Claire Louisa Rose Bonne, duchesse de Duras, née Claire de Coëtnempren de Kersaint (1777 - 1828)

Parmi les Duras présents ici, je cherchais en vain un sujet consacré à Claire de Duras...

Donc voilà :

Claire est née en 1777 et connue notamment de nos jours comme un précurseur féministe avec son roman (ou plutôt nouvelle) Ourika.



Son père, contre-amiral Armand de Kersaint avait rejoint le mouvement constitutionnel pendant la Révolution, se rapprochant des Girondins. Ayant refusé de voter pour la mort de Louis XVI et en quittant la Convention le lendemain de l'exécution du roi, il croyait bon de se retirer sur ses terres pendant cette époque de troubles et d'agitation, mais c'était sans compter sur l'esprit vengeur de beaucoup de révolutionnaires.
Ainsi il périt lui-même sur l'échafaud le 4 décembre 1793. Ses bien étant confisqués, Claire et sa mère se trouvaient démunis de ressources et partaient en pleine Révolution en Martinique, terre d'origine de sa mère, pour y récupérer un héritage qui lui revenait. Les années suivantes, Claire et sa mère séjournèrent en Suisse et puis en Angleterre, où Claire se mariait en 1797 à Amédée-Bretagne-Malo de Durfort, marquis puis duc de Duras (1771 - 1838), premier gentilhomme de la chambre du roi en survivance, et très attaché à l'Ancien régime et le parti royaliste. Il n'avait épousé Claire que pour sa dot, et bien vite elle s'en rendait compte, quand elle s'apercevait que son mari restait sourd à ses tentatives de conquérir son coeur. Deux filles sont issues de ce mariage malheureux, Félicie et Clara.

Claire avait beaucoup de mal à remonter la pente de cet abandon et manque d'affectivité ; petit à petit elle trouvait un autre sens à sa vie : l'amitié et la littérature.
Elle était devenue très proche de Mme de Staël qu'elle admirait, de Chateaubriand de qui elle tombait amoureuse, et de Rosalie Constant (cousine de Benjamin Constant) avec qui elle entretenait une relation épistolière jusqu'à sa mort.
C'est après la Restauration que Claire de Duras ouvrait un des salons les plus prisés de Paris, où l'on trouvait encore ce parfum de cosmopolitisme, art de la conversation et de bon ton de l'Ancien régime.



Pourtant, quelque chose en Claire s'était définitivement brisée, dû aussi au contact rompu par sa fille Félicie, mariée au comte Auguste de Rochejaquelein. Sous l'emprise de sa belle-mère, Félicie s'était éloignée de la sphère libérale qui régnait chez Claire et son salon. Plus tard sa fille allait devenir une militante légitimiste et ultra-royaliste, impliquée aussi dans l'insurrection de la Vendée en 1832, menée par la duchesse de Berry.

Claire commençait à écrire en cachette, sans l'intention de publier ses écrits un jour. Ses nouvelles circulaient dans son salon, allant de main en main, mais Chateaubriand qui avait remarqué son talent exceptionnel de narratrice, avait insisté à ce qu'elle publie Ourika.

C'est donc en 1824 que chez l'imprimeur et éditeur Ladvocat la première édition de cette nouvelle voit le jour :



C'est un succès de librairie immédiat ; pendant quelques années il y a un véritable engouement pour cette pauvre Ourika et sa triste sort, basée sur la vraie histoire de la petite captive ramenée  en France parmi les singes et les perruches par le chevalier de Boufflers, gouverneur au Sénégal, afin d'éviter que cette orpheline allait être mise sur le marché des esclaves. Donnée en cadeau au prince et à la princesse de Beauvau, Ourika était choyée par Mme de Beauvau, élévée comme sa propre fille, mais une fois arrivée à l'âge de l'adolescence, Ourika commençait à comprendre sa triste situation sans issue, à jamais étrangère dans une société qu'elle ne pouvait jamais intégrer à cause de la couleur de sa peau. Jamais d'amour, de mariage, d'enfants pour elle, toujours l'exclusion sociale...

Bien vite, après la mort de Claire en 1828, ce roman, jamais tout à fait compris dans sa signification existentielle et profonde, sombrait dans l'oubli.
Ce n'est qu'à la fin du XXème siècle qu'il est réédité, quand on commence à s'intéresser aux questions raciales et à essayer de comprendre le passé colonial dans tous ses travers et horreurs.

Ainsi nous disposons à l'heure actuelle bon nombre d'éditions, aussi scolaires :





Depuis une dizaine d'années, il ya aussi un intérêt croissant pour les deux autres nouvelles de Claire : Edouard (qui aborde l'impossibilité d'une relation amoureuse entre deux classes sociales) et Olivier ou le secret (qui aborde l'impuissance sexuelle). Vu le sujet, inspiré peut-être par Astolphe de Custine qui était pendant quelque temps le fiancé de sa fille Clara, ce dernier roman n'a jamais été publié de son vivant, et publié pour la première fois aux éditions José Corti en 1971.

C'est sous la direction de Marie-Bénédicte Diethelm qu'une édition des oeuvres complètes de Claire de Duras a vu le jour cette année aux éditions Folio Classiques :



L'édition en dessous est celle de Flammarion publiée en 2011, avec une très belle introduction à la vie de Claire de Duras par Benedetta Craveri.



Atteinte de tuberculose depuis de nombreuses années, Claire de Duras, pendant une cure à Nice, s'éteint entourée de ses deux filles en 1828.

Suite à ma présentation de Claire de Duras hier, il existe également chez Gallimard une édition contenant la correspondance de Chateaubriand, Delphine de Custine et Claire de Duras :



https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070147038-l-amie-et-l-amante-lettres-inedites-1804-1828-francois-rene-de-chateaubriand-delphine-de-sabran-custine-claire-de-duras/

"Chateaubriand a toujours su exploiter ses attachements féminins, ce que confirment les correspondances inédites de ce volume adjacent à la Correspondance générale. Avec Delphine de Custine, amie de Mme de Staël, Chateaubriand vit une liaison orageuse et passionnelle ; les lettres de l'amante exaltent le désir et la sensualité. Avec Claire de Duras, une amitié aristocratique se noue. Femme du monde, en tant qu'épouse du duc de Duras, premier gentilhomme de Louis XVIII, elle est aussi une femme de lettres, auteur de trois romans-nouvelles (Ourika, Édouard et Olivier). Mme de Duras tient un salon sous la Restauration et ne cessera jamais de soutenir les ambitions littéraires et politiques de Chateaubriand, pour qui elle est une soeur à l'inceste sublimé"

Quel sans-coeur narcissique, ce Chateaubriand ! Il aura bien fait souffrir ma Delphine ( et l'utiliser quand il avait besoin d'elle ).
Merci, mon cher Félix, pour l'ouverture de ce sujet, heureuse initiative !

Mme de Sabran a écrit: Il aura bien fait souffrir ma Delphine  ( et l'utiliser quand il avait besoin d'elle ) 

Pareil pour la duchesse de Duras ; l'Enchanteur se moquait bien de ses sentiments...