Sophie de Ruffey, marquise de Monnier
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Sophie de Ruffey, marquise de Monnier
Sophie de Ruffey, marquise de Monnier
Sophie de Ruffey en robe de soie ivoire ceinturée de bleu (1789),
miniature sur ivoire peinte par Louis Marie Sicard, dit Sicardi (1743 - 1825).
Née le 9 janvier 1754, Marie Thérèse Sophie Richard de Ruffey est la fille de Gilles Germain Richard de Ruffey, président de la chambre des comptes de Bourgogne, et d'Anne Claude de La Forest. Si l'on a, selon ses propres dires, un moment envisagé pour elle un mariage avec Buffon, ami de son père, Sophie est mariée le 1er juillet 1771, à 17 ans, au marquis de Monnier, premier Président de la Chambre des comptes de Dole et de 49 ans son aîné.
En 1726, le marquis de Monnier avait épousé en premières noces Antoinette d'Arvisenet dont il eut une fille unique, Jeanne Antoinette Gabrielle, qui, pour épouser M. de Valdahon, s'opposa à son père lors d'un retentissant procès en 1771 . Ainsi, il semblerait que le projet de son mariage avec Sophie ait été conçu par le Monnier comme un moyen de déshériter sa propre fille.
Le mariage eut lieu dans la propriété de M. de Ruffey, le château de Trouhans, en Côte d'Or.
À l'occasion de ce mariage et non sans une clairvoyante ironie, Voltaire envoya ses félicitations à M. de Ruffey, le père de Sophie : « Je ne savais pas, mon cher président, que M. Le Monnier (sic) fût un jeune homme à marier. Je lui en fais mon compliment, et je le trouve très heureux d'épouser mademoiselle votre fille ».
Mais l'idée même du chimérique projet de mariage avec Buffon sera évoqué par Sophie à plusieurs reprises.
Elle est discutée dans: Henri Nadault de Buffon - Correspondance inédite de Buffon -
____________________Mme de Ruffey était toujours accompagnée de ses filles ...
Quoiqu'il en soit, voici qu'en 1775, notre Sophie, devenue marquise de Monnier, fait la connaissance de Gabriel-Honoré, comte de Mirabeau, « Un homme dont le talent n’avait d’égal que sa laideur » . Il était alors enfermé au fort de Joux, près de Pontarlier, tout en jouissant d'une certaine liberté de mouvement. Mirabeau fut invité à un repas donné par monsieur de Saint-Mauris, gouverneur de la place, à l'occasion des fêtes du sacre de Louis XVI. C'est ainsi qu'il rencontra Sophie de Monnier.
Au lieu de rentrer sagement dans sa prison, comme de bien entendu il en avait l'ordre, Mirabeau prit la clef des champs, se cachant chez des particuliers et notamment son ami, le perruquier Bourrier. Il poussa même l'audace jusqu'à passer plusieurs jours chez M. de Monnier. Sophie, que Thomas Carlyle qualifiera de « lovely, sad-heroic young wife », était devenue sa maîtresse.
Le marquis ayant résolu d'envoyer Sophie chez ses parents, à Dijon, Mirabeau pensa trouver là l'occasion rêvée d'enlever l'objet de sa flamme ... mais M. et Mme de Ruffey ( et toute la famille avec ... ) exerçaient sur leur fille une surveillance étroite. La suite est un rocambolesque enchaînement d'aventures et rebondissements, Mirabeau fuyant la police royale, Sophie essayant de fuir parents et mari. Elle finit par rejoindre son amant en Suisse où il s'est rendu clandestinement, et s'enfuit avec lui en Hollande.
