pécuniaires qu’il avait accepté de la suivre.
Si d’aucuns avaient cru un jour qu’il y avait peut-être une liaison amoureuse entre la princesse et le docteur, vu les réticences à l’accompagner à Brighton, et le peu d’empressement qu’il avait d’abandonner ses autres client(e)s à Paris, nous pouvons avec quelque certitude écarter cette idée.
La princesse précédait le docteur à Calais, où elle l’attendait avec impatience. Afin de faire accélérer le voyage du docteur, Marie-Antoinette, par l’intermédiaire de la princesse, avait mis à la disposition du Dr Seiffert un carrosse aux armoiries de la reine. Trois jours après l’arrivée de la princesse, Seiffert arrivait à Calais. Ayant le vent en poupe, ils arrivaient à Douvres seulement après trois heures en bateau.
La première étape fut Londres, où la princesse et le docteur restaient 12 jours, ensuite ils redescendaient vers la côte méridionale en direction de Brighton.
(Brighton au début du XIXème siècle)
A Brighton, la princesse de Lamballe devait prendre pendant 13 jours d’affilée les bains de mer prescrits par le docteur, ainsi que les douches de vague. Comme Seiffert l’avait prédit dans sa lettre de recommandation pour ses confrères anglais, la princesse commençait à avoir des accès de fièvre, suivis par des éruptions cutanées. Grâce à des tisanes purgatives, ces éruptions disparaissaient et les bains de mer furent continués chaque jour.
La condition physique de la princesse s’améliorait rapidement et là où au début elle était essoufflée quand elle avait fait cent pas, elle pouvait maintenant faire une bonne heure de marche sans être fatigué. Sans doute le dépaysement, loin des turpitudes de la cour et de Paris, y fut pour quelque chose.
Nous constatons le bon moral de la princesse dans une épître que la princesse adresse depuis Brighton à sa dame de compagnie Mme de Lage de Volude, dans laquelle elle lui fait part de ses impressions d’une cantatrice qui s’efforçait de jouer avec tout son sérieux le rôle de Ninon, d’une pièce de théâtre fort à la mode à cette époque, mais qui, selon la princesse, était dans les bras du ridicule comme Mme de Mazarin l’était à Paris.
Comme les absents ont toujours tort, les intrigants de Versailles ont saisi cette occasion de l’absence de la princesse, pour essayer une nouvelle fois de la discréditer et essayer de récupérer son poste de surintendante.
D’après le récit du docteur, ce serait un des valets du roi qui lui aurait mis au courant de ces intrigues. Seiffert voulait les cacher à la princesse, mais elle, à son tour, recevait un courrier de la part de la reine, dans lequel elle lui fait part de sa satisfaction que la cure de la princesse a eu les résultats espérés, et que, maintenant qu’elle va mieux, la présence du docteur n’est plus nécessaire et qu’il est rappelé à Paris sur ordre du roi.
La princesse apprend alors ce qu’on dit à Paris à propos d’elle et du docteur. Elle n’est pourtant pas impressionnée par ces ragots, puisqu’elle a l’habitude d’entendre ce genre de venin de la bouche des courtisans à Versailles et ailleurs. Courtisans aux mœurs dépravés qui, selon Seiffert, ne comprendront jamais qu’un homme pourra suivre une femme sans qu’il y ait question d’une liaison sexuelle ou amoureuse.
Aidé par les conseils du docteur, la princesse rédige une réponse à sa royale amie, dans laquelle elle ménage à peine son indignation et sa colère face à des intrigues auxquelles même le roi a pu maintenant prêter foi.
Quant au docteur, il n’était pas le moins du monde déconcerté par le rappel en France que le roi lui imposait. En tant qu’étranger, le roi n’avait pas d’ordres à lui donner ; la seule chose que le roi pouvait faire à un étranger, c’est le bannir, et voilà qui était déjà fait, puisque Seiffert était en Angleterre. De surcroît, grâce à sa renommée et le succès du traitement qu’il avait imposé à la princesse de Lamballe, il avait reçu des propositions alléchantes pour rester de l’autre côté de la Manche. Cela inquiétait évidemment la princesse, qui ne voulait à aucun prix que le docteur l’abandonne à son sort.
Quand la princesse recevait la réponse de la reine, quelques mots de Louis XVI se trouvait en bas de la lettre, pour lui dire qu’il regrette qu’il a pu douter un moment de sa sincérité et celle du docteur, et qu’il serait peiné qu’à cause de son erreur de jugement, le docteur resterait en Angleterre, et que sa cousine (la princesse) serait privée de ses soins.
Seiffert, néanmoins, reviendra en France, mais avant de reprendre la route pour Douvres, il voulait visiter quelques hôpitaux et établissements de santé à Londres et à la campagne anglaise. La princesse insistait à le suivre au cours de ses déplacements en Grande-Bretagne, durant lesquels elle avait conçu l’idée d’acheter une propriété en dehors de Paris avec ses économies, pour en faire des établissements de santé pour les plus démunis, et où elle pouvait vivre paisiblement.
Dès son retour à Paris, la princesse acquiert effectivement deux fermes. Saiffert nous affirme que ces deux fermes étaient entièrement payées peu avant l’horrible fin de la princesse.
Nous voilà arrivés presque à la fin du récit de la maladie de la princesse.
Elle ne s’est jamais aussi bien portée entre 1787 et 1789 ; tous les symptômes que Seiffert avait constatés en juin 1785 avaient quasiment disparus. Aussi voyons-nous la princesse de Lamballe reprendre ses fonctions de surintendante au moment où tout commence à basculer.
Quand Sophie von La Roche, romancière allemande, visitait Paris et la cour dans la première moitié de 1785, elle n’a en effet pas fait mention de la princesse dans ses descriptions minutieuses de quelques évènements qui se déroulaient dans l’entourage de la reine. En revanche, quand la marquise de la Tour du Pin évoque l’année 1787 où elle rejoint la suite de la reine, nous voyons réapparaître la princesse dans son rôle de surintendante à Versailles, faisant acte de présence le dimanche dans la chambre à coucher de la reine où cette dernière faisait sa toilette avant de se rendre en cortège à la chapelle royale en passant par la galerie des glaces.
Aux débuts de la révolution, nous reverrons le docteur Seiffert au chevet de la princesse de Lamballe, quand celle-ci réside à l’hôtel de Toulouse de son beau-père, pendant les journées agitées du 12-14 juillet 1789, où elle retombe presque à l’état où le docteur l’avait trouvé en juin 1785.
(L'hôtel de Toulouse au 17ème siècle)
Il faisait de son mieux pour la relever de cette rechute, ce qui n’était guère facile. Afin de recouvrer sa santé, la princesse se rendait alors avec son beau-père dans ses terres en Bretagne, au château d’Eu, où elle restait jusqu’au moment où on lui apportait les désastreuses nouvelles des journées d’octobre 1789 et de la famille royale captive aux Tuileries.
(Dessin du château d'Eu en 1791)
Tout au long des troubles révolutionnaires, Seiffert restait le principal conseiller de la princesse, l’incitant à plusieurs reprises à quitter la France pour ne plus y revenir.
On le retrouvera à Paris lorsque la dernière heure de la princesse a sonné, suppliant les sbires de la révolution de sauver la princesse de Lamballe. Mais cette épisode-là sera réservée au sujet dédié à la mort de celle-ci.
Treize ans, comme nous l’avons vu au début de notre texte, se sont passés avant qu’il ne se décide de révéler les détails de la maladie de la princesse à un public de lecteurs éclairés, dans une revue qui se voulait européenne, de langue allemande.
Un public qui, en revanche, ne connaissait pas nécessairement les détails de l’histoire de la princesse ni de l’époque des derniers soubresauts de l’Ancien Régime qui précédait les troubles révolutionnaires, affectant la vie de tant de patients du docteur ainsi que la sienne.
Le but n’était donc pas de rendre public des détails croustillants sur la vie de la princesse à un public de lecteurs gourmands de racontars, mais simplement de dévoiler des particularités de cette maladie rare dont souffrait la princesse de Lamballe et qui semblait pratiquement impossible à guérir.
Seiffert n’y était pas parvenu entièrement, même s’il fait croire le contraire dans son récit.
Nous avons vu en effet comment il a exagéré certains détails dans son récit, ce qui nous oblige à prendre celui-ci avec des pincettes. Mais, comme l’affirme aussi Marcel Jullian dans son livre « Louis et Maximilien, deux visages de la France », son témoignage est incontournable : « Le Dr Seiffert est le témoin. Tout s’articule autour de lui, et on ne peut ni l’ignorer, ni lui accorder un crédit irréfutable, puisqu’il est le seul à confirmer et à amplifier les assertions du journal contemporain des événements. ».
Seiffert retournera vivre à Paris sous le Premier Empire, où il meurt en avril 1810 au nr 25 de la rue Saint-Dominique, emportant dans la tombe des détails et des impressions sur la princesse de Lamballe qu'il n'a peut-être pas osé révéler dans le récit qu'il nous a laissé.
Sources :
Dr. Seiffert, « Die Krankheitsgeschichte der Prinzessin de Lamballe », dans : Die Europäische Annalen, Tübingen, Cotta, 1805 (p. 247 - 300)
Raoul Arnaud, « La princesse de Lamballe et son médecin », dans : « Le Temps », journal, édition du 20 février 1910.
Raoul Arnaud, « La princesse de Lamballe d’après des documents inédits », Paris, Librairie académique Perrin, 1911.
Docteur Cabanès, « La princesse de Lamballe intime, d’après les confidences de son médecin », Paris, Albin Michel éditeur, 1926
Marcel Jullian, « Louis et Maximilien, deux visages de la France », Paris, Librairie académique Perrin, 1998
Comtesse H. de Reinach-Foussemagne, « Une fidèle – La marquise de Lage de Volude d’après des documents inédits », Paris, Librairie académique Perrin, 1908
Evelyne Lever, « Marie-Antoinette – Correspondance – 1770-1793 », Paris, Tallandier, 2005
Alain Vircondelet, « La princesse de Lamballe, l’ “ange” de Marie-Antoinette », Paris, Flammarion, 1995
Albert-Emile Sorel, « La princesse de Lamballe – Une amie de la reine Marie-Antoinette », Paris, Librairie Hachette (collection « Figures du passé »), 1933
C'est grâce au Dr. Seiffert (ou Saiffert), d'origine saxonne, le médecin attitré de la princesse de Lamballe depuis 1785 (qui fut à deux doigts de la guérir entièrement après un traitement assez particulier et sévère), que nous avons obtenu des détails qui concernent sa maladie.
