Jean-Charles-Vincent de Bette d’Etienville et le Collier de la Reine

Nous croyons tous connaître la ténébreuse affaire du Collier comme si nous l'avions vécue.    Pourtant cette affaire est truffée d'autres affaires comme, vous savez, cette poupée russe, la matriochka, est remplie d'autres poupées. De l'impécunieuse descendante des Valois qui feint de s'évanouir en pleine Galerie des Glaces, ses preuves généalogiques sous le bras, à Cagliostro ses formules cabalistiques et son bocal, en passant par le cardinal le plus bête de France,  et les second couteaux, nous pensons connaître tous les protagonistes et leurs motivations.
  Mais si je vous dis " Bette d'Etienville ", qu'est-ce que ce nom évoque pour vous ?
... pas grand chose.  Eh bien à moi non plus,   jusqu'à ce que je fouille un petit peu.  


Voilà le résultat :  


Jean-Charles-Vincent de Bette d’Etienville est arrêté et incarcéré à la prison du Châtelet, en 1786, sommé de rendre compte de son implication dans la tristement célèbre affaire du Collier de la Reine qui met le royaume sens-dessous dessus. Il se défend véhémentement de toute participation, ni même connaissance des faits .
 Il produit un mémoire justificatif abracadabrantesque que voici :
MÉMOIRE
A CONSULTER,

POUR Jean - Charles - Vincent de Bette d’Etienville ,
Bourgeois de Saint-Omer en Artois, détenu des prifons du Châtelet
de Paris, Accufé ;
CONTRE le Sieur Faucher , Marchand Horloger, & le Sieur Loque;
Marchand Bijoutier à Paris, Plaignans,

«  Attaqué de la maniéré la plus affligeante dans mon honneur, privé de ma liberté, & menacé des rigueurs que la Juftice réferve à un vil efcroc, lorfque je n’ai été que Négociateur désintéreffé & crédule ; il ne m’eft pas poffible de fouffrir plus long-tems dans le filence ; c’eft un devoir pour moi de repouffer la calomnie, fous le poids de laquelle on veut m'accabler et établir mon innocence.

J’ai été chargé, de la part d’un perfonnage confidérable, & en place éminente , de m’occuper d’une affaire myftérieufe dont il defiroit ardemment la réuffite; & après avoir accepté la million qu’on me propofoit, dans la feule vue d’acquérir , par mes fervices, un protecteur utile à mon avancement  je l’ai remplie avec zele et bonne foi.
Toutes mes démarches relatives à cet objet, ont en pour principe la ferme perfuafion , dans laquelle j’étois, que le Prince dont il va être queftion & fes affidés, étoient incapables de me tromper , ou de me défavouer. Enfin, à l’occafion de ma miffion, j’ai contracté, pour plaire aux perfonnes dont j’étois l’agent , des engagemens en mon
nom, que je ne puis acquitter aujourd'hui, parce qu’on m’a abandonné au moment où la négociation a échoué : voilà y en résumé, mon prétendu crime, & fon hiftoire. »

Nous pouvons parcourir ce Mémoire en ligne :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3046064g/f32.double.r=Bette%20d'Etienville#

Lecture un peu indigeste, n'est-ce pas ...  Heureusement vient à notre secours et nous en propose un condensé.  


Bette d’Etienville est un Artésien, un audomarois plus précisément, natif de Saint-Omer.  Il est chirurgien à Lille où il épouse une vieille demoiselle. Le nom d’Etienville serait une invention, car ni son père ni sa mère n’ont possédé quelques biens que ce soit. Il décide de revenir avec son épouse à Saint-Omer où sa mère vit encore. Il y habite une petite maison pendant plusieurs mois jusqu’à ce qu’il ne supporte plus cette vie. Une dispute sur la vente de biens de la dame en serait l’origine. Il décide de la placer dans un couvent et de dilapider sa petite fortune.  

Plus tard, il débarque à Paris où,  peu à peu, il tombe dans la misère et contracte des dettes. Il sera même emprisonné quelque temps. Un soir, il se rend au café des Valois au Palais Royal.

Le café de Valois  ( autrement appelé café des Aveugles ),  au 102 Galerie de Beaujolais,  occupe un sous-sol. Les filles du Palais-Royal s’y relayent toute la soirée, poussant à la consommation, et une douzaine de quinze-vingts montés sur une estrade, font de la musique, avec une femme qui joue du cor. Et l'on imagine sans peine l'ambiance dans laquelle Etienville vient s'encanailler !


