La chasse sous l'Ancien Régime
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La chasse sous l'Ancien Régime
J'ouvre aujourd'hui, un nouveau sujet concernant : les chasses royales ou plus exactement la chasse et la symbolique qu'elle véhicule dans le langage de Cour. Je me suis passionnée pour les travaux de Philippe Salvadori, La chasse sous l'ancien régime, et bien que je hais la chasse, j'aimerais toutefois vous faire découvrir comment analyser à travers ce divertissement royal, comment le roi continue à faire son métier de roi, ainsi que la dualité permanente entre nature et culture.
Cause ou occasion, la chasse est étroitement liée à l'attribution des places et des rangs. La mise à mort des animaux est un spectacle, que redouble le grand monde qui accompagne le roi; le mélange de la sauvagerie et de la civilisation plaît à lui même.
"La chasse fut fort belle, le cerf s'étant fait prendre au milieu de toutes les calèches".
On cherche la mise à mort la plus spectaculaire.
La chasse est pour les hommes, l'occasion de la présentation officielle au roi. Le privilège commence avec la permission de porter l'uniforme des chasses, signe d'appartenance à la suite officielle. L'abondance du gibier participe à la représentation du pouvoir : les grands tirés éblouissent les ambassadeurs étrangers et impressionent les peuples. La régularité suggère l'accomplissement d'une tâche sacrée. L'univers des chasses royales est celui, merveilleux, où des êtres extraordinaires plient la nature à leur volonté et s'adonnent à des plaisirs qui n'ont pas de commune mesure avec ceux du peuple ni même avec ceux de la noblesse. Le spectacle des chasses royales fait naître le sentiment d'être devant un ordre sans contrainte ni limite, où seul le roi tient l'équilibre entre nature et culture.
La présence du roi s'annonce de loin. Juridiquement, bien sûr, avec le systéme des capitaineries, ou du moins une surveillance accrue. Surtout il faut percer des routes. Celles de la forêt de Compiègne sont les mieux connues.
Les premières pour la chasse remontent à François Ier, qui en dispose : huit en étoiles, autour du rendez-vous habituel des veneurs.
Louis XIV les relie par un grand octogone et y ajoute 54 routes de quatre mètres de large, ainsi que 31 ponts.
Louis XV surtout dés 1726, se soucie de nouvelles percées, au point qu'en 1763, on estime à 400 lieues (1600 km), la longueur des routes et chemins qui traversent la forêt de Compiègne.
Louis XVI continera ce travail. Des carrefours de 20 à 30 mètres de diamètre permettent aux calèches de tourner.Les voitures privées ne peuvent pas empreinter ces routes; tout travail est interdit aux particuliers, un mois avant l'arrivée du roi.
Les chemins cavaliers, les grandes artères dont l'ensemble multiplie les étoiles, les octogones, les triangles, ne ressemblent plus que de loin à un lieu sauvage. De chaque carrefour rayonnent les regards et la rapide circulation des équipages ressemble à une démonstration géométrique de la puissance du roi sur la nature. Ce qui vaut à Compiègne vaut pour toutes les forêts où le roi a l'habitude de chasser. La géographie semble aussi immuable que l'ordre des choses.
La figuration des percées rectilignes au coeur de la forêt vaut une métaphore spatiale du pouvoir, où la circulation aisée dit l'absence de limite.
Le territoire cynégétique du roi parle à chacun le langage du droit du souverain et celui de l'humanisation de la nature : l'un et l'autre se soutiennent, prouvant mutuellement leur bien-fondé. Evoquant une activité du souverain, le paysage de la chasse à courre, avec sa rhétorique de la circulation facile renvoie à une image de la personne royale, toujours prête à survenir, dont la puissance physique dépasse immensément l'usage réel qu'elle fait du domaine à sa disposition.
Projetant, agrandissant l'image du corps du roi, le territoire des chasses démontre, sur un territoire circonscrit valant pour le royaume, que le roi est cet individu unique qui peut exercer partout sa souveraineté. La chasse est souvent considérée comme un temps de relâche du théatre du pouvoir. Mais le roi à la chasse continue son métier de roi.
Suite au prochain numéro.
Cause ou occasion, la chasse est étroitement liée à l'attribution des places et des rangs. La mise à mort des animaux est un spectacle, que redouble le grand monde qui accompagne le roi; le mélange de la sauvagerie et de la civilisation plaît à lui même.
"La chasse fut fort belle, le cerf s'étant fait prendre au milieu de toutes les calèches".
On cherche la mise à mort la plus spectaculaire.
La chasse est pour les hommes, l'occasion de la présentation officielle au roi. Le privilège commence avec la permission de porter l'uniforme des chasses, signe d'appartenance à la suite officielle. L'abondance du gibier participe à la représentation du pouvoir : les grands tirés éblouissent les ambassadeurs étrangers et impressionent les peuples. La régularité suggère l'accomplissement d'une tâche sacrée. L'univers des chasses royales est celui, merveilleux, où des êtres extraordinaires plient la nature à leur volonté et s'adonnent à des plaisirs qui n'ont pas de commune mesure avec ceux du peuple ni même avec ceux de la noblesse. Le spectacle des chasses royales fait naître le sentiment d'être devant un ordre sans contrainte ni limite, où seul le roi tient l'équilibre entre nature et culture.
La présence du roi s'annonce de loin. Juridiquement, bien sûr, avec le systéme des capitaineries, ou du moins une surveillance accrue. Surtout il faut percer des routes. Celles de la forêt de Compiègne sont les mieux connues.
Les premières pour la chasse remontent à François Ier, qui en dispose : huit en étoiles, autour du rendez-vous habituel des veneurs.
Louis XIV les relie par un grand octogone et y ajoute 54 routes de quatre mètres de large, ainsi que 31 ponts.
Louis XV surtout dés 1726, se soucie de nouvelles percées, au point qu'en 1763, on estime à 400 lieues (1600 km), la longueur des routes et chemins qui traversent la forêt de Compiègne.
Louis XVI continera ce travail. Des carrefours de 20 à 30 mètres de diamètre permettent aux calèches de tourner.Les voitures privées ne peuvent pas empreinter ces routes; tout travail est interdit aux particuliers, un mois avant l'arrivée du roi.