C'est en effet en 1805 que Seiffert insère un long article en allemand sur les particularités de la maladie de la princesse de Lamballe, intitulé « Die Krankheitsgeschichte der Prinzessin de Lamballe », dans Die Europäische Annalen (Les Annales Européennes), un périodique allemand dirigé jusqu'en 1804 par l'historien Ernst Ludwig Posselt (1763-1804), auteur d'une biographie sur Gustave III parue en 1792 ainsi que d'un livre sur le procès de Louis XVI publié en 1793.
C'est grâce au travail de traduction de Raoul Arnaud que nous possédons en français le récit circonstancié de la main de Seiffert (il a cependant omis quelques détails jugés superflus). L’article est mentionné pour la première fois en français dans le quatrième volume du Dictionnaire historique de la médecine ancienne et moderne, rédigé par Jean Eugène Dezeimeris en 1828-1839, sans toutefois qu’il y ait de traduction disponible à cette époque.
Arnaud l'a d'abord fait publier en trois parties dans le journal Le Temps du 20 au 22 février 1910, pour ensuite reprendre la matière dans sa biographie sur la princesse parue en 1911, plus précisément dans le chapitre « Intrigues et violences ».
Ensuite, c'est le Dr. Cabanès qui aborde le thème dans son livre « La princesse de Lamballe intime, d'après les confidences de son médecin » édité en 1926, se basant sur la traduction du même récit de Seiffert, qu'il avait fait faire par M. Louis Vicat en 1896, révisée ensuite par M. Otto Friedrichs.
Heureusement nous avons pu mettre la main sur l'article original paru en allemand dans les Annales européennes de 1805, car nous avons constaté quelques discordances et omissions dans les deux versions traduites, ce qui rend impératif la consultation de l'original paru en 1805.
Nous nous basons donc sur le texte en allemand mais citerons les traductions en français provenant des sources mentionnées ci-dessus, dans la mesure où celles-ci ne dévient pas du texte original.
Ailleurs, dans le neuvième tome de « La France littéraire ou dictionnaire bibliographique des savants, historiens et gens de lettres de la France, ainsi que des littérateurs étrangers qui ont écrit en français , plus particulièrement pendant les XVIIIe et XIXe siècles » (ouf ), édité en 1828, nous trouvons cet autre résumé sur les publications médicales de Seiffert :
Les clichés d'une princesse de Lamballe s'évanouissant devant un tableau avec des homards ou un bouquet de violettes, perdant conscience à tout bout de champ, devenue ainsi la risée de la cour, sont connus de tous. Si l'on écarte un instant ces stéréotypes qui, entre autres, trouvent leur source dans les préventions de Mme de Genlis contre les femmes moins intelligentes et moins brillantes qu'elle, on peut se demander à juste titre en quoi consistait exactement la pathologie de la princesse de Lamballe.
Dans les lettres de l'ambassadeur Mercy adressées à l'impératrice Marie-Thérèse, nous voyons de temps à autre passer le nom de la princesse de Lamballe, mais jamais dans des termes très élogieux. La faveur de la position de surintendante au sein de la Maison de la Reine qui lui est accordée en 1775 est suivie d'un mauvais œil de l'ambassadeur, à cause des dépenses que cela entraîne et les exigences de la princesse qui, sur les conseils du duc de Penthièvre son beau-père, très à cheval sur l'étiquette et les préséances, refuse qu'on en diminue les émoluments.
En 1776, Mercy rapporte notamment dans un de ses courriers destiné à la cour d'Autriche que la santé de la princesse de Lamballe est mauvaise et que cela l'oblige à des absences fréquentes pour se rendre aux eaux de Vichy ou de Plombières, où elle reste six semaines ou deux mois.
Un an après, en 1777, quand la princesse revient des eaux de Plombières, Marie Antoinette l'accueille avec des démonstrations de bonté qui toutefois ne trompent pas Mercy : « (...) cet accueil n'est qu'une forme de bienséance qui devient de plus en plus embarrassante et gênante. La reine cherche quelquefois à se tromper elle-même à cet égard, mais comme elle permet toujours, à l'abbé de Vermond et à moi, de lui exposer sans détour nos réflexions et nos remarques, S. M. finit par convenir de bonne foi que nous ne nous méprenons guère sur le vrai état de ses affections. »
Peu à peu, la princesse perd effectivement la confiance de la reine, et se voit exclue de son cercle d’amis intimes. La cause de l'éloignement entre la reine et sa surintendante, serait-elle la maladie de cette dernière, ou l’aggravement est-elle plutôt la conséquence de cet éloignement ? Nous examinerons la question plus tard, quand nous aurons suffisamment d'indices quant à la nature des maux de la princesse.
Il ne s'agit toutefois pas d'une disgrâce totale pour la princesse de Lamballe : elle ne perd pas sa place de surintendante. Voilà une des raisons pour laquelle les intrigues continuent d'aller bon train et redoublent d'intensité pour essayer de la perdre définitivement dans l'esprit de la reine et de la démettre de ses hautes fonctions si convoitées à la cour, si l'on peut se fier au récit de Seiffert.
C'est notamment ses défaillances physiques que ses adversaires mettaient en avant pour discréditer la princesse. Nous verrons plus loin, dans le récit de Seiffert, comment ses adversaires œuvraient et quels moyens ils employaient pour parvenir à leurs fins. Mais pour le moment, c'est-à-dire en 1777, Seiffert n'est pas encore apparu à l'horizon sombre de la princesse tourmentée par ses maux.
Quasiment tout ce que l'Almanach royal contenait de médecins à Paris et à la cour furent consultés, dont le fameux Dr. Tronchin ainsi que Lassone, médecin de la reine, mais aucun n'apportait un remède efficace aux maux physiques de la princesse de Lamballe, car personne, paraît-il, n'était parvenue à la diagnostiquer correctement. Leur diagnose se bornait à la conclusion que Mme de Lamballe fut épileptique, et quant à Lassone, il était d’opinion qu’elle souffrait d’une maladie chronique.
Or, suite aux prescriptions inefficaces dues à la diagnose erronée, l'état de la princesse s'aggrave d'année en année. Ses maux de tête s'accompagnent depuis 1782 de convulsions, et deux fois par jour la princesse tombe dans des crises dont elle ne revient que graduellement.
Voici ce qu'on peut lire à ce sujet dans le livre du Dr. Cabanès :
« On recourt aux calmants, à tous les antispasmodiques connus : graines de pavot, suc de laitue, fleurs de tilleul et fleurs d'oranger, feuilles de mélisse et de vulnéraire, liqueur d'Hoffmann et laudanum de Sydenham; camphre et pilules de Fuller. Les drogues les plus disparates de la pharmacopée sont mises à contribution, sans succès.
Après la thérapie, le bouillon de tortue ; les décoctions de fleurs de sureau alternent avec les pilules d'ipéca, la poudre tempérante de Stahl avec la poudre de nénuphar et l'esprit de nitre dulcifié. (...) Tout cet arsenal thérapeutique restait sans action, et loin de disparaître, les accès semblaient augmenter. »
Qu'on ait achevé la princesse plutôt que de la guérir, après lui avoir prescrit toutes ces potions pour le moins burlesques, ne nous aurait guère étonnés. ( )
En septembre 1784, la marquise de Lage de Volude, une des dames de la princesse, écrit ceci à propos d’elle dans un billet adressé à Mme de Polastron : « J’ai été hier à la Comédie Italienne, ma chère amie. J’y ai vu Mme de Lamballe avec Mme de Las-Cases. Elle n’avait pas mis de rouge et de loin elle était d’une pâleur horrible. »
En 1785, désillusionnée et désespérée, la princesse de Lamballe finit par accepter de se faire ausculter par le docteur Seiffert, médecin consultant du comte d’Artois, répertorié dans l’Almanach Royal (édition de 1785 pour l’extrait) sous le nom de "Seiffer" :
C’est d’ailleurs le comte d’Artois qui, dans une lettre adressée à la marquise de Lage de Volude le 27 octobre 1785, fait mention de l’état de santé fragile de la princesse de Lamballe : « L’humeur que la princesse de Lamballe vous a témoignée ne serait pas excusable, si elle-même n’était pas aussi souffrante et si elle n’avait pas besoin de vos soins. Cette humeur vous donne une preuve entière de son amitié ; et quand même votre cœur ne vous y porterait pas, il est de votre intérêt de chercher à la conserver. Dans le fond c’est une bien bonne femme (...) ».
Il va sans doute que l’état de santé lamentable de la princesse lui donnait des sauts d’humeur.
Selon les biographes Cabanès et Raoul Arnaud, Seiffert aurait également été le médecin en chef du beau-frère de la princesse, le duc de Chartres (devenu duc d'Orléans plus tard dans l'année), qui lui aurait déjà proposé depuis quelque temps d'envoyer Seiffert à son chevet. Cependant, aucune trace de ceci dans les Almanachs royaux de ce temps ; pourtant, le duc de Chartres (plus tard Orléans) y est quand même mentionné avec son arsenal de médecins, comme les autres princes de la Maison Royale.
Étant donné la perspicacité du comte d’Artois dans sa lettre à la marquise de Lage de Volude et le fait que Seiffert fut un de ses médecins consultants, on serait plus enclin à croire que c’était sur les conseils du comte d’Artois, peut-être par l’intermédiaire de la comtesse de Lage de Volude, que la princesse de Lamballe avait fait appel aux services du docteur.
Quoiqu’il en soit, Seiffert avait établi une solide réputation à Paris, et la princesse de Lamballe a sûrement entendu les échos de ses succès, ce qui l’a incitée à l’appeler à son chevet.
Vous vous demanderez peut-être à juste titre : Qui était ce mystérieux docteur Seiffert, d'où vient-il et que faisait-il en France ?
