Nièce et amante de Voltaire, Mme Denis, née Marie-Louise Mignot
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Nièce et amante de Voltaire, Mme Denis, née Marie-Louise Mignot
Mme Denis, née Marie-Louise Mignot
Marie-Louise Mignot que nous connaissons mieux sous le nom de Mme Denis, fut bien la nièce de Voltaire par sa mère, Marguerite-Catherine Arouet (1686-1726).
Son père, Pierre-François Mignot (mort en 1737), était correcteur à la chambre des comptes. Sa soeur cadette, Marie-Elisabeth, exécuta son portrait ( ci-dessus ) d'après une huile non pas de Van Loo, comme on a longtemps cru, mais de Drouais. Ce pastel appartenait à Voltaire, qui l'a offert à son ami Marc Samuel Constant de Rebecque avant que celui-ci ne le donne au Musée Rath en 1830.
Sans doute parce qu'elle ne soutenait pas la comparaison avec Emilie du Châtelet, « on a fait de Mme Denis un petit personnage de femme sans cervelle, plus ou moins inapte aux choses de l’esprit, indigne au fond d’avoir partagé la vie du grand écrivain. »
Mme d’Épinay, par exemple, fera de Mme Denis un portrait caricatural lors de sa visite aux Délices en novembre 1757 :
« La nièce de M. de Voltaire est à mourir de rire, c’est une petite grosse femme, toute ronde, d’environ cinquante ans, femme comme on ne l’est point, laide et bonne, menteuse sans le vouloir et sans méchanceté ; n’ayant pas d’esprit et en paraissant avoir ; criant, décidant, politiquant, versifiant, déraisonnant, et tout cela sans trop de prétention et surtout sans choquer personne, ayant par-dessus tout un petit vernis d’amour masculin qui perce à travers la retenue qu’elle s’est imposée. Elle adore son oncle, en tant qu’oncle et en tant qu’homme. Voltaire la chérit, s’en moque, la révère : en un mot cette maison est le refuge de l’assemblage des contraires et un spectacle charmant pour les spectateurs »
En 2002 toutefois, André Magnan incitait la critique à reconsidérer le regard porté sur Mme Denis.
( André Magnan, « Pour Marie-Louise Denis », Cahiers Voltaire, no 1 )
Après la mort du père de Marie-Louise Mignot, son oncle devient son tuteur. Il partage la vie de la marquise du Châtelet dans son château de Cirey.
Mme de Chambonin (née Anne Antoinette Françoise Paulin), épouse d'un lieutenant du régiment de Beauffremont, « passe sa vie dans le château d’Emilie du Châtelet à Cirey, parce qu’ elle a une petite terote ( sic ) dans le voisinage », rapporte Mme de Graffigny, qui poursuit que l’on « fait tenir cette Dame tout le jour dans la chambre de Voltaire, et que depuis quatre ans qu’elle suit cette vie-là, elle a lu tous les livres du château et elle n’en est pas plus savante. ». Elle ajoute que Voltaire et Emilie appellent cette bonne dame « Gros-Chat ».
Voltaire apprécie beaucoup « son gros Chat ». Il lui écrit de nombreuses lettres truffées de formules pas piquées des hannetons comme : « Mon cher gros Chat, je baise mille fois vos pattes de velours. » ou encore « Adieu, ma chère Amie, que j’aimerai toujours. J’embrasse votre pleine lune. » C'est dire l'intimité qui règne !
C'est au point qu'en 1737 il vient à Voltaire et Emilie l'inspiration de marier la jeune Marie-Louise au rejeton et fils unique du Gros-Chat, François du Raget de Chambonin. Voltaire aimerait installer sa nièce dans le château de Chambonin ( peut-être la belle demeure située rue de Colombey, à Brousseval ? ) qu'il aurait même fait restaurer. Marie-Louise refuse le chaton. Elle préfère épouser par amour Nicolas-Charles Denis, officier et écuyer, le 25 février 1738, à Paris.
Déçu, Voltaire non seulement diminue sa dot mais n'assiste pas non plus à la cérémonie. Le couple vit à Laudau, puis à Lille, mais Nicolas-Charles Denis meurt prématurément le 12 avril 1744.
