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Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ".

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Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". Empty Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ".

Message par Mme de Sabran Mer 17 Mai 2023, 16:36


Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". Image403



Qui ne se souvient pas de cette chanson que chante Gavroche dans Les misérables de Victor Hugo :

« Je suis tombé par terre,
C'est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C'est la faute à Rousseau. »

Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". 420px-15
Gavroche à 11 ans.
Dessin de Victor Hugo (encre et lavis, 1850).






On serait tenté de croire que c'est là l'origine de cette expression, et pourtant il semblerait qu'elle a existé bien avant.


Pour en retrouver trace, il faut se resituer dans le contexte historique.  Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". Tzolz814
Voltaire et Rousseau ont beaucoup influé sur la révolution, c'est pourquoi dans certains cercles, des royalistes, les en tenaient pour responsables. Bien évidemment quand on tient un bouc émissaire, il est facile et confortable de tout lui rejeter sur le dos. Ainsi une sorte d'usage est né d'accuser de tout et surtout de n'importe quoi, tour à tour Voltaire et Rousseau. Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". 01010524

Si bien qu'à l'époque de la Restauration, le 9 février 1817, le 1er dimanche de Carême, on lut dans toutes les églises de Paris un « Mandement de MM. Les vicaires généraux du chapitre métropolitain de Paris ». Celui-ci établissait que la culpabilité de la révolution revenait à une édition des oeuvres des deux philosophes, et que bien sûr il condamnait.
Beranger eut vent de ça et en fit une chanson satirique, qui ne put être publiée que bien plus tard en 1834.

Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". Pierre15
Portrait de Pierre-Jean de Béranger (1780-1857)
par Ary Scheffer, vers 1830.

Voici un extrait de cette chanson, dans laquelle les vicaires font peser sur Voltaire et Rousseau leurs vices cachés :

« Si tant de prélats mitrés
Successeurs du bon saint Pierre,
Au paradis sont entrés
Par Sodome et par Cythère,
Des clefs s'ils ont un trousseau,
C'est la faute à Rousseau ;
S'ils entrent par derrière,
C'est la faute à Voltaire.
»

C'est là, la première occurrence attestée de notre expression. Pourtant, il est probable que ce ne soit pas celle-là qui ait rendu l'expression populaire. Ce serait plutôt une autre chanson, très proche de la première, tant par l'époque à laquelle elle a été créée, que par le sujet, la satire sur la religion. Elle est signée par Jean-François Chaponnière :

« Si le diable adroit et fin
À notre première mère
Insinua son venin,
C'est la faute à Voltaire.
Si le genre humain dans l'eau,
Pour expier son offense,
Termina son existence,
C'est la faute à Rousseau.
»

Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". Rig_0910

Pour en revenir à Victor Hugo, il est très probable que la chanson de son Gavroche soit de lui, bien qu'inspirée du modèle Beranger/Chaponnière. On connaît la méthode de travail d'Hugo, écrire beaucoup pour ne sélectionner que le meilleur.


Et pour cette chanson il n'a pas failli à la règle. On a retrouvé pas moins de sept couplets et seize autres rimes non utilisés, dans ses brouillons. Un couplet attire notamment notre attention :

« Je n'aime pas l'eau claire,
C'est la faute à Voltaire,
J'aime le curaçao,
C'est la faute à Rousseau.
»

À la lecture de celui-ci, on ne peut s'empêcher de penser à une autre chanson :

« J'ai deux amis,
La téquila et le whisky,
La téquila quand t'es pas là,
Et le whisky quand t'es parti.
»

De là à y voir un lien de parenté, c'est une autre histoire...   Wink

Source : Qu'importe le flacon... de Jean-Claude Bologne

_____________________


Pierre-Jean de Béranger était né à Paris le 19 août 1780. Après la séparation rapide de ses parents, l’enfant demeure chez son grand-père, tailleur rue Montorgueil, à l’exception de la période de sa mise en nourrice. Il grandit à Péronne, chez sa tante paternelle, qui tient une auberge dans un faubourg de la ville.

