le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
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Mme de Sabran
Bonnefoy du Plan
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le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
L’appellation Théâtre de Monsieur pourrait laisser croire que cette institution tardive du règne de Louis XVI doit beaucoup au comte de Provence, dont on imagine sans trop de difficulté l’égo flatté par la création d’un établissement culturel de prestige, susceptible de rivaliser avec les trois autres théâtres royaux de la capitale (Académie Royale de Musique ; Comédie Française et Comédie-Italienne).
Monsieur, vous avez bien dit Monsieur ?
A l’ouverture du théâtre, en janvier 1789, le Mercure de France a beau pérorer sur « la protection d’un prince, que les arts ont tant raison de chérir ! » (MdF, 7 février 1789), la participation financière du comte de Provence n’est pas attestée (si ce n’est le loyer de sa loge, comme pour un abonné ordinaire) et il n’intervient pas dans les décisions à prendre. Sa protection reste en fait toute de façade et c’est principalement sous pression de la reine (Artois s’étant défilé) que Monsieur accepte de donner son nom au nouveau théâtre.
Un livre de référence existe sur le Théâtre de Monsieur, qui prendra le nom de Théâtre Feydeau sous la Révolution. Publié en 2003 aux éditions du CNRS et intitulé « La Révolution des Bouffons – l’opéra italien au Théâtre de Monsieur 1789-1792 », ce livre est signé d’Alessandro Di Profio, docteur en musicologie (gros ouvrage, très complet et très érudit ; 561 pages).
Le Théâtre de Monsieur doit son existence principalement à l’opiniâtreté, au mécénat et à l’interventionnisme de Marie-Antoinette. La reine manœuvre en effet pendant près de dix ans pour la création de cette nouvelle institution que les conventions lui empêchent de parrainer directement.
Entre 1778 et 1780, une troupe de chanteurs italiens avait été engagée à l’Académie royale de Musique, alors dirigée par l’entrepreneur privé Jacques de Vismes du Valgay. Lorsqu’en 1780 ce dernier fut contraint de laisser la direction de l’Académie, ces chanteurs (appelés les Bouffons, appellation dérivée d’Opera buffa) furent expulsés. Et ainsi, à partir de mars 1780, les Parisiens ne disposaient plus que des concerts pour entendre de la musique ultramontaine. Non seulement l’Académie royale avait expulsé les Bouffons, mais la Comédie-Italienne ne présentait plus de musique italienne pour respecter un nouveau bail qui lui interdisait de produire des parodies sur musique italienne... Pendant les années 1780, c’est principalement au Concert Spirituel que les prodiges et virtuoses italiens purent se produire. L’histoire est compliquée et fertile en jeux de pouvoir et luttes d’influence, je vous renvoie à l’ouvrage d’Alessandro di Profio pour les détails.
Extrait du livre, page 21, en prologue à la première partie :
Au sujet de Jacques de Vismes et de sa nomination à la tête de l’Académie royale de musique, je vous conseille la lecture de l’article de Solveig Serre, dans la Revue de Musicologie (2010) : « Un fermier au tripot : Anne-Pierre-Jacques de Vismes du Valgay et l’Académie royale de musique (1778-1780) ». L’auteur y souligne la communauté de vues partagée par de Vismes et Marie-Antoinette pour ouvrir le répertoire en favoriser un certain cosmopolitisme. D’où bien des résistances, qui contribuèrent très vite à l’échec prématuré de l’expérience de Vismes.