Les chemins cavaliers, les grandes artères dont l'ensemble multiplie les étoiles, les octogones, les triangles, ne ressemblent plus que de loin à un lieu sauvage. De chaque carrefour rayonnent les regards et la rapide circulation des équipages ressemble à une démonstration géométrique de la puissance du roi sur la nature. Ce qui vaut à Compiègne vaut pour toutes les forêts où le roi a l'habitude de chasser. La géographie semble aussi immuable que l'ordre des choses.
La figuration des percées rectilignes au coeur de la forêt vaut une métaphore spatiale du pouvoir, où la circulation aisée dit l'absence de limite.
Le territoire cynégétique du roi parle à chacun le langage du droit du souverain et celui de l'humanisation de la nature : l'un et l'autre se soutiennent, prouvant mutuellement leur bien-fondé. Evoquant une activité du souverain, le paysage de la chasse à courre, avec sa rhétorique de la circulation facile renvoie à une image de la personne royale, toujours prête à survenir, dont la puissance physique dépasse immensément l'usage réel qu'elle fait du domaine à sa disposition.
Projetant, agrandissant l'image du corps du roi, le territoire des chasses démontre, sur un territoire circonscrit valant pour le royaume, que le roi est cet individu unique qui peut exercer partout sa souveraineté. La chasse est souvent considérée comme un temps de relâche du théatre du pouvoir. Mais le roi à la chasse continue son métier de roi.
Suite au prochain numéro.
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Merci, c’est un sujet intéressant, en effet !
Cependant, pourriez-vous renommer son titre svp ?
Car j’ai peur que dans quelques semaines, mois, années, les futurs lecteurs ne retrouvent pas ce sujet...
Je tâcherai de recopier le passage en question.
Cependant, pourriez-vous renommer son titre svp ?
Car j’ai peur que dans quelques semaines, mois, années, les futurs lecteurs ne retrouvent pas ce sujet...
Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand raconte justement ses mésaventures à l’occasion de sa première participation à une chasse royale. Pauv’ biquet ! :l'amour menaçant a écrit:
La chasse est pour les hommes, l'occasion de la présentation officielle au roi. Le privilège commence avec la permission de porter l'uniforme des chasses, signe d'appartenance à la suite officielle.
Je tâcherai de recopier le passage en question.
La nuit, la neige- Messages : 18132
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
La chasse sous l'ancien régime
de Philippe Salvadori, édition Fayard.
de Philippe Salvadori, édition Fayard.
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Alors, je vais jeter un pierre dans le sujet. Pourquoi est-on si opposé à la chasse? Etait-il mieux de fournir la viande par la chasse ou d'élever les animaux avec le seul but de les tuer pour la table? Est-ce que l'on oppose la chasse car on le voit comme une occupation royale et aristocratique? Il me semble que les droits de chasse et les lois imposées au dix-huitième/dix-septième siècles nuisaient plutôt aux paysans qu'aux animaux, car le paysan pouvait mourir de faim ou être sévèrement puni s'il prenait le gibier etc. réservé au seigneur, pendant que des vastes terres étaient réservées exclusivement pour la chasse. On doit se souvenir aussi que pendant la chasse on pratiquait tous les arts militaires – l'équitation, le tir etc. et les chevaliers, les rois, les hommes militaires chassaient aussi pour démontrer leur prouesse militaire. C'est un sujet très intéressant et très complexe.
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Très intéressante analyse de la symbolique de ce cérémonial royal.
Lucius- Messages : 11656
Date d'inscription : 21/12/2013
Age : 33
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
D'autant que la chasse est le seul moyen d'endiguer des surpopulation de grands nuisibles comme les sangliers qui font de gros dégâts, tant dans les cultures que sur les routes !
Lucius- Messages : 11656
Date d'inscription : 21/12/2013
Age : 33
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Restons ici dans le thème historique proposé par l’amour menaçant, les amis.
Si certains souhaitent parler de la chasse en général, nous pourrons toujours ouvrir un sujet ailleurs...
Comme annoncé, je copie ici le récit de Chateaubriand :
Le duc de Coigny me fit prévenir que je chasserais avec le Roi dans la forêt de Saint-Germain.
Je m’acheminai de grand matin vers mon supplice, en uniforme de débutant, habit gris, veste et culotte rouges, manchettes de bottes, bottes à l’écuyère, couteau de chasse au côté, petit chapeau français à galon d’or.
Nous nous trouvâmes quatre débutants au château de Versailles, moi, les deux messieurs de Saint-Marsault et le comte d’Hautefeuille.
Le duc de Coigny nous donna nos instructions : il nous avisa de ne pas couper la chasse, le Roi s’emportant lorsqu’on passait entre lui et la bête.
Le duc de Coigny portait un nom fatal à la Reine (? )
Le rendez-vous était au Val, dans la forêt de Saint-Germain, domaine engagé par la couronne au maréchal de Beauvau.
L’usage voulait que les chevaux de la première chasse à laquelle assistaient les hommes présentés, fussent fournis des écuries du Roi.*
On bat aux champs : mouvement d’armes, voix de commandement.
On crie : Le Roi !Le Roi sort, monte dans son carrosse : nous roulons dans les carrosses à la suite.
Il y avait loin de cette course et de cette chasse avec le Roi de France, à mes courses et à mes chasses dans les landes de la Bretagne ; et plus encore, à mes courses et à mes chasses avec les sauvages de l’Amérique : ma vie devait être remplie de ces contrastes.
Nous arrivâmes au point de ralliement, où de nombreux chevaux de selle, tenus en main sous les arbres, témoignaient leur impatience.
Les carrosses arrêtés dans la forêt avec les gardes ; les groupes d’hommes et de femmes ; les meutes à peine contenues par les piqueurs ; les aboiements des chiens, le hennissement des chevaux, le bruit des cors, formaient une scène très animée.
Les chasses de nos rois rappelaient à la fois les anciennes et les nouvelles moeurs de la monarchie, les rudes passe-temps de Clodion, de Chilpéric, de Dagobert, la galanterie de François Ier, de Henri IV et de Louis XIV.