Marie-Louise est veuve et libre. Les liens réciproques de Voltaire et Mme Denis évoluent et vers 1745. Voltaire devient, à cinquante ans, l’amant de sa nièce. Il dissimule soigneusement cette passion incestueuse et « adultère » , sans compter qu'il est toujours l’amant en titre de la marquise du Châtelet. Mme Denis n’est pas des plus fidèles mais ne dédaigne pas de profiter de la fortune considérable du poète. Le couple ne cohabite vraiment qu’à la mort de Mme du Châtelet en 1749.
Vers cette époque, Mme Denis rédige une comédie, La Coquette punie.
Après la mort d'Émilie du Châtelet en septembre 1749, Mme Denis s'installe avec Voltaire rue Traversière, à Paris. En juillet 1750, il part vivre à la Cour de Frédéric II à Potsdam, mais Mme Denis reste à Paris. Elle s'occupe de la gestion des affaires de Voltaire, notamment avec la Comédie française et la Cour. Au début, Voltaire est enchanté. Il termine Le Siècle de Louis XIV et écrit Micromégas. Mais très vite il entre en conflit avec Frédéric II, et quitte la Prusse. Il est arrêté à Francfort, où Mme Denis le rejoint. Elle est incarcérée avec lui, ainsi que son secrétaire Collini, pendant plus de deux semaines (juin-juillet 1753). Durant plus d'un mois Voltaire subit toutes sortes d'humiliations.
Il est libéré, le 8 juillet 1753, mais on lui notifie l’interdiction de rentrer à Paris. Mme Denis suit le proscrit et emménage avec lui au château de Prangin. Voltaire et elle ne se sépareront ( presque ) plus.
Puis Voltaire séjourne aux Délices, une propriété achetée à Genève. C'est là qu'il écrit son Poème sur le désastre de Lisbonne . Mme Denis le suit aux Délices.
A Paris, après la tentative d’attentat de Damien contre Louis XV, les anti-philosophes se déchaînent. En 1759, l’Encyclopédie, à laquelle il collabore, est interdite. Il se réfugie au château de Ferney, en territoire français, mais à 4 km de Genève. Mme Denis s'installe à Ferney. Elle va désormais régner sur le ménage de Voltaire jusqu'à sa mort. Bourgeoise, elle sait conduire une maisonnée, ce dont ne se souciait pas Mme du Châtelet. Mais elle ne sera jamais, comme elle, la confidente et la conseillère de ses travaux.
Ils accueillent à Ferney Marie-Françoise Corneille Chiffon (1742-1805) . Le philosophe, sensible à l’histoire et à la vie miséreuse de cette enfant, que l’on dit à l’époque “descendante du grand Corneille” ( elle en est en fait une arrière-petite-cousine ), touché par son caractère charmant, décide ni plus ni moins de l’adopter. Voltaire la dote d’une confortable pension afin qu’elle puisse se marier.
Mme Denis joue de nombreux rôles écrits par Voltaire dans leur théâtre de société : Zaïre, Zulime/Fanime, Aménaïde (dans Tancrède), Acante (dans Le Droit du seigneur), Statira (dans Olympie), Sémiramis, Idamé (dans L'Orphelin de la Chine), Mérope, Alzire, Clytemnestre (dans Oreste), Lady Alton (dans L'Écossaise), La comtesse de Givry (dans Charlot)…
Ses talents de musicienne sont également appréciés ; ainsi Mme de Genlis dit d'elle : « Après le dîner, M. de Voltaire, sachant que j'étais musicienne, a fait jouer madame Denis du clavecin ; elle a un jeu qui transporte en idée au temps de Louis XIV ».
Clavecin de Mme Denis peint d'une scène pastorale. Signé Nicolas Gosset
Benjamin Gavaudo / Centre des monuments nationaux
Vivant Denon, Le Déjeuner de Ferney (Voltaire tient la main de Mme Denis assise à sa gauche).
— Le-dejeuner-de-Ferney-avec-Voltaire--le-4-Juillet-1775
Mme Denis ne cache pas à Voltaire ses relations avec d'autres hommes, parmi lesquels Baculard d'Arnaud et Marmontel. Nous connaissons bien Marmontel, mais Baculard d'Arnaud ? Moi, point du tout.
François Thomas Marie de Baculard d'Arnaud est né à Paris le 15 septembre 1718. Son père était secrétaire du roi en 1717, et de très petite noblesse. Il épousa, le 9 août 1770, Antoinette Berger d'Aubigny , après avoir eu d'elle un fils, Dominique Antoine Esprit, né vers 1766 .