Au café de Valois, Etienville fait la rencontre d’un certain Augeard. De confidences en confidences, Etienville avoue qu’il recherche un emploi. Augeard lui suggère alors que s’il lui faisait une confiance aveugle, il pouvait faire de lui un homme riche.    Méfiant puis intrigué, Etienville ne réfléchit pas longtemps et accepte volontiers. D’ailleurs, ça a l’air plutôt facile : il lui suffit de trouver un gentilhomme souhaitant épouser une riche demoiselle riche de 25 000 Livres de rente.  Augeard lui demande juste de ne rien demander d’autre et de trouver cet homme.


Etienville se met en quête  mais finalement, c’est plus compliqué que prévu. Il se désespère de ne pas trouver le prétendant idéal si bien qu’il exige d’Augeard de connaître davantage de détails sur la demoiselle à épouser.

Les deux hommes se rendent donc chez la dame. C’est à ce moment-là que notre Artésien fait la connaissance de Mme de Courville. Elle lui confirme que tout est vrai et que son protecteur n’est autre que le cardinal de Rohan. Tiens tiens…
M'est avis que notre histoire commence à sentir le roussi ...  




Le baron de Fages fait son apparition…

Finalement, Etienville finit par trouver le gentilhomme qui accepte d’épouser Mme de Courville, chez laquelle il se rend pour lui proposer le baron de Fages. À la bonne heure ! Tout ce petit monde se met d’accord :  la date du mariage fixé au 12 avril. Lors de ce tête-à-tête, Mme de Courville montre à Etienville de sublimes bijoux qu’elle s’était fait offrir par le cardinal de Rohan.

Dans son mémoire, Etienville affirme :

« Je n’ai jamais rien vu de fi magnifique , tant pour l’éclat que pour la grofleur ; & comme mon étonnement étoit extraordinaire, elle me dit que ces diamans provenoient d’une riviere, dont M. le Cardinal lui avoit fait- préfent  mais que cette forte de parure n’étant plus de mode, elle étoit décidée à les réalifer avant fon mariage. Elle me fit même entendre à cette occafion, que je lui paroifiois mériter une telle confiance , qu’elle feroit charmée que je voulufle accepter la commiffion de les aller vendre en Hollande ; mais je lui obfervai que je ne pouvois m’en charger, parce que je n’étois nullement connoiffeur & elle n’infifta pas.
Elle m’avoua encore, qu’elle étoit d’une grande maifon d’Allemagne, quoique fon nom parût réfifter à cette idée, & me montra même un cordon & un ordre de Chanoineffe.
Il eft aifé d’imaginer, que des confidences de cette nature , que madame de Courville prétendoit me faire, au mépris des défenfes de M. le Cardinal, & a l’infu du fieur Augeard , m’infpirerent beaucoup d’attachement à fes intérêts. Je ne pus néanmoins réfifter à la tentation de favoir une chofe qu’elle perfiftoit à me vouloir cacher ,
c’eft-à-dire, le lieu dans lequel je la voyois. La curiofité l’emporta fur la crainte , & malgré la menace terrible du fieur Augeard , je parvins à m’aflurer , que l’appartement dans lequel je voyois madame de Courville, étoit celui de madame la comteffe de la Motte»  rue neuve S. Gilles au marais . ».


Grâce à notre sujet " Thé à l'arsenic chez la comtesse de la Motte "    , nous grimpons l'escalier de la rue Neuve Saint-Gilles sur les talons d'Etienville et de notre amie Nikko de Chissay !  Beau reportage à la clef également,  in situ, de la nuit, la neige ...



C'est ici :
https://marie-antoinette.forumactif.org/t1331-the-a-l-arsenic-chez-la-comtesse-de-la-motte-a-paris?highlight=motte

Pendant ce temps, que devient le baron de Fages ?       Eh bien,  il prépare la venue de sa future épouse,  loue un bel appartement, achète des bijoux, engage des domestiques,  s’endettant jusqu’au cou. Après tout, il recevra bientôt ses 25 000 Livres.