un fermier au tripot : Jacques de Vismes et l'Académie royale de musique (Solveig Serre, 2010)
Au terme de la seconde partie de son étude, Alessandro Di Profio écrit page 231 :
« L’ouverture du Théâtre de Monsieur fut la conclusion de plus de dix ans de négociations et de tentatives. Le clan des italophiles se réunit autour de la reine Marie-Antoinette qui s’engagea en personne dans un projet qui lui tenait particulièrement à cœur : l’ouverture à Paris d’un théâtre italien analogue à celui dont sa famille disposait à Vienne. L’histoire de l’opéra italien est aussi, à cette époque, celles des passions personnelles de souverains ayant le pouvoir d’en orienter le cours, tant à Paris qu’à Vienne ou à Saint-Pétersbourg. Le nom de Marie-Antoinette revient souvent, ainsi que celui de ses proches : Mlle Montansier, le financier Jacques de Vismes et le coiffeur Léonard Autier. La concession du bail royal en mai 1788, l’idée d’exploiter le privilège de Monsieur, ne sont que les prétextes officiels pour une décision prise et mûrie depuis longtemps. Le Théâtre de Monsieur, dont la date d’ouverture en janvier 1789 incite à associer sa création avec le début de la Révolution, reste un pur produit de l’Ancien Régime, voulu et mis en œuvre par des personnages proches de la Cour ; son public fut également éminemment aristocratique. Même lorsque le Théâtre de Monsieur changea de nom et prit celui de « Feydeau », moins compromettant pendant la Révolution, cette institution fut parfois suspectée d’être un « nid » d’aristocrates royalistes. »
De son côté, dans son récent « Marie-Antoinette et la musique » (Grasset, 2022), Patrick Barbier souligne également l’interventionnisme de la reine en développant deux exemples : le rôle essentiel qu’elle joue dans la création de l’Ecole royale de musique et de déclamation (précurseur du Conservatoire de Paris ; autre thème qui mériterait l’ouverture d’un sujet spécifique...) et son implication dans la création du Théâtre de Monsieur.
Voici dans cet ouvrage quelques extraits des pages consacrées au Théâtre de Monsieur (pp. 326-329) , « l’autre implication forte de Marie-Antoinette en faveur du monde théâtral parisien ».
« Dernière salle ouverte par l’Ancien Régime, ce théâtre répond à une demande qui revient régulièrement depuis plusieurs années : donner enfin une salle à une troupe italienne permanente. Cette idée de doter le répertoire comique italien, communément appelé « les Bouffons », d’un théâtre dédié est un moyen de rendre hommage à ce répertoire qui séduit un public toujours plus nombreux, à la cour et à la ville. La quinzaine d’ouvrages italiens montés pendant la direction de Jacques de Vismes (1778-1780) et le passage de troupes italiennes à Paris pendant les étés 1787 et 1788 ont ravivé ce sentiment de bonheur extrême partagé par beaucoup et fort bien évoqué par le dramaturge Antoine-Vincent Arnault : « Tous les soirs, j’allais m’enivrer de cette délicieuse musique. Plus je l’entendais, plus j’avais besoin de l’entendre ; il me semblait que ces Italiens avaient inventé un nouvel art, ou développé en moi un sens nouveau. » (extrait de « Souvenirs d’un sexagénaire », T.1, p.162). Quant à la reine, acquise de longue date à cette musique, son vœu le plus cher est que Paris se dote d’une vraie salle consacrée aux Italiens et à leurs opéras, à l’instar de Vienne, Londres et d’autres capitales. Le problème est que « l’Auguste protectrice des Arts » n’a pas le pouvoir de décréter la création d’une nouvelle salle alors que ce privilège fait partie des attributions d’un « prince éclairé », à savoir l’un des frères du roi. Dans un premier temps, on sollicite le comte d’Artois, car il est assez lié avec les milieux italophiles de Paris. Finalement, c’est le comte de Provence qui accepte de parrainer cette nouvelle salle, à laquelle on donne son nom : motivé, dit-on, par l’amourette qu’il démarre avec une cantatrice Italienne, il ne va, dans les faits, s’investir en rien dans cette mission.