Originaire de Saxe en Allemagne, né à Leipzig en 1747, nous ignorons pratiquement tout de la vie d'Andreas (parfois on fait mention de Jean-Geoffroy) Seiffert ou Saiffert, à part les quelques bribes d'information qu'il a bien voulu nous communiquer lui-même. Selon ses dires, il pratiquait la médecine en Allemagne mais aurait été chassé de ce pays par un certain comte de Lusace qui, pendant quelque temps, était son employeur ; Seiffert ne nous dit toutefois rien sur les causes de cette disgrâce. Étant donné son esprit de liberté et son franc-parler (nous verrons plus loin quel ton il emploie vis-à-vis du duc de Penthièvre), cela ne nous étonnera guère que ce comte de Lusace était offusqué par le ton et les manières employés par Seiffert.
Attiré par la philosophie des Lumières, le progrès de la science et sans doute aussi la franc-maçonnerie, il trouve rapidement le chemin vers la France où il s'installe dans des bourgades en tant que médecin traitant au début des années 1770. Ce ne sera qu'en 1774 ou 1775 que Seiffert s'installe à Paris, rue Croix-des-Petits-Champs, dans la maison du chirurgien-dentiste Bourdet.
Comme la mode était aux étrangers, il se faisait rapidement une clientèle. Depuis la mort du Dr. Tronchin, Seiffert gagne peu à peu en renommée, à tel point qu’il devient médecin-consultant du comte d’Artois.
S'il est avéré que Seiffert était franc-maçon, il n'est pas étonnant qu'il soit aussi devenu médecin en chef du Palais-Royal, le duc d'Orléans étant lui-même grand maître de la Grande Loge de France de la branche franc-maçonne installée à Paris depuis 1728.
Nous voilà donc arrivés à l'époque où le destin de la princesse de Lamballe, elle-même franc-maçonne, va croiser celui de Seiffert. C'est précisément en juin 1785 que la princesse fait appel à lui. Voici ce qu'il en dit lui-même de cette première entrevue avec la princesse dans son récit rédigé vingt ans après les faits :
« En l'année 1785, vers la fin du mois de juin, je fus appelé auprès d'une femme âgée de 36 ans ; cette femme mérite, en raison de sa destinée malheureuse, d'être nommée : c'était la princesse de Lamballe, massacrée d'une manière horrible et cruelle, malgré son innocence, à Paris, en 1792, par les septembriseurs. Cette innocence et cette triste fin me feront pardonner quelques détails véridiques et utiles à l'histoire, bien qu'ils ne se rapportent pas à mes traitements médicaux des affections chroniques... Cette femme, qui fut si atrocement mutilée, avait été déclarée épileptique et incurable par les médecins qui la traitaient d'habitude ; elle tombait tous les jours à la même heure subitement sans connaissance, dans des convulsions qui duraient deux heures ; elles étaient suivies de neuf heures de léthargie cataleptique, et après onze mois de traitement, elle fut radicalement guérie. Il était naturel qu'elle m'engageât à continuer à rester son médecin. »
« Quelques détails véridiques » nous écrit Seiffert. On est pourtant en droit de s'interroger sur la véracité de son récit.
Qu'est-ce qui parle en sa faveur, et qu'est-ce qu'on peut lui poser comme objections ?
Tout d'abord, il ne faut pas oublier que Seiffert était un républicain dans l'âme, faisant partie du club des jacobins et sans doute, lors de la Révolution, mêlé aux intrigues de la faction des Orléans.
Il fut en même temps un médecin qui prenait sa profession au sérieux, sans égard au rang de la personne, traitant des patients d'origine noble et roturière de la même manière.
C'est sans doute ce professionnalisme qui a fait qu'il s'intéressait au cas médical assez particulier de la princesse de Lamballe, et qu'il a mis toute sa volonté et tout son savoir-faire dans la guérison de celle-ci, sans égard au haut rang de la princesse.
Ce qui me paraît parler en faveur du récit qu'il a fait de l'historique de la maladie de la princesse de Lamballe, c'est le fait que Seiffert, en tant qu'étranger, n'avait nul besoin de se justifier de ses actions en 1805 (année de publication de son récit), comme c'était le cas de certains révolutionnaires ou adeptes de Napoléon sous la Restauration dix ans plus tard.
En outre, rompant avec le secret médical dans le cas de la princesse de Lamballe, c'était en quelque sorte lui rendre justice, après la tourmente révolutionnaire et la haine dont la princesse était la triste victime.
De surcroît, en 1785, la princesse de Lamballe était encore en bons termes avec son beau-frère Louis-Philippe, et comme lui (et sans doute Seiffert) membre de la Franc-maçonnerie. Après les liens noués depuis cette année-là et l'amélioration de la santé de la princesse qui était due aux bons résultats du traitement, il n'est pas étonnant que Seiffert ait pris à cœur le sort de sa patiente, et, après l'assassinat de celle-ci, ait voulu rendre public les impressions qu'il a retenues d'elle en tant que témoin oculaire.
Revenons maintenant à son récit.
Seiffert veut bien guérir la princesse, à la seule condition qu'elle se confesse à lui complètement et ne lui cache rien de sa vie passée. Elle doit répondre à toutes les questions qu'il lui convient de poser ; seulement de cette manière il lui sera possible de reconnaître la nature du mal de la princesse.
Ainsi, Seiffert devance Freud, en voulant creuser dans la psychologie de la princesse de Lamballe afin de l'aider à retrouver l'origine de sa constitution maladive.
La princesse acquiesce, prête à tout pour sortir au plus vite de son lamentable état.
- Interrogez, monsieur, interrogez, dit-elle, je n’ai rien à vous cacher.
Elle raconte à Seiffert comment elle souffre de maux de tête fréquents depuis sa plus tendre enfance :
« (…) ces douleurs diminuèrent vers l’âge de douze ou treize ans et je ne souffrais plus alors que tous les mois, à des périodes régulières. On m’assura que, dès que je serais mariée, cesseraient complètement ces douleurs de tête. Il n’en fut rien ; au contraire, après mon mariage, mes souffrances devinrent plus vives et de plus longue durée.
Mon médecin ordinaire et Tronchin me firent prendre des calmants qui ne me soulagèrent point et, au début de 1782, je commençais à avoir des défaillances et des convulsions. Je cherchais du secours chez les médecins les plus célèbres. Hélas ! C’est sans doute l’usage de leurs médicaments qui m’a précipitée dans une situation faite pour inspirer l’effroi et la tristesse à tout le monde. De deux jours l’un, l’après-midi, exactement je tombe, monsieur, tous les deux jours, après une heure, dans une attaque d’un mal qui m’est inconnu, et je reviens à moi peu à peu, mais actuellement au bout de neuf heures seulement, et je reste comme brisée. »
Chaque six mois, les remèdes avaient changé. Ils avaient consisté, pour la plupart, en narcotiques et en calmants. Le plus grand nombre des formules du gigantesque Codex du dix-huitième siècle semblait avoir été employé, depuis l’inoffensif millefeuille de mouton jusqu’à l’herbe-aux-chats… ( )
Seiffert continue son interrogatoire en demandant à la princesse si elle a eu la teigne ou des poux dans le passé, et si quelquefois elle a rendu des vers.
Il poursuivait son enquête en demandant à la princesse si elle a eu des maladies de la peau, la rougeole ou la petite vérole ; ensuite, si elle a eu ses règles de façon régulière. Il va plus loin encore dans son enquête, jusqu’à creuser dans la vie la plus intime de la princesse, lui demandant si elle s’est donnée des fois à des attouchements d’ordre intime. Dans le texte allemand, nous lisons le terme « Selbstspiel » dans la question que Seiffert pose à la princesse, ce qui veut dire « masturbation ». Dans les textes français d’Arnaud et de Cabanès, cette question pour le moins explicite et directe est omise. Sans doute dû à l’influence du puritanisme qui régnait à la fin du XIXe siècle.
Toutefois, n’oublions pas qu’au XVIIIe siècle la masturbation était considérée comme un mal qui provoque bon nombre de maladies. Pensons par exemple au livre si répandu du Dr. Tissot (« L’onanisme. Dissertations sur les maladies produites par la masturbation », Lausanne, 1761) qui a connu un grand succès dans le monde médical jusqu’au début du XIXe siècle. Outre le fait qu’au XVIIIe siècle, la pudeur n’avait pas encore fait ses entrées (on appelait un un ) dans toutes les classes de la société, il n’y avait donc rien d’étonnant dans cette question posée à la princesse.
La princesse répond que, un peu avant son mariage, elle s’y était adonnée, mais que depuis lors elle avait abandonné cette « pratique ». Elle évoque en même temps les rumeurs qui courent que la reine et elle se seraient adonnées à des pratiques licencieuses de ce genre ; rumeurs qu’elle réfute catégoriquement.
« Je vous l’aurais dit, s’il en avait été autrement » dit-elle à Seiffert.
N’empêche que depuis son veuvage, l’espoir de contracter un autre mariage avec un prince du sang étant quasiment exclu, elle avoue au docteur d’avoir pris un amant. Toutefois, s’il est dans l’intérêt du traitement que Seiffert lui proposera, elle est prête à sacrifier cette liaison. Dans le texte allemand, nous lisons ce que Seiffert a dit à ce propos : « Die Beleibung wurde von mir verboten ». Ce qui veut dire qu’il lui a interdit les rapports sexuels avec l’amant en question, le temps de sa cure.
Une dernière question de Seiffert : - Avez-vous été enceinte ?
La réponse : non.
Après cette première entrevue avec la princesse, rendez-vous est pris pour le lendemain, dans sa demeure à Passy, car Seiffert aimerait observer lui-même en quoi consistent exactement les crises de la princesse et quel en est la durée.
(Vue sur l'hôtel de Passy depuis les bords de la Seine)
Voilà les impressions de Seiffert après avoir vu comment la princesse tombe dans un état de léthargie absolue :
« Vers une heure cinq minutes, elle devint pâle comme la mort, son pouls tomba jusqu’à soixante-cinq pulsions ; à une heure dix minutes, ses paupières se fermèrent, après s’être abaissées trois fois de suite ; puis il se produisit des spasmes précipités des muscles des yeux, auxquels succédèrent de violentes secousses convulsives de tout le corps. Elle tenait la bouche strictement fermée, et je n’ai point remarqué qu’il s’en échappât le moindre filet de salive, contrairement à ce qui s’observe dans l’épilepsie. »
Ensuite, le docteur va palper la princesse et découvre une sorte de tuméfaction dure qui avait la grosseur de l’œuf d’une oie. Selon Seiffert, cette tumeur était sans aucun doute la cause de la maladie de la princesse de Lamballe ; or, il est manifeste que Seiffert avait pris l’effet pour la cause.