J’étais trop plein de mes lectures pour ne pas voir partout des comtesses de Chateaubriand, des duchesses d’Etampes, des Gabrielle d’Estrées, des La Vallière, des Montespan.
Mon imagination prit cette chasse historiquement, et je me sentis à l’aise ; j’étais d’ailleurs dans une forêt, j’étais chez moi.
Au descendu des carrosses, je présentai mon billet aux piqueurs.
On m’avait destiné une jument appelée l'Heureuse, bête légère, mais sans bouche, ombrageuse et pleine de caprices ; assez vive image de ma fortune, qui chauvit sans cesse des oreilles.
Le Roi mit en selle partit ; la chasse le suivit, prenant diverses routes.
Je restai derrière à me débattre avec l'Heureuse, qui ne voulait pas se laisser enfourcher par son nouveau maître ; je finis cependant par m’élancer sur son dos : la chasse était déjà loin. :
Je maîtrisai d’abord assez bien l'Heureuse ; forcée de raccourcir son galop, elle baissait le coup, secouait le mors blanchi d’écume, s’avançait de travers à petits bonds ; mais lorsqu’elle approcha au lieu de l’action, il n’y eut plus moyen de la retenir.
Elle allonge le chanfrein, m’abat la main sur le garrot, vient au grand galop donner dans une troupe de chasseurs, écartant tout sur son passage, ne s’arrêtant qu’au heurt du cheval d’une femme qu’elle faillit culbuter, au milieu des éclats de rire des uns, des cris de frayeur des autres.
Je fais aujourd’hui des efforts pour me rappeler le nom de cette femme, qui reçut poliment mes excuses.
Il ne fut plus question que de l’aventure du débutant.
Je n’étais pas au bout de mes épreuves.
Environ une demi-heure après ma déconvenue, je chevauchais dans une longue percée à travers des parties de bois désertes ; un pavillon s’élevait au bout : voilà que je me mis à songer à ces palais répandus dans les forêts de la couronne, en souvenir de l’origine des rois chevelus et de leurs mystérieux plaisirs.
Un coup de fusil part. L'Heureuse tourne court, brosse tête baisée dans le fourré, et me porte juste à l’endroit où le chevreuil venait d’être abattu : le Roi paraît.
Je me souvins alors, mais trop tard, des injonctions du duc de Coigny : la maudite Heureuse avait tout fait.
Je saute à terre, d’une main poussant en arrière ma cavale, de l’autre tenant mon chapeau bas.
Le Roi regarde ; il avait besoin de parler ; au lieu de s’emporter, il me dit avec un ton de bonhomie et un gros rire : Il n’a pas tenu longtemps.
C’est le seul mot que j’aie jamais obtenu de Louis XVI. :
On vint de toutes parts ; on fut étonné de me trouver causant avec le Roi.
Le débutant Chateaubriand fit du bruit par ses deux aventures ; mais, comme il lui est toujours arrivé depuis, il ne sut profiter ni de la bonne ni de la mauvaise fortune.
Le Roi força trois autres chevreuils.
Les débutants ne pouvant courre que la première bête, j’allai attendre au Val avec mes compagnons le retour de la chasse.
Le Roi revint au Val ; il était gai et contait les accidents de la chasse/
On reprit le chemin de Versailles.
Nouveau désappointement pour mon frère : au lieu d’aller m’habiller pour me trouver au débotté, moment de triomphe et de faveur, je me jetai au fond de ma voiture et rentrai dans Paris plein de joie d’être délivré de mes honneurs et de mes maux.
Si certains souhaitent parler de la chasse en général, nous pourrons toujours ouvrir un sujet ailleurs...
Comme annoncé, je copie ici le récit de Chateaubriand :
Le duc de Coigny me fit prévenir que je chasserais avec le Roi dans la forêt de Saint-Germain.
Je m’acheminai de grand matin vers mon supplice, en uniforme de débutant, habit gris, veste et culotte rouges, manchettes de bottes, bottes à l’écuyère, couteau de chasse au côté, petit chapeau français à galon d’or.
Nous nous trouvâmes quatre débutants au château de Versailles, moi, les deux messieurs de Saint-Marsault et le comte d’Hautefeuille.
Le duc de Coigny nous donna nos instructions : il nous avisa de ne pas couper la chasse, le Roi s’emportant lorsqu’on passait entre lui et la bête.
Le duc de Coigny portait un nom fatal à la Reine (? )
Le rendez-vous était au Val, dans la forêt de Saint-Germain, domaine engagé par la couronne au maréchal de Beauvau.
L’usage voulait que les chevaux de la première chasse à laquelle assistaient les hommes présentés, fussent fournis des écuries du Roi.*
On bat aux champs : mouvement d’armes, voix de commandement.
On crie : Le Roi !Le Roi sort, monte dans son carrosse : nous roulons dans les carrosses à la suite.
Il y avait loin de cette course et de cette chasse avec le Roi de France, à mes courses et à mes chasses dans les landes de la Bretagne ; et plus encore, à mes courses et à mes chasses avec les sauvages de l’Amérique : ma vie devait être remplie de ces contrastes.
Nous arrivâmes au point de ralliement, où de nombreux chevaux de selle, tenus en main sous les arbres, témoignaient leur impatience.
Les carrosses arrêtés dans la forêt avec les gardes ; les groupes d’hommes et de femmes ; les meutes à peine contenues par les piqueurs ; les aboiements des chiens, le hennissement des chevaux, le bruit des cors, formaient une scène très animée.
Les chasses de nos rois rappelaient à la fois les anciennes et les nouvelles moeurs de la monarchie, les rudes passe-temps de Clodion, de Chilpéric, de Dagobert, la galanterie de François Ier, de Henri IV et de Louis XIV.
J’étais trop plein de mes lectures pour ne pas voir partout des comtesses de Chateaubriand, des duchesses d’Etampes, des Gabrielle d’Estrées, des La Vallière, des Montespan.
Mon imagination prit cette chasse historiquement, et je me sentis à l’aise ; j’étais d’ailleurs dans une forêt, j’étais chez moi.
Au descendu des carrosses, je présentai mon billet aux piqueurs.
