Combourg, le donjon de Chateaubriand ...
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Combourg, le donjon de Chateaubriand ...
À mon retour de Brest, quatre maîtres (mon père, ma mère, ma sœur et moi) habitaient le château de Combourg. Une cuisinière, une femme de chambre, deux laquais et un cocher composaient tout le domestique : un chien de chasse et deux vieilles juments étaient retranchés dans un coin de l’écurie. Ces douze êtres vivants disparaissaient dans un manoir où l’on aurait à peine aperçu cent chevaliers, leurs dames, leurs écuyers, leurs valets, les destriers et la meute du roi Dagobert.
Les distractions du dimanche expiraient avec la journée : elles n’étaient pas même régulières. Pendant la mauvaise saison, des mois entiers s’écoulaient sans qu’aucune créature humaine frappât à la porte de notre forteresse. Si la tristesse était grande sur les bruyères de Combourg, elle était encore plus grande au château.
Le calme morne du château de Combourg était augmenté par l’humeur taciturne et insociable de mon père.
... l’oreille n’était frappée que du bruit mesuré de ses pas, des soupirs de ma mère et du murmure du vent.
Avant de me retirer, ma mère et ma soeur me faisaient regarder sous les lits, dans les cheminées, derrière les portes, visiter les escaliers, les passages et les corridors voisins. Toutes les traditions du château, voleurs et spectres, leur revenaient en mémoire. Les gens étaient persuadés qu’un certain comte de Combourg, à jambe de bois, mort depuis trois siècles, apparaissait à certaines époques, et qu’on l’avait rencontré dans le grand escalier de la tourelle ; sa jambe de bois se promenait aussi quelquefois seule avec un chat noir.
Ces récits occupaient tout le temps du coucher de ma mère et de ma sœur : elles se mettaient au lit mourantes de peur ; je me retirais au haut de ma tourelle ; la cuisinière rentrait dans la grosse tour, et les domestiques descendaient dans leur souterrain.
La fenêtre de mon donjon s’ouvrait sur la cour intérieure ; le jour, j’avais en perspective les créneaux de la courtine opposée, où végétaient des scolopendres et croissait un prunier sauvage.
L’entêtement du comte de Chateaubriand à faire coucher un enfant seul au haut d’une tour pouvait avoir quelque inconvénient ; mais il tourna à mon avantage. Cette manière violente de me traiter me laissa le courage d’un homme, sans m’ôter cette sensibilité d’imagination dont on voudrait aujourd’hui priver la jeunesse. Au lieu de chercher à me convaincre qu’il n’y avait point de revenants, on me força de les braver. Lorsque mon père me disait, avec un sourire ironique : « Monsieur le chevalier aurait-il peur ? » il m’eût fait coucher avec un mort. Lorsque mon excellente mère me disait : « Mon enfant, tout n’arrive que par la permission de Dieu ; vous n’avez rien à craindre des mauvais esprits, tant que vous serez bon chrétien ; » j’étais mieux rassuré que par tous les arguments de la philosophie.
Lucile était grande et d’une beauté remarquable, mais sérieuse. Son visage pâle était accompagné de longs cheveux noirs ; elle attachait souvent au ciel ou promenait autour d’elle des regards pleins de tristesse ou de feu. Sa démarche, sa voix, son sourire, sa physionomie avaient quelque chose de rêveur et de souffrant.
Lucile et moi nous nous étions inutiles. Quand nous parlions du monde, c’était de celui que nous portions au-dedans de nous et qui ressemblait bien peu au monde véritable. Elle voyait en moi son protecteur, je voyais en elle mon amie. Il lui prenait des accès de pensées noires que j’avais peine à dissiper : à dix-sept ans, elle déplorait la perte de ses jeunes années ; elle se voulait ensevelir dans un cloître. Tout lui était souci, chagrin, blessure : une expression qu’elle cherchait, une chimère qu’elle s’était faite, la tourmentaient des mois entiers.
Je l’ai souvent vue, un bras jeté sur sa tête, rêver immobile et inanimée ; retirée vers son cœur, sa vie cessait de paraître au dehors ; son sein même ne se soulevait plus. Par son attitude, sa mélancolie, sa vénusté, elle ressemblait à un Génie funèbre. J’essayais alors de la consoler, et, l’instant d’après, je m’abîmais dans des désespoirs inexplicables.