Après ses études chez les Jésuites, il se fit remarquer par ses dons littéraires : à l'âge de quinze ans, il aurait écrit plusieurs tragédies qui ne furent pas jouées. Il envoie des vers sur ses tragédies à Voltaire qui, sans le prendre comme secrétaire, le charge pourtant de «petites besognes» et le recommande à Helvétius qui le prend à son service .
Il est enfermé à la Bastille le 17 février 1741 pour avoir fait imprimer «l'art de foutre», ballet comique dont l'action se situe dans un bordel. Transféré à Saint-Lazare le 8 mars, il est libéré le 18 mai . Malgré le succès de son roman, Les Epoux malheureux, en 1745, il reste dans la misère. Une «épître au cul de Manon» ( ) lui vaut une nouvelle surveillance de la police au début de 1748 mais aussi les compliments de Voltaire et l'intérêt de Frédéric de Prusse . Il devient le correspondant français des princes de Würtemberg puis de Frédéric . Voltaire, jaloux de son influence ou irrité de sa liaison avec Mme Denis, ou encore, de ses relations avec Fréron, obtient son expulsion en novembre 1750.
Baculard sollicite alors Mme de Pompadour par l'entremise de Duclos, mais finit dans la misère à Paris le 8 novembre 1805.
Caricature représentant Arlaud faisant le portrait de Madame Denis
Jean Huber (1721 - 1786), auteur
vers 1780
Cette légende est fautive puisque l'on reconnaît clairement Liotard portant son bonnet rouge à droite de l'image.. L'identification du peintre représenté est controversée. Daniel Baud-Bovy l'a identifié avec Léonard Arnaud, Dufaux penchant plutôt pour Ami Arlaud-Jurine car le premier aurait été trop jeune pour réaliser cette caricature.
Quant à Marmontel, j'ignore quelle séduction il pouvait trouver à cette grosse mémère ! ... en tous cas pas ses talents d'actrice.
Il raconte :
Au retour de la promenade, Voltaire fit quelques parties d'échecs avec M. Gaulard, qui, respectueusement, le laissa gagner. Ensuite, il revint à parler du théâtre et de la révolution que Mlle Clairon y avait faite. "C'est donc, me dit-il, quelque chose de bien prodigieux que le changement qui s'est fait en elle ? --C'est, lui dis-je, un talent nouveau; c'est la perfection de l'art, ou plutôt c'est la nature même, telle que l'imagination peut vous la peindre en beau." Alors exaltant ma pensée et mon expression pour lui faire entendre à quel point dans les divers caractères de ses rôles, elle était avec vérité, et une vérité sublime, Camille, Roxane, Hermione, Ariane, et surtout Electre, j'épuisai le peu que j'avais d'éloquence à lui inspirer pour Clairon, I'enthousiasme dont j'étais plein moi-même; et je jouissais, en lui en parlant, de l'émotion que je lui causais, lorsqu'enfin prenant la parole: "Eh bien! mon ami, me dit-il, avec transport, c'est comme Mme Denis, elle a fait des progrès étonnants, incroyables. Je voudrais que vous lui vissiez jouer Zaïre, Alzire, Idamé! le talent ne va pas plus loin." Mme Denis jouant Zaïre! Mme Denis comparée à Clairon! Je tombai de mon haut: tant il est vrai que le goût s'accommode aux objets dont il peut jouir; et que cette sage maxime:
Quand on n'a pas ce que l'on aime.
Il faut aimer ce que l'on a.
Il faut aimer ce que l'on a.
Toujours est-il qu'en mars 1768, au terme d'une dispute violente , Mme Denis quitte Ferney pour Paris. Elle n'y revient qu'en octobre 1769.
En 1778, Voltaire et elle s'installent à Paris dans l'hôtel particulier de Charles de Villette et Reine-Philiberte Rouph de Varicourt, la deuxième fille adoptive de Voltaire. Il y meurt le 30 mai.
Légataire universelle de Voltaire, Mme Denis met en vente Ferney quelques mois plus tard. Elle vend les papiers et la bibliothèque de Voltaire à Catherine II de Russie et le château au marquis de Villette, malgré l'opposition de Jean-Louis Wagnière, avec lequel elle a quelques différends.
Wagnière était entré au service de Voltaire en tant que valet de chambre au début de 1755, à Prangins, et il l’accompagna aux Délices puis à Ferney .