C’est bien Marie-Antoinette qui œuvre pendant dix ans pour que ce projet voie le jour, jusqu’ à convaincre son royal époux en 1788. Elle croit d’abord trouver en Mlle Montansier (de son vrai nom Marguerite Brunet) la personne efficace qui mènera l’affaire à bien. Depuis 1776, celle qu’on nomme partout « la Montansier » a obtenu le privilège des spectacles et des bals de Versailles, et a fait construire le Théâtre des Réservoirs, au bout de l’aile nord du château (appelé depuis lors Théâtre Montansier). Cette entrepreneuse intrépide est aussi très favorable au répertoire italien, comme l’avait été Jacques de Vismes à la tête de l’Académie de musique. Finalement, suite à différents désaccords, la reine renonce à la Montansier et se retourne vers une valeur sûre, déjà à son service et coqueluche du Tout-Paris : le violoniste et compositeur Viotti. D’abord co-directeur avec l’impresario Léonard-Alexis Autié (le fameux « Léonard », coiffeur de la reine), puis seul en piste après la fuite de celui-ci en 1791, Viotti a donc le privilège d’inaugurer le Théâtre de Monsieur en janvier 1789 dans la salle des Tuileries ; il en assurera aussi la fermeture en août 1792, l’été de l’abolition de la monarchie, dans la salle de la rue Feydeau où on l’avait transféré l’année précédente. Dès sa nomination, le célèbre violoniste part en Italie sélectionner une troupe solide de chanteurs. Il recrute aussi le compositeur Luigi Cherubini, très vite promu à la codirection du théâtre : son opéra Lodoïska sera l’un des plus grands succès de cette salle pendant la Révolution. Cherubini deviendra en 1796 inspecteur de l’enseignement du tout nouveau Conservatoire de Paris, avant de le diriger pleinement en 1822. »
Après tant d’années d’efforts, le théâtre voulu par la reine était lancé au moment-même où débutait la Révolution. Ce fut son malheur et la raison de sa carrière éphémère.
Notons cependant qu’entre le 26 janvier 1789 et le 16 juin 1792, l’institution ne donna pas moins de 34 opéras italiens, de 14 compositeurs différents, la palme du succès allant à Giovanni Paisiello pour les 56 représentations de son Barbiere di Siviglia...
C’est sans surprise que l’on trouve exposé au salon de 1791 le portrait du célèbre compositeur, devenu la coqueluche de Paris. Madame Vigée Le Brun réalise ici une de ses plus belles œuvres, qu'elle fait expédier à Paris depuis son exil italien. Ce portrait est aujourd’hui conservé à Versailles où il est accroché dans l’appartement du Capitaine des Gardes, dans la pièce voisine de la chambre que Marie-Antoinette s'est fait aménager au rez-de-chaussée de la Cour de Marbre...
Le Théâtre de Monsieur avait d'abord été installé aux Tuileries
avant d'être transféré au 19 de la rue Feydeau (futur deuxième arrondissement de Paris)
Cette salle, bientôt appelée Théâtre Feydeau, fut inaugurée en 1791 et fermée en 1829.
Monsieur, vous avez bien dit Monsieur ?
le comte de Provence par Joseph-Siffred Duplessis
huile sur toile, vers 1779
58,0x47,5cm
(Vente Artcurial, Paris, 15 février 2022, Lot #14)
A l’ouverture du théâtre, en janvier 1789, le Mercure de France a beau pérorer sur « la protection d’un prince, que les arts ont tant raison de chérir ! » (MdF, 7 février 1789), la participation financière du comte de Provence n’est pas attestée (si ce n’est le loyer de sa loge, comme pour un abonné ordinaire) et il n’intervient pas dans les décisions à prendre. Sa protection reste en fait toute de façade et c’est principalement sous pression de la reine (Artois s’étant défilé) que Monsieur accepte de donner son nom au nouveau théâtre.
Un livre de référence existe sur le Théâtre de Monsieur, qui prendra le nom de Théâtre Feydeau sous la Révolution. Publié en 2003 aux éditions du CNRS et intitulé « La Révolution des Bouffons – l’opéra italien au Théâtre de Monsieur 1789-1792 », ce livre est signé d’Alessandro Di Profio, docteur en musicologie (gros ouvrage, très complet et très érudit ; 561 pages).
Le Théâtre de Monsieur doit son existence principalement à l’opiniâtreté, au mécénat et à l’interventionnisme de Marie-Antoinette. La reine manœuvre en effet pendant près de dix ans pour la création de cette nouvelle institution que les conventions lui empêchent de parrainer directement.