Mirabeau a consigné une chronologie des événements dans des Souvenirs tracés de sa main, depuis Pontarlier jusqu'à son arrivée à Amsterdam avec Sophie, du 25 mai 1775 au 7 octobre 1776, où il écrit notamment :
« J'arrive le 25 mai à Pontarlier. Mois de juin. Sophie vient au château de Montpelat. Mois de juillet. Fêtes pour le sacre. Je ne parais plus chez le marquis de Monnier. 25 octobre. À son retour de ses terres, j'y vais. Voyage en Suisse en Novembre. 13 décembre. Je fus heureux. Le 14 janvier 1776. Je me cache chez Sophie pour ne pas remonter au château. (...) Jeudi 14 mars. Je passe la nuit à la Perspective avec Sophie. (...) Première évasion, tentée avec Le Gay le mardi 14 mai, empêchée par Montherot. Seconde, dans la nuit du vendredi 24 au samedi 25, avec le chevalier de Mâcon. (...) Je pars dans la nuit de mardi 13 août au mercredi 14, pour Verrières. (...) J'arrive le vendredi 23. Samedi 24, Sophie arrive aux Verrières à onze heures et demie du soir. Vendredi 15 [septembre]. Départ des Verrières à dix heures du soir. Le jeudi 26. Arrivé à Roterdam. Lundi 7 octobre 1776. Arrivé à Amsterdam ».
Portrait de Sophie de Monnier, à trente ans environ, par Johann Julius Heinsius -
reproduit dans Sophie de Monnier et Mirabeau, d'après leur correspondance secrète inédite (1775-1789).
Dans une lettre datée de juillet 1777 à Mme de Ruffey, sa mère, Sophie résumait ainsi la décision qu'elle avait prise de quitter le marquis de Monnier et de suivre Mirabeau dans sa fuite en Hollande :
« L'avenir ne m'offrait que trois perspectives: la mort, l'esclavage accompagné du désespoir, et le bonheur. J'ai choisi celui-ci; qui aurait pu hésiter ?... ». Alors qu'on essayait de la persuader de retourner auprès du marquis, Sophie s'écriait : « L’intérêt jamais ne me guidera; on peut tout m'ôter, hors ma façon de penser et mes sentiments; jamais je ne rentrerai chez lui, je le déclare: je préférerais l'échafaud ! ».
Elle a été ainsi fidèle jusqu'au bout à la haute idée qu'elle se faisait de sa conscience libre : « Nulle personne au monde, écrit-elle. n'a le pouvoir de dominer ma conscience et je crois devoir refuser obstinément tout ce qui la blesse ».
Malgré les protestations d'amour et de fidélité de Sophie, Mirabeau se montre jaloux, tyrannique même !
Sophie et Gabriel séjourneront sept mois à Amsterdam, d'octobre 1776 à mai 17777. Lui trouvait du travail chez les libraires, elle lui servant de secrétaire et donnant en outre des leçons d'italien. Parfois quelques nuages obscurcissaient le ciel si pur de leur amour, mais ils se dissipaient vite.
Un libraire bien connu d'Amsterdam, Marc-Michel Rey, reconnut Mirabeau sous la fausse identité de comte de Saint-Mathieu et ne trouva rien de plus pressé à faire que de révéler au marquis de Monnier le nom de la ville où il débusquerait sa femme et son amant. De son côté, Mme de Ruffey écrivait au marquis de Mirabeau, l'Ami des hommes, que son fils était à Thonon, en Savoie, et d'agir promptement auprès du ministre Vergennes pour obtenir du gouvernement sarde son arrestation. " Monsieur votre fils cause le malheur d'une famille et la perte d'une femme bien née et bien élevée au point de lui faire oublier toutes les lois du devoir et de l'honneur ... "
Mirabeau, croyant que l'on n'en voulait qu'à lui, commença par se cacher, mais il se constitua prisonnier quand il sut que l'ordre d'arrestation visait également Sophie. Elle tenta de s'empoisonner en avalant une dose d'opium .
Arrest of Honore-Gabriel Riqueti de Mirabeau and Sophie de Monnier
in 1776 in Amsterdam” (engraving)...
Arrêtés ensemble, ils seront reconduits en France sous escorte policière en mai 1777. L'ordre du roi portait que Mme de Monnier serait conduite à Sainte-Pélagie, où l'on enfermait les femmes de mauvaises moeurs, mais la Vauguyon étant allé voir la prisonnière attesta qu'elle paraissait " sentir tous ses torts " et méritait moins de rigueur... Sophie entra dans la maison de discipline de Mlle Douay, placée sous la surveillance de la police, rue de Charonne. Elle était enceinte. Elle y apprit que Mirabeau était quant à lui enfermé par lettre de cachet au donjon de Vincennes.