On m’avait destiné une jument appelée l'Heureuse, bête légère, mais sans bouche, ombrageuse et pleine de caprices ; assez vive image de ma fortune, qui chauvit sans cesse des oreilles.
Le Roi mit en selle partit ; la chasse le suivit, prenant diverses routes.
Je restai derrière à me débattre avec l'Heureuse, qui ne voulait pas se laisser enfourcher par son nouveau maître ; je finis cependant par m’élancer sur son dos : la chasse était déjà loin. :
Je maîtrisai d’abord assez bien l'Heureuse ; forcée de raccourcir son galop, elle baissait le coup, secouait le mors blanchi d’écume, s’avançait de travers à petits bonds ; mais lorsqu’elle approcha au lieu de l’action, il n’y eut plus moyen de la retenir.
Elle allonge le chanfrein, m’abat la main sur le garrot, vient au grand galop donner dans une troupe de chasseurs, écartant tout sur son passage, ne s’arrêtant qu’au heurt du cheval d’une femme qu’elle faillit culbuter, au milieu des éclats de rire des uns, des cris de frayeur des autres.
Je fais aujourd’hui des efforts pour me rappeler le nom de cette femme, qui reçut poliment mes excuses.
Il ne fut plus question que de l’aventure du débutant.
Je n’étais pas au bout de mes épreuves.
Environ une demi-heure après ma déconvenue, je chevauchais dans une longue percée à travers des parties de bois désertes ; un pavillon s’élevait au bout : voilà que je me mis à songer à ces palais répandus dans les forêts de la couronne, en souvenir de l’origine des rois chevelus et de leurs mystérieux plaisirs.
Un coup de fusil part. L'Heureuse tourne court, brosse tête baisée dans le fourré, et me porte juste à l’endroit où le chevreuil venait d’être abattu : le Roi paraît.
Je me souvins alors, mais trop tard, des injonctions du duc de Coigny : la maudite Heureuse avait tout fait.
Je saute à terre, d’une main poussant en arrière ma cavale, de l’autre tenant mon chapeau bas.
Le Roi regarde ; il avait besoin de parler ; au lieu de s’emporter, il me dit avec un ton de bonhomie et un gros rire : Il n’a pas tenu longtemps.
C’est le seul mot que j’aie jamais obtenu de Louis XVI. :
On vint de toutes parts ; on fut étonné de me trouver causant avec le Roi.
Le débutant Chateaubriand fit du bruit par ses deux aventures ; mais, comme il lui est toujours arrivé depuis, il ne sut profiter ni de la bonne ni de la mauvaise fortune.
Le Roi força trois autres chevreuils.
Les débutants ne pouvant courre que la première bête, j’allai attendre au Val avec mes compagnons le retour de la chasse.
Le Roi revint au Val ; il était gai et contait les accidents de la chasse/
On reprit le chemin de Versailles.
Nouveau désappointement pour mon frère : au lieu d’aller m’habiller pour me trouver au débotté, moment de triomphe et de faveur, je me jetai au fond de ma voiture et rentrai dans Paris plein de joie d’être délivré de mes honneurs et de mes maux.
La nuit, la neige- Messages : 18132
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
J'adore le récit de Chateaubriand! Merci LNLN!! : : :
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Oui. Il est génial !
A le lire, l’on voit tout de suite les images se présenter comme dans une scène de film ! :\\\\\\\\:
A le lire, l’on voit tout de suite les images se présenter comme dans une scène de film ! :\\\\\\\\:
La nuit, la neige- Messages : 18132
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Oui, c'est très évocateur !
Lucius- Messages : 11656
Date d'inscription : 21/12/2013
Age : 33
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Le cerf a le privilège d'être comme l'homme, toute l'année travaillé par l'instinct de reproduction. Animal sur lequel s'ente le végétal, le cerf est un seigneur ambigu.
Par ses bois, par le cérémonial de ses amours, le cerf est l'animal d'Europe qui mannifeste le plus ostensiblement sa virilité et cette puissance prend des allures de défi guerrier. Son ardeur le contraint à chercher l'épuisement en des luttes pour sa reproduction. Il est soumis à une dépense ostentatoire et héroïque : riche d'épouses, alourdi de ses bois voué aux duels hazardeux. Comment s'étonner que l'aristocratie guerrière ait fait du cerf son parent dans le règne animal ?
Les qualités du cerf n'en font pas seulement un noble animal. Elles en font une image de la gloire guerrière soumise à une règle supérieure. Ce corps glorieux et humble est transformé en symbole.
St Eustache et St Hubert, chasseurs enragés, rencontrent l'un et l'autre en forêt, un cerf qui porte entre ses bois un crucifix; les patrons que le catholicisme donne aux chasseurs ont été des "coureurs" de cerfs avant d'être des saints. Et la croix de la passion n'est-elle pas le bois par excellence ?
La vision entraîne la conversion; le cerf joue ici le rôle angélique de messager divin qui révéle au chasseur le sens aprés lequel il courait sans le voir. Du cerf messager, on passe au cerf symbolique. Le cerf signifie Jésus-Christ, selon Hugues de St Victor.
Est-ce que le noble gibier est lui aussi destiné au sacrifice ?
L'aristocratie guerrière, elle aussi, utilise comme figure héraldique la tête de cerf, ordinairement de face, que l'on nomme rencontre.
Autant que le sens religieux, la beauté de l'animal expliquerait son usage fréquent dans l'emblématique à la fin du moyen âge. La perception symbolique sélectionne la légéreté et la vitesse de l'animal, qu'elle lie à la poursuite sans faille d'un but pour laquelle les armes sont nécessaires. Ce corps léger et puissant est celui d'un guerrier guidé par le coeur.
L'animal à la longévité légendaire signifie que le roi ne meurt jamais.
Le cerf glorieux et subordonné est le gibier noble dont la mort rituelle proclame la maîtrise du chasseur. Celui-ci est de la même essence que son gibier, mais cette relation débouche sur le meurtre.
Cette dissymétrie dans l'égalité, fait que la parenté entre l'homme et l'animal n'est pas poussée jusqu'au bout.