Entre 1778 et 1780, une troupe de chanteurs italiens avait été engagée à l’Académie royale de Musique, alors dirigée par l’entrepreneur privé Jacques de Vismes du Valgay. Lorsqu’en 1780 ce dernier fut contraint de laisser la direction de l’Académie, ces chanteurs (appelés les Bouffons, appellation dérivée d’Opera buffa) furent expulsés. Et ainsi, à partir de mars 1780, les Parisiens ne disposaient plus que des concerts pour entendre de la musique ultramontaine. Non seulement l’Académie royale avait expulsé les Bouffons, mais la Comédie-Italienne ne présentait plus de musique italienne pour respecter un nouveau bail qui lui interdisait de produire des parodies sur musique italienne... Pendant les années 1780, c’est principalement au Concert Spirituel que les prodiges et virtuoses italiens purent se produire. L’histoire est compliquée et fertile en jeux de pouvoir et luttes d’influence, je vous renvoie à l’ouvrage d’Alessandro di Profio pour les détails.
Extrait du livre, page 21, en prologue à la première partie :
Au sujet de Jacques de Vismes et de sa nomination à la tête de l’Académie royale de musique, je vous conseille la lecture de l’article de Solveig Serre, dans la Revue de Musicologie (2010) : « Un fermier au tripot : Anne-Pierre-Jacques de Vismes du Valgay et l’Académie royale de musique (1778-1780) ». L’auteur y souligne la communauté de vues partagée par de Vismes et Marie-Antoinette pour ouvrir le répertoire en favoriser un certain cosmopolitisme. D’où bien des résistances, qui contribuèrent très vite à l’échec prématuré de l’expérience de Vismes.
un fermier au tripot : Jacques de Vismes et l'Académie royale de musique (Solveig Serre, 2010)
Au terme de la seconde partie de son étude, Alessandro Di Profio écrit page 231 :
« L’ouverture du Théâtre de Monsieur fut la conclusion de plus de dix ans de négociations et de tentatives. Le clan des italophiles se réunit autour de la reine Marie-Antoinette qui s’engagea en personne dans un projet qui lui tenait particulièrement à cœur : l’ouverture à Paris d’un théâtre italien analogue à celui dont sa famille disposait à Vienne. L’histoire de l’opéra italien est aussi, à cette époque, celles des passions personnelles de souverains ayant le pouvoir d’en orienter le cours, tant à Paris qu’à Vienne ou à Saint-Pétersbourg. Le nom de Marie-Antoinette revient souvent, ainsi que celui de ses proches : Mlle Montansier, le financier Jacques de Vismes et le coiffeur Léonard Autier. La concession du bail royal en mai 1788, l’idée d’exploiter le privilège de Monsieur, ne sont que les prétextes officiels pour une décision prise et mûrie depuis longtemps. Le Théâtre de Monsieur, dont la date d’ouverture en janvier 1789 incite à associer sa création avec le début de la Révolution, reste un pur produit de l’Ancien Régime, voulu et mis en œuvre par des personnages proches de la Cour ; son public fut également éminemment aristocratique. Même lorsque le Théâtre de Monsieur changea de nom et prit celui de « Feydeau », moins compromettant pendant la Révolution, cette institution fut parfois suspectée d’être un « nid » d’aristocrates royalistes. »
De son côté, dans son récent « Marie-Antoinette et la musique » (Grasset, 2022), Patrick Barbier souligne également l’interventionnisme de la reine en développant deux exemples : le rôle essentiel qu’elle joue dans la création de l’Ecole royale de musique et de déclamation (précurseur du Conservatoire de Paris ; autre thème qui mériterait l’ouverture d’un sujet spécifique...) et son implication dans la création du Théâtre de Monsieur.
Voici dans cet ouvrage quelques extraits des pages consacrées au Théâtre de Monsieur (pp. 326-329) , « l’autre implication forte de Marie-Antoinette en faveur du monde théâtral parisien ».