À quatorze ans, il est mis en apprentissage chez l’imprimeur Laisnez ; sa formation professionnelle ne va pas au-delà. Il revient à Paris après 1795 et la mort de sa mère l’oblige à trouver un gagne-pain. Après avoir exercé des emplois occasionnels, il devient commis-expéditionnaire dans les bureaux de l’Université, place modeste mais stable, qui lui laisse le temps et la liberté d’esprit nécessaires à une activité littéraire.

C’est l’Empire, période de conquêtes et de gloire à l’extérieur, de surveillance et de censure à l’intérieur ; après la floraison de chansons patriotiques de la Révolution, la chanson épicurienne a seule droit de cité. Pendant ces années, Béranger poursuit ses essais littéraires, dans des genres divers (idylles, théâtre), tandis qu’il interprète ses chansons pour ses proches. Il écrit et chante surtout des chansons de circonstance, en fait imprimer quelques-unes en 1811. De 1813 datent « Le Sénateur », « Le Roi d’Yvetot », des chansons vouées à la plus grande célébrité et un tournant dans sa production : il était auteur, il devient chansonnier.

Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". S-l16019

Après son introduction aux Soupers de Momus et au Caveau ...

Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". Socizo10
Une réunion du Caveau moderne.
Anonyme

... sociétés chantantes bourgeoises renommées, Béranger publie son premier recueil en mentionnant son appartenance à ces sociétés. Ses chansons prennent un tour politique de plus en plus marqué ; il écrit « Les Gaulois et les Francs » (janvier 1814) et « Requête présentée par les chiens de qualité » (juin 1814).

Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". 330px-27

En 1815, année de Waterloo, de l’occupation du territoire, Béranger rencontre Manuel, membre éminent du parti libéral, et devient son ami intime. Son engagement libéral devient alors plus militant : il est admis à la Société des Apôtres et publie quelques-unes de ses chansons en 1819 à la Minerve. Tancé par Cuvier, son supérieur hiérarchique, il lui répond : « La presse est esclave, il nous faut des chansons. »

Après le retour du roi Louis XVIII en 1815, Béranger exploite les thèmes du respect de la liberté, de la haine de l'Ancien Régime, de la suprématie cléricale, du souvenir des gloires passées et de l'espoir d'une revanche. Alors que la presse n'est point libre, il renouvelle la chanson dont il fait une arme politique, un instrument de propagande : il attaque la Restauration et célèbre les gloires de la République et de l'Empire. C'est le temps de La Cocarde blanche et du Marquis de Carabas. Béranger apporte la poésie dont ont besoin ceux qui ont déserté la cause royale. Le cercle de ses amitiés s'élargit et on le voit dans de nombreux salons. Il accepte de collaborer à la Minerve avec Étienne de Jouy, Charles-Guillaume Étienne et Benjamin Constant.

En 1820, Le Vieux Drapeau est clandestinement répandu dans les casernes.

Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". Bzoran10



Béranger devient la voix du peuple ou « l’homme-nation » comme le dira Lamartine. Son œuvre de poète pamphlétaire est déjà considérable : il a attaqué les magistrats dans Le Juge de Charenton, les députés dans Le Ventru, les prêtres et les jésuites partout. Ses chansons paraissent en deux volumes le 25 octobre 1821. En huit jours, les dix mille exemplaires sont vendus et l'imprimeur Firmin Didot prépare une nouvelle édition.

Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". 800px135
Béranger en prison à La Force.
Jules-Édouard Alboize de Pujol et Auguste Maquet, Les Prisons de l'Europe, Paris,
Administration de librairie, 1845 (gravure d'Audibran).

En 1821, il est privé de son modeste emploi. Au début de décembre de la même année, poursuivi et condamné à trois mois de prison et 500 francs d'amende, il est incarcéré à cause de ses pamphlets à la prison Sainte-Pélagie, où il occupe la cellule quittée quelques jours plus tôt par le pamphlétaire Paul-Louis Courier.

C’est son deuxième recueil qui lui vaut un procès en 1821, trois mois de prison et cinq cents francs d’amende.
La prison est un épisode marquant dans la vie et dans l’œuvre du chansonnier. Ses chansons de prison de 1822 parlent de liberté, celles de 1829 défient le pouvoir oppressif et réactionnaire. Ses deux séjours sous les verrous font aussi de lui un modèle poétique et civique, qui se prête à l’illustration, aussi bien littéraire que picturale.

