Au Tambour Royal de Jean Ramponneau
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Au Tambour Royal de Jean Ramponneau
JEAN RAMPONNEAU
Jean Ramponneau ( 1724 - 1802 ) s'installe à Paris vers 1740 comme marchand de vin et achète, à la Courtille ( à l'extérieur de l'enceinte des Fermiers généraux, donc dispensés du paiement des taxes de l'octroi ) , le « cabaret des Marronniers », lieu déjà très fréquenté dont il fait le « Tambour royal » .
Il a l'idée de génie de vendre sa pinte de vin un sous moins cher que que ses voisins et concurrents. Le public se presse chez lui. il connait un succès considérable à partir des années 1760, accueillant artistes, ouvriers, bourgeois et aristocrates. Sa réputation, qu'il sait entretenir, est phénoménale. Il va jusqu'à se faire représenter sur des peintures murales en Bacchus, chevauchant un tonneau, avec la devise éloquente Monoye fait tout, et ces vers :
Voyez la France accourir au tonneau
Qui sert de trône à Monsieur Ramponneau
Sa belle humeur, ses saillies, sa bonne grosse figure rougeaude , son encolure de Silène et la magnifique enseigne où il est représenté à cheval sur un tonneau, contribuent, non moins que les solides qualités de sa cave, à attirer chez lui une foule incessante de buveurs et de joyeux garçons.
Dès 1758 il n'y a pas dans tout Paris une seule taverne qui soit plus à la mode que celle de Ramponneau ...
L’on voit aujourd’hui courir nos badaux / Sans les achever quitter leurs travaux;
Pourquoi c’est qu’ils vont chez Monsieur Ramponaux / Voilà la taverne à la mode
Dans l'établissement de Ramponneau, le beau monde commence à se mêler aux gens du peuple. C'est alors que l'ambition lui monte à la tête. A force de recevoir chez lui des auteurs et des comédiens, l'idée lui vient de se faire acteur, en plus de cabaretier. Il s'en va frapper à la porte d'un petit théâtre, dirigé par Gaudon, et lui offre ses services acceptés avec empressement. C'est l'assurance pour Gaudon que la popularité de Ramponneau sera fructueuse pour son théâtre.
Un traité est signé entre eux, le 27 mars 1760.
Ramponneau s'engage à jouer dans le spectacle de Gaudon, du 14 avril au 28 juin. Il touchera quatre cents livres, plus la moitié des produits et bénéfices , « tant par estampes que livres, chansons et autres généralement quelconques ». Un dédit de mille francs était stipulé.
Un galop d'essai sur les planches se révélant être un lamentable fiasco , Ramponneau sent sa vocation théâtrale faiblir. Il se rend donc chez un notaire pour faire dresser un acte de désistement, et l'envoie à Gaudon la veille du jour fixé pour ses débuts.
C'est un charabia franchement gonflé :
« Aujourd'hui est comparu le sieur Jean Ramponneau, cabaretier, ... lequel a volontairement déclaré que les résolutions mûres qu'il a faites sur les dangers qu'apporte au salut la profession des personnes qui montent sur le théâtre, et sur la justice des censures que l'Église a prononcées contre ces sortes de gens, l'ont déterminé à renoncer à jamais monter sur aucun théâtre, ce qu'il promet à Dieu, ni faire aucune fonction, profession, ni actes y analogues.
Pour quoi il proteste par les présentes contre toutes soumissions et engagements qu'il pourrait avoir faits avec qui que ce soit, notamment avec le sieur Gaulier, dit Gaudon, ... pour paraître ce jour, soit dans son spectacle, soit dans tout autre, ou pour souffrir qu'il soit fait par son ministère, sous son nom ou à son occasion, quelques actions, chansons, livres et estampes, le tout tendant à lui donner la publicité indécente qui ne convient qu'à des gens de cette sorte, comme lesdites conventions et engagements, quels qu'ils soient, n'ayant été et ne pouvant être qu'extorqués de lui dans des temps où il n'aurait pas eu l'usage de sa raison ni la faculté de faire des réflexions sur les conséquences de ces engagements pour son salut, etc. »
Gaudon y répond par une série de sommations et d'assignations, suivies enfin d'un procès, avec maître Élie de Beaumont pour avocat, contre maître Coqueley de Chaussepierre, avocat du cabaretier.
Ce procès met le comble à la célébrité de Ramponneau. Tous les journaux, toute la ville ne parlent plus d'autre chose ; on s'en occupe à Versailles, on parie pour et contre.
