Le respect du Carême ...
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Le respect du Carême ...
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Je sens que mon petit Lulu va encore halluciner, et émettre des doutes ...
Vous saurez donc qu'après la mort de la reine Marie de Pologne, à Versailles, on avait distribué toutes ses provisions de cuisine et d'office, et qu'il en échut pour le ménage Talleyrand un baril de thon mariné. Ceci leur fit d'autant plus de plaisir et de profit qu'on était en carême, et que c'était les deux personnes les plus chafriolantes et les plus régulièrement timorées de l'univers catholique.
Il est bon de vous dire aussi qu'ils se piquaient d'un savoir-vivre recherché et d'une grande érudition gastronomique, et qu'ils parlaient toujours de ce qu'ils avaient mangé ; ce qui faisait tous les frais de leurs entretiens du soir avec le comte de Brancas, le duc de la Vrillière et les autres vieux gourmands du château. C'étaient des cailletages à nous faire sécher d'ennui, et puis c'étaient des moqueries à n'en plus finir sur le comte et la comtesse de Talleyrand qui se montraient si difficiles et qui trouvaient moyen de faire si bonne chère à si bon marché.
Après qu'ils eurent bien mangé et bien parlé de leur thon mariné, qu'ils avaient trouvé substantiel et délicat, succulent, esculant, exquis et bien supérieur à tout ce que l'expérience et l'observation leur avaient appris sur les conserves de Provence ( ), on découvrit, au milieu de la semaine sainte et de la saumure, une vertèbre de lapin qui se trouvait dans un état d'adhérence parfaite et naturelle avec une tranche de cet excellent poisson. Le père et la mère Talleyrand faillirent en suffoquer d'horreur et d'effroi !
Pour en faire sa cour à Mesdames de France, qui étaient la régularité même, Madame de Brionne envoya chercher à Paris M. de Buffon, qui vint examiner la provision de thon mariné de la grande écurie, avec deux autres naturalistes du jardin du Roi. Mme la chancelière, qui faisait la dévote, ambitionna beaucoup cette distinction-là ; mais le comte de Buffon répliqua noblement qu'il ne s'était dérangé pour Mme la comtesse de Brionne que parce qu'elle était Grand-Écuyer de France et princesse de la maison royale de Lorraine ; ainsi la chancelière en fut pour ses frais d'inquiétude, et voici pour les Talleyrand ce qu'il en arriva.
Malgré la droiture et l'innocence de leurs intentions, le chevalier de Montbarrey vint à bout de leur persuader, pour se moquer d'eux, qu'ils se trouvaient en cas réservé, et voilà qu'on expédie bien vite à paris le jeune abbé de Talleyrand, pour aller confier à l'archevêque, M. de Beaumont, que son père et sa mère ( c'est de l'abbé dont il s'agit )_ avaient mangé du lapin pendant tout le carême, qu'ils en avaient l'abomination de la désolation dans les entrailles, et qu'ils conjuraient et adjuraient M. l'archevêque ou son Grand-Pénitencier de les relever de l'interdiction des sacrements, qu'ils avaient encourue sans se douter de rien, ipso facto, comme leur disait Montbarrey. Ce qu'il y avait de plus ridicule dans la pétition, c'est que leur affaire ne pouvait concerner en aucune façon l'archevêque de Paris, attendu que Versailles est du diocèse de Chartres ; mais le chevalier leur avait persuadé que c'était une de ces causes réservées pour l'officialité métropolitaine, afin d'augmenter leur inquiétude et de compléter la mystification.
M. l'abbé resta sept ou huit jours à Paris sans donner signe de vie à pauvre mère, qui était demeurée dans une angoisse abominable. — Eh bien, mon enfant, qu'est-ce que vous a répondu Monsieur de Paris ? — Mais, Madame, il ne m'a dit grand'chose, et je crois me souvenir qu'il m'a envoyé paître.....
Depuis, quand on a su quelle était la légèreté de l'Évêque d'Autun pour l'exécution des commandements de l'Église, on a pensé qu'il ne s'était peut-être pas acquitté de la commission de sa mère, et plût à Dieu qu'il n'eût pas autre chose à se reprocher pour l'observation du Décalogue !
( Marquise de Créquy, vous l'aurez deviné ( : ) : Souvenirs )
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Je sens que mon petit Lulu va encore halluciner, et émettre des doutes ...
Vous saurez donc qu'après la mort de la reine Marie de Pologne, à Versailles, on avait distribué toutes ses provisions de cuisine et d'office, et qu'il en échut pour le ménage Talleyrand un baril de thon mariné. Ceci leur fit d'autant plus de plaisir et de profit qu'on était en carême, et que c'était les deux personnes les plus chafriolantes et les plus régulièrement timorées de l'univers catholique.
Il est bon de vous dire aussi qu'ils se piquaient d'un savoir-vivre recherché et d'une grande érudition gastronomique, et qu'ils parlaient toujours de ce qu'ils avaient mangé ; ce qui faisait tous les frais de leurs entretiens du soir avec le comte de Brancas, le duc de la Vrillière et les autres vieux gourmands du château. C'étaient des cailletages à nous faire sécher d'ennui, et puis c'étaient des moqueries à n'en plus finir sur le comte et la comtesse de Talleyrand qui se montraient si difficiles et qui trouvaient moyen de faire si bonne chère à si bon marché.