Après son accouchement, Sophie est séparée de son enfant et enfermée au couvent des sœurs de Sainte-Claire, à Gien, tandis que Mirabeau est condamné à mort par contumace.
C'est à cette époque qu'une correspondance s'échange entre eux, dont les lettres seront publiées, en partie, en 1792 par Pierre Louis Manuel, admirateur du comte de Mirabeau, sous le titre de Lettres à Sophie. Sophie est enceinte. Elle craint de voir son enfant introduit chez M. de Monnier, qui a de l'honneur, de la probité, de la religion, comme " un voleur, dans des droits qu'il ne peut avoir. "
La petite fille de Sophie et Mirabeau, prénommée Gabrielle Sophie, fut aussitôt enlevée à sa mère. Elle périt à l'âge de deux ans, au moment où Monnier venait d'introduire à son encontre une instance de désaveu de paternité. Sophie avait été transférée, six mois après ses couches, au couvent des Saintes-Claires, sous le nom de marquise de Malleroy.
Au couvent de Gien, pendant cinq ans, Sophie mena une vie retirée, recevant de rares visites.
Mirabeau et Sophie s'écrivent assidûment. Les Lettres écrites du Donjon de Vincennes ont rendu célèbre le premier commis du Secret, Boucher, dont les attributions comprenaient la surveillance des prisonniers. Il avait reçu de Le Noir, qui voyait « dans ces permissions d'écrire, un grand secours pour calmer la fermentation des esprits échauffés par la solitude et la captivité », l'ordre de tolérer ces rapports épistolaires. Ils imaginèrent d'écrire avec du jus de citron, dans l'interligne des lettres permises, les marges de certains imprimés, les papiers enveloppant leurs envois. La supercherie fut découverte en mars 1779. Ils n'avaient plus qu'une ressource : corrompre des porte-clefs et des employés. Ils n'y manquèrent pas. La plupart des lettres que Sophie reçut du comte par ce moyen ont été, dans une intention respectable, détruites, en raison de leurs gravelures ( ) , par M. Lucas de Montigny, fils adoptif de Mirabeau; quelques-unes figurent dans le recueil de Manuel.
Une grande dame à laquelle Mirabeau prête un rôle aussi inattendu que supposé, celui de « protectrice », et dont il se vante, avec assurance, d'avoir été l'amant, est désignée par le monosyllabe Loi... Mme de Lamballe ! Il prétend avoir aussi reçu la visite au Donjon de Vincennes ( et les faveurs ) de quatre dames, que Sophie nomme les La..., l'une d'elles était Mme de Lamballe, une autre Mme de Guéménée, mais aussi Mme de Polignac sur laquelle Sophie donne des détails aussi intimes qu'impossibles à reproduire, et qu'elle tenait évidemment de Mirabeau. Elle appelle familièrement son mari « Jules » .
A SUIVRE ...
_________________
... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Sophie de Ruffey, marquise de Monnier
SUITE et ( triste ) FIN ...
Le chant d'amour des premières lettres de Sophie à Mirabeau est gâté par une idée qui, à chaque contre-temps, revient sous sa plume : celle du suicide. A peine compte-t-elle vingt-deux printemps quand, au souvenir des dangers autrefois courus par lui à Dijon, elle s'écrie : « Si l'on eût attenté à tes jours, je t'eusse vengé, puis suivi ! » Quand la surveillance de sa famille déjoue ses tentatives de fuite, elle se déclare prête à se tuer s'il ne l'arrache à ses souffrances ! Même menace à son mari, qui parle de solliciter contre elle une lettre de cachet.
Au moment d'être envoyés, l'un à Vincennes, l'autre à Gien. Mirabeau et Sophie s'étaienl promis de s'ôter la vie le même jour, si leurs maux devenaient intolérables. Ce pacte fui connu de .Mme de Ruffey, qui écrivit a sa fille : « Ceux qui inspirent de tels sentiments sont très méprisables, el ceux qui les adoptent bien à blâmer ! »
La méfiance maladive de Sophie passe toute imagination : elle voit des traîtres partout, dans sa famille, dans celle du comte, parmi ses hommes d'affaires, chez ses commissionnaires ! Elle se croit entourée d'espions...