Le Moniteur, 17 avril 1848 :

Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". Aubert10

En 1848, il fait partie, à l'Élysée, de la commission des secours, dignité non lucrative, mais qui convient à son cœur. À cette occasion, il reçoit l'hommage de 800 chanteurs, musiciens et mendiants des rues. Ils sont conduits par son ami Aubert, syndic et doyen des chanteurs des rues de Paris13.

Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". Pierre16

La même année, élu député de la Seine par 204 271 voix sur 267 888 votants, il se rend à l'Assemblée nationale constituante mais constate la scission entre le Paris révolutionnaire et les députés des départements. Il présente alors sa démission, refusée dans un premier temps par l'Assemblée ; il doit renouveler sa demande pour que sa démission soit finalement acceptée le 15 mai14.

Il meurt pauvre : le gouvernement impérial fait les frais de ses funérailles.
Le fauteuil où est mort Béranger fait partie des collections du musée Carnavalet, où il est exposé.

Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". Lpdp_911

Sa tombe se trouve au cimetière de l'Est parisien, (cimetière du Père-Lachaise) 28e division.

Après avoir débuté par des chansons bachiques et licencieuses qui l'auraient laissé confondu dans la foule, il sut se créer un genre à part : il éleva la chanson à la hauteur de l'ode. Dans les pièces où il traite de sujets patriotiques ou philosophiques, il sait le plus souvent unir à la noblesse des sentiments, l'harmonie du rythme, la hardiesse des figures, la vivacité et l'intérêt du drame


Pierre-Jean de Béranger
Mandement des Vicaires-généraux de Paris
Les Gaietés, Aux dépens de la Compagnie, 1864 (p. 135-142).
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MANDEMENT DES VICAIRES GÉNÉRAUX DE PARIS.
(mars 1817.)

Air : Allez voir à Saint-Cloud.

Pour le carême, écoutez
Ce mandement, nos chers frères,
Et les grandes vérités
Que débitent nos vicaires.
Si l’on rit de ce morceau,
C’est la faute de Rousseau ;
Si l’on nous siffle en chaire,
C’est la faute de Voltaire[2].


Tous nos maux nous sont venus
D’Arouet et de Jean-Jacques ;
Satan, qui les avait lus,
Ne faisait jamais ses pâques ;
Ève aima le fruit nouveau,
C’est la faute de Rousseau ;
Caïn tua son frère,
C’est la faute de Voltaire.

C’est pour réprimer jadis
La liberté de la presse
Que Dieu, de son paradis,
Fit tomber l’eau vengeresse.
S’il a lâché beaucoup d’eau,
C’est la faute de Rousseau ;
S’il noie encor la terre,
C’est la faute de Voltaire.

Si tant de prélats mîtrés,
Successeurs du bon saint Pierre,
Au paradis sont entrés
Par Sodôme et par Cythère,
De clefs s’ils ont un trousseau,
C’est la faute de Rousseau ;
S’ils entrent par derrière,
C’est la faute de Voltaire.

Borgia, jadis au public
Vendait indulgence et bulle ;

Il aurait, à ce trafic
Vendu jusques à sa mule.
S’il fut marchand de chapeau,
C’est la faute de Rousseau ;
En Dieu s’il ne crut guère,
C’est la faute de Voltaire.

Si le roi nommé François
Servit Bellone et les belles,
S’il fut, malgré ses exploits,
Fort souvent trompé par elles,
S’il gagna certain bobo[3],
C’est la faute de Rousseau ;
S’il gâta son affaire,
C’est la faute de Voltaire.

Si Charles neuf, roi dévot,
A tiré par sa fenêtre,
C’est que plus d’un huguenot
Avait fâché ce doux maître.
S’il fut un Néron nouveau,
C’est la faute de Rousseau ;
S’il tenait de sa mère,
C’est la faute de Voltaire.


Si par Loyola formé,
Un monstre au cerveau malade,
Poursuit un roi bien-aimé
Chanté dans la Henriade,
S’il le frappe d’un couteau,
C’est la faute de Rousseau ;
À Jésus s’il croit plaire,
C’est la faute de Voltaire.