Voltaire même s'en mêle, et lance en faveur du cabaretier un mémoire spirituellement ironique et railleur.
Le tribunal donnant gain de cause aux scrupules de Ramponneau, moyennant la restitution des deux cents livres reçues , il peut retourner à son cabaret.
Au Théâtre de la Renaissance : le Cabaret de Ramponneau :
Ci-dessous, une célèbre gravure montre le TRIOMPHE DE RAMPONNEAU . C'est bien simple, on ne peut même plus approcher le cabaret.
En 1772, Ramponneau laisse le Tambour royal à son fils, et il achète le Cabaret de la Grande Pinte, situé au bout de la Chaussée d'Antin, à l'emplacement actuel de l'église de la Trinité dans le 9ème arrondissement.
Toutes sortes de populations fréquentent ce cabaret depuis la Régence.
A cette époque, par exemple, le brigand Cartouche y avait ses habitudes, un puits qui recoupe un souterrain lui permettant de s'enfuir rapidement.
Ramponneau rebaptise la Grande Pinte, Cabaret des Porcherons, du nom du quartier, du chemin et du château des Porcherons tout proche.
La salle est agrandie jusqu'à pouvoir accueillir 600 personnes.
Ramponneau renouvelle là son « coup » commercial. Il vend la pinte de vin blanc trois sols et demi, au lieu de quatre ailleurs. On se bouscule toujours dans l'immense salle de son restaurant.
L'habitude se crée pour ses plus fidèles clients de passer une nuit entière de beuverie , et de redescendre sur Paris au matin, en faisant force tapage : on appelle cela ramponner.
C'est probablement le prélude à une tradition festive et bachique qui prospèrera pendant tout le XIXème siècle, la " descente de la Courtille " illustrée ci-dessous :
Le 27 juillet 1830, Armand Barbès, Etienne Barbier-Pagès et des députés libéraux y tiendront une réunion pour préparer les Trois Glorieuses .
En 1800, notre Ramponneau est interné dans une maison de santé à Charonne pour des troubles psychiques.Il s'y éteint le 4 avril 1802.
_________________
On ne compte pas les oeuvres où Ramponneau fut mis en scène.
Dans la « comédie-folie » « Taconnet chez Ramponneau » ...
... ou le « réveillon de la Courtille« , joué en 1807 au théâtres des Variétés Panorama ,
avec la chanson « Vive le vin de Ramponneau »,
dont l’air fut repris par Béranger pour sa Grande Orgie.
On retrouve cet air dans Ramponneau ou le procès bachique,
un opéra comique joué en 1815 au théâtre des Variétés
Un siècle plus tard sur les barricades, Victor Hugo faisait chanter à Gavroche :
« Je fais la chansonnette, Faites le rigodon, Ramponneau, Ramponnette, don ! »
Dans le langage argotique, un ramponneau est un vigoureux coup de poing .
Ramponneau a sa rue à Paris, du côté de Belleville où une barrière porta son nom, naguère.
_________________
... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55304
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Au Tambour Royal de Jean Ramponneau
Louis-Sébastien Mercier, dans ses Tableaux de Paris : « Tel est le fameux nom de Ramponeau, plus connu mille fois de la multitude que celui de Voltaire et de Buffon. Il a mérité de devenir célèbre aux yeux du peuple, et le peuple n'est jamais ingrat. Il abreuvait la populace altérée de tous les faubourgs, à trois sous et demi la pinte : modération étonnante dans un cabaretier, et qu'on n'avait point encore vue jusqu'alors ! »
Monsieur de la Pérouse- Messages : 485
Date d'inscription : 31/01/2019
Localisation : Enfin à bon port !
Re: Au Tambour Royal de Jean Ramponneau
En 1737, un journalier du pays de Bray peut être payé entre 6 à 8 sous par journée de travail agricole. Même si c'est un prix assez bas, imaginez la différence de revenue entre un pauvre journalier normand et le petit peuple parisien qui pouvait dépenser plusieurs fois le salaire journalier du premier chez Ramponneau, considéré comme peu cher ! (ou alors il ne s'agissait pas vraiment du petit peuple que nous décrivent les récits ...)
https://www.cairn.info/revue-histoire-et-societes-rurales-2013-2-page-97.htm#
https://www.cairn.info/revue-histoire-et-societes-rurales-2013-2-page-97.htm#
Lucius- Messages : 11656
Date d'inscription : 21/12/2013
Age : 32
Re: Au Tambour Royal de Jean Ramponneau
Merci Eléonore pour ce sujet !
