Marie Antoinette aux Tuileries : le fameux pastel de Kucharsky (1791/1792)

La reine est assise, le corps penché légèrement en avant et toute l'importance du portrait réside dans la figure étudiée presque de face.
La figure est émouvante dans sa dignité, la bouche sourit tristement, les yeux semblent à peine séchés des larmes (Marguerite Jallut, "Marie-Antoinette et ses peintres").

Ce portait était destiné à Mme de Tourzel, gouvernante des Enfants de France depuis le départ de Mme de Polignac. Mais les événements se précipitèrent et le pastel ébauché n'était pas achevé lorsque la famille royale, le 21 juin 1791, quitta Paris avec l'aide du comte de Fersen pour le voyage qui devait s'achever à Varennes.
L'oeuvre étant très fragile, et d'un transport difficile, restait entre chaque séance de pose dans les appartements des Tuileries. Mme de Tourzel écrivit plus tard qu'elle fut alors presque détruite.

Le pastel, après cet orage, ne devait être qu'une pauvre chose abîmée et personne n'y pensa lorsque la famille royale, prisonnière, rentra au Palais. De longs mois après, la surveillance se relâcha, un apaisement passager permit de reprendre l'ancien projet. En 1792, tandis qu'il faisait un portait du Dauphin, Kucharsky reprit son travail.
Mais le buste à peine esquissé, la coiffure n'est pas finie que déjà c'est le 10 août. Par quel miracle ne fut-il pas complètement détruit lorsque deux coups de pique le marquèrent? Comment fut-il caché? Derrière une porte? Nul ne le sait car tout fut saccagé.

Après le 9 Thermidor, le marquis de Tourzel put le retrouver et la mère écrivit une petite note que nous avons encore : "La reine faisait faire ce portrait pour la marquise de Tourzel, gouvernante des Enfants de France, il fut presque détruit lors du voyage de Varennes, et recommencé en 1792. Au 10 août, il fut enlevé de l'appartement de Sa Majesté et retrouvé deux ans après par les soins du marquis de Tourzel, fils, Grand Prévôt de France. Précieux souvenir des bontés de la reine, dont il donne une ressemblance parfaite quoique bien abîmé par tout ce qu'il a souffert. Ce portrait de la reine reçut le 10 août deux coups de piques des révolutionnaires".

Mme de Tourzel parlait encore de ce portrait dans son testament.

Suivant son habitude, Kucharsky exécuta des portraits d'après son pastel (M. Jallut, "Marie-Antoinette et ses peintres").

Merci ! Cosmo
Pour ce résumé, j`aime bien ce portrait, je me demande de quoi il aurait eu l'air si le peintre avait eu le temps de le terminer.

De rien.   Kucharsky était paraît-il royaliste et parlait parfaitement l'allemand. Lors des séances de pose, cela lui aurait "permis de s'entretenir avec la reine sans que des oreilles indiscrètes puissent suivre leur conversation" (Olivier Blanc, "Portraits de femmes").
Marie-Antoinette a peut-être longuement posé pour lui, afin de faire durer leurs conversations? O. Blanc explique que pour la cour, il était important de multiplier les communications avec l'extérieur et recouper les informations et nouvelles politiques qui lui revenaient.

Ah ! j`ignorais cela  

Le fameux portrait avec son cadre, tel que conservé au château de Versailles.



(C) RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot.

Voici le dessin préparatoire de ce pastel, provenant de la collection Caffin-Destailleur, dispersée à Drouot en 1976 :



Le catalogue de vente indiquait ceci au sujet de cette sanguine :

"KUCHARSKI, Alexander (1741-1819).
Portrait de la Reine Marie-Antoinette.
Sanguine.
33 x25.
Dessin préparatoire.