La vie que nous menions à Combourg, ma sœur et moi, augmentait l’exaltation de notre âge et de notre caractère. Notre principal désennui consistait à nous promener côte à côte dans le grand Mail, au printemps sur un tapis de primevères, en automne sur un lit de feuilles séchées, en hiver sur une nappe de neige que brodait la trace des oiseaux, des écureuils et des hermines. Jeunes comme les primevères, tristes comme la feuille séchée, purs comme la neige nouvelle, il y avait harmonie entre nos récréations et nous.
Ce fut dans une de ces promenades que Lucile, m’entendant parler avec ravissement de la solitude, me dit : « Tu devrais peindre tout cela. » Ce mot me révéla la Muse ; un souffle divin passa sur moi. Je me mis à bégayer des vers, comme si c’eût été ma langue naturelle.
Un voisin de la terre de Combourg était venu passer quelques jours au château avec sa femme, fort jolie. Je ne sais ce qui advint dans le village ; on courut à l’une des fenêtres de la grand’salle pour regarder. J’y arrivai le premier, l’étrangère se précipitait sur mes pas, je voulus lui céder la place et je me tournai vers elle ; elle me barra involontairement le chemin, et je me sentis pressé entre elle et la fenêtre. Je ne sus plus ce qui se passa autour de moi.
Dès ce moment, j’entrevis que d’aimer et d’être aimé d’une manière qui m’était inconnue devait être la félicité suprême.
C’est dans les bois de Combourg que je suis devenu ce que je suis, que j’ai commencé à sentir la première atteinte de cet ennui que j’ai traîné toute ma vie, de cette tristesse qui a fait mon tourment et ma félicité.
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Combourg, le donjon de Chateaubriand ...
Ah Merci...
Les photos et la prose, si gracieuse, de Chateaubriand : quel joli sujet !
J'écrivais déjà ICI :
Enfin, passons...
Le site internet du château de Combourg (qui appartient toujours à la famille Chateaubriand), propose un onglet " historique " de ce château. Je cite quelques extraits :
RENE-AUGUSTE DE CHATEAUBRIAND RACHETE LE DOMAINE
En 1734, René-Auguste de Chateaubriand, cadet d’une illustre famille plus riche d’honneurs que de biens, décide de tout faire pour redorer son blason : il s’engage dans la marine, devient armateur, livre plusieurs batailles, s’enrichit. En 1761, il rachète le château à son oncle, le duc de Duras. Le fief féodal, avec ses droits, ses vassaux et coutumes restaure le lustre de la famille.
Blason des Chateaubriand avec la devise « Mon sang teint la bannière de France »
Image : Château de Combourg
Après avoir entrepris quelques aménagements à l’intérieur du château le nouveau Comte de Combourg fait venir en 1777 de Saint-Malo sa femme et ses cinq enfants. François-René est alors âgé de huit ans. Son arrivée à Combourg fera l’objet d’un des passages les plus célèbres des « Mémoires d’outre-tombe ».
LA REVOLUTION
La Révolution Française va marquer en 1789 une étape décisive dans l’histoire de la Bretagne. Avant Paris, la révolution éclate à Rennes le 27 janvier 1789.
A la mort de René-Auguste de Chateaubriand en 1787 le Château de Combourg a pour seigneur Jean-Baptiste de Chateaubriand, frère ainé de l’auteur. Magistrat au parlement de Paris, il s’engage dans l’armée contre-révolutionnaire. Le château de Combourg pendant cette période est pillé, saccagé puis confisqué.
Sous la Terreur, Jean-Baptiste de Chateaubriand est arrêté et guillotiné avec sa femme, Aline de Rosambo, ses beaux-parents et le grand-père de sa femme, le célèbre Malesherbes, défenseur de Louis XVI, le 22 avril 1794.
François-René, frère cadet et futur écrivain, revenu d’Amérique pour combattre la Révolution s’engage dans le régiment de Navarre et rejoint l’armée des Princes à Namur. Blessé au siège de Thionville il est envoyé se soigner chez son oncle de Bedée, à Jersey, d’ou il partira pour l’Angleterre vivre l’immigration jusqu’en 1800.