Après qu'ils eurent bien mangé et bien parlé de leur thon mariné, qu'ils avaient trouvé substantiel et délicat, succulent, esculant, exquis et bien supérieur à tout ce que l'expérience et l'observation leur avaient appris sur les conserves de Provence ( ), on découvrit, au milieu de la semaine sainte et de la saumure, une vertèbre de lapin qui se trouvait dans un état d'adhérence parfaite et naturelle avec une tranche de cet excellent poisson. Le père et la mère Talleyrand faillirent en suffoquer d'horreur et d'effroi !
Pour en faire sa cour à Mesdames de France, qui étaient la régularité même, Madame de Brionne envoya chercher à Paris M. de Buffon, qui vint examiner la provision de thon mariné de la grande écurie, avec deux autres naturalistes du jardin du Roi. Mme la chancelière, qui faisait la dévote, ambitionna beaucoup cette distinction-là ; mais le comte de Buffon répliqua noblement qu'il ne s'était dérangé pour Mme la comtesse de Brionne que parce qu'elle était Grand-Écuyer de France et princesse de la maison royale de Lorraine ; ainsi la chancelière en fut pour ses frais d'inquiétude, et voici pour les Talleyrand ce qu'il en arriva.
Malgré la droiture et l'innocence de leurs intentions, le chevalier de Montbarrey vint à bout de leur persuader, pour se moquer d'eux, qu'ils se trouvaient en cas réservé, et voilà qu'on expédie bien vite à paris le jeune abbé de Talleyrand, pour aller confier à l'archevêque, M. de Beaumont, que son père et sa mère ( c'est de l'abbé dont il s'agit )_ avaient mangé du lapin pendant tout le carême, qu'ils en avaient l'abomination de la désolation dans les entrailles, et qu'ils conjuraient et adjuraient M. l'archevêque ou son Grand-Pénitencier de les relever de l'interdiction des sacrements, qu'ils avaient encourue sans se douter de rien, ipso facto, comme leur disait Montbarrey. Ce qu'il y avait de plus ridicule dans la pétition, c'est que leur affaire ne pouvait concerner en aucune façon l'archevêque de Paris, attendu que Versailles est du diocèse de Chartres ; mais le chevalier leur avait persuadé que c'était une de ces causes réservées pour l'officialité métropolitaine, afin d'augmenter leur inquiétude et de compléter la mystification.
M. l'abbé resta sept ou huit jours à Paris sans donner signe de vie à pauvre mère, qui était demeurée dans une angoisse abominable. — Eh bien, mon enfant, qu'est-ce que vous a répondu Monsieur de Paris ? — Mais, Madame, il ne m'a dit grand'chose, et je crois me souvenir qu'il m'a envoyé paître.....
Depuis, quand on a su quelle était la légèreté de l'Évêque d'Autun pour l'exécution des commandements de l'Église, on a pensé qu'il ne s'était peut-être pas acquitté de la commission de sa mère, et plût à Dieu qu'il n'eût pas autre chose à se reprocher pour l'observation du Décalogue !
( Marquise de Créquy, vous l'aurez deviné ( : ) : Souvenirs )
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Mme de Sabran- Messages : 55260
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Le respect du Carême ...
C'est génial ! On s'y croirait ! :,;:!ùù^^^$:
Lucius- Messages : 11656
Date d'inscription : 21/12/2013
Age : 32
Re: Le respect du Carême ...
Marquise de Créquy a écrit:
ce qui faisait tous les frais de leurs entretiens du soir avec le comte de Brancas, le duc de la Vrillière et les autres vieux gourmands du château. C'étaient des cailletages à nous faire sécher d'ennui, et puis c'étaient des moqueries à n'en plus finir sur le comte et la comtesse de Talleyrand qui se montraient si difficiles et qui trouvaient moyen de faire si bonne chère à si bon marché.
Après qu'ils eurent bien mangé et bien parlé de leur thon mariné, qu'ils avaient trouvé substantiel et délicat, succulent, esculant, exquis et bien supérieur à tout ce que l'expérience et l'observation leur avaient appris sur les conserves de Provence, on découvrit, au milieu de la semaine sainte et de la saumure, une vertèbre de lapin qui se trouvait dans un état d'adhérence parfaite et naturelle avec une tranche de cet excellent poisson. Le père et la mère Talleyrand faillirent en suffoquer d'horreur et d'effroi !
Très drôle :
Il faut que je me procure les souvenirs de Mme de Créquy... je sens que je vais m'amuser :\\\\\\\\:
_________________
« elle dominait de la tête toutes les dames de sa cour, comme un grand chêne, dans une forêt, s'élève au-dessus des arbres qui l'environnent. »
Comte d'Hézècques- Messages : 4390
Date d'inscription : 21/12/2013
Age : 44
Localisation : Pays-Bas autrichiens
Re: Le respect du Carême ...
Ils sont absolument désopilants !!!
Tu peux les trouver ici :
http://penelope.uchicago.edu/crequy/chap105.html
Mme de Sabran- Messages : 55260
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
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