Les convulsions de la princesse duraient deux heures et vingt minutes, après lesquelles la princesse restait encore plus de six heures sans conscience. Les phénomènes observés pendant les convulsions disparaissaient petit à petit, et quand la princesse revenait à elle, un sifflement partait du gosier et son pouls redevenait normal.
Seiffert allait revenir le lendemain pour examiner sa patiente une fois de plus, quand celle-ci aurait retrouvé son état normal, pour ensuite établir la cure à suivre.
Alain Vircondelet, dans sa biographie, nous dit ceci à ce propos : « Peut-être plus intuitif que ses confrères, qu’il tenait dans le plus profond mépris, Seiffert avait décelé chez [la princesse] une nature d’une telle complexité qu’elle était selon lui la cause de sa maladie. La princesse souffrait en effet d’une maladie d’origine à la fois épileptique et d’un dérèglement du système nerveux proche de l’hystérie. »
Le verdict de Seiffert est le suivant :
« En matière scientifique, il faut, avant toutes choses, employer les termes les plus explicites. On a, jusqu’à présent, considéré la maladie chronique de la princesse comme une variété d’épilepsie, je suis d’avis qu’elle appartient plutôt à l’espèce des affections léthargiques ; pour parler un langage qui soit compris de mes confrères, j’estime que c’est une léthargie chronico-périodique, précédée de convulsions orageuses et cataleptiques.»
Ensuite, dans son récit, nous retrouverons une longue prescription diététique ainsi qu’une énumération de ce que la princesse devra prendre comme poudres, aliments ou boissons et aussi toutes les substances qu’il faudra éviter.
Seiffert croit qu’avec le traitement qu’il donnera à la princesse, il pourra la guérir dans onze mois, à condition qu’elle s’engage à respecter les prescriptions du docteur.
Mme de Lamballe, heureuse de cette annonce d’une éventuelle guérison, voudrait que Seiffert devienne son médecin attitré. Mais Seiffert, étant déjà trop sollicité ailleurs, refuse, en lui disant qu’il suffira qu’elle suive le traitement prescrit et qu’elle garde son médecin habituel.
Le lendemain, Seiffert est convoqué chez le duc de Penthièvre. Il croyait que le duc voulait peut-être aussi faire appel à son savoir-faire médical. Loin de là, c’était justement pour critiquer son savoir-faire et émettre des doutes quant à la guérison de sa belle-fille.
Le duc de Penthièvre trouvait que c’était un acte irréfléchi de la part de Seiffert de rejeter tous les avis des médecins du pays et de prétendre guérir Mme de Lamballe, là où tous les médecins français étaient unanimes dans leur verdict que la princesse était inguérissable.
Le duc signalait ensuite à Seiffert que sa belle-fille est une princesse du sang et que lui n’est qu’un étranger, de surcroît pas catholique. Il était donc d’avis que la démarche de Seiffert était irresponsable et pourrait, au lieu d’améliorer la santé de la princesse, abréger ses jours.
Nous pouvons aisément nous imaginer que Seiffert devait se sentir piqué au vif après ces observations peu clémentes de la part du duc.
S’il n’est pas, lui dit-il, de la même foi que le duc, en tant que honnête médecin il traite ses patients selon sa conscience, et plus encore, en tant que médecin éclairé, sa seule religion c’est de faire le bien, en laissant toutes les formes extérieures de la religion aux autres (et toc ). S’il n’a pas demandé l’avis aux autres médecins, c’est qu’ils se sont trompés quant à l’origine du mal de la princesse et fatalement aussi des remèdes à proposer.
Seiffert poursuit sa défense en disant que le rang de la princesse ne joue aucun rôle dans le traitement qu’il lui donne, que pour lui la princesse est une patiente comme une autre et que la santé ne connaît pas de préséance.
- Croyez-vous peut-être, dit-il au duc, que votre naissance vous a donné d’office des connaissances en médecine qui vous permettent de juger sur le cas médical de votre belle-fille ? En vous opposant par amour paternel au traitement que je propose à votre belle-fille, ce sera plutôt vous qui risquerez d’abréger les jours de la princesse et d’avoir d’éternels regrets par la suite.
Pour terminer sa défense, Seiffert rappelle au duc de Penthièvre qu’il ne s’était nullement imposé à sa belle-fille, mais que c’est elle qui, de son propre chef, lui avait demandé d’être auscultée.
Que le duc était choqué après cette réplique franche du docteur va sans dire. Il lui dit qu’il n’a ménagé en lui ni le prince, ni le père ; il admet tout de même que Seiffert est un homme consciencieux, même s’il parle sur un ton un peu trop libre, et qu’il n’y a donc rien d’autre à faire qu’à se résigner à être le spectateur d’une entreprise hasardeuse.
Avant de prendre congé du duc, Seiffert le rassure en lui disant que si la princesse s’engage à suivre méticuleusement ses prescriptions, il n’y a absolument rien à craindre.
Sur ces entrefaites, il retourne immédiatement voir la princesse de Lamballe pour lui communiquer l’entrevue qu’il a eu avec son beau-père.
« Pardonnez mon cher beau-père s’il vous a offusqué ; il prend simplement mon état trop à cœur. » dit-elle à Seiffert, en ajoutant que sa confiance en lui restera inébranlable.
Puis, elle lui tend une lettre de la reine dans laquelle nous pouvons lire :
« J’ai reçu votre lettre hier un peu tard, ma chère cœur, et j’ai tout de suite fait appeler Lassone auprès de moi et lui ai remis la consultation et les prescriptions de votre nouveau médecin. Il m’a répondu sur un ton de joyeuse humeur : je connais à fond cette tête d’allemand ; il ne promet que ce qu’il peut tenir ; il a promis de porter secours à la princesse, elle peut compter sur sa promesse ; nous n’avons, quant à nous, rien d’autre à faire qu’à tenir nos avis pour nuls. Ce n’est pas la première fois qu’il nous fait de semblables affronts, mais l’honneur de la science médicale prime toute autre considération.
Vous ne sauriez-vous figurer, amie très chère, le baume qu’à versé Lassone dans mon cœur, que votre maladie afflige profondément. »
Pour Seiffert il y a de quoi être flatté dans cette lettre. En tout cas, cela motive la princesse d’insister le lendemain pour qu’il devienne son médecin principal, ayant perdu confiance en son médecin traitant actuel, qui la croyait perdue. Seiffert répète ses objections, estimant son confrère parfaitement capable de suivre la princesse et de veiller à ce que le traitement prescrit soit respecté. Mais la princesse de Lamballe, tombant en pleurs, persiste en disant que son médecin actuel l’a déclarée incurable et que dès lors, il lui est impossible de le garder comme médecin. Seiffert lui promet par la suite de lui rendre visite chaque jour jusqu’à la fin de sa cure.
Quant à la lettre de Marie-Antoinette, est-elle authentique ? Nous l’ignorons, n’ayant que la copie que Seiffert nous donne dans son récit publié dans le journal allemand « Die Europäische Annalen ». Il est impossible, en tout cas, qu’on retienne mot pour mot une lettre écrite vingt ans après les faits ; alors, soit Seiffert avait demandé de copier la lettre, soit, au cas où il a vraiment été question d’une lettre, Seiffert l’a peut-être retranscrite à son avantage.
Nous voilà donc arrivés au moment où la cure de la princesse est entamée.
Nous verrons dans ce qui va suivre que le docteur Seiffert a failli payer de sa vie son dévouement à la princesse.
Car peu après le dernier entretien qu’il a eu avec la princesse de Lamballe, un duc d’une certaine importance (Seiffert ne dit pas son nom) se présente dans son cabinet, avec la proposition suivante :
« Vous avez conquis déjà une assez grande renommée dans votre art, pour qu’il vous soit indifférent de chercher à l’accroître par le succès d’une cure, si retentissante soit-elle. Vous risquez, par contre, de vous faire de puissants ennemis et de n’en recueillir qu’ingratitude et déboires. Voulez-vous vous assurer des amis haut placés et obtenir une charge de fermier général des douanes ? Il vous suffira de déclarer que la princesse de Lamballe est atteinte d’épilepsie, que la guérison de son affection est impossible ; que la vue seule de son mal n’est pas sans danger pour des femmes enceintes qui l’approcheraient ; si vous acceptez, au jour fixé par vous, je vous apporterai le brevet de la fonction qui vous est destinée. »
Comme nous pouvions nous en douter, la réaction de Seiffert ne tarde pas : « Pour qui me prenez-vous ! » s’exclame-t-il ». Le duc en question osait encore répondre « Pour un homme de bon sens et un médecin célèbre. ». Quand Seiffert lui demande de quitter sur-le-champ son cabinet, le duc essaie encore de parler, mais Seiffert crie « Non, non… ». Alors en partant, le duc lui dit qu’il s’était attendu à plus de sagesse de sa part. Alors Seiffert lui répond : « Vous auriez dû vous attendre à de la sincérité. » en fermant la porte derrière lui.
Les menaces n’en restaient cependant pas là.
Retournons d’abord à Marie-Antoinette et les intrigues dont elle était entourée à la cour. Probablement poussée par son entourage, elle avait envoyé une lettre au Dr Seiffert, lui demandant s’il était vrai que la maladie de la princesse pouvait avoir une influence néfaste sur des femmes enceintes et s’il pouvait affirmer que la maladie dont souffrait la princesse de Lamballe était bien curable. La reine, selon le récit que Seiffert nous donne, serait à nouveau tombée enceinte, après la naissance du duc de Normandie en mars 1785. Nous savons toutefois que cela ne se pouvait pas, étant donné que le quatrième enfant, Sophie Hélène Béatrix, était venue au monde le 9 juillet 1786.
Désagréablement surpris par une telle lettre, Seiffert s’empressait toutefois de rassurer la reine et d’affirmer avec véhémence que le contact avec l’illustre malade ne comportait aucun danger et que si la princesse respectait les consignes données par lui, finirait par se rétablir entièrement au bout de la cure imposée.