Le Château de Combourg est restitué en 1796, totalement inhabitable. Il demeurera ainsi durant quatre-vingts ans : l’héritier, fils de Jean-Baptiste et neveu de François-René, est alors âgé de 7 ans.
Élevé à Verneuil par son tuteur et oncle Christian, Comte de Tocqueville, Louis-Geoffroy de Chateaubriand reviendra à Combourg à plusieurs reprises sans jamais y habiter.
Il mettra à disposition des enfants du village la salle des gardes, pour que tous reçoivent une éducation. Il ira jusqu’à en financer une partie, signant ainsi le début du premier collège de Combourg. Cela durera deux ans, pendant lesquels le collège Saint Guildin est construit.
(...)
LA RESTAURATION NEO-GOTHIQUE
En 1875, Geoffroy, petit-fils de Jean-Baptiste, revient au château et le fait restaurer afin de transformer la forteresse médiévale en lieu de vie pour une famille du XIXe siècle.
Le parc sera alors dessiné à l’anglaise par Denis et Eugène Bühler. Ils s’inspirent des Mémoires d’outre-tombe et recréent la Cour Verte, le grand et le petit mail, les allées de chênes, de tilleuls et de marronniers.
La forteresse est réaménagée dans l’esprit néo-gothique contemporain par Ernest Thrile, influencé par le style d’Eugène Viollet-le-Duc.
La salle des Gardes est divisé en deux parties et fait place a un salon et une salle à manger. La cour intérieure est diminuée afin de créer un grand escalier central et un étage pour joindre le logis nord au logis sud.
Influencé par Viollet-le-Duc, le décor des murs raconte dès l’entrée du vestibule “à voutes ogives” l’histoire glorieuse des Chateaubriand.
Source et infos complémentaires : Château de Combourg
Les photos et la prose, si gracieuse, de Chateaubriand : quel joli sujet !
J'écrivais déjà ICI :
La nuit, la neige a écrit:
Comment ??! Nous n'avons donc aucun sujet consacré à Chateaubriand, ni même à ses Mémoires d'outre-tombe ?? Je suis choqué !
Nous citions longuement cet extrait, ainsi qu'un autre où il décrit la première fois qu'il aperçoit Louis XVI et Marie-Antoinette à Versailles, ici :
https://marie-antoinette.forumactif.org/t1069p15-le-tombeau-de-marie-antoinette#26351
Enfin, passons...
Le site internet du château de Combourg (qui appartient toujours à la famille Chateaubriand), propose un onglet " historique " de ce château. Je cite quelques extraits :
RENE-AUGUSTE DE CHATEAUBRIAND RACHETE LE DOMAINE
En 1734, René-Auguste de Chateaubriand, cadet d’une illustre famille plus riche d’honneurs que de biens, décide de tout faire pour redorer son blason : il s’engage dans la marine, devient armateur, livre plusieurs batailles, s’enrichit. En 1761, il rachète le château à son oncle, le duc de Duras. Le fief féodal, avec ses droits, ses vassaux et coutumes restaure le lustre de la famille.
Blason des Chateaubriand avec la devise « Mon sang teint la bannière de France »
Image : Château de Combourg
Après avoir entrepris quelques aménagements à l’intérieur du château le nouveau Comte de Combourg fait venir en 1777 de Saint-Malo sa femme et ses cinq enfants. François-René est alors âgé de huit ans. Son arrivée à Combourg fera l’objet d’un des passages les plus célèbres des « Mémoires d’outre-tombe ».
LA REVOLUTION
La Révolution Française va marquer en 1789 une étape décisive dans l’histoire de la Bretagne. Avant Paris, la révolution éclate à Rennes le 27 janvier 1789.
A la mort de René-Auguste de Chateaubriand en 1787 le Château de Combourg a pour seigneur Jean-Baptiste de Chateaubriand, frère ainé de l’auteur. Magistrat au parlement de Paris, il s’engage dans l’armée contre-révolutionnaire. Le château de Combourg pendant cette période est pillé, saccagé puis confisqué.
Sous la Terreur, Jean-Baptiste de Chateaubriand est arrêté et guillotiné avec sa femme, Aline de Rosambo, ses beaux-parents et le grand-père de sa femme, le célèbre Malesherbes, défenseur de Louis XVI, le 22 avril 1794.