Dés le XVIé siécle, on ne chasse plus la bîche à courre, elle n'est cependant pas épargnée; les gardes tirent les femelles surnuméraires, elles n'ont pas les honneurs de ce combat qu'est la chasse à courre, car la force du tempérament d'une espéce est incarné par le caractère mâle.
Ce qui caractérise le mieux la relation de l'homme au sanglier, c'est la chasse aux toiles. On met en valeur l'ultime défense de la bête en délimitant un enclos de panneaux te de toiles démontables dans lequel l'animal sera rabattu. Cette disposition permet la concentration des spectateurs en une sorte d'amphithéâtre, d'où l'on assiste à la mise à mort.
Le sanglier n'a pas le prestige du cerf, ce seigneur léger, on doit le forcer à révéler sa nature de guerrier.
Suite au prochain numéro
Par ses bois, par le cérémonial de ses amours, le cerf est l'animal d'Europe qui mannifeste le plus ostensiblement sa virilité et cette puissance prend des allures de défi guerrier. Son ardeur le contraint à chercher l'épuisement en des luttes pour sa reproduction. Il est soumis à une dépense ostentatoire et héroïque : riche d'épouses, alourdi de ses bois voué aux duels hazardeux. Comment s'étonner que l'aristocratie guerrière ait fait du cerf son parent dans le règne animal ?
Les qualités du cerf n'en font pas seulement un noble animal. Elles en font une image de la gloire guerrière soumise à une règle supérieure. Ce corps glorieux et humble est transformé en symbole.
St Eustache et St Hubert, chasseurs enragés, rencontrent l'un et l'autre en forêt, un cerf qui porte entre ses bois un crucifix; les patrons que le catholicisme donne aux chasseurs ont été des "coureurs" de cerfs avant d'être des saints. Et la croix de la passion n'est-elle pas le bois par excellence ?
La vision entraîne la conversion; le cerf joue ici le rôle angélique de messager divin qui révéle au chasseur le sens aprés lequel il courait sans le voir. Du cerf messager, on passe au cerf symbolique. Le cerf signifie Jésus-Christ, selon Hugues de St Victor.
Est-ce que le noble gibier est lui aussi destiné au sacrifice ?
L'aristocratie guerrière, elle aussi, utilise comme figure héraldique la tête de cerf, ordinairement de face, que l'on nomme rencontre.
Autant que le sens religieux, la beauté de l'animal expliquerait son usage fréquent dans l'emblématique à la fin du moyen âge. La perception symbolique sélectionne la légéreté et la vitesse de l'animal, qu'elle lie à la poursuite sans faille d'un but pour laquelle les armes sont nécessaires. Ce corps léger et puissant est celui d'un guerrier guidé par le coeur.
L'animal à la longévité légendaire signifie que le roi ne meurt jamais.
Le cerf glorieux et subordonné est le gibier noble dont la mort rituelle proclame la maîtrise du chasseur. Celui-ci est de la même essence que son gibier, mais cette relation débouche sur le meurtre.
Cette dissymétrie dans l'égalité, fait que la parenté entre l'homme et l'animal n'est pas poussée jusqu'au bout.
Dés le XVIé siécle, on ne chasse plus la bîche à courre, elle n'est cependant pas épargnée; les gardes tirent les femelles surnuméraires, elles n'ont pas les honneurs de ce combat qu'est la chasse à courre, car la force du tempérament d'une espéce est incarné par le caractère mâle.
Ce qui caractérise le mieux la relation de l'homme au sanglier, c'est la chasse aux toiles. On met en valeur l'ultime défense de la bête en délimitant un enclos de panneaux te de toiles démontables dans lequel l'animal sera rabattu. Cette disposition permet la concentration des spectateurs en une sorte d'amphithéâtre, d'où l'on assiste à la mise à mort.
Le sanglier n'a pas le prestige du cerf, ce seigneur léger, on doit le forcer à révéler sa nature de guerrier.
Suite au prochain numéro
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
C'est très juste, merci !
Lucius- Messages : 11656
Date d'inscription : 21/12/2013
Age : 33
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Très intéressant, merci.
A l’exception de ceci, toujours... boudoi29
A l’exception de ceci, toujours... boudoi29
l'amour menaçant a écrit:Le cerf a le privilège d'être comme l'homme, toute l'année travaillé par l'instinct de reproduction.
La nuit, la neige- Messages : 18132
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Merci pour cet extrait de Chateaubriand. On s'y croirait !
Heu sinon pour mon avis personnel, j'accepte plus ou moins pour les rois et seigneurs d'Ancien Régime. Autres temps, autres mœurs... Bien que... àè-è\':
Je n'accepte la chasse de nos jours que pour se nourrir ou pour se défendre(ce qui n'est pas le cas sous nos cieux occidentaux). Bref en cas d'extrême urgence. Je ne comprends qu'on puisse tuer pour le plaisir. C'est un sentiment qui m'échappe. Si c'est pour passer du bon temps en forêt, s'exalter de grandes courses à cheval, je ne vois pas pourquoi une pauvre bête qui n'a rien demandé devrait en mourir.
De plus, l'argument qui affirme que c'est une question de régulation de la population... Hé bien, qui sommes-nous hommes pour décréter qu'il y a trop de... ou de .... ? Laissons la nature faire son œuvre. Laissons déjà tranquilles les prédateurs naturels qui tuent bien eux pour se nourrir. D'ailleurs que dirions-nous si des instances supérieures ou se croyant telles décideraient de limiter la population humaine sous prétexte que nous sommes trop nombreux sur Terre et nuisibles ? Ce que objectivement nous sommes bien.
Heu sinon pour mon avis personnel, j'accepte plus ou moins pour les rois et seigneurs d'Ancien Régime. Autres temps, autres mœurs... Bien que... àè-è\':
Je n'accepte la chasse de nos jours que pour se nourrir ou pour se défendre(ce qui n'est pas le cas sous nos cieux occidentaux). Bref en cas d'extrême urgence. Je ne comprends qu'on puisse tuer pour le plaisir. C'est un sentiment qui m'échappe. Si c'est pour passer du bon temps en forêt, s'exalter de grandes courses à cheval, je ne vois pas pourquoi une pauvre bête qui n'a rien demandé devrait en mourir.