« Dernière salle ouverte par l’Ancien Régime, ce théâtre répond à une demande qui revient régulièrement depuis plusieurs années : donner enfin une salle à une troupe italienne permanente. Cette idée de doter le répertoire comique italien, communément appelé « les Bouffons », d’un théâtre dédié est un moyen de rendre hommage à ce répertoire qui séduit un public toujours plus nombreux, à la cour et à la ville. La quinzaine d’ouvrages italiens montés pendant la direction de Jacques de Vismes (1778-1780) et le passage de troupes italiennes à Paris pendant les étés 1787 et 1788 ont ravivé ce sentiment de bonheur extrême partagé par beaucoup et fort bien évoqué par le dramaturge Antoine-Vincent Arnault : « Tous les soirs, j’allais m’enivrer de cette délicieuse musique. Plus je l’entendais, plus j’avais besoin de l’entendre ; il me semblait que ces Italiens avaient inventé un nouvel art, ou développé en moi un sens nouveau. » (extrait de « Souvenirs d’un sexagénaire », T.1, p.162). Quant à la reine, acquise de longue date à cette musique, son vœu le plus cher est que Paris se dote d’une vraie salle consacrée aux Italiens et à leurs opéras, à l’instar de Vienne, Londres et d’autres capitales. Le problème est que « l’Auguste protectrice des Arts » n’a pas le pouvoir de décréter la création d’une nouvelle salle alors que ce privilège fait partie des attributions d’un « prince éclairé », à savoir l’un des frères du roi. Dans un premier temps, on sollicite le comte d’Artois, car il est assez lié avec les milieux italophiles de Paris. Finalement, c’est le comte de Provence qui accepte de parrainer cette nouvelle salle, à laquelle on donne son nom : motivé, dit-on, par l’amourette qu’il démarre avec une cantatrice Italienne, il ne va, dans les faits, s’investir en rien dans cette mission.
C’est bien Marie-Antoinette qui œuvre pendant dix ans pour que ce projet voie le jour, jusqu’ à convaincre son royal époux en 1788. Elle croit d’abord trouver en Mlle Montansier (de son vrai nom Marguerite Brunet) la personne efficace qui mènera l’affaire à bien. Depuis 1776, celle qu’on nomme partout « la Montansier » a obtenu le privilège des spectacles et des bals de Versailles, et a fait construire le Théâtre des Réservoirs, au bout de l’aile nord du château (appelé depuis lors Théâtre Montansier). Cette entrepreneuse intrépide est aussi très favorable au répertoire italien, comme l’avait été Jacques de Vismes à la tête de l’Académie de musique. Finalement, suite à différents désaccords, la reine renonce à la Montansier et se retourne vers une valeur sûre, déjà à son service et coqueluche du Tout-Paris : le violoniste et compositeur Viotti. D’abord co-directeur avec l’impresario Léonard-Alexis Autié (le fameux « Léonard », coiffeur de la reine), puis seul en piste après la fuite de celui-ci en 1791, Viotti a donc le privilège d’inaugurer le Théâtre de Monsieur en janvier 1789 dans la salle des Tuileries ; il en assurera aussi la fermeture en août 1792, l’été de l’abolition de la monarchie, dans la salle de la rue Feydeau où on l’avait transféré l’année précédente. Dès sa nomination, le célèbre violoniste part en Italie sélectionner une troupe solide de chanteurs. Il recrute aussi le compositeur Luigi Cherubini, très vite promu à la codirection du théâtre : son opéra Lodoïska sera l’un des plus grands succès de cette salle pendant la Révolution. Cherubini deviendra en 1796 inspecteur de l’enseignement du tout nouveau Conservatoire de Paris, avant de le diriger pleinement en 1822. »
Après tant d’années d’efforts, le théâtre voulu par la reine était lancé au moment-même où débutait la Révolution. Ce fut son malheur et la raison de sa carrière éphémère.
Notons cependant qu’entre le 26 janvier 1789 et le 16 juin 1792, l’institution ne donna pas moins de 34 opéras italiens, de 14 compositeurs différents, la palme du succès allant à Giovanni Paisiello pour les 56 représentations de son Barbiere di Siviglia...
C’est sans surprise que l’on trouve exposé au salon de 1791 le portrait du célèbre compositeur, devenu la coqueluche de Paris. Madame Vigée Le Brun réalise ici une de ses plus belles œuvres, qu'elle fait expédier à Paris depuis son exil italien. Ce portrait est aujourd’hui conservé à Versailles où il est accroché dans l’appartement du Capitaine des Gardes, dans la pièce voisine de la chambre que Marie-Antoinette s'est fait aménager au rez-de-chaussée de la Cour de Marbre...