Peu après, Lassone répandait un peu de lumière sur cette étrange lettre que Seiffert avait reçu de la part de Marie Antoinette. Seiffert note dans son récit que le médecin de la reine lui expliquait qu’une intrigue à la cour était à l’origine de tout ceci ; un prince du sang convoitait pour sa fille la place de surintendante de la reine et ferait tout en son pouvoir pour s’accaparer de cette place en faveur de sa fille. Dans ce but, des pamphlets étaient distribués à Versailles et étaient mis dans des endroits où ils allaient certainement tomber entre les mains de la reine.
Dans ces libelles la maladie de la princesse était annoncée incurable et la toucher serait dangereux pour une femme enceinte.
On essayait d’ailleurs en vain de convaincre la princesse qu’il fallait se résoudre à abandonner un poste dont elle ne pouvait plus exécuter les multiples tâches tout aussi pénibles qu’astreignantes.
Marie Antoinette, de son côté, avait demandé à Seiffert qu’il lui transmette tous les deux jours le bulletin de santé de la princesse de Lamballe ; cela permettait au docteur de lui révéler la visite inopportune du duc et sa tentative de le corrompre. La reine, au bout du compte, lui savait gré de lui avoir dévoilé toutes ces manigances et turpitudes.
Depuis ce moment, elle avait fait tout ce qui était dans son pouvoir pour contrecarrer les intrigues qui s’étaient formées autour d’elle pour écarter la princesse de son entourage et la défaire de ses charges importantes à la cour.
Depuis lors, nous constatons effectivement un rapprochement de Marie Antoinette avec sa « chère Lamballe ». Un rapprochement qui coïncidait avec l’époque où le frère bien-aimé de la princesse, Eugène-Marie de Carignan, était subitement décédé le 30 juin 1785. Une raison de plus pour la reine de renouveler son affection pour son ancienne amie.
Seiffert recevait au mois de juin 1785 une autre lettre de menaces anonyme dans laquelle il était écrit que les médecins français n’allaient pas être les témoins impuissants et passifs et qu’il pouvait s’attendre à une belle vengeance de la part d’eux.
Comme nous pouvons nous en douter, Seiffert n’était pas impressionné par ces menaces et continuait tranquillement le traitement qu’il avait prescrit à la princesse.
Vers la mi-août, les premiers effets positifs commençaient à être visibles et rapidement la bonne nouvelle se répandait à Paris et à la cour.
De nouvelles lettres de menaces anonymes, allant jusqu’à des menaces de mort, ne tardaient cependant pas d’arriver dans le cabinet du docteur vers la fin du mois d’août.
Le 29 août, des pierres étaient lancées contre les vitres de son carrosse qui volaient en éclats. Le lendemain soir, en sortant de chez la princesse, il était agressé par trois hommes ; heureusement, grâce à des passants, Seiffert a pu s’enfuir, n’ayant qu’une blessure pas trop grave. Il ne disait mot de cet incident à son cocher, ni à son valet.
Ensuite, le 1er et le 11 septembre, les vitres de son carrosse étaient à nouveau brisées par des pierres.
Les attaques contre le docteur n’en restaient cependant pas là.
Le 17 septembre, s’étant rendu chez une patiente, il y trouvait une jeune marquise.
Seiffert, désirant boire sa bière allemande, la marquise lui dit qu’elle voulait se joindre à lui dans la dégustation de cette bière, en ordonnant au valet d’apporter deux verres. Après avoir entamé le premier verre, Seiffert trouvait que la bière avait un goût de plomb et commençait à se sentir très mal. Il était en proie à des crampes et des accès de fièvre. De retour chez lui, il essayait de remédier au mal qui l’atterrait, mais sans succès.
Il a dû faire appel à un chirurgien de la maison d’Orléans au nom d’Imbert. Après avoir été pendant vingt-six heures entre la vie et la mort, Seiffert s’en sortait, probablement dû à sa robuste constitution.
Pour ne pas exciter davantage la haine de ses persécuteurs, le docteur n’a jamais dit un mot de cette tentative d’empoisonnement pendant son séjour en France.
A partir du mois d’octobre, il était de nouveau en état de faire la tour des visites à ses patient(e)s.
Toutefois, pendant l’absence de Seiffert, l’état de la princesse, qui soupçonnait que Seiffert avait peut-être subi une attaque à cause de son dévouement pour elle, ne s’améliorait plus. Mais dès son retour, après quelques semaines, la princesse semblait être entièrement guérie.
La princesse de Lamballe envoyait un bulletin à la reine, ensuite la bonne nouvelle de la guérison se répandait vite à Paris. Les félicitations à l’adresse du docteur venaient de toutes parts. Même le duc de Penthièvre envoyait une lettre à Seiffert dans laquelle il s’exprime en des termes flatteurs.
Quand Seiffert rencontrait Marie Antoinette chez la princesse, toujours d’après son récit, elle aurait commencé à lui parler en allemand pour critiquer haut et fort la nullité de la médecine française (excepté Lassone) et de louer le savoir-faire des médecins allemands.
Nous savons toutefois ce que la reine a dit à la baronne d’Oberkirch à propos de sa connaissance de l’allemand en 1782 ; or, nous ferions mieux de prendre les mots qu’il met dans la bouche de la reine avec des pincettes.
Seiffert est, semble-t-il, un homme habile pour se donner de l’importance en mettant des propos dans la bouche des autres qu’il se gardait d’avancer lui-même. Évidemment, en 1805 il n’y avait plus personne pour corroborer ses dires, surtout loin de la France, dans un périodique allemand.
S’il y a souvent un fond de vérité, nous avons parfois du mal à distinguer quelle est cette part de vérité, et quelle est l’exagération.
Sensible qu’il était aux plus démunis, Seiffert a également saisi l’occasion de parler de son idée de fonder un hospice pour maladies chroniques. Aussi bien Marie Antoinette que la princesse de Lamballe étaient enthousiastes à l’idée d’un tel hospice, et la princesse promettait un soutien financier fort important.
Survient ensuite une dernière tentative d’abréger les jours du docteur. Quelque temps après l’entretien qu’il a eu avec la princesse de Lamballe et la reine, il était assis un soir dans son cabinet et s’occupait de quelques prescriptions, quand soudainement il entendait briser une des fenêtres avec beaucoup de fracas. Le docteur, toutefois, n’en faisait pas grand cas, et continuait à visiter ses malades le soir même de cet incident. Le lendemain matin, son valet trouve une balle dans son cabinet. Alors il était clair qu’une tentative d’assassinat s’était produite. De nouveau, Seiffert cachait tout à la princesse.
Peu de temps après, c’était elle qui a failli mourir suite à ce que Seiffert croyait d’abord être un empoisonnement, après l’aveu de la princesse qu’elle avait mangé des truffes qu’elle croyait être envoyées par sa belle-sœur la princesse de Carignan depuis Turin, mais cet empoisonnement s’avérait plutôt être une intoxication suite à l’usage de poêles de cuivre dans la cuisine de la princesse.
(Tableau de Pehr Hilleström)
Le plus beau jour, selon Seiffert, fut celui où il était convaincu que la princesse, après quelques rechutes, était entièrement guérie.
Maintenant que cette heure du triomphe sur ses adversaires avait sonné, le docteur était d’avis que la princesse devrait de nouveau retourner vers son médecin habituel. Mais la princesse ne l’entendait pas de cette oreille et suppliait le docteur de continuer ses services auprès d’elle en tant que médecin attitré, malgré les objections de celui-ci.
Fatalement, après tant d’années d’attaques où son corps était sujet à des crampes pendant de longues heures, la princesse continuait à souffrir de douleurs musculaires. Seiffert avait alors conçu l’idée qu’elle devrait prendre des bains de vapeurs ; cette pratique n’étant pas répandue en France suite à des idées préconçues que c’était là des traitements pour des aliénés ou des gens victimes de morsures provenant de chiens enragés.
Seiffert recommandait alors à la princesse les bains à vapeurs à Brighton en Angleterre.
Après quelques hésitations, la princesse consentit, et en juin 1787 les préparatifs étaient entamés, mais quand la princesse lisait les recommandations que Seiffert avait rédigées pour ses confrères anglais, elle prenait peur.
Seiffert, prédisant les effets que les bains pourraient avoir sur la princesse, mentionnait dans sa lettre qu’elle pourrait être sujette à des fièvres, des éruptions cutanées ainsi qu’un retour éventuel des attaques.
Elle refusait de partir, si Seiffert ne l’accompagnerait pas à Brighton ; il ne voulait cependant pas partir avec la princesse, car il avait bon nombre de patients et d’engagements à tenir à Paris.
Ce n’était que grâce à l’intervention du duc d’Orléans, que Seiffert finissait par fléchir.
Quoique la princesse s’empresse de promettre à Seiffert une modique compensation de vingt mille livres, il prétend dans son récit que ce n’était absolument pas pour ces raisons pécuniaires qu’il avait accepté de la suivre.
Si d’aucuns avaient cru un jour qu’il y avait peut-être une liaison amoureuse entre la princesse et le docteur, vu les réticences à l’accompagner à Brighton, et le peu d’empressement qu’il avait d’abandonner ses autres client(e)s à Paris, nous pouvons avec quelque certitude écarter cette idée.
La princesse précédait le docteur à Calais, où elle l’attendait avec impatience. Afin de faire accélérer le voyage du docteur, Marie-Antoinette, par l’intermédiaire de la princesse, avait mis à la disposition du Dr Seiffert un carrosse aux armoiries de la reine. Trois jours après l’arrivée de la princesse, Seiffert arrivait à Calais. Ayant le vent en poupe, ils arrivaient à Douvres seulement après trois heures en bateau.
La première étape fut Londres, où la princesse et le docteur restaient 12 jours, ensuite ils redescendaient vers la côte méridionale en direction de Brighton.
(Brighton au début du XIXème siècle)
A Brighton, la princesse de Lamballe devait prendre pendant 13 jours d’affilée les bains de mer prescrits par le docteur, ainsi que les douches de vague. Comme Seiffert l’avait prédit dans sa lettre de recommandation pour ses confrères anglais, la princesse commençait à avoir des accès de fièvre, suivis par des éruptions cutanées. Grâce à des tisanes purgatives, ces éruptions disparaissaient et les bains de mer furent continués chaque jour.