De plus, l'argument qui affirme que c'est une question de régulation de la population... Hé bien, qui sommes-nous hommes pour décréter qu'il y a trop de... ou de .... ? Laissons la nature faire son œuvre. Laissons déjà tranquilles les prédateurs naturels qui tuent bien eux pour se nourrir. D'ailleurs que dirions-nous si des instances supérieures ou se croyant telles décideraient de limiter la population humaine sous prétexte que nous sommes trop nombreux sur Terre et nuisibles ? Ce que objectivement nous sommes bien.
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Puis-je savoir pourquoi le titre du sujet a changé ?
Si j'avais choisis de l'intituler : "dans la forêt, un grand cerf..." était le simple fait d'éveiller la curiosité, et de pouvoir lire dans un thème comme la chasse qui ne plaît pas à tous, un intérêt autre que l'aspect technique de tuer mais plutôt toute la valeur symbolique de la monarchie. Le sujet va devenir trop vaste alors je préfère en rester là.
Si j'avais choisis de l'intituler : "dans la forêt, un grand cerf..." était le simple fait d'éveiller la curiosité, et de pouvoir lire dans un thème comme la chasse qui ne plaît pas à tous, un intérêt autre que l'aspect technique de tuer mais plutôt toute la valeur symbolique de la monarchie. Le sujet va devenir trop vaste alors je préfère en rester là.
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Pour en revenir au sujet lui même, j'avais lu dans un petit opuscule sur la symbolique royale que ce monopole royal, puis aristocratique de la chasse venait de la symbolique très forte qu'avait dans les temps ancien le sang versé.
Un tel acte (verser le sang) était une rupture dans l'équilibre naturel. Il convenait donc qu'un seul s'en charge (un homme ou un groupe définis) à la fois pour canaliser sur lui l'aspect effrayant et terrible de donner la mort, mais aussi pour que ce geste (le meurtre en quelque sorte) resta éloigné du plus gros de la population.
L'analogie est très forte avec la guerre.
Un tel acte (verser le sang) était une rupture dans l'équilibre naturel. Il convenait donc qu'un seul s'en charge (un homme ou un groupe définis) à la fois pour canaliser sur lui l'aspect effrayant et terrible de donner la mort, mais aussi pour que ce geste (le meurtre en quelque sorte) resta éloigné du plus gros de la population.
L'analogie est très forte avec la guerre.
Lucius- Messages : 11656
Date d'inscription : 21/12/2013
Age : 33
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Reinette a écrit: Si c'est pour passer du bon temps en forêt, s'exalter de grandes courses à cheval, je ne vois pas pourquoi une pauvre bête qui n'a rien demandé devrait en mourir.
Oui et la guerre, c'est grave et la chasse, ça tue les gentils animaux... Où est l'intérêt historique là-dedans ?!?
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Parce que :l'amour menaçant a écrit:Puis-je savoir pourquoi le titre du sujet a changé ?
Si j'avais choisis de l'intituler : "dans la forêt, un grand cerf..." était le simple fait d'éveiller la curiosité, et de pouvoir lire dans un thème comme la chasse qui ne plaît pas à tous, un intérêt autre que l'aspect technique de tuer mais plutôt toute la valeur symbolique de la monarchie. Le sujet va devenir trop vaste alors je préfère en rester là.
La nuit, la neige a écrit:Cependant, pourriez-vous renommer son titre svp ?
Car j’ai peur que dans quelques semaines, mois, années, les futurs lecteurs ne retrouvent pas ce sujet...
Bien à vous.
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Je crois aussi que ce titre fait bien écho à l'analyse qu'Evelyn a postée plus haut et annonce tout l'intérêt de ce nouveau sujet .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Dans la forêt, un grand cerf...
" Un tel acte (verser le sang) était une rupture dans l'équilibre naturel. Il convenait donc qu'un seul s'en charge à la fois pour canaliser sur lui l'aspect effrayant et terrible de donner la mort..."
Sur le dégoùt qu'inspire la mise à mort, cf.C.Mechin, "les régles de la bonne mort animale dans l'Europe occidentale"
A.Testart, Essai sur les fondements de la division sexuelle du travail chez les chasseurs-cueilleurs, Paris 1986, a analysé les tabous qui éliminent la femme des moments où elle serait en contact avec le sang répandu.
En France à l'époque moderne, aucune régle n'exclut les femmes des chasses indirectes, fauconnerie ou vénerie, qui retardent ou déléguent la tâche de répandre le sang. La chasse au fusil a sans doute bouleversé cette culture de la chasse en la virilisant.
Le cerf est le plus grand mammifère des forêts françaises. Cette raison suffirait à en faire le prince des gibiers, mais d'autres qualités appellent l'attention sur lui. Sa longévité est admirable : Du Fouilloux croit Phébus lorsque celui-ci fixe à cent ans le terme de sa vie. Les historiens de Charles VI rapportent l'anecdote du cerf pris par le roi, porteur d'un collier avec l'inscription :" haec Caesar me donavit", preuve que cet animal doit la vie à un empereur romain.
Ce n'est qu'au 18é siécle, aprés Buffon, que d'Yauville ne lui accorde plus que trente à quarante ans de longévité.
Pas de long débat sur la façon de donner la mort. Au regard de la complexité de tant d'autres moments, celui-là paraît presque négligeable, comme si l'événement n'était pas au coeur des chasses réglées. Il est vrai que l'instant où va couler le sang a toujours quelquechose d'effrayant, d'autant qu'il est amené par une longue et cérémonieuse poursuite.
Sur le dégoùt qu'inspire la mise à mort, cf.C.Mechin, "les régles de la bonne mort animale dans l'Europe occidentale"
A.Testart, Essai sur les fondements de la division sexuelle du travail chez les chasseurs-cueilleurs, Paris 1986, a analysé les tabous qui éliminent la femme des moments où elle serait en contact avec le sang répandu.
En France à l'époque moderne, aucune régle n'exclut les femmes des chasses indirectes, fauconnerie ou vénerie, qui retardent ou déléguent la tâche de répandre le sang. La chasse au fusil a sans doute bouleversé cette culture de la chasse en la virilisant.