Lui va bientôt commencer à ne se passionner que pour la politique .
Dans Une étude sur Mirabeau, Victor Hugo résume ainsi :
« La première partie de la vie de Mirabeau est remplie par Sophie, la seconde par la révolution. Un orage domestique, puis un orage politique, voilà Mirabeau ».
Portrait de Marie Thérèse Sophie Richard de Ruffey marquise de Monnier dite Sophie de Monnier
Gravé par Jean-Louis Delignon (1755-1804) — Collection MAS Estampes
Portrait de Sophie de Ruffey, marquise de Monnier - 177533. Cette estampe - titrée ainsi : Sophie - In bel corpo anima bella - est placée en tête de la traduction des Baisers de Jean Second ...
... que Mirabeau écrivit en prison « pour Sophie » et qu'il lui commenta ainsi :
«Si l'on y trouve des choses trop ardentes, il faut s'en prendre au Poète qui, tout Hollandais qu'il était, a écrit sous la dictée de l'Amour (...). Tout le changement que j'y ai fait, a été de substituer ton nom à celui de Nééra, sa maîtresse, parce qu'il m'eût été impossible d'adresser à une autre qu'à Sophie des choses si tendres».
Les religieuses, abusées par la douceur de Sophie, la croyaient sans volonté. Elles ignoraient que Sophie mangeait du jambon le Vendredi saint, après avoir fait ses Pâques la veille. Elle dérobait, dans la chapelle, un ornement pour fabriquer un portefeuille pour son amant, et lui offrait des « cœurs de Marie et de Jésus » donnés par l'abbesse, sous prétexte que les deux seuls cœurs faits pour s'entendre étaient les leurs. Elle lisait, pendant la messe, La nouvelle Héloïse. Elle riait des « mômeries » des religieuses et des conseils de l'abbé Batbedat, curé de Saint-Louis, qui lui conseillait la prière comme un moyen efficace de rentrer en grâce auprès de son mari ...
Après quarante-deux mois d'emprisonnement, Mirabeau sortait définitivement de Vincennes en janvier 1781, le 13 décembre 1780 exactement, « nu comme un ver ! » selon l'expression de son père.
Mirabeau prend pension chez Boucher, en attendant sa rentrée dans la maison paternelle. En mai 1781, il rend une visite secrète à Sophie au couvent de Gien. Il médite déjà une rupture en douceur. Dans les premiers mois de cette même année, il s'était informé de la hauteur des murs, et parlait de les escalader au moyen d'une échelle. Sophie lui en démontra le danger et prôna les avantages d'une clef qu'elle essaierait de se procurer et qui permettrait d'ouvrir la porte du jardin des Saintes-Claires. Opération impossible. On met alors dans la confidence le bien nommé jardinier Lafleur, qui promet de laisser le verrou ouvert.
Mirabeau dut constater chez Sophie un changement physique considérable; une grande partie de ses cheveux était tombée, et ceux qui restaient étaient devenus gris. Très précaire au début de 1780, sa santé exigeait des remèdes et les soins assidus du docteur Ysabeau. Ses yeux étaient en mauvais état, et l'application au travail lui causait des douleurs telles qu'elle était obligée de le suspendre sous peine de syncope. Elle souffrait aussi de maux particuliers aux femmes dont elle attribuait la cause au chagrin. Bien que ne se plaignant jamais, de peur d'inquiéter son ami, elle ne peut s'empêcher de lui écrire, en février 1781, à propos d'engelures : « Ma chair est devenue si mauvaise que le plus petit mal ne s'y guérit plus qu'à force d'emplâtres. Je n'ai jamais vu cela dans quelqu'un de sain. J'ai cent ans, je t'assure ! »
Il la quittera rapidement, s'attachant à trouver un arrangement définitif avec sa famille et le marquis de Monnier, avec l'accord de Sophie. Mirabeau, poussé par sou père, se décide a accepter une transaction, signée à Besançon le II août 1782, qui porte que Mme de Monnier, séparée de corps et de biens, renoncera à tous les avantages stipulés en sa faveur par son contrat de mariage, reprendra sa dot, et restera, pendant la vie du marquis, et même un an après sa mort, au couvent de Gien ...