La condition physique de la princesse s’améliorait rapidement et là où au début elle était essoufflée quand elle avait fait cent pas, elle pouvait maintenant faire une bonne heure de marche sans être fatigué. Sans doute le dépaysement, loin des turpitudes de la cour et de Paris, y fut pour quelque chose.
Nous constatons le bon moral de la princesse dans une épître que la princesse adresse depuis Brighton à sa dame de compagnie Mme de Lage de Volude, dans laquelle elle lui fait part de ses impressions d’une cantatrice qui s’efforçait de jouer avec tout son sérieux le rôle de Ninon, d’une pièce de théâtre fort à la mode à cette époque, mais qui, selon la princesse, était dans les bras du ridicule comme Mme de Mazarin l’était à Paris.
Comme les absents ont toujours tort, les intrigants de Versailles ont saisi cette occasion de l’absence de la princesse, pour essayer une nouvelle fois de la discréditer et essayer de récupérer son poste de surintendante.
D’après le récit du docteur, ce serait un des valets du roi qui lui aurait mis au courant de ces intrigues. Seiffert voulait les cacher à la princesse, mais elle, à son tour, recevait un courrier de la part de la reine, dans lequel elle lui fait part de sa satisfaction que la cure de la princesse a eu les résultats espérés, et que, maintenant qu’elle va mieux, la présence du docteur n’est plus nécessaire et qu’il est rappelé à Paris sur ordre du roi.
La princesse apprend alors ce qu’on dit à Paris à propos d’elle et du docteur. Elle n’est pourtant pas impressionnée par ces ragots, puisqu’elle a l’habitude d’entendre ce genre de venin de la bouche des courtisans à Versailles et ailleurs. Courtisans aux mœurs dépravés qui, selon Seiffert, ne comprendront jamais qu’un homme pourra suivre une femme sans qu’il y ait question d’une liaison sexuelle ou amoureuse.
Aidé par les conseils du docteur, la princesse rédige une réponse à sa royale amie, dans laquelle elle ménage à peine son indignation et sa colère face à des intrigues auxquelles même le roi a pu maintenant prêter foi.
Quant au docteur, il n’était pas le moins du monde déconcerté par le rappel en France que le roi lui imposait. En tant qu’étranger, le roi n’avait pas d’ordres à lui donner ; la seule chose que le roi pouvait faire à un étranger, c’est le bannir, et voilà qui était déjà fait, puisque Seiffert était en Angleterre. De surcroît, grâce à sa renommée et le succès du traitement qu’il avait imposé à la princesse de Lamballe, il avait reçu des propositions alléchantes pour rester de l’autre côté de la Manche. Cela inquiétait évidemment la princesse, qui ne voulait à aucun prix que le docteur l’abandonne à son sort.
Quand la princesse recevait la réponse de la reine, quelques mots de Louis XVI se trouvait en bas de la lettre, pour lui dire qu’il regrette qu’il a pu douter un moment de sa sincérité et celle du docteur, et qu’il serait peiné qu’à cause de son erreur de jugement, le docteur resterait en Angleterre, et que sa cousine (la princesse) serait privée de ses soins.
Seiffert, néanmoins, reviendra en France, mais avant de reprendre la route pour Douvres, il voulait visiter quelques hôpitaux et établissements de santé à Londres et à la campagne anglaise. La princesse insistait à le suivre au cours de ses déplacements en Grande-Bretagne, durant lesquels elle avait conçu l’idée d’acheter une propriété en dehors de Paris avec ses économies, pour en faire des établissements de santé pour les plus démunis, et où elle pouvait vivre paisiblement.
Dès son retour à Paris, la princesse acquiert effectivement deux fermes. Saiffert nous affirme que ces deux fermes étaient entièrement payées peu avant l’horrible fin de la princesse.
Nous voilà arrivés presque à la fin du récit de la maladie de la princesse.
Elle ne s’est jamais aussi bien portée entre 1787 et 1789 ; tous les symptômes que Seiffert avait constatés en juin 1785 avaient quasiment disparus. Aussi voyons-nous la princesse de Lamballe reprendre ses fonctions de surintendante au moment où tout commence à basculer.
Quand Sophie von La Roche, romancière allemande, visitait Paris et la cour dans la première moitié de 1785, elle n’a en effet pas fait mention de la princesse dans ses descriptions minutieuses de quelques évènements qui se déroulaient dans l’entourage de la reine. En revanche, quand la marquise de la Tour du Pin évoque l’année 1787 où elle rejoint la suite de la reine, nous voyons réapparaître la princesse dans son rôle de surintendante à Versailles, faisant acte de présence le dimanche dans la chambre à coucher de la reine où cette dernière faisait sa toilette avant de se rendre en cortège à la chapelle royale en passant par la galerie des glaces.
Aux débuts de la révolution, nous reverrons le docteur Seiffert au chevet de la princesse de Lamballe, quand celle-ci réside à l’hôtel de Toulouse de son beau-père, pendant les journées agitées du 12-14 juillet 1789, où elle retombe presque à l’état où le docteur l’avait trouvé en juin 1785.
(L'hôtel de Toulouse au 17ème siècle)
Il faisait de son mieux pour la relever de cette rechute, ce qui n’était guère facile. Afin de recouvrer sa santé, la princesse se rendait alors avec son beau-père dans ses terres en Bretagne, au château d’Eu, où elle restait jusqu’au moment où on lui apportait les désastreuses nouvelles des journées d’octobre 1789 et de la famille royale captive aux Tuileries.
(Dessin du château d'Eu en 1791)
Tout au long des troubles révolutionnaires, Seiffert restait le principal conseiller de la princesse, l’incitant à plusieurs reprises à quitter la France pour ne plus y revenir.
On le retrouvera à Paris lorsque la dernière heure de la princesse a sonné, suppliant les sbires de la révolution de sauver la princesse de Lamballe. Mais cette épisode-là sera réservée au sujet dédié à la mort de celle-ci.
Treize ans, comme nous l’avons vu au début de notre texte, se sont passés avant qu’il ne se décide de révéler les détails de la maladie de la princesse à un public de lecteurs éclairés, dans une revue qui se voulait européenne, de langue allemande.
Un public qui, en revanche, ne connaissait pas nécessairement les détails de l’histoire de la princesse ni de l’époque des derniers soubresauts de l’Ancien Régime qui précédait les troubles révolutionnaires, affectant la vie de tant de patients du docteur ainsi que la sienne.
Le but n’était donc pas de rendre public des détails croustillants sur la vie de la princesse à un public de lecteurs gourmands de racontars, mais simplement de dévoiler des particularités de cette maladie rare dont souffrait la princesse de Lamballe et qui semblait pratiquement impossible à guérir.
Seiffert n’y était pas parvenu entièrement, même s’il fait croire le contraire dans son récit.
Nous avons vu en effet comment il a exagéré certains détails dans son récit, ce qui nous oblige à prendre celui-ci avec des pincettes. Mais, comme l’affirme aussi Marcel Jullian dans son livre « Louis et Maximilien, deux visages de la France », son témoignage est incontournable : « Le Dr Seiffert est le témoin. Tout s’articule autour de lui, et on ne peut ni l’ignorer, ni lui accorder un crédit irréfutable, puisqu’il est le seul à confirmer et à amplifier les assertions du journal contemporain des événements. ».
Seiffert retournera vivre à Paris sous le Premier Empire, où il meurt en avril 1810 au nr 25 de la rue Saint-Dominique, emportant dans la tombe des détails et des impressions sur la princesse de Lamballe qu'il n'a peut-être pas osé révéler dans le récit qu'il nous a laissé.
Sources :
Dr. Seiffert, « Die Krankheitsgeschichte der Prinzessin de Lamballe », dans : Die Europäische Annalen, Tübingen, Cotta, 1805 (p. 247 - 300)
Raoul Arnaud, « La princesse de Lamballe et son médecin », dans : « Le Temps », journal, édition du 20 février 1910.
Raoul Arnaud, « La princesse de Lamballe d’après des documents inédits », Paris, Librairie académique Perrin, 1911.
Docteur Cabanès, « La princesse de Lamballe intime, d’après les confidences de son médecin », Paris, Albin Michel éditeur, 1926
Marcel Jullian, « Louis et Maximilien, deux visages de la France », Paris, Librairie académique Perrin, 1998
Comtesse H. de Reinach-Foussemagne, « Une fidèle – La marquise de Lage de Volude d’après des documents inédits », Paris, Librairie académique Perrin, 1908
Evelyne Lever, « Marie-Antoinette – Correspondance – 1770-1793 », Paris, Tallandier, 2005
Alain Vircondelet, « La princesse de Lamballe, l’ “ange” de Marie-Antoinette », Paris, Flammarion, 1995
Albert-Emile Sorel, « La princesse de Lamballe – Une amie de la reine Marie-Antoinette », Paris, Librairie Hachette (collection « Figures du passé »), 1933
_________________
« elle dominait de la tête toutes les dames de sa cour, comme un grand chêne, dans une forêt, s'élève au-dessus des arbres qui l'environnent. »
Comte d'Hézècques- Messages : 4390
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Re: La maladie de la princesse de Lamballe
Bravo et grand merci , mon cher Félix, pour cette formidable synthèse de Cabanis, Arnaud, Vircondelet, Julian ... si bien rédigée, si bien illustrée !
Je ne vois pas Michel de Decker dans tes sources ? Pour ma part, j'avais trouvé excellente sa biographie de la princesse . J'avais même préféré son livre à celui de Vircondelet . Quant à Julian, il insiste sur les menées politiques de la princesse, ses vaines tentatives au Pavillon de Flore pour apprivoiser Robespierre, toute l'énergie qu'elle y déploie qui lui fait oublier malaises et maladie .
Et l'on se souvient de Marie-Antoinette sur les planches de son petit théâtre, dans le rôle de Rosine, s'exclamant ingénument:
Est-ce que les femmes de mon état ont des vapeurs donc ? C’est un mal de condition qu’on ne prend que dans les boudoirs .
De quoi diable souffrait aussi cruellement la pauvre princesse, en somme voilà qui reste un mystère ! J'espère et j'aimerais beaucoup que notre Vicq d'Azyr nous donne un avis éclairé ...