Le cerf est le plus grand mammifère des forêts françaises. Cette raison suffirait à en faire le prince des gibiers, mais d'autres qualités appellent l'attention sur lui. Sa longévité est admirable : Du Fouilloux croit Phébus lorsque celui-ci fixe à cent ans le terme de sa vie. Les historiens de Charles VI rapportent l'anecdote du cerf pris par le roi, porteur d'un collier avec l'inscription :" haec Caesar me donavit", preuve que cet animal doit la vie à un empereur romain.
Ce n'est qu'au 18é siécle, aprés Buffon, que d'Yauville ne lui accorde plus que trente à quarante ans de longévité.
Pas de long débat sur la façon de donner la mort. Au regard de la complexité de tant d'autres moments, celui-là paraît presque négligeable, comme si l'événement n'était pas au coeur des chasses réglées. Il est vrai que l'instant où va couler le sang a toujours quelquechose d'effrayant, d'autant qu'il est amené par une longue et cérémonieuse poursuite.
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
l'amour menaçant a écrit:Reinette a écrit: Si c'est pour passer du bon temps en forêt, s'exalter de grandes courses à cheval, je ne vois pas pourquoi une pauvre bête qui n'a rien demandé devrait en mourir.
Oui et la guerre, c'est grave et la chasse, ça tue les gentils animaux... Où est l'intérêt historique là-dedans ?!?
Parce que jusqu'à preuve du contraire, dans notre petite communauté, nous avons toujours eu le droit d'exprimer nos sentiments et opinions (en évitant de heurter celles des autres quand cela concerne la religion ou la politique, la chasse n'entre pas dans ces deux catégories). Nombre de sujets historiques ont dévié sur des considérations qui n'ont strictement rien à voir. C'est ce qui en fait le charme. Personne ne s'en est insurgé que je sache.
Si je n'aime pas la chasse, j'ai le droit de le dire et surtout de l'écrire ici.
Pas besoin de me prendre pour une demeurée. Oui je n'aime pas la guerre, la chasse, la corrida, etc. Et alors ? J'ai vécu vingt-quatre ans en campagne, je sais très bien ce que je dois penser des chasseurs. Les Inconnus n'ont rien exagéré.
Je ne vois pas pourquoi je serais tolérante envers des assassins (avinés le plus souvent).
Déjà que je me connecte très rarement ces derniers temps, si je me fais aboyer dessus, je ne risque pas de revenir plus souvent.
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Ce qui ne m'empêche pas de trouver passionnant ce sujet d'un point de vue historique. J'ai juste droit de dire ce que j'en pense.
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
l'amour menaçant a écrit:Reinette a écrit: Si c'est pour passer du bon temps en forêt, s'exalter de grandes courses à cheval, je ne vois pas pourquoi une pauvre bête qui n'a rien demandé devrait en mourir.
Oui et la guerre, c'est grave et la chasse, ça tue les gentils animaux... Où est l'intérêt historique là-dedans ?!?
Le sujet est intéressant et merci de l'avoir ouvert. Mais nous sommes encore en droit de ne pas aimer ce type d'activité.
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
Le bonheur que l'on recontre à la chasse, en plus des joies inhérentes à cet exercice : plaisir de se lever de bon matin, joie au plaisir de la nature, excitation du déroulement réglé des cérémonies, agréments, enfin, de la convivialité. Le premier de ces plaisirs, celui qui permet tous les autres : se retrouver dans la nature.
Les auteurs de traités de chasse, comme les mémorialistes, sont discrets sur ce qu'ils éprouvent au spectacle de la nature.
Un moment de la journée est privilégié: l'aurore, temps de l'éveil, de l'observation, de la quête; instant de renouveau symbolisé par la rosée vivifiante qui humidifie assez le sol pour que les traces s'y impriment. La clarté règne sans l'excés de midi.
L'atmosphère doit être calme "ni vent, ni poudre, ni soleil" qui gêneraient la mobilité. Ces caractères : clarté, vue dégagée sont d'ailleurs ceux communément prisés dans les paysages du 17é siécle. Cette attirance explique le prestige des ondes pures.
Le bain des faucons fascine. L'eau est associée à la proximité de l 'origine, qui suscite la nostalgie.
A cette eau des origines répond symétriquement l'eau souvent boueuse et troublée par l'agitation, où le cerf fait ses fins.
La lumière joue le même rôle que l'eau.
Arcussia admire la montée tournoyante et la descente brusque des oiseaux de haut vol, qui parfois s'immoboilisent " pendus en lampe" dans cet élément mixte, aérien mais solide comme le "ferme".
Qui ne sait que le ciel est le miroir des choses invisibles ?
Le bonheur est donné par l'abondance des signes qui prouvent, dans une confusion glorieuse, l'existence d'un Dieu qui se communique par sa création.
La vue prime sur les autres sens; elle est par excellence le sens de la possession : loin de l'oeil du maître, le pouvoir n'agit plus.
Les auteurs de traités de chasse, comme les mémorialistes, sont discrets sur ce qu'ils éprouvent au spectacle de la nature.
Un moment de la journée est privilégié: l'aurore, temps de l'éveil, de l'observation, de la quête; instant de renouveau symbolisé par la rosée vivifiante qui humidifie assez le sol pour que les traces s'y impriment. La clarté règne sans l'excés de midi.
L'atmosphère doit être calme "ni vent, ni poudre, ni soleil" qui gêneraient la mobilité. Ces caractères : clarté, vue dégagée sont d'ailleurs ceux communément prisés dans les paysages du 17é siécle. Cette attirance explique le prestige des ondes pures.
Le bain des faucons fascine. L'eau est associée à la proximité de l 'origine, qui suscite la nostalgie.
A cette eau des origines répond symétriquement l'eau souvent boueuse et troublée par l'agitation, où le cerf fait ses fins.
La lumière joue le même rôle que l'eau.
Arcussia admire la montée tournoyante et la descente brusque des oiseaux de haut vol, qui parfois s'immoboilisent " pendus en lampe" dans cet élément mixte, aérien mais solide comme le "ferme".
Qui ne sait que le ciel est le miroir des choses invisibles ?
