Un projet de voyage à Bruxelles de Marie-Antoinette (1787)

Projet manqué ...  

Nous savons bien, hélas !  que jamais Marie-Antoinette n'est allée à Bruxelles.  
Pourtant elle en a sérieusement caressé le projet pendant l'hiver 1787 .   Elle a même confié cet espoir au prince de Ligne .

Joseph II à Mercy :

Vienne, le 7 février 1787.

Le prince de Ligne qui vient d'arriver ici m'a donné une bien singulière nouvelle, savoir qu'il pourrait être question que la Reine, ma soeur, sera au mois de juin prochain pour huit jours à Bruxelles pendant l'absence du Roi qui irait à Brest. J'en écris même à la Reine dans la lettre que je vous joins ici pour elle.  Je désire beaucoup savoir si effectivement cette idée subsiste et s'il y a de probabilité qu'elle sera réalisée, puisque la Reine venant chez moi je ne voudrais point manquer de m'y trouver et d'avoir le plaisir de la revoir.  Le mois de juin de cette année est en vérité un peu embarrassant, puisqu'il se joint de très près au mois d'avril et au commencement de mai où je me trouverai probablement à Cherson; néanmoins, pourvu que je le sache à temps, mon extrême désir de l'embrasser me fera trouver des moyens de le satisfaire. J'ai été à Mantoue pour la reine de Naples lorsqu'elle y est venue, et ne me rendrai-je pas également  pour la reine de France à Bruxelles, si elle y venait ?  Je vous prie donc, mon cher Comte, de me faire avoir à ce sujet des renseignements bien positifs et de réexpédier le courrier mensuel de façon qu'il arrive ici sans faute pour le 10 ou 12 mars au plus tard, afin qu'il me trouve encore à Vienne, ne comptant partir qu'entre le 15 ou le 20.   Je me rendrai d'abord à Léopol, en voyant passer quelques objets, et c'est là que j'attendrai le départ de l'Impératrice de Kiew pour aller directement à Cherson; il ne me faudra pour cela qu'à peu près sept jours de voyage, la plupart par des steppes .


Mercy à Joseph II :

Paris, le Ier mars 1787.

La Reine a paru sensiblement touchée du désir que V.M. lui marque d'aller La trouver à Bruxelles, mais la Reine est en même temps bien embarrassée de désigner le temps où Elle pourra entreprendre cette course, dépendante de celle du Roi, de sa santé, de celle de ses enfants et de semblables motifs qui tiendront dans une sorte d'incertitude l'instant où ce projet s'accomplira; la Reine n'a imaginé d'autre expédient que celui de remettre au mois de mai l'information plus positive qu'Elle prévoit être en état de donner alors à V.M. sur sa marche. Le calcul de cette auguste princesse porte sur ce qu'Elle suppose qu'avant la fin de mai V.M. sera de retour de son grand voyage, et qu'alors il sera encore temps de se concerter, au lieu qu'en déterminant dès à présent un plan, il ne servirait qu'à gêner ceux de V.M. en laissant subsister les risques de quelques contre-temps qui pourraient survenir dans les mesures de la Reine.   Je vois bien que son voyage est sérieusement projeté, mais je doute très fort qu'il ait lieu .

Cette idée de rejoindre Bruxelles, resurgira en 1791, alors qu’il est question de fuir Paris, mais le contexte est très différent...

Comme vous dites, cher Févicq, le contexte sera totalement différent et ô combien dramatique !

Cet enchaînement fatal des événements, Mercy le pressent déjà, sans en envisager encore toute la gravité. Très lucide prophète de malheur, il  ne croit pas que décider un voyage de la reine, dans la conjoncture politique du moment, soit raisonnable .

Mercy à Joseph II :

Paris, le 7 avril 1787.

Quant à ce qui concerne le voyage de la Reine à Bruxelles, je présume plus que jamais que ce voyage ne s'effectuera pas cette année.   Il est très problématique, si le Roi pourra ou voudra s'absenter et parcourir des provinces, où tout sera peut-être dans une grande convulsion à la suite des résultats auxquels on se décidera après l'assemblée des notables.  Il est impossible de bien exposer le degré de confusion, de désordre et de scandale que cette imprudente entreprise occasionne de plus en plus .
L'opposition à tous les projets du contrôleur général est devenue une affaire de cabale, et la forme ainsi que la publicité de cette opposition compromettent de la manière la plus inouïe la dignité du souverain en même temps qu'elles frappent à un tel point l'opinion de la nation que celle-ci croit une banqueroute inévitable, ce qui, en faisant resserrer l'argent et tomber tout  le crédit, pourrait bien décider une catastrophe totale ou partielle, tandis que dans le fond le mal ne serait pas à beaucoup près sans ressource, si l'étourderie du ministre et la pétulance de ses adversaires n'en aggravaient toutes les circonstances, ou si l'autorité suprême ne se laissait pas ballotter , comme cela arrive ici, dans tous les cas semblables.   L'issue d'une conjoncture aussi critique ne se développera qu'à la fin du mois : alors la Reine verra plus clair dans ses projets, et V.M. en sera informée avant le 1er de juin .

Je n'ose pas imaginer ce que l'on aurait dit si elle avait rencontré son frère à Bruxelles dans cette période.

Mais qu’avait la Reine en tête pour imaginer un tel voyage, alors que, comme le Roi, elle ne s’éloignait jamais de l’Ile de France ?
N’y avait-il chez elle que le désir de revoir sa famille ? Ou bien, comme on peut le lire entre les lignes chez Mercy, y avait-il d’autres projets, plus politiques, peu de temps, finalement, avant le temps de tous les dangers ?

Vicq d Azir a écrit: Ou bien, comme on peut le lire entre les lignes chez Mercy, y avait-il d’autres projets, plus politiques, peu de temps, finalement, avant le temps de tous les dangers ?

Je ne pense pas que Marie-Antoinette ait eu des arrières-pensées politiques car elle avait l'intention de s'éclipser, de son côté, à la faveur d'un voyage de Louis XVI à Brest ( dont je n'ai jamais entendu parler ) . Cela ressemble plutôt à du " quand le chat n'est pas là, les souris dansent ".

Si la démarche avait été politique Louis XVI l'aurait partagée . Et puis, il était encore beaucoup trop tôt pour avoir l'idée de fuir ... Je crois que le roi et elle n'envisagent pas encore clairement la situation, contrairement à Mercy et Joseph II qui échangent des réflexions extrêmement pertinentes ( et justement alarmistes ) sur les suites à craindre de l'assemblée des notables. Ils comprennent au quart de tour la situation catastrophique.
Tiens ! Je pourrai poster dans notre sujet sur l'assemblée des notables leurs analyses

Toujours est-il que, le 19 mai, Mercy conclut :

Mercy à Joseph II

V.M. apprendra sans doute par la Reine qu'il ne sera plus question cette année d'un voyage à Bruxelles, parce que cette auguste princesse veut éviter toute dépense extraordinaire et donner à cet égard le même bon exemple qu'Elle donne par des retranchements considérables dans l'état de sa maison .