Louis quatorze autrefois
Fit ce que l’on fait à Nîmes.
Il rendit, malgré les lois,
Tous ses bâtards légitimes.
S’il prit Louvois pour bourreau,
C’est la faute de Rousseau ;
S’il damna La Vallière,
C’est la faute de Voltaire.

Son neveu, le bon Régent,
Aimait fort la paillardise,
Et choisit pour confident
Un des princes de l’Église.
Si Dubois fut son Bonneau,
C’est la faute de Rousseau ;
S’il rend sa fille mère[4],
C’est la faute de Voltaire.


Afin d’apprendre aux enfants
Qu’ils sont nés pour être esclaves,
À leurs premiers mouvements
On avait mis des entraves.
Si l’homme est libre au berceau,
C’est la faute de Rousseau ;
Si la raison l’éclaire,
C’est la faute de Voltaire.

Dans le délai le plus court
Qu’un grand abus se détruise :
Depuis la mort de Raucourt,
Les acteurs vont à l’église[5].
Ils ont l’honneur du tombeau,
C’est la faute de Rousseau ;
Le curé les enterre,
C’est la faute de Voltaire.

Ces deux suppôts du démon
Font damner l’Église entière.
Cottret[6], notre Cicéron,
Couche avec sa cuisinière ;
En a-t-il du fruit nouveau ?
C’est la faute de Rousseau ;
Si Jeanne est son bréviaire,
C’est la faute de Voltaire.


Maréchal, in partibus,
Un duc a la renommée
De traiter mieux les abus
Qu’il n’a traité notre armée.
S’il enfle son bordereau,
C’est la faute de Rousseau ;
S’il sert bien l’Angleterre,
C’est la faute de Voltaire.

Pour avoir des gardiens sûrs,
On prodigue l’or aux Suisses ;
Nos soldats ne sont pas purs,
On voit trop leurs cicatrices.
S’ils étaient à Waterloo,
C’est la faute de Rousseau ;
S’ils meurent de misère,
C’est la faute de Voltaire.

Laffitte aura beau crier
Sur le budget de la France,
Nous finirons par payer
Les excès et la bombance.
Ils ont tous l’estomac chaud,
C’est la faute de Rousseau ;
Rien ne les désaltère,
C’est la faute de Voltaire.

Tous nos ultra dépités
Sont devenus sans-culottes,

Et tous, pour nos libertés
Parlent à propos de bottes.
S’ils ont un masque nouveau,
C’est la faute de Rousseau ;
Si l’on ne les croit guère,
C’est la faute de Voltaire.

Bonald, barbouilleur de lois,
Soutien des vieilles familles,
Au quai Voltaire est, par mois,
Payé sur l’argent des filles.
S’il y prend l’air du bureau,
C’est la faute de Rousseau ;
Si sa prose est peu claire[7],
C’est la faute de Voltaire.

Tout ce que nous n’avons plus,
Nous espérions le reprendre ;
Nous voulions nos biens vendus,
Et l’on veut encor les vendre.
Nos forêts sont à vau-l’eau,
C’est la faute de Rousseau ;
Plus de fagots à faire,
C’est la faute de Voltaire.


Confessez-vous tous soudain,
Ou craignez notre vengeance ;
Nous nous lassons, à la fin,
D’une longue tolérance.
On n’aime Dieu qu’in petto,
C’est la faute de Rousseau ;
Chacun a sa prière,
C’est la faute de Voltaire.

À ces causes, nos chers fils,
Dieu permet qu’on vous permette
De manger des salsifis
Et des œufs à la mouillette.
Si vous mangez bœuf ou veau,
C’est la faute de Rousseau ;
Buvez-vous de l’eau claire ?
C’est la faute de Voltaire
.

Pierre-Jean de Béranger, " La faute à Voltaire ". Tzolz815

https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Gaiet%C3%A9s/Mandement_des_Vicaires-g%C3%A9n%C3%A9raux_de_Paris
https://actualitte.com/article/95645/scolarite/l-expression-qui-accuse-c-est-la-faute-a-voltaire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Jean_de_B%C3%A9ranger#/media/Fichier:David_d'Angers_-_Beranger.jpg


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