Je ne vois pas Michel de Decker dans tes sources ? Pour ma part, j'avais trouvé excellente sa biographie de la princesse . J'avais même préféré son livre à celui de Vircondelet . Quant à Julian, il insiste sur les menées politiques de la princesse, ses vaines tentatives au Pavillon de Flore pour apprivoiser Robespierre, toute l'énergie qu'elle y déploie qui lui fait oublier malaises et maladie .
Et l'on se souvient de Marie-Antoinette sur les planches de son petit théâtre, dans le rôle de Rosine, s'exclamant ingénument:
Est-ce que les femmes de mon état ont des vapeurs donc ? C’est un mal de condition qu’on ne prend que dans les boudoirs .
De quoi diable souffrait aussi cruellement la pauvre princesse, en somme voilà qui reste un mystère ! J'espère et j'aimerais beaucoup que notre Vicq d'Azyr nous donne un avis éclairé ...
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: La maladie de la princesse de Lamballe
Comte d'Hézècques a écrit:Le verdict de Seiffert est le suivant :
« En matière scientifique, il faut, avant toutes choses, employer les termes les plus explicites.
On a, jusqu’à présent, considéré la maladie chronique de la princesse comme une variété d’épilepsie, je suis d’avis qu’elle appartient plutôt à l’espèce des affections léthargiques ; pour parler un langage qui soit compris de mes confrères, j’estime que c’est une léthargie chronico-périodique, précédée de convulsions orageuses et cataleptiques.»
Et en langage commun ?
C'est à dire ?
Quel travail de rédaction !
Très intéressant. Merci beaucoup Félix.
J'avoue être très dubitatif pour tout ce qui concerne ces histoires de conspirations, jusqu'aux tentatives d'attentat.
S'il ne craint plus rien lors de la rédaction de ce compte rendu, pas même apparemment d'évoquer les questions surprenantes et graveleuses qu'il aurait osé poser à la princesse , pourquoi ne citerait-il pas le nom de ce "duc" ou de cette "marquise" empoisonneuse ?
Qu'il se soit tu également au moment des faits ; ou que Marie-Antoinette, apparemment informée de tels agissements n'ait pas pris certaines mesures, me semble également particulièrement étonnant.
La nuit, la neige- Messages : 18132
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: La maladie de la princesse de Lamballe
Merci pour tous ces documents...
La description clinique de l’état de la Princesse est très complète, on pourrait dire très moderne, et le récit de la cure, lui aussi très édifiant... Dignes de Charcot et de Freud, quelques cent ans plus tôt...
Voici les réflexions que cela m’a inspiré :
Mme. de Lamballe souffre depuis longtemps de troubles tels que: céphalées, pertes de connaissance, émotivité ...
On connaît déjà l’épilepsie, qui est un trouble d’origine organique, mais Seiffert semble très vite éliminer ce diagnostic ( et pourtant il n’avait pas de Scanner...) Notez au passage comme cette maladie, en France, a conservé son côté maléfique : approcher une épileptique, c’était risquer d’avorter pour une femme enceinte, voire de mourir... De telles superstitions auront encore longtemps la vie dure. .,
Afin de se faire une idée exacte des crises de sa patiente, Seiffert va l’observer chez elle, dans son quotidien. Puis il l’examine physiquement, découvre une tuméfaction qui augmente de volume pendant les crises, note la fréquence et la périodicité de ces crises ; surtout, il lui demande de raconter son histoire, y compris sa vie sexuelle.
Tout ceci est génial, car cela ressemble plutôt à une démarche médicale moderne, telle qu’on la pratiquera au 19e, après les enseignements de Claude Bernard.
De plus, ce médecin ne se laisse nullement impressionner : « princesse du sang ou pas, vous êtes ma patiente »...
Venons-en aux traitements :
Pour la pharmacopée, il utilise ce dont on dispose à l’époque, des sédatifs végétaux. Ils ont une action indéniable, l’effet placebo fait le reste (comme de nos jours...)
Pour ce que nous appellerions aujourd’hui le soutien psychothérapeutique : il s’appuie sur la confiance indéfectible que la Princesse lui porte. A tel point qu’elle ne veut pas se séparer de lui. Il part même en cure avec elle...
Pour le reste, ce sont là aussi les méthodes de l’époque : certains aliments interdits, d’autres recommandés.
Notons enfin qu’il lui prescrit l’abstinence sexuelle pendant toute la durée de la cure.
Qu’en penser aujourd’hui ?
D’abord, que Seiffert était génial, en avance sur son temps, comme peut être toute la médecine allemande de l’époque.
Le tableau paraît bien sûr être celui d’une hystérie typique grave, comparable à celles que décrira Charcot un siècle plus tard à la Salpetriere à Paris.
Petit rappel: À cette époque, à la fin du 19e , l’hôpital de la Salpêtrière est le lieu le plus avancé de la recherche sur les maladies neurologiques. Un certain nombre de ces maladies restent de cause inexpliquée car on ne retrouve pour elles aucune lésion organique. Pourtant ces patient(e)s sont réellement paralysés, amnésiques, aphasiques, convulsifs, etc. C’est le professeur Charcot qui s’occupe d’eux, et va démontrer entre autre que ce ne sont pas des simulateurs. On vient de loin pour assister à ses conférences et ses présentations de patients. Les soins sont balbutiants; on arrive à en guérir certains par l’électricité...
Le jeune Freud, a l’époque neurologue viennois, sera un élève de Charcot. Lui viendra le goût de s’occuper de ces hystériques, avec ou sans troubles physiques. C’est grâce à elles ( à l’époque sa patientelle est essentiellement féminine), qu’il découvrira, d’abord par l’hypnose, le refoulement, l’origine sexuelle de la conversion hystérique, la sexualité infantile etc etc. « L’hystérie, la voie royale vers l’inconscient », pourra-t-il dire.
Enfin, le traitement et la cure psychanalytique, dont il sera le pionnier : le traitement de la névrose passe par la parole, la parole adressée au thérapeute, réceptacle de tous les affects, même s’ils sont à destination d’autres personnes...Ce sera cela le transfert.
Ainsi Seiffert fut, comme Mr. Jourdain, un peu le psychanalyste de la Princesse (Freud, lui, a aussi eu sa Princesse, Marie Bonaparte...) Le transfert fonctionna à fond, puisqu’on pensa même qu’ils étaient amants...
Que se sont ils dit ? Secret professionnel...
Mais la Princesse a pu, espérons-le, aborder son passé traumatique ( à l’époque de Lamballe ), la notoriété et sa fonction à la Cour, peut être trop lourde pour elle...
Enfin, saluons l’attitude de la Reine en la circonstance : bien que lassée du comportement pathologique de son amie, elle ne l’abandonne pas, et la soutient même dans sa démarche de soin: chapeau Madame ! (si je puis me permettre...)
La description clinique de l’état de la Princesse est très complète, on pourrait dire très moderne, et le récit de la cure, lui aussi très édifiant... Dignes de Charcot et de Freud, quelques cent ans plus tôt...
Voici les réflexions que cela m’a inspiré :
Mme. de Lamballe souffre depuis longtemps de troubles tels que: céphalées, pertes de connaissance, émotivité ...
On connaît déjà l’épilepsie, qui est un trouble d’origine organique, mais Seiffert semble très vite éliminer ce diagnostic ( et pourtant il n’avait pas de Scanner...) Notez au passage comme cette maladie, en France, a conservé son côté maléfique : approcher une épileptique, c’était risquer d’avorter pour une femme enceinte, voire de mourir... De telles superstitions auront encore longtemps la vie dure. .,
Afin de se faire une idée exacte des crises de sa patiente, Seiffert va l’observer chez elle, dans son quotidien. Puis il l’examine physiquement, découvre une tuméfaction qui augmente de volume pendant les crises, note la fréquence et la périodicité de ces crises ; surtout, il lui demande de raconter son histoire, y compris sa vie sexuelle.
Tout ceci est génial, car cela ressemble plutôt à une démarche médicale moderne, telle qu’on la pratiquera au 19e, après les enseignements de Claude Bernard.
De plus, ce médecin ne se laisse nullement impressionner : « princesse du sang ou pas, vous êtes ma patiente »...
Venons-en aux traitements :
Pour la pharmacopée, il utilise ce dont on dispose à l’époque, des sédatifs végétaux. Ils ont une action indéniable, l’effet placebo fait le reste (comme de nos jours...)
Pour ce que nous appellerions aujourd’hui le soutien psychothérapeutique : il s’appuie sur la confiance indéfectible que la Princesse lui porte. A tel point qu’elle ne veut pas se séparer de lui. Il part même en cure avec elle...
Pour le reste, ce sont là aussi les méthodes de l’époque : certains aliments interdits, d’autres recommandés.
Notons enfin qu’il lui prescrit l’abstinence sexuelle pendant toute la durée de la cure.
Qu’en penser aujourd’hui ?
D’abord, que Seiffert était génial, en avance sur son temps, comme peut être toute la médecine allemande de l’époque.
Le tableau paraît bien sûr être celui d’une hystérie typique grave, comparable à celles que décrira Charcot un siècle plus tard à la Salpetriere à Paris.
Petit rappel: À cette époque, à la fin du 19e , l’hôpital de la Salpêtrière est le lieu le plus avancé de la recherche sur les maladies neurologiques. Un certain nombre de ces maladies restent de cause inexpliquée car on ne retrouve pour elles aucune lésion organique. Pourtant ces patient(e)s sont réellement paralysés, amnésiques, aphasiques, convulsifs, etc. C’est le professeur Charcot qui s’occupe d’eux, et va démontrer entre autre que ce ne sont pas des simulateurs. On vient de loin pour assister à ses conférences et ses présentations de patients. Les soins sont balbutiants; on arrive à en guérir certains par l’électricité...
Le jeune Freud, a l’époque neurologue viennois, sera un élève de Charcot. Lui viendra le goût de s’occuper de ces hystériques, avec ou sans troubles physiques. C’est grâce à elles ( à l’époque sa patientelle est essentiellement féminine), qu’il découvrira, d’abord par l’hypnose, le refoulement, l’origine sexuelle de la conversion hystérique, la sexualité infantile etc etc. « L’hystérie, la voie royale vers l’inconscient », pourra-t-il dire.