Autre illustration de la descente de la Courtille, conservée à Caranavalet, par Jean Pezous (Toulon, 1815 ; Paris, 1885) :
Précisions sujet représenté
Scène de genre. Paysage urbain. Carnaval. Défilé de personnages masqués et déguisés, venant de la rue de Belleville (du lieu dit de la Courtille, au pied de la barrière, où se trouvaient concentré les guinguettes et les cabarets non taxés) pour se rendre à Paris en traversant la barrière de Belleville, dont on aperçoit la grille, les deux guérites, et le pavillon de style néo-grec (ensemble faisant partie du mur des fermiers Généraux, construit par Ledoux en 1785).
Historique
Au matin du mercredi des cendres, la foule qui était venue s'encanailler pour le mardi gras à Belleville, dans les guinguettes et les cabarets, descendait la rue du Temple vers la Bastille et la promenade du Cours-la-Reine, le long de la Seine. Masqués, déguisés, toutes les catégories sociales se mêlaient. Un des plus célèbres meneurs entre 1830 et 1835 était M. de La Battut. Cette fête passa de mode vers 1838. (cf.Legrand d'Aussy 'Vie publique et privée des français' 1826 et Aug Luchet 'La Descente de la Courtille en 1833, dans Paris de 1800 à 1900').
Source : https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/joconde/11040000403
Mme de Sabran a écrit:
C'est probablement le prélude à une tradition festive et bachique qui prospèrera pendant tout le XIXème siècle, la " descente de la Courtille " illustrée ci-dessous :
Autre illustration de la descente de la Courtille, conservée à Caranavalet, par Jean Pezous (Toulon, 1815 ; Paris, 1885) :
Précisions sujet représenté
Scène de genre. Paysage urbain. Carnaval. Défilé de personnages masqués et déguisés, venant de la rue de Belleville (du lieu dit de la Courtille, au pied de la barrière, où se trouvaient concentré les guinguettes et les cabarets non taxés) pour se rendre à Paris en traversant la barrière de Belleville, dont on aperçoit la grille, les deux guérites, et le pavillon de style néo-grec (ensemble faisant partie du mur des fermiers Généraux, construit par Ledoux en 1785).
Historique
Au matin du mercredi des cendres, la foule qui était venue s'encanailler pour le mardi gras à Belleville, dans les guinguettes et les cabarets, descendait la rue du Temple vers la Bastille et la promenade du Cours-la-Reine, le long de la Seine. Masqués, déguisés, toutes les catégories sociales se mêlaient. Un des plus célèbres meneurs entre 1830 et 1835 était M. de La Battut. Cette fête passa de mode vers 1838. (cf.Legrand d'Aussy 'Vie publique et privée des français' 1826 et Aug Luchet 'La Descente de la Courtille en 1833, dans Paris de 1800 à 1900').
Source : https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/joconde/11040000403
Gouverneur Morris- Messages : 11706
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: Au Tambour Royal de Jean Ramponneau
Gouverneur Morris a écrit:la barrière de Belleville, dont on aperçoit la grille, les deux guérites, et le pavillon de style néo-grec (ensemble faisant partie du mur des fermiers Généraux, construit par Ledoux en 1785).
Il est formidable de découvrir, à travers les tableaux anciens, tous ces détails disparus du Paris d'antan ! La descente de la Courtille avait l'air d'être un sacré joyeux souk qui évoque tout à fait les Dionysies ! Le paganisme n'est pas loin. Rappelons que la barrière de Belleville, à cette époque, s'appelait la barrière Ramponneau . Bacchus à cheval sur son tonneau.
_________________
... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55304
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Au Tambour Royal de Jean Ramponneau
La célébrité du bonhomme me sidère.
Monsieur de la Pérouse- Messages : 485
Date d'inscription : 31/01/2019
Localisation : Enfin à bon port !
Mme de Sabran- Messages : 55304
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Au Tambour Royal de Jean Ramponneau
Monsieur de la Pérouse a écrit:La célébrité du bonhomme me sidère.
La force de l'effet de mode. Encore renforcé par les historiens, qui sont trop heureux d'avoir autant d'information, de témoignages et de sources variées pour un phénomène aussi banale que la convivialité populaire, et d'une personne d'un rang assez modeste.
Ces vues d'intérieur de cabaret sont rarissimes pour le XVIIIe et donc très précieux.
Lucius- Messages : 11656
Date d'inscription : 21/12/2013
Age : 32
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