« Les termes de l'arrangement, écrit M. Georges Leloir, étaient combinés de telle manière que le comte paraissait faire un sacrifice en se retirant d'une procédure qui lui avait fait perdre sa liberté depuis six mois, et qu'il semblait faire ce sacrifice en échange des avantages stipulés pour Mme de Monnier. »
« Ils pensaient tous, écrit Sophie à Mirabeau, que nous ne pouvions pas vivre l'un sans l'autre ! Hélas! mon époux, ils ont donc tort ! »
Ton mélancolique, montrant à quel point les finesses du comte avaient été impuissantes à lui donner le change et qu'elle ne comptait plus sur le retour du bonheur.
En attendant le décès du marquis de Monnier, l'abbesse avait autorisée Sophie à faire aménager une petite maison dont les portes s'ouvraient d'un côté sur la rue des Saintes-Claires, de l'autre sur les terrains du couvent.. Quelques mois après la mort du marquis, qui survint en mars 1783, Sophie se transporta ( 31 janvier 1784) dans ce nouveau logis.
Mirabeau, de son côté, se tourne résolument vers la politique. Pierre Gaxotte écrit :
« À peine sorti de prison, le voici à nouveau emporté par le tumulte de sa vie ».
Le temps a fait son œuvre, le souvenir de leur petite fille enterrée dans le cimetière paroissial de Deuil a commencé à s'effacer de la mémoire de son père, Sophie ne réalise pourtant pas encore une autre perte qu'elle est en train de faire : celle de son amant ! La mort de la petite Gabrielle-Sophie avait marqué, en effet, dans la vie de Mirabeau, une étape, la dernière de sa passion pour Mme de Monnier ... Sophie en tombe malade de chagrin, sans l'accuser pourtant, car elle se garde de faire « injure à son cœur ! »
Sophie, redevenue libre par la grâce de son veuvage, son marquis de mari étant mort le 4 mars 1783 à l'âge de 77 ans, Sophie donc peut désormais, employer son temps comme bon lui semble, elle a recours au grand remède des âmes blessées : à la charité. Les œuvres de bienfaisance absorbent la meilleure part de son temps. Sur les 3.000 livres de pension que lui fait sa famille, et sur la dot que lui a restituée, en 1782, la transaction avec M. de Monnier, obtenue par Mirabeau, elle prélève ton! ce qu'elle peut pour le soulagement des malheureux. Mais aussi, elle « souvent se rendait dans les châteaux environnants, où partout son esprit et son amabilité lui assuraient un accueil empressé ».
Elle fit ainsi la connaissance d'Edme-Benoît de Poterat, ancien capitaine de cavalerie, lieutenant des Maréchaux de France, âgé de trente et quelques années, homme d'une éducation parfaite et d'une loyauté éprouvée. Atteint d'une grave affection de poitrine, il alla se fixer à Gien, dans une maison située rue des Saintes Claires, en face de celle de Sophie, qui ne lui ménagea point les soins, mais ne put le disputer que peu de temps à la mort. Il succomba le 8 septembre 1789, au moment où, leur mariage venant d'être décidé, des préparatifs se faisaient, par ses ordres, pour la réception de sa femme, au château de Thou.
Sophie avait trente-cinq ans.
La nature de son décès tut tenue aussi secrète que possible, afin que l'Eglise ne refusa point la sépulture à son corps. On se hâta de procéder à ses obsèques, qui se firent, ainsi que celles de M. de Poterat, le soir même du 9, à la lueur des torches, dans le cimetière du Champ : reconnaissante de ses bienfaits, la ville entière y assista.
. « Son âme ardente, qui avait toutes les forces de la passion, écrit Lamartine, n'avait pas celle de la résignation .»
« C'est à l'Assemblée nationale que Mirabeau fut informé de la funeste nouvelle. Il sortit avec un air tout en désordre et fut deux ou trois jours sans reparaître ».