Giovanni Paisiello, par Louise-Elisabeth Vigée Le Brun
huile sur toile, 1791
130,8x98,3cm
Musées de Versailles et de Trianon
(source de l'image : site du Musée)
Dernière édition par Bonnefoy du Plan le Dim 20 Fév 2022, 12:18, édité 2 fois
_________________
" Ai-je vu dans sa société quelque chose qui ne fût pas marqué au coin de la grâce, de la bonté et du goût? "
(Prince de Ligne, au sujet de "la charmante reine")
Bonnefoy du Plan- Messages : 390
Date d'inscription : 06/08/2018
Localisation : Le Maine
Re: le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
Bonnefoy du Plan a écrit:L’appellation Théâtre de Monsieur pourrait laisser croire que cette institution tardive du règne de Louis XVI doit beaucoup au comte de Provence, dont on imagine sans trop de difficulté l’égo flatté par la création d’un établissement culturel de prestige, susceptible de rivaliser avec les trois autres théâtres royaux de la capitale (Académie Royale de Musique ; Comédie Française et Comédie-Italienne).
Eh bien non, rien à voir avec Monsieur ! Merci, cher Bonnefoy, pour l'ouverture de ce nouveau sujet.
Grâce à la protection de la reine, Giovanni Viotti, violoniste virtuose, fut le premier directeur du " Théâtre de Monsieur " à sa création. Viotti s'était fixé à Paris après l'accueil chaleureux qu'il y avait reçu au Concert spirituel. Il entre au service de Marie-Antoinette, mais la Révolution le chasse (1792).
Cette vie d'administrateur ne laisse pas soupçonner que le mérite essentiel de Viotti est sa virtuosité violonistique.
Considéré comme le fondateur de l’école française de violon illustrée par les Pierre Rode, Rodolphe Kreutzer et Pierre Baillot, Viotti a composé exclusivement ou presque pour son instrument. C’est d’ailleurs si vrai qu’on lui reproche parfois, dans ses œuvres de chambre, d’avoir trop mis en vedette le violon. Passe encore pour ses sonates pour violon et piano, qui penchent si ouvertement vers le vieux genre avec basse continue qu’on leur pardonnerait presque d’obliger le piano à faire tapisserie.
( Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte )
Pourtant l'estime où le tenait Mozart devrait sauver Viotti d'un complet oubli. Au printemps de 1785, Mozart complète l'orchestration du Seizième Concerto pour violon (en si mineur) de Viotti par l'adjonction de trompettes et de trombones ; et l'Andante en la majeur pour violon et orchestre (K. 470), composé par Mozart le 1er avril 1785, était sans doute destiné à s'intercaler dans le même Concerto.
Il rentre à Paris et, grâce à l'appui de Louis XVIII, devient directeur de l'Opéra, mais échoue dans sa tentative de vaincre l'anarchie et le désordre qui y régnaient en maîtres (1818-1822). Il retourne alors à Londres où il meurt.
( Philippe Beaussaint Encyclopédie Universalis )
_________________
... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
Chers amis,
Quatre sources montrent que la reine a visité le théâtre malgré les craintes de son impopularité.
son amour pour la musique était plus fort ..
une des sources: Gazette de Cologne pour 1789 :
De Paris, le 5 Mars. La Reine a soupé, le 4, à l'hôtel Penthievre', chés la Prin. ceffe de Lamballe. S. M. avoit vít, un instant, le spectacle de Monsieur, dans une loge grillée. Elle a couché aux Tnuilleries', & aujourd'hui 5, Elle dine à St. Cloud. C'est une petite fête, que lui donnent les maisons d'Orléans. & de Penthieure, à l'occasion du * mariage du Duc d'Angoulême, avec Mlle d'Orléans.
Je ne comprends pas le mot: une loge grillée.
C'est la méchanceté d'un journaliste?
Leos
Quatre sources montrent que la reine a visité le théâtre malgré les craintes de son impopularité.
son amour pour la musique était plus fort ..
une des sources: Gazette de Cologne pour 1789 :
De Paris, le 5 Mars. La Reine a soupé, le 4, à l'hôtel Penthievre', chés la Prin. ceffe de Lamballe. S. M. avoit vít, un instant, le spectacle de Monsieur, dans une loge grillée. Elle a couché aux Tnuilleries', & aujourd'hui 5, Elle dine à St. Cloud. C'est une petite fête, que lui donnent les maisons d'Orléans. & de Penthieure, à l'occasion du * mariage du Duc d'Angoulême, avec Mlle d'Orléans.