François-René, frère cadet et futur écrivain, revenu d’Amérique pour combattre la Révolution s’engage dans le régiment de Navarre et rejoint l’armée des Princes à Namur. Blessé au siège de Thionville il est envoyé se soigner chez son oncle de Bedée, à Jersey, d’ou il partira pour l’Angleterre vivre l’immigration jusqu’en 1800.
Le Château de Combourg est restitué en 1796, totalement inhabitable. Il demeurera ainsi durant quatre-vingts ans : l’héritier, fils de Jean-Baptiste et neveu de François-René, est alors âgé de 7 ans.
Élevé à Verneuil par son tuteur et oncle Christian, Comte de Tocqueville, Louis-Geoffroy de Chateaubriand reviendra à Combourg à plusieurs reprises sans jamais y habiter.
Il mettra à disposition des enfants du village la salle des gardes, pour que tous reçoivent une éducation. Il ira jusqu’à en financer une partie, signant ainsi le début du premier collège de Combourg. Cela durera deux ans, pendant lesquels le collège Saint Guildin est construit.
(...)
LA RESTAURATION NEO-GOTHIQUE
En 1875, Geoffroy, petit-fils de Jean-Baptiste, revient au château et le fait restaurer afin de transformer la forteresse médiévale en lieu de vie pour une famille du XIXe siècle.
Le parc sera alors dessiné à l’anglaise par Denis et Eugène Bühler. Ils s’inspirent des Mémoires d’outre-tombe et recréent la Cour Verte, le grand et le petit mail, les allées de chênes, de tilleuls et de marronniers.
La forteresse est réaménagée dans l’esprit néo-gothique contemporain par Ernest Thrile, influencé par le style d’Eugène Viollet-le-Duc.
La salle des Gardes est divisé en deux parties et fait place a un salon et une salle à manger. La cour intérieure est diminuée afin de créer un grand escalier central et un étage pour joindre le logis nord au logis sud.
Influencé par Viollet-le-Duc, le décor des murs raconte dès l’entrée du vestibule “à voutes ogives” l’histoire glorieuse des Chateaubriand.
Source et infos complémentaires : Château de Combourg
La nuit, la neige- Messages : 18130
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: Combourg, le donjon de Chateaubriand ...
J'allais faire un petit topo historique, mais après, car je ne voulais pas m'incruster dans le texte de François-René.
Et schpounk ! tu m'as prise de vitesse. Je t'en remercie .
Voici la malheureuse Aline .
Elle n'avait que vingt trois ans !
souslesaulnesduroy.com
https://www.persee.fr/doc/abpo_0003-391x_1953_num_60_1_1904
Et schpounk ! tu m'as prise de vitesse. Je t'en remercie .
Voici la malheureuse Aline .
Elle n'avait que vingt trois ans !
souslesaulnesduroy.com
https://www.persee.fr/doc/abpo_0003-391x_1953_num_60_1_1904
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Combourg, le donjon de Chateaubriand ...
Je précise que ce que nous n'aurions garde de prendre pour un bout de caillou, est la Croix de Lucile .
C'est à cet endroit même, dit la tradition, que Lucile aurait insufflé à son frère le désir d'écrire. Peut-être y avait-il déjà un petit banc, pas celui-là bien sûr, auprès de cet arbre remarquable qui semble la concrétisation des âmes tourmentées de Lucile et François-René .
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Combourg, le donjon de Chateaubriand ...
De passage à Combourg il y a quelques semaines, voici le cordon, la plaque et la croix du Saint-Esprit de Chateaubriand, qui y sont pieusement conservés (photos interdites, j'ai fait ce que j'ai pu !). Ils sont accompagnés de sa Légion d'Honneur version Restauration, au profil d'Henri IV :
Cliché personnel
Cliché personnel
Gouverneur Morris- Messages : 11794
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: Combourg, le donjon de Chateaubriand ...
Merci, mon cher Momo !
Oh, s'il te plaît, encore encore des photos !!!
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Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Combourg, le donjon de Chateaubriand ...
Chateaubriand était frappé de surdité et se plaignait amèrement de cette infirmité. « Je comprends, dit Talleyrand, depuis qu'on a cessé de parler de lui, il se croit sourd.»
( Lord Holland, Souvenirs diplomatiques )
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Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
La nuit, la neige- Messages : 18130
Date d'inscription : 21/12/2013
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