( Paul Cottin, Sophie de Monnier et Mirabeau, d'après leur correspondance secrète inédite (1775-1789) )
Jeune prisonnier au fort de Joux, Mirabeau traça le portrait de celle qui lui inspira la passion la plus violente :
« Elle est douce, et n'est ni pusillanime ni nonchalante, comme sont tous les naturels doux; elle est sensible, et n'est point facile; elle est bienfaisante, et sa bienfaisance n'exclut ni le discernement, ni la fermeté ». Il avait par ailleurs déclaré aux frères mêmes de Sophie : « Vos parents ne connaissent pas madame de Monnier, ils l'ont toujours vue douce et modérée, et ils ne savent apparemment point que les passions d'une femme douce, peut-être plus lentes à émouvoir, sont infiniment plus ardentes que toutes les autres, et vraiment invincibles quand elles sont bien enflammées ».
Source :
Le chant d'amour des premières lettres de Sophie à Mirabeau est gâté par une idée qui, à chaque contre-temps, revient sous sa plume : celle du suicide. A peine compte-t-elle vingt-deux printemps quand, au souvenir des dangers autrefois courus par lui à Dijon, elle s'écrie : « Si l'on eût attenté à tes jours, je t'eusse vengé, puis suivi ! » Quand la surveillance de sa famille déjoue ses tentatives de fuite, elle se déclare prête à se tuer s'il ne l'arrache à ses souffrances ! Même menace à son mari, qui parle de solliciter contre elle une lettre de cachet.
Au moment d'être envoyés, l'un à Vincennes, l'autre à Gien. Mirabeau et Sophie s'étaienl promis de s'ôter la vie le même jour, si leurs maux devenaient intolérables. Ce pacte fui connu de .Mme de Ruffey, qui écrivit a sa fille : « Ceux qui inspirent de tels sentiments sont très méprisables, el ceux qui les adoptent bien à blâmer ! »
La méfiance maladive de Sophie passe toute imagination : elle voit des traîtres partout, dans sa famille, dans celle du comte, parmi ses hommes d'affaires, chez ses commissionnaires ! Elle se croit entourée d'espions...
Lui va bientôt commencer à ne se passionner que pour la politique .
Dans Une étude sur Mirabeau, Victor Hugo résume ainsi :
« La première partie de la vie de Mirabeau est remplie par Sophie, la seconde par la révolution. Un orage domestique, puis un orage politique, voilà Mirabeau ».
Portrait de Marie Thérèse Sophie Richard de Ruffey marquise de Monnier dite Sophie de Monnier
Gravé par Jean-Louis Delignon (1755-1804) — Collection MAS Estampes
Portrait de Sophie de Ruffey, marquise de Monnier - 177533. Cette estampe - titrée ainsi : Sophie - In bel corpo anima bella - est placée en tête de la traduction des Baisers de Jean Second ...
... que Mirabeau écrivit en prison « pour Sophie » et qu'il lui commenta ainsi :
«Si l'on y trouve des choses trop ardentes, il faut s'en prendre au Poète qui, tout Hollandais qu'il était, a écrit sous la dictée de l'Amour (...). Tout le changement que j'y ai fait, a été de substituer ton nom à celui de Nééra, sa maîtresse, parce qu'il m'eût été impossible d'adresser à une autre qu'à Sophie des choses si tendres».
Les religieuses, abusées par la douceur de Sophie, la croyaient sans volonté. Elles ignoraient que Sophie mangeait du jambon le Vendredi saint, après avoir fait ses Pâques la veille. Elle dérobait, dans la chapelle, un ornement pour fabriquer un portefeuille pour son amant, et lui offrait des « cœurs de Marie et de Jésus » donnés par l'abbesse, sous prétexte que les deux seuls cœurs faits pour s'entendre étaient les leurs. Elle lisait, pendant la messe, La nouvelle Héloïse. Elle riait des « mômeries » des religieuses et des conseils de l'abbé Batbedat, curé de Saint-Louis, qui lui conseillait la prière comme un moyen efficace de rentrer en grâce auprès de son mari ...
Après quarante-deux mois d'emprisonnement, Mirabeau sortait définitivement de Vincennes en janvier 1781, le 13 décembre 1780 exactement, « nu comme un ver ! » selon l'expression de son père.
Mirabeau prend pension chez Boucher, en attendant sa rentrée dans la maison paternelle. En mai 1781, il rend une visite secrète à Sophie au couvent de Gien. Il médite déjà une rupture en douceur. Dans les premiers mois de cette même année, il s'était informé de la hauteur des murs, et parlait de les escalader au moyen d'une échelle. Sophie lui en démontra le danger et prôna les avantages d'une clef qu'elle essaierait de se procurer et qui permettrait d'ouvrir la porte du jardin des Saintes-Claires. Opération impossible. On met alors dans la confidence le bien nommé jardinier Lafleur, qui promet de laisser le verrou ouvert.
Mirabeau dut constater chez Sophie un changement physique considérable; une grande partie de ses cheveux était tombée, et ceux qui restaient étaient devenus gris. Très précaire au début de 1780, sa santé exigeait des remèdes et les soins assidus du docteur Ysabeau. Ses yeux étaient en mauvais état, et l'application au travail lui causait des douleurs telles qu'elle était obligée de le suspendre sous peine de syncope. Elle souffrait aussi de maux particuliers aux femmes dont elle attribuait la cause au chagrin. Bien que ne se plaignant jamais, de peur d'inquiéter son ami, elle ne peut s'empêcher de lui écrire, en février 1781, à propos d'engelures : « Ma chair est devenue si mauvaise que le plus petit mal ne s'y guérit plus qu'à force d'emplâtres. Je n'ai jamais vu cela dans quelqu'un de sain. J'ai cent ans, je t'assure ! »
Il la quittera rapidement, s'attachant à trouver un arrangement définitif avec sa famille et le marquis de Monnier, avec l'accord de Sophie. Mirabeau, poussé par sou père, se décide a accepter une transaction, signée à Besançon le II août 1782, qui porte que Mme de Monnier, séparée de corps et de biens, renoncera à tous les avantages stipulés en sa faveur par son contrat de mariage, reprendra sa dot, et restera, pendant la vie du marquis, et même un an après sa mort, au couvent de Gien ...
« Les termes de l'arrangement, écrit M. Georges Leloir, étaient combinés de telle manière que le comte paraissait faire un sacrifice en se retirant d'une procédure qui lui avait fait perdre sa liberté depuis six mois, et qu'il semblait faire ce sacrifice en échange des avantages stipulés pour Mme de Monnier. »
« Ils pensaient tous, écrit Sophie à Mirabeau, que nous ne pouvions pas vivre l'un sans l'autre ! Hélas! mon époux, ils ont donc tort ! »
Ton mélancolique, montrant à quel point les finesses du comte avaient été impuissantes à lui donner le change et qu'elle ne comptait plus sur le retour du bonheur.
En attendant le décès du marquis de Monnier, l'abbesse avait autorisée Sophie à faire aménager une petite maison dont les portes s'ouvraient d'un côté sur la rue des Saintes-Claires, de l'autre sur les terrains du couvent.. Quelques mois après la mort du marquis, qui survint en mars 1783, Sophie se transporta ( 31 janvier 1784) dans ce nouveau logis.
Mirabeau, de son côté, se tourne résolument vers la politique. Pierre Gaxotte écrit :
« À peine sorti de prison, le voici à nouveau emporté par le tumulte de sa vie ».
Le temps a fait son œuvre, le souvenir de leur petite fille enterrée dans le cimetière paroissial de Deuil a commencé à s'effacer de la mémoire de son père, Sophie ne réalise pourtant pas encore une autre perte qu'elle est en train de faire : celle de son amant ! La mort de la petite Gabrielle-Sophie avait marqué, en effet, dans la vie de Mirabeau, une étape, la dernière de sa passion pour Mme de Monnier ... Sophie en tombe malade de chagrin, sans l'accuser pourtant, car elle se garde de faire « injure à son cœur ! »
Sophie, redevenue libre par la grâce de son veuvage, son marquis de mari étant mort le 4 mars 1783 à l'âge de 77 ans, Sophie donc peut désormais, employer son temps comme bon lui semble, elle a recours au grand remède des âmes blessées : à la charité. Les œuvres de bienfaisance absorbent la meilleure part de son temps. Sur les 3.000 livres de pension que lui fait sa famille, et sur la dot que lui a restituée, en 1782, la transaction avec M. de Monnier, obtenue par Mirabeau, elle prélève ton! ce qu'elle peut pour le soulagement des malheureux. Mais aussi, elle « souvent se rendait dans les châteaux environnants, où partout son esprit et son amabilité lui assuraient un accueil empressé ».