La comtesse de la Motte
Sauve-qui-peut  

La veille du mariage, Etienville rencontre un homme qui se dit être le cardinal de Rohan. Il fait savoir que le mariage ne peut avoir lieu avant le 15 juillet pour « régler des affaires de la plus haute importance ».
Aïe !  Il faut à Etienville annoncer ce contre-temps au baron. Il commence à sentir l’entourloupe.  Pour apaiser ses craintes, Mme de Courville lui signe un dédit de 30 000 livres qu’il encaissera si le mariage devait ne pas avoir lieu. De fait,  peu avant le 15 juillet, le mariage est repoussé au 12 août, avant d’être finalement programmé au 16 août. Toutes ces avanies ne présagent rien de bon.  

Un soir, Etienville croise dans la rue un Augeard paniqué. Il sent que quelque chose ne tourne pas rond et se précipite chez Mme de Courville, qu’il trouve encore plus affolée.

Sans explications, elle réclame le dédit de 30 000 Livres promis au baron, Etienville refuse. La dame étant au bord de la crise d’hystérie, Etienville finit par le lui rendre. Elle s’empresse de le déchirer et promet de le payer, quoi qu’il advienne. Elle dit qu’elle doit quitter rapidement la France, car elle se retrouve impliquée dans une drôle d’affaire. Elle presse Etienville de la suivre jusque Saint-Omer où elle promet de lui remettre 30 000 Livres. Il accepte et les deux comparses décident de se séparer pour se rejoindre à Arras le 16 août dans un premier temps.

Le double-jeu de Madame de Courville

Le jour du rendez-vous, Mme de Courville lui annonce que le cardinal de Rohan a été arrêté et emmené à la Bastille. Elle lui avoue aussi que les diamants qu’il a vus chez elle provenaient du fameux collier de la Reine…



Notre sujet sur le collier de la reine :
https://marie-antoinette.forumactif.org/t363-marie-antoinette-et-l-affaire-du-collier-de-la-reine?highlight=collier

Comment Mme de Courville pouvait-elle bien être en possession du collier ?!!  
Nous allons bientôt le savoir…

Etienville qui s’était engagé dans une petite arnaque facile serait-il finalement impliqué – malgré lui – dans l’affaire la plus rocambolesque de royaume de France ? Elle le supplie de ne pas l’abandonner et de se rendre avec elle à Saint-Omer pour fuir. Abasourdi, mais pour l’appât du gain, Etienville accepte une nouvelle fois. Ils prennent la route de Saint-Omer séparément.

Sur la route, Mme de Courville fait demi-tour pour rentrer à Paris.    C’est une énième tromperie  de la comtesse de la Motte. Car oui, Mme de Courville n’est autre que la fameuse comtesse de la Motte. De ce jour, Etienville et la "comtesse" ne se croiseront plus jamais.



Etienville qui n’est pas au courant du changement d'identité de « Madame de Courville » arrive à Saint-Omer et l’attend, l'attend,  quelques jours. Lassé, il finit par se rendre à Dunkerque où il pense la croiser. Après tout, si elle devait fuir en Angleterre, elle doit absolument passer par là. Entre temps, le baron de Fages – qui n’a aucune nouvelle d’Etienville – le dénonce à la police royale. Il est arrêté à Dunkerque puis incarcéré au châtelet.

Le Petit Journal, daté du 19 septembre 1863, relate cette affaire dans une série de petits articles.
On peut lire en page 3 :

« C’est ce que l’on appelle l’incident de Bette d’Etienville. Ce Bette d’Etienville était un chirurgien, chevalier d’industrie qui se mêla au procès, payé par tous les intéressés et qui embarrassa pendant quelque temps la justice par des révélations assez bien imaginées, mais entièrement fausses… »

Alors,  Bette d’Etienville fut-il assez crédule pour croire des inconnus ? Sa naïveté lui aurait-il fait faire n’importe quoi ? Était-il simplement tombé amoureux et devenu le jouet de Mme de Courville alias la comtesse de la Motte ? Ou, pressenti pour écouler les diamants,  savait-il exactement ce qu’il faisait et fut-il l’un des cerveaux de cette affaire ? Toujours est-il que, le 23 janvier 1789,  il sera innocenté par le Parlement, qui préfèrera croire en son honnêteté et sa naïveté.

« L’honnête bourgeois » sera arrêté en 1792, 1793 et 1794 .  La prison lui fera se découvrir une âme d’écrivain. Il publia ses Mémoires ainsi que quelques romans mais mourut en 1830 sans avoir trouvé la fortune…

http://artoisbalade.fr/detienville-et-le-collier-de-la-reine