Je ne comprends pas le mot: une loge grillée.
C'est la méchanceté d'un journaliste?
Leos
Leos- Messages : 794
Date d'inscription : 29/12/2013
Age : 54
Localisation : Zlin, Tcheque
Re: le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
Je pense que cela signifie que la loge est équipé d'une grille :
Vue intérieure de l'Opéra royal de Versailles
Jacques-Ange Gabriel
Image : RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Hervé Lewandowski
Vue intérieure de l'Opéra royal de Versailles : vue de la scène prise de la loge royale
Jacques-Ange Gabriel
Image : RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Hervé Lewandowski
Image : Trizek / Commons Wikimedia
Aujourd'hui, je crois que nous dirions plus volontiers une "loge grillagée" (pour un grillage).
"Grillager" (verbe) se dit dans le sens d'installer un grillage, ou disons une grille. Nous n'utiliserions pas le verbe " griller " (qui a d'autres significations, en effet).
Vue intérieure de l'Opéra royal de Versailles
Jacques-Ange Gabriel
Image : RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Hervé Lewandowski
Vue intérieure de l'Opéra royal de Versailles : vue de la scène prise de la loge royale
Jacques-Ange Gabriel
Image : RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Hervé Lewandowski
Image : Trizek / Commons Wikimedia
Aujourd'hui, je crois que nous dirions plus volontiers une "loge grillagée" (pour un grillage).
"Grillager" (verbe) se dit dans le sens d'installer un grillage, ou disons une grille. Nous n'utiliserions pas le verbe " griller " (qui a d'autres significations, en effet).
La nuit, la neige- Messages : 18132
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
Cher La nuit la neige,
Merci beaucoup pour ces photos..
Je n'ai pas encore remarqué cela dans les salles.
Cela m'éclaire donc sur le sens du mot grillé, qui n'avait pas à être péjoratif.
Pourquoi ces grilles ont été installées?
Leos
Merci beaucoup pour ces photos..
Je n'ai pas encore remarqué cela dans les salles.
Cela m'éclaire donc sur le sens du mot grillé, qui n'avait pas à être péjoratif.
Pourquoi ces grilles ont été installées?
Leos
Leos- Messages : 794
Date d'inscription : 29/12/2013
Age : 54
Localisation : Zlin, Tcheque
Re: le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
Leos a écrit:
Cela m'éclaire donc sur le sens du mot grillé, qui n'avait pas à être péjoratif.
Pourquoi ces grilles ont été instalées?
C'était pour passer inaperçu, à l'abri de regards indiscrets, je pense...
_________________
« elle dominait de la tête toutes les dames de sa cour, comme un grand chêne, dans une forêt, s'élève au-dessus des arbres qui l'environnent. »
Comte d'Hézècques- Messages : 4390
Date d'inscription : 21/12/2013
Age : 44
Localisation : Pays-Bas autrichiens
Re: le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
Merci pour la précision, mais la grille empêchait toujours une bonne vue de l'opéra .. qu'il suffirait à la reine d'entendre le son de son chant ..?
je suis désolé pour mes difficultés techniques dans le post précédent ..
Leos
je suis désolé pour mes difficultés techniques dans le post précédent ..
Leos
Leos- Messages : 794
Date d'inscription : 29/12/2013
Age : 54
Localisation : Zlin, Tcheque
Re: le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
Non, non, cher Leos, ne sois surtout pas désolé ! Tes posts sont toujours très intéressants et nous révèlent souvent des inédits. Il est vrai que, sauf à coller son oeil contre la grille, elle devait être terriblement gênante ! Reste à savoir quand elle était ouverte et fermée ? Les souverains saluaient le public et en étaient acclamés. Il y avaient deux loges royales, le roi et la reine se faisant face, de loin, de chaque côté de la salle.