Le bonheur est donné par l'abondance des signes qui prouvent, dans une confusion glorieuse, l'existence d'un Dieu qui se communique par sa création.
La vue prime sur les autres sens; elle est par excellence le sens de la possession : loin de l'oeil du maître, le pouvoir n'agit plus.
Invité- Invité
Re: La chasse sous l'Ancien Régime
L'aristocratie guerrière, elle aussi, utilise comme figure héraldique la tête de cerf, ordinairement de face, que l'on nomme : Rencontre
Au début du XVIème siècle, poursuivant la tradition familiale, le connétable de Bourbon fait du cerf volant, c'est à dire ailé, son emblème, avec la devise : "Cursum intendimus alis (" Nous accélérons notre course grâce à nos ailes", traduit A-M.Lecoq)
Le Connétable de Bourbon portant son épée flamboyante lors des festivités de l'entrée royale de Lyon en 1515 ( Cerf ailé ou cerf volant)
Un livret explique : "Le cerf volant avec l'espérance, devine dudict connestable figuroyt la hardiesse et noble courage d'icelluy, car comme le cerf a de soy jambes légières et ignelles (rapides) et le cueur volant et gay, non creignant courir ou passer par plains montagnes ou valées (...) car de sa nature, où le passage en iceux luy est estrait, par ses branches et cornes, l'a soudain eslargy, dont parvient à son désir et espoyr"
(Livret pour l'entrée de François Ier à Lyon le 12 juillet 1515, cité par A-M.Lecoq, François Ier imaginaire , Paris, 1987, p192)
La cour des cerfs; en 1723 afin de distraire le jeune Roi Louis XV, ont été disposées vingt-quatre têtes de cerf entre les fenêtres, toutes sculptées par Jean Hardy, dont l'œuvre s'intitule :rencontre. Leurs bois sont naturels et provenaient des chasses royales.
La mise à mort a l'ambiguïté d'un remord, même et surtout lorsqu'elle est rendue plus spectaculaire par le cercle que forment les chasseurs.
L'animal était devenu comme un parent avec qui on partageait une commune nature. Dans les traités, la mise à mort est comme absorbée dans la description de la curée, qui rend au corps ouvert et dépecé un rôle dans la société humaine et animale.
La curée se déroule en deux temps : après les honneurs du pied ( le pied droit est offert à la personne que l'on veut honorer) l'animal est ouvert par le ventre. Quelque soit le gibier, la découpe commence par l'ablation des testicules qui passent pour le réceptacle de la puissance sauvage.
Un trait marquant de la curée est la stricte séparation de ce qui revient aux chiens et aux hommes. La curée restitue à l'animal sa part, symbolisée par l'abandon des parties où se condensent les humeurs.
Seul le sexe, siège de la vertu guerrière, revient au maître de la hiérarchie humaine. Dans la consommation, l'animal rappelle que pour être du côté de l'ordre humain, il reste étranger à l'humain.
La chasse à courre est un jeu avec le temps, à qui perd gagne.
La belle et longue défense qu'oppose l'animal à ses poursuivants le personnalise en partenaire à qui on rend les honneurs.
En le décrétant digne d'être chassé noblement, le chasseur assigne une personnalité à l'animal, et le tire de l'indistinction de l'espèce. Il lui donne ce qu'il refuse à l'espèce, le plein statut de partenaire guerrier.
Au début du XVIème siècle, poursuivant la tradition familiale, le connétable de Bourbon fait du cerf volant, c'est à dire ailé, son emblème, avec la devise : "Cursum intendimus alis (" Nous accélérons notre course grâce à nos ailes", traduit A-M.Lecoq)
Le Connétable de Bourbon portant son épée flamboyante lors des festivités de l'entrée royale de Lyon en 1515 ( Cerf ailé ou cerf volant)
Un livret explique : "Le cerf volant avec l'espérance, devine dudict connestable figuroyt la hardiesse et noble courage d'icelluy, car comme le cerf a de soy jambes légières et ignelles (rapides) et le cueur volant et gay, non creignant courir ou passer par plains montagnes ou valées (...) car de sa nature, où le passage en iceux luy est estrait, par ses branches et cornes, l'a soudain eslargy, dont parvient à son désir et espoyr"
(Livret pour l'entrée de François Ier à Lyon le 12 juillet 1515, cité par A-M.Lecoq, François Ier imaginaire , Paris, 1987, p192)
La cour des cerfs; en 1723 afin de distraire le jeune Roi Louis XV, ont été disposées vingt-quatre têtes de cerf entre les fenêtres, toutes sculptées par Jean Hardy, dont l'œuvre s'intitule :rencontre. Leurs bois sont naturels et provenaient des chasses royales.
La mise à mort a l'ambiguïté d'un remord, même et surtout lorsqu'elle est rendue plus spectaculaire par le cercle que forment les chasseurs.
L'animal était devenu comme un parent avec qui on partageait une commune nature. Dans les traités, la mise à mort est comme absorbée dans la description de la curée, qui rend au corps ouvert et dépecé un rôle dans la société humaine et animale.
La curée se déroule en deux temps : après les honneurs du pied ( le pied droit est offert à la personne que l'on veut honorer) l'animal est ouvert par le ventre. Quelque soit le gibier, la découpe commence par l'ablation des testicules qui passent pour le réceptacle de la puissance sauvage.
Un trait marquant de la curée est la stricte séparation de ce qui revient aux chiens et aux hommes. La curée restitue à l'animal sa part, symbolisée par l'abandon des parties où se condensent les humeurs.
Seul le sexe, siège de la vertu guerrière, revient au maître de la hiérarchie humaine. Dans la consommation, l'animal rappelle que pour être du côté de l'ordre humain, il reste étranger à l'humain.
La chasse à courre est un jeu avec le temps, à qui perd gagne.
La belle et longue défense qu'oppose l'animal à ses poursuivants le personnalise en partenaire à qui on rend les honneurs.
En le décrétant digne d'être chassé noblement, le chasseur assigne une personnalité à l'animal, et le tire de l'indistinction de l'espèce. Il lui donne ce qu'il refuse à l'espèce, le plein statut de partenaire guerrier.
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