La chance lui sourit lorsque Voltaire renvoya brutalement en 1756 son secrétaire Cosimo Alessandro Collini en raison d’un scandale lié à des amours ancillaires. Le 9 juin 1756, Voltaire pria un ami vaudois de lui trouver « un domestique intelligent et qui même sût un peu écrire » mais il réalisa bien vite le parti qu’il pouvait tirer de ce jeune valet de chambre, intelligent et zélé. Il le forma à la profession de secrétaire en lui donnant au besoin des leçons de latin.
Wagnière incarne une heureuse exception dans l’histoire tourmentée des relations de Voltaire avec ses secrétaires : il fut, de loin, le plus constant de ses assistants littéraires et le seul à n’être jamais congédié. Il servit loyalement pendant près de vingt-quatre ans le maître incontesté de la « République des lettres ». Aussi Voltaire le surnommait-il le « fidèle Wagnière ».
La vie amoureuse de Mme Denis rebondit ! Voici qu'elle se remarie, à l'âge de 68 ans, à Paris le 8 janvier 1780 à François Duvivier (1722-1802), commissaire des Guerres, plus jeune qu'elle de dix ans !
Elle meurt à Paris dix ans plus tard le 10 août 1790.
En 2018, l'association Escouade fait poser une plaque de rue temporaire à son nom Rue Voltaire à Genève dans le cadre de l'initiative 100Elles.
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Un peu de tourisme, les amis ?
Et si nous allions visiter les appartements dévolus à Mme Denis à Ferney !
La visite des appartements de la nièce et compagne de Voltaire, occupant l'aile nord du château et restitués dans leur état d’origine, vous séduiront à n’en pas douter dans la « maison commode, rustique et confortable » du seigneur de Ferney !
Madame Denis, nièce et compagne du philosophe depuis 1744, est au cœur de sa vie à Ferney. Elle tient un rôle essentiel de maîtresse de maison. Le « dedans » lui est ainsi réservé : ameublement, décoration, intendance et confort des invités venus de l’Europe entière.
Entrez dans ses appartements et imaginez l’ambiance d’un salon de l’époque, où les discussions riment avec quelques tasses de chocolat chaud et de café !
Le salon de Madame Denis est aussi celui des invités de Voltaire : d’Alembert, Condorcet, Madame de Genlis se pressent chez le philosophe pour le voir, mais aussi profiter des pièces de clavecin jouées par la Dame de Ferney.
Détail de la scène pastorale peinte sur le couvercle du clavecin
Benjamin Gavaudo / Centre des monuments nationaux
Accolée au salon, la chambre de Madame Denis nous invite dans son intimité et sa féminité.
Assise à sa table de toilette, face à son miroir, une tasse de chocolat chaud l'attend.
Chambre de Madame Denis avec restitution de son lit d'alcôve
Benjamin Gavaudo / Centre des monuments nationaux
Son lit d’alcôve, dont les tissus sont assortis à son mobilier et aux tentures murales, évoque le confort tant recherché au siècle des Lumières.
Un poêle à braises mobile lui apporte encore plus de chaleur !
poêle à braises placé à côté du lit
Benjamin Gavaudo / Centre des monuments nationaux [/center]
Au fond de la chambre, cachée derrière une double porte, sa garde-robe avec « lieux à l’anglaise », non restitués, lui offrent des toilettes commodes munies d’un rare système d’évacuation des eaux.
Table de toilette de Mme Denis
Benjamin Gavaudo / Centre des monuments nationaux
https://www.chateau-ferney-voltaire.fr/decouvrir/les-appartements-de-madame-denis
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55510
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Nièce et amante de Voltaire, Mme Denis, née Marie-Louise Mignot
Merci Eleonore pour ce très bel exposé.
Dominique Poulin- Messages : 7013
Date d'inscription : 02/01/2014
Gouverneur Morris- Messages : 11796
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: Nièce et amante de Voltaire, Mme Denis, née Marie-Louise Mignot
Merci, mon cher Momo !Gouverneur Morris a écrit:
Je me permets de compléter la citation de la Genlis, tronquée au point d’en changer le sens :
“mais ce souvenir-là n'est pas le plus agréable que l'on puisse se retracer de ce beau siècle"
Décidément Félicité portait bien mal son prénom . Elle était toujours désagréable et aigre comme un mauvais vin.
Cela ne fit d'ailleurs ni chaud ni froid à la mère Denis qui s'esclaffa :
" C'est ben vrai, ça ! " ... réplique culte s'il en est .
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55510
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Gouverneur Morris- Messages : 11796
Date d'inscription : 21/12/2013
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