_________________
... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
Il ne faut effectivement pas s'excuser cher Léos, c'est toujours un plaisir immense de te retrouver ici
_________________
« elle dominait de la tête toutes les dames de sa cour, comme un grand chêne, dans une forêt, s'élève au-dessus des arbres qui l'environnent. »
Comte d'Hézècques- Messages : 4390
Date d'inscription : 21/12/2013
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Localisation : Pays-Bas autrichiens
Re: le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
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Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
La nuit, la neige- Messages : 18132
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
Il me semble que les familles royales et princières assistaient aux spectacles derrière une grille lorsque leur présence n'était pas officielle.
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« La mode est à la France ce que les mines du Pérou sont à l'Espagne » Colbert.
Marie-Jeanne- Messages : 1497
Date d'inscription : 16/09/2018
Re: le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
A Versailles, derrière le parterre nous dit WIKI, au premier rang de l’amphithéâtre sont placés les fauteuils de la famille royale et les tabourets des princes et princesses du sang et des duchesses. A l’étage des secondes loges, se trouvent trois petites loges particulières qui permettaient éventuellement au roi d’assister au spectacle dans un semi-incognito : fermées de grilles en bronze doré et décorées d’exquises arabesques par Vernet le Jeune, elles communiquent par un petit salon ovale avec la galerie conduisant aux Grands Appartements.
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Mme de Sabran- Messages : 55497
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Localisation : l'Ouest sauvage
Re: le "Théâtre de Monsieur", manifestation exemplaire de l'interventionnisme de Marie-Antoinette dans la vie musicale
Il est cocasse, et même amusant si l'on veut, que le Théâtre de Monsieur changeant de nom empruntera celui d'un dramaturge célèbre ... qui ne naîtra qu'au siècle suivant ! bien-sûr Georges Feydeau, né le 8 décembre 1862 à Paris et mort le 5 juin 1921 à Rueil-Malmaison, auteur dramatique dont les nombreux vaudevilles feront la célébrité ... et le bonheur de la télévision de Papa " Au théâtre ce soir ".
Ainsi donc, le Théâtre de Monsieur, qui n'avait déjà rien à voir avec le comte de Provence, changeant de nom mais se référant encore moins à l'auteur dramatique bien connu, s'amuse à nous mystifier. Mais on ne nous la fait pas : nous avons bien compris que le théâtre adopte le nom de cette rue de Paris sur laquelle donne sa façade, la rue Feydeau.
Cette rue, nous renseigne WIKI, porte le nom d'une famille parisienne, la famille Feydeau, qui a occupé de hautes fonctions dans la magistrature et l'administration aux XVIIème et XVIIIème siècles. Originaire de Felletin au comté de la Marche, elle entra au service des ducs du Bourbonnais à la fin du XVème siècle, puis intégra l'administration royale lorsque le duché du Bourbonnais revint à la couronne en 1531 (c'est ainsi que plusieurs branches de cette famille s'établirent à Moulins, capitale du Bourbonnais, puis à Paris) ; elle s'y illustra jusqu'à donner un garde des sceaux de France en 1762.
Il n'y a pas de lien connu entre cette famille et celle d'Ernest Feydeau et de son fils Georges.
Ainsi donc, le Théâtre de Monsieur, qui n'avait déjà rien à voir avec le comte de Provence, changeant de nom mais se référant encore moins à l'auteur dramatique bien connu, s'amuse à nous mystifier. Mais on ne nous la fait pas : nous avons bien compris que le théâtre adopte le nom de cette rue de Paris sur laquelle donne sa façade, la rue Feydeau.
Cette rue, nous renseigne WIKI, porte le nom d'une famille parisienne, la famille Feydeau, qui a occupé de hautes fonctions dans la magistrature et l'administration aux XVIIème et XVIIIème siècles. Originaire de Felletin au comté de la Marche, elle entra au service des ducs du Bourbonnais à la fin du XVème siècle, puis intégra l'administration royale lorsque le duché du Bourbonnais revint à la couronne en 1531 (c'est ainsi que plusieurs branches de cette famille s'établirent à Moulins, capitale du Bourbonnais, puis à Paris) ; elle s'y illustra jusqu'à donner un garde des sceaux de France en 1762.
Il n'y a pas de lien connu entre cette famille et celle d'Ernest Feydeau et de son fils Georges.
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