Enfin, le traitement et la cure psychanalytique, dont il sera le pionnier : le traitement de la névrose passe par la parole, la parole adressée au thérapeute, réceptacle de tous les affects, même s’ils sont à destination d’autres personnes...Ce sera cela le transfert.
Ainsi Seiffert fut, comme Mr. Jourdain, un peu le psychanalyste de la Princesse (Freud, lui, a aussi eu sa Princesse, Marie Bonaparte...) Le transfert fonctionna à fond, puisqu’on pensa même qu’ils étaient amants...
Que se sont ils dit ? Secret professionnel...
Mais la Princesse a pu, espérons-le, aborder son passé traumatique ( à l’époque de Lamballe ), la notoriété et sa fonction à la Cour, peut être trop lourde pour elle...
Enfin, saluons l’attitude de la Reine en la circonstance : bien que lassée du comportement pathologique de son amie, elle ne l’abandonne pas, et la soutient même dans sa démarche de soin: chapeau Madame ! (si je puis me permettre...)
Dernière édition par Vicq d Azir le Dim 23 Sep 2018, 17:36, édité 2 fois
Vicq d Azir- Messages : 3676
Date d'inscription : 07/11/2014
Age : 76
Localisation : Paris x
Re: La maladie de la princesse de Lamballe
Très bien vu mon cher Vicq. La princesse de Lamballe avait une névrose carabinée. Elle n'avait pas du avoir une enfance très joyeuse, l'ambiance à la maison de Savoie étant assez stricte. Rappelons-nous que le duc de Penthièvre la choisit comme épouse pour son fils, en raison de sa réputation de sagesse et piété. Une femme bien soumise donc, qui ne devait pas être très heureuse en réalité.
J'ai lu quelque part que le genre de phobies dont elle était affectée (peur des écrevisses notamment) pouvait être liée à un syndrome d'abandon par le père (ou quelque chose dans ce goût-là. ).
Ce n'était pas toujours drôle d'être prince ou princesse à cette époque. La folie de Christian VII de Danemark est souvent attribuée au caractère excessivement strict et sévère de son éducation. Frédéric II est brutalisé et humilié par son père. Et que dire du pauvre Louis XVI, qui fut étouffé par son éducation.
J'ai lu quelque part que le genre de phobies dont elle était affectée (peur des écrevisses notamment) pouvait être liée à un syndrome d'abandon par le père (ou quelque chose dans ce goût-là. ).
Ce n'était pas toujours drôle d'être prince ou princesse à cette époque. La folie de Christian VII de Danemark est souvent attribuée au caractère excessivement strict et sévère de son éducation. Frédéric II est brutalisé et humilié par son père. Et que dire du pauvre Louis XVI, qui fut étouffé par son éducation.
Duc d'Ostrogothie- Messages : 3227
Date d'inscription : 04/11/2017
Re: La maladie de la princesse de Lamballe
Merci, cher Févicq, pour cette analyse ( géniale aussi ! ) des méthodes de praticien de Seiffert . L'on a donc grand tort de mépriser assez généralement la médecine du XVIIIème siècle . Il y a loin d'elle aux médecins de Molière.
Vicq d Azir a écrit:
Le jeune Freud, a l’époque neurologue viennois, sera un élève de Charcot. Lui viendra le goût de s’occuper de ces hystériques, avec ou sans troubles physiques.
Emile Zola, ami et disciple de Charcot, a observé avec acuité les mécanismes de l'hystérie qu'il a relatés dans son magistral triptyque Les trois villes Lourdes, Rome, Paris.
Lourdes dénonce les escroqueries à la guérison, les rivalités entre les différents courants du clergé, les Pères de la grotte assimilés à de nouveaux marchands du temple. Les réactions à sa publication sont immédiates et aboutissent à la mise à l'Index de toute l'œuvre de Zola.
_________________
... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: La maladie de la princesse de Lamballe
Merci chère Eléonore, je l’ignorais...
Vicq d Azir- Messages : 3676
Date d'inscription : 07/11/2014
Age : 76
Localisation : Paris x
Re: La maladie de la princesse de Lamballe
Merci mes chers amis pour vos remarques et spécialement à Vicq pour son analyse
Je n'ai pas fait mention de la biographie de Michel de Decker pour la simple raison qu'il n'a rien ajouté de ce qu'on ne sait déjà ; en plus, voir à chaque fin de phrase un point d'exclamation, n'aide pas tellement à en apprécier la lecture.
La source principale qui sert de base à mon récit reste d'ailleurs l'article de Seiffert dans sa langue d'origine. Je n'ai eu recours à Cabanès et Arnaud que pour vérifier si la traduction en français est fidèle à l'original et quelle est leur opinion sur notre bon docteur...
Le travail fait par les biographes français est, à mon avis, insuffisant. Ils ont toujours assumé que Seiffert était le médecin du duc d'Orléans. Il aurait suffi de consulter les almanachs royaux pour voir qu'il était médecin consultant du comte d'Artois.
Cela change peut-être peu au cours de l'histoire, mais nous voyons souvent comment un détail infime peut mettre les choses dans une toute autre perspective.
En effet, il faut absolument prendre le récit de Seiffert par des pincettes, notamment là où il parle de ses adversaires, même si dans les grosses lignes on peut assumer qu'il dit la vérité, surtout lorsqu'il décrit en détail la maladie de sa patiente.
N'oublions pas qu'il s'agit effectivement d'une "Krankheitsgeschichte" : l'histoire de la maladie de la princesse.
Pour les spécialistes, lecteurs avisés et ses confrères, il a sans doute jugé que le cas médical de la princesse valait la peine d'être détaillé, dont sa méthode, révolutionnaire si l'on peut dire, de questionner la princesse en profondeur pour en savoir plus sur sa psychologie.
Il l'a fait dans un périodique allemand qui n'était pas très répandu en France. Sans doute ne trouvait-il pas nécessaire de révéler les noms de ses détracteurs, si évidemment tout cela était vrai. Ce qui importait pour Seiffert, c'était d'affirmer qu'il a pu guérir sa patiente, là où les autres médecins avaient échoué et l'avaient même déclaré incurable.
Dans ce contexte, n'est-il pas surprenant que dans l'hôtel que la princesse de Lamballe avait occupé à Passy, le psychiatre Esprit Sylvestre Blanche installe en 1846 sa clinique pour maladies mentales, reprise ensuite par son fils Emile-Antoine.
Il existe un excellent livre à ce sujet par Laure Murat :La Maison du docteur Blanche : histoire d’un asile et de ses pensionnaires, de Nerval à Maupassant, Paris, Jean-Claude Lattès, 2001
Mme de Sabran a écrit: Je ne vois pas Michel de Decker dans tes sources ?
Je n'ai pas fait mention de la biographie de Michel de Decker pour la simple raison qu'il n'a rien ajouté de ce qu'on ne sait déjà ; en plus, voir à chaque fin de phrase un point d'exclamation, n'aide pas tellement à en apprécier la lecture.
La source principale qui sert de base à mon récit reste d'ailleurs l'article de Seiffert dans sa langue d'origine. Je n'ai eu recours à Cabanès et Arnaud que pour vérifier si la traduction en français est fidèle à l'original et quelle est leur opinion sur notre bon docteur...
Le travail fait par les biographes français est, à mon avis, insuffisant. Ils ont toujours assumé que Seiffert était le médecin du duc d'Orléans. Il aurait suffi de consulter les almanachs royaux pour voir qu'il était médecin consultant du comte d'Artois.
Cela change peut-être peu au cours de l'histoire, mais nous voyons souvent comment un détail infime peut mettre les choses dans une toute autre perspective.
La nuit, la neige a écrit:
J'avoue être très dubitatif pour tout ce qui concerne ces histoires de conspirations, jusqu'aux tentatives d'attentat.
S'il ne craint plus rien lors de la rédaction de ce compte rendu, pas même apparemment d'évoquer les questions surprenantes et graveleuses qu'il aurait osé poser à la princesse, pourquoi ne citerait-il pas le nom de ce "duc" ou de cette "marquise" empoisonneuse ?
En effet, il faut absolument prendre le récit de Seiffert par des pincettes, notamment là où il parle de ses adversaires, même si dans les grosses lignes on peut assumer qu'il dit la vérité, surtout lorsqu'il décrit en détail la maladie de sa patiente.
N'oublions pas qu'il s'agit effectivement d'une "Krankheitsgeschichte" : l'histoire de la maladie de la princesse.
Pour les spécialistes, lecteurs avisés et ses confrères, il a sans doute jugé que le cas médical de la princesse valait la peine d'être détaillé, dont sa méthode, révolutionnaire si l'on peut dire, de questionner la princesse en profondeur pour en savoir plus sur sa psychologie.
Il l'a fait dans un périodique allemand qui n'était pas très répandu en France. Sans doute ne trouvait-il pas nécessaire de révéler les noms de ses détracteurs, si évidemment tout cela était vrai. Ce qui importait pour Seiffert, c'était d'affirmer qu'il a pu guérir sa patiente, là où les autres médecins avaient échoué et l'avaient même déclaré incurable.
Vicq d Azir a écrit:
D’abord, que Seiffert était génial, en avance sur son temps, comme peut être toute la médecine allemande de l’époque.
Le tableau paraît bien sûr être celui d’une hystérie typique grave, comparable à celles que décrira Charcot un siècle plus tard à la Salpetriere à Paris.
Dans ce contexte, n'est-il pas surprenant que dans l'hôtel que la princesse de Lamballe avait occupé à Passy, le psychiatre Esprit Sylvestre Blanche installe en 1846 sa clinique pour maladies mentales, reprise ensuite par son fils Emile-Antoine.
Il existe un excellent livre à ce sujet par Laure Murat :La Maison du docteur Blanche : histoire d’un asile et de ses pensionnaires, de Nerval à Maupassant, Paris, Jean-Claude Lattès, 2001
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« elle dominait de la tête toutes les dames de sa cour, comme un grand chêne, dans une forêt, s'élève au-dessus des arbres qui l'environnent. »
Comte d'Hézècques- Messages : 4390
Date d'inscription : 21/12/2013
Age : 44
Localisation : Pays-Bas autrichiens
Re: La maladie de la princesse de Lamballe
Je ne me souviens pas du tout que Fortaire, le fidèle valet de chambre du duc de Penthièvre, présente Mme de Lamballe comme une jeune-femme malade ...
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Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
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