Elle fit ainsi la connaissance d'Edme-Benoît de Poterat, ancien capitaine de cavalerie, lieutenant des Maréchaux de France, âgé de trente et quelques années, homme d'une éducation parfaite et d'une loyauté éprouvée. Atteint d'une grave affection de poitrine, il alla se fixer à Gien, dans une maison située rue des Saintes Claires, en face de celle de Sophie, qui ne lui ménagea point les soins, mais ne put le disputer que peu de temps à la mort. Il succomba le 8 septembre 1789, au moment où, leur mariage venant d'être décidé, des préparatifs se faisaient, par ses ordres, pour la réception de sa femme, au château de Thou.
Sophie avait trente-cinq ans.
La nature de son décès tut tenue aussi secrète que possible, afin que l'Eglise ne refusa point la sépulture à son corps. On se hâta de procéder à ses obsèques, qui se firent, ainsi que celles de M. de Poterat, le soir même du 9, à la lueur des torches, dans le cimetière du Champ : reconnaissante de ses bienfaits, la ville entière y assista.
. « Son âme ardente, qui avait toutes les forces de la passion, écrit Lamartine, n'avait pas celle de la résignation .»
« C'est à l'Assemblée nationale que Mirabeau fut informé de la funeste nouvelle. Il sortit avec un air tout en désordre et fut deux ou trois jours sans reparaître ».
( Paul Cottin, Sophie de Monnier et Mirabeau, d'après leur correspondance secrète inédite (1775-1789) )
Jeune prisonnier au fort de Joux, Mirabeau traça le portrait de celle qui lui inspira la passion la plus violente :
« Elle est douce, et n'est ni pusillanime ni nonchalante, comme sont tous les naturels doux; elle est sensible, et n'est point facile; elle est bienfaisante, et sa bienfaisance n'exclut ni le discernement, ni la fermeté ». Il avait par ailleurs déclaré aux frères mêmes de Sophie : « Vos parents ne connaissent pas madame de Monnier, ils l'ont toujours vue douce et modérée, et ils ne savent apparemment point que les passions d'une femme douce, peut-être plus lentes à émouvoir, sont infiniment plus ardentes que toutes les autres, et vraiment invincibles quand elles sont bien enflammées ».
Source :
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Sophie de Ruffey, marquise de Monnier
Quelle triste vie !! Merci en tous cas pour cette biographie illustrée.
Nous retrouvons le récit des amours tragiques de Mirabeau et Sophie dans la brillante série littéraire :
Les hommes de la liberté. De Claude Manceron.
Nous retrouvons le récit des amours tragiques de Mirabeau et Sophie dans la brillante série littéraire :
Les hommes de la liberté. De Claude Manceron.
La nuit, la neige- Messages : 18132
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: Sophie de Ruffey, marquise de Monnier
Merci pour cette excellente référence !
Voici une lettre enflammée d'amour de Mirabeau à sa Sophie :
Vous en voulez davantage ?
C'est ici ( on ne louera jamais assez Gallica )
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5625759k/f181.item
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Sophie de Ruffey, marquise de Monnier
Si ce n'est pas de l'amour, ça y ressemble.
Monsieur de la Pérouse- Messages : 504
Date d'inscription : 31/01/2019
Localisation : Enfin à bon port !
Re: Sophie de Ruffey, marquise de Monnier
Superbe ! On imagine ladite Sophie lui répondre... Mais je vous aime encore
Gouverneur Morris- Messages : 11795
Date d'inscription : 21/12/2013
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