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Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen

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Message par Comte d'Hézècques Mar 13 Mai 2014, 00:16

Isabelle de Charrière, plus connue aux Pays-Bas sous son nom de jeune fille Belle de Zuylen, naît en 1740 au château de Zuylen à Utrecht, dans les Provinces Unies :

Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen Slot_z10

où elle est baptisée dans la petite église protestante du village de Zuylen comme Isabella Agneta Elisabeth van Tuyll van Serooskerken.

Son père, Diederik Jacob van Tuyll van Serooskerken, issu d’une famille de vieille noblesse du pays (1707-1776) :

Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen Dieder10

et sa mère, Hélène Jacoba de Vicq, issue d’une famille de riches commerçants de la haute bourgeoisie (1724-1768) :

Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen Hekena10

(on aurait dit Marie Leszczyńska Wink)

avaient vite compris que Belle n’avait aucun don pour les travaux d’aiguille et autres matières d’instruction données aux petites filles de son âge. Dès son enfance, elle se passionne pour les mathématiques, la littérature classique, la philosophie, l’histoire et les langues.

En 1750, Belle est envoyée en France et en Suisse avec sa gouvernante Mlle Jeanne Louise Prevost pour parfaire son éducation et ses connaissances linguistiques. Aux Pays-Bas, comme dans pratiquement tous les pays de l’Europe et au-delà, le français est la langue employée par les familles nobles et aisées. Le néerlandais est réservé pour communiquer avec les domestiques.

Lors de son séjour à Paris, où Belle visite les collections de peinture à l’arsenal, elle rencontre entre autres Maurice Quentin de La Tour (qui deviendra un ami et peindra un ravissant portrait de Belle en 1766) et un jeune homme au nom de Necker, qui travaille à la banque Vernet, et qui, beaucoup plus tard, devenu ministre des Finances, sera la cible dans un pamphlet rédigé par Belle sur sa façon d’administrer la France.

Adolescente, ses parents lui permettront d’aller chaque semaine à Utrecht pour suivre des cours d’algèbre et de physique chez un professeur renommé.

A cette époque, Guillaume de Spinny peint ce portrait de Belle de Zuylen, en 1759 :

Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen Despin10

On peut imaginer Belle apprêtée de cette façon quand elle faisait la rencontre de Constant d’Hermenches (l’oncle de Benjamin Constant) au bal organisé à La Haye par le duc de Brunswick, commandant des troupes alliées aux Pays-Bas, au mois de février 1760. Une rencontre qui donnera lieu à un des plus beaux échanges épistoliers du XVIIIème siècle.
C’est Belle qui rappelle à l’esprit de son cher d’Hermenches cette rencontre dans une lettre écrite quatre ans plus tard :

« Si vous trouvez sincèrement que c’est un bien pour vous de me connaître, je veux que vous me sachiez gré d’avoir fait les premières avances. Vous en souvenez-vous, chez le Duc, il y a quatre ans ? Vous ne me remarquiez pas, mais je vous vis. Je vous parlai la première : Monsieur, vous ne dansez pas ? pour engager la conversation. Je ne me suis jamais souciée de l’étiquette, et quand j’ai rencontré ce qui peut s’appeler une physionomie, j’ai toujours eu la passion de la faire parler. »

Voilà ce qui a fait scandale pendant ce fameux bal à La Haye. Une fille bien née, issue d’une famille respectable, qui a osé adresser ces paroles à un homme qu’elle ne connait pas, de surcroît beaucoup plus âgée qu’elle ! Ses parents, même s’ils avaient une certaine indulgence vis-à-vis de leur fille intelligente et impétueuse, devaient sauver les apparences et ont précipitamment quitté le bal en ramenant Belle telle une Cendrillon.

Car d’Hermenches (né en 1722) était réputé pour son mode de vie libertin, vivant séparé de sa femme qu’il n’aimait pas (mariage arrangé par sa mère). Issu d’une famille d’officiers, installée depuis le XVIème siècle en Suisse, il a embrassé la carrière militaire et servait aux Pays-Bas lorsqu’il fit la rencontre de Belle de Zuylen en 1760.

Le voici portraituré à droite, le front barré d’un bandeau noir, suite à une blessure attrapée lors de la bataille de Fontenoy contre les Français :

Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen Belle_10

D’Hermenches, fin causeur, écrivain et comédien à ses heures, fréquentant le cercle des Encyclopédistes à Paris, ami du baron d'Holbach, de Voltaire et du prince de Ligne, ne pourra bientôt plus se passer des lettres de sa « divine Agnès » comme il l’appelle dans leur correspondance. Pourtant, cet échange de missives s’avérait être un commerce dangereux, et pénible du point de vue logistique. Les parents de Belle ne permettraient jamais un échange de lettres entre leur fille et un officier libertin. Trois ans ont dû s’écouler avant que cet échange épistolier ne prenne toute son ampleur et ardeur, grâce à une proposition ingénieuse de la part d’Hermenches.

Entretemps, Belle a provoqué un autre scandale qui a mis ses parents dans l’embarras, en faisant publier dans Le journal étranger un petit roman intitulé Le Noble, écrit en 1762 :

Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen 071_110

Elle y ridiculise, bien avant Beaumarchais, la noblesse imbibée de son rang et de ses privilèges. Un détail savoureux du livre consiste en une fuite du château où Julie (le personnage principal) était enfermée dans sa chambre par son père, qui refuse qu’elle voie son admirateur Valaincourt, puisqu’il n’a pas assez de quartiers de noblesse. Or, trop éprise de Valaincourt, Julie s’échappe du château à l’aide des portraits de famille de ses illustres aïeux, qui forment une jolie passerelle qui lui permet de passer de l’autre côté des douves.

Dès que des bruits se répandaient que ce fut Belle de Zuylen qui avait écrit ce conte, la famille van Tuyll avait tout de suite fait retirer tous les exemplaires du livre chez les libraires.

Belle, étrangère à son milieu, s’entendait donc bien avec d’Hermenches, fin observateur et lui aussi dépaysé parmi le monde qu’il était obligé de fréquenter. Belle lui écrit dans une lettre : « C’est en vérité une chose étonnante que je m’appelle Hollandaise et Tuyll. Il faut que la Providence ait absolument voulu que je fusse ce que je suis. ». Comme le prince de Ligne, Belle et d’Hermenches étaient européens avant la lettre.

Une question qui préoccupe Belle et qui revient sans cesse dans sa correspondance, un peu malgré elle, c’est le mariage. Elle a déjà eu bon nombre de candidats, parmi lesquels même le comte d’Anhalt, parent du prince Henri de Prusse, frère de Frédéric II, qui est un ami des Tuyll. Mais Belle hésite ; elle voudrait bien se marier, puisque les femmes n’ont guère d’autre choix pour sortir de leur état de dépendance, mais pour elle, il est hors de question de changer un état de dépendance pour un autre. Alors une des conditions pour elle c’est que son mari la laisse libre après le mariage : libre de se déplacer seule, libre d’écrire avec qui elle veut, de voir qui elle veut. Heureusement pour elle que ses parents lui ont laissé le loisir d’avoir un mot à dire à ce propos !

C’est une des raisons pour lesquelles elle rejette une proposition de mariage de James Boswell, devenu célèbre pour sa biographie sur Samuel Johnson, et que Belle a rencontré à Utrecht en 1764, ou Boswell suivait des cours de droit à l’université. Envoyé par son père aux Pays-Bas pour avoir mené une vie trop dissipée à Londres, sa seule consolation était d’y avoir fait connaissance à cette femme spirituelle qu’il a rapidement baptisé sa « Zélide ».

Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen Jboswe10

Pourtant, malgré le fait que Boswell est un homme d’esprit avec qui Belle s’entend à merveille intellectuellement, il a des idées très conservatrices du mariage, et pour lui une femme doit toute obéissance à son mari.

Pour que Belle s’attache définitivement à d’Hermenches, et afin de trouver un motif à leur correspondance qui fera en sorte que Belle puisse s’épancher à lui librement sans la crainte du remords, il lui propose un autre candidat : un de ses amis, le marquis de Bellegarde, plus âgé que Belle, qui voudrait redorer ses blasons par le mariage. D’Hermenches, de façon rusée, se proposant comme confident et intermédiaire, incite Belle à lui faire part de tous ses états d’âme. Elle s’y livre volontiers, et ainsi nait une des correspondances les plus touchantes qui nous soit parvenue depuis le siècle des Lumières.
Peu importe si ce projet de mariage a peu de chances d’aboutir à cause de moult obstacles, d’Hermenches peut enfin observer sa « divine Agnès » dans l’intimité de ses pensées les plus ardentes, ce qui la fait dire dans une lettre datée de septembre 1764 :

« Si le marquis n’était pas au monde, je vous croirais bien de l’art ; je dirai plus, si le marquis n’était pas au monde, après notre correspondance, après ce feu qu’elle a pris depuis quelque temps, après tous les aveux, je me croirais dans vos mains, et si je ne mettais des mers entre vous et moi, il ne dépendrait apparemment que de vous de me voir la plus faible des femmes. »

Une liaison dangereuse a vu le jour. Liaison épistolière toutefois, car même si Belle meurt d’envie de rencontrer à nouveau « le plus dangereux des hommes » comme elle désigne d’Hermenches dans une de ses lettres, plus encore que de rencontrer le marquis chimérique qui la tirerait de son état de dépendance, cela s’avère pratiquement impossible. Cependant, sa plume ne cesse pas d’aller bon train pour lui avouer ses désirs les plus ardents, trop réprimés dans la vie monotone qu’elle mène au château de Zuylen :

« Eh bien donc, si j’aimais, si j’étais libre, il me serait bien difficile d’être sage. Mes sens sont comme mon cœur et mon esprit, avides de plaisirs, susceptibles des impressions les plus vives et les plus délicates. Pas un des objets qui se présentent à ma vue, pas un son, ne passe sans m’apporter une sensation de plaisir ou de peine (…). »

Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen Belle_11

(bureau de Belle au château de Zuylen, dans sa chambre, où elle écrivait ses lettres étincelantes à chaque moment dérobé à son sommeil et ses obligations)

Sachons gré à Maurice Quentin de La Tour de n’avoir pas uniquement peint en pastel la marquise de Pompadour, mais aussi notre divine Belle, dans un portrait absolument ravissant et plein de vie, où l’on est confronté à ce regard si vif et spirituel de Belle de Zuylen, absorbant les impressions les plus vives et les plus délicates dont elle parle dans sa lettre :

Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen 81421110

En septembre 1766 elle parle elle-même de ce portrait dans une lettre à d’Hermenches :

« Depuis quinze jours je passe toutes les matinées chez mon oncle et j’y dîne avec La Tour, quand il a travaillé deux ou trois heures à mon portrait. Je ne m’ennuie point car il sait causer, il a de l’esprit et il a vu bien des choses, il a connu des gens curieux (…)
Je lui donne une peine incroyable et quelquefois il lui prend une inquiétude de ne pas réussir qui lui donne la fièvre, car absolument il veut que le portrait soit moi-même.
»

Très tôt, d’Hermenches reconnaît la valeur des talents épistoliers de sa divine Agnès, à qui il disait qu’elle écrit aussi bien que Voltaire. Il conservera précieusement chacune de ses lettres pour la postérité. Déjà au début de leur correspondance secrète, il s’exclame :

« (…) quand je tirerais la quintessence de tout ce que je sais, de tout ce que j’ai pensé de meilleur en ma vie, encore ne pourrai-je produire un équivalent d’une de ces pages prises sur votre sommeil, mais écrites par vous avec tant d’aisance et de rapidité, il semble que votre plume devrait mettre le feu au papier, ce qu’il y a de certain, c’est que de tous temps elle l’a porté dans mon cœur. Je ne vous exposerai de ma vie, mais je veux un jour extraire tout ce qu’il y a de saillant et de vrai, et de neuf dans vos lettres, ce sera un recueil précieux et le portrait le plus sûr que l’on puisse avoir de vous. »

Grande déception pour d’Hermenches d’apprendre par Belle, début 1771, qu’elle se mariera à l’ancien précepteur de ses frères, Charles-Emmanuel de Charrière de Penthaz :

Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen Monsie10

Car, en fin de compte, il a toujours désiré Belle comme compagne idéale. Ne plus être son confident, constater que tout espoir d’une véritable intimité est révolu, lui est insupportable. Le cœur rempli d’amertume, il commence à répandre des rumeurs sur celle qui s’appelle dorénavant Isabelle de Charrière, dans la région où elle s’installera avec son mari après leur séjour en France : Le Pontet à Colombier, dans le canton de Neuchâtel.

Belle lui réclame ses lettres, car elle craint qu’il en fasse mauvais usage, maintenant qu’elle ne lui ouvre plus son cœur. Mais il n’en est rien, il tient sa promesse et essaie de se faire pardonner quand il se rend compte de son comportement indigne vis-à-vis de cette femme exceptionnelle. Mais il est trop tard. Belle ne ressent plus l’envie de continuer leur correspondance sur le même ton qu’avant. Elle lui écrit dans une des dernières lettres qu’elle lui adresse, le 16 août 1774 :

« Je n’ai plus la même vivacité pour vous écrire, mais vous m’intéressez toujours. Une chose encore diminue mon empressement pour notre correspondance, je ne puis penser à vous écrire sans penser à mes lettres d’autrefois et cette pensée m’inquiète. Je ne me souviens pas d’avoir jamais eu rien de malhonnête dans le cœur, mais je sais en gros que je disais autrefois tout ce que je pensais et que j’ai dû penser beaucoup de folies imprudentes et surtout ridicules à dire. »

Loin d’être ridicules, d’Hermenches a bien fait de ne pas renvoyer les lettres, dont bon nombre et peut-être les plus exquises auraient été consumées par le feu, disparues pour toujours dans l’obscurité du temps. Nous lui en savons gré.

Pour Belle commence un nouvel épisode dans sa vie, maintenant qu’elle a fait ses adieux à sa vie en Hollande et à ses rêves de jeune fille. Je vous en parlerai ultérieurement.

Quant à d’Hermenches, après enfin avoir obtenu le divorce, péniblement, il se remarie et sa nouvelle épouse lui donnera encore un fils en 1777. Quand elle meurt en 1779, d’Hermenches s’installe à Paris, où il mourra en février 1785, rue de Provence.

Ici on le voit vers la fin de sa vie, devenu maréchal de camp, assis dans sa bibliothèque, s’occupant de ses plus belles passions : l’écriture et la lecture, avec sa muse à droite, qui semble le regarder avec compassion.

Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen David_10


Dernière édition par Comte d'Hézècques le Mar 26 Sep 2023, 10:41, édité 2 fois

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Message par Gouverneur Morris Mar 13 Mai 2014, 01:40

C'est si brillant ! Merci comte !


Dernière édition par Gouverneur Morris le Mar 13 Mai 2014, 11:04, édité 1 fois
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Message par Invité Mar 13 Mai 2014, 09:44

Merci, cher Félix , pour cette biographie complète et illustrée à souhait qui ne donnera que plus envie de découvrir la Belle à ceux qui ne l'ont pas encore lue...  boudoi30 

Bien à vous.

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Message par CLIOXVIII Mar 13 Mai 2014, 11:22

Majesté a écrit:Merci, cher Félix , pour cette biographie complète et illustrée à souhait qui ne donnera que plus envie de découvrir la Belle à ceux qui ne l'ont pas encore lue...  boudoi30 

Bien à vous.
Bien dit !
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Message par Comte d'Hézècques Mar 13 Mai 2014, 14:23

Avec plaisir chers amis ! Bientôt la suite Very Happy 
Si cette correspondance pétillante entre Belle et d'Hermenches vous intéresse, elle est toujours en vente (sur eBay ou Amazon) dans la très belle édition de qualité, établie par Isabelle et Jean-Louis Vissière, aux éditions de La Différence.

Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen 97827210

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Message par Invité Mar 13 Mai 2014, 20:24

Un très grand merci pour cette biographie passionnante, cher comte!

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Message par Comte d'Hézècques Mar 13 Mai 2014, 22:46

Avec plaisir chère Evelyn ! Je suis content de donner à Belle de Zuylen la place qu'elle mérite.

Saviez-vous qu'elle était en Angleterre au début de l'année 1767 ?

Elle n'y est restée que trois mois, mais avec sa vivacité d'esprit, son enthousiasme et son intelligence, ce séjour lui a laissé bon nombre d'impressions.

Quand elle est de retour aux Pays-Bas, elle décrit ce triste retour à la réalité dans ces termes à d'Hermenches :

« Vous êtes content de ma façon de juger l'Angleterre et les Anglais, j'ai en effet assez bien vu ce que j'ai vu, mais il y a beaucoup de choses dont je n'ai pu juger : les Anglais étant moins parlants et montreurs que d'autres peuples, il faut plus de temps pour les voir ; d'ailleurs, comme ils se mettent un peu moins en peine des usages, on n'en trouve pas tant qui soient formés sur le même moule ; le climat, le gouvernement, les amusements publics ont comme ailleurs une influence universelle, mais celle de l'usage est moins générale et moins absolue : on aurait tort de juger de toute la nation par le petit nombre d'Anglais qu'une femme peut voir à Londres en six mois. Je serais charmée de vivre libre et à la campagne en Angleterre et je pourrais m'en croire sur ce choix parce qu'il ne s'y mêle point d'enthousiasme. Le local est charmant et quand on n'est pas plus vaine qu'une personne raisonnable ne doit l'être et qu'on peut vivre à peu près seule et avec ses livres, on serait fort bien au bord de la Tamise.
J'ai admiré en Savoie et à Genève des vues encore plus pittoresques, plus romanesques qu'en Angleterre, mais je n'avais jamais vu la nature si riante ni si embellie ; le peuple y est riche, les ouvrages publics sont admirables, les voyages y sont faciles ; les gens n'y sont pas extrêmement sociables ; ils sont réservés et
selfish ; on pourrait avoir du mérite et n'être pourtant pas fort recherché, tant mieux peut-être.
Ce qui me déplairait davantage, ce sont les voleurs de grand chemin, mais on en a pendu un si grand nombre cet hiver que je pense qu'il n'en reste plus. Peut-être que je me trompe après tout et que l'article de la vanité me toucherait plus que celui des voleurs. Il ne faut pas juger trop positivement de soi. Quand j'arrivais à Helvoet et sur le chemin de La Haye, je trouvais les vitres et les rues bien propres, mais le pays, si monotone ! L'aspect de toutes choses, si insipide ! A La Haye, je trouvais des propos ridicules et fâcheux établis sur mon compte, cela me mit de plus mauvaise humeur encore que la maussade campagne. Une vache, un pré, un moulin : voilà tout ce que nous voyons, disais-je à mon frère (...)