"Kucharski, peintre attitré de Marie-Antoinette, a pris cet émouvant croquis de la Souveraine à la fin de l'année 1791. Ce dessin qui laisse apparaître déjà dans les yeux de la Reine, une lueur de tristesse et d'angoisse, a été entrepris au Palais des Tuileries, d'après nature. Après cette esquisse, Kucharski commence le célèbre portrait qu'il ne put terminer, car le 10 août 1792, la foule envahissait le château et la famille royale dut quitter sa demeure pour se réfugier à l'Assemblée et, de là, être conduite à la prison du Temple. Le tableau caché entre deux portes, fut, grâce à cela, préservé en partie de la destruction révolutionnaire. Il est aujourd'hui au Musée de Versailles.

Quant à sa première étude, celle-ci, la plus précieuse car la Reine dût l'approuver avant que le peintre ne commençât le grand portrait, elle fut conservée par l'artiste lui-même, dans ses cartons, et soustraite à toute recherche. C'est pourquoi elle a pu être transmise indirectement jusqu'à nous."





Michel Caffin-Destailleur était un descendant de Hippolyte Destailleur, architecte ayant construit, notamment, Waddesdon Manor pour les Rothschild en Angleterre (v. ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hippolyte_Destailleur ).

Cet ultime portrait de la reine, prisonnière de la Révolution et des Tuileries, me serre le cœur à chaque fois que je le contemple... Il révèle bien et avec quelle émotion, toute l'angoisse d'une femme minée par les chocs successifs. Et dire que la tourmente n'a pas encore atteint son point de paroxysme !

C'est le portrait le plus réussi de Marie-Antoinette. Saisissant de réalisme.

Je crois que je préfère la sanguine au pastel. Mais a vrai dire j'aime les deux versions.

J'aime bien ce que Stefan Zweig a dit à propos de ce pastel :

"Cette transformation complète apparaît également dans un portrait, le seul que la reine ait fait faire aux Tuileries. Koucharski, un peintre polonais, en a tracé l’ébauche ; la fuite à Varennes l’a empêché de le terminer ; néanmoins c’est le plus parfait que nous possédions. Les tableaux officiels de Wertmüller, les portraits de salon de Mme Vigée-Lebrun s’efforcent constamment de rappeler au public par les costumes et les décors que cette femme est reine de France. Quand nous la voyons coiffée d’un magnifique chapeau aux superbes plumes d’autruche, en robe de brocart, parée de diamants, elle est près de son trône de velours ; et ceux-là mêmes qui la représentent en costume mythologique ou champêtre ne manquent pas d’indiquer par un signe quelconque que cette femme est d’un rang élevé, du rang le plus élevé de la nation, qu’elle est reine de France. Ce portrait de Koucharski néglige toutes les draperies éclatantes : une femme d’une beauté opulente est assise sur une chaise et regarde devant elle, songeuse. Elle paraît un peu lasse et fatiguée. Elle n’est pas en grande toilette, sur sa nuque ne brillent ni bijoux ni pierres précieuses, et elle n’est nullement attifée (il est passé le temps des artifices). Le désir de plaire a cédé la place au recueillement, la coquetterie s’est effacée en faveur de goûts plus simples. Les cheveux tombent, naturels et flous, et déjà l’on aperçoit les premières mèches argentées, la robe coule tout naturellement sur les épaules rondes et nacrées, rien dans l’attitude ne vise à l’effet ou à la séduction. La bouche ne sourit plus, les yeux ne demandent plus rien ; encore belle, mais d’une beauté déjà adoucie, maternelle, placée entre le désir et le renoncement, plus toute jeune, mais pas encore vieille, ne désirant peut-être plus, mais encore désirable, elle est là, lointaine, comme baignée d’une lumière automnale. Tandis que tous les autres portraits de Marie-Antoinette donnent l’impression d’une femme éprise de sa beauté et qui, entre les distractions, la danse et les rires, s’est tournée un instant vers le peintre pour, la minute d’après, retourner rapidement à ses plaisirs, on a le sentiment, ici, d’une femme qui s’est assagie et qui recherche le calme. Après les multiples idoles précieusement encadrées, ou taillées dans le marbre et l’ivoire, ce portrait inachevé montre enfin l’être humain et permet de deviner que cette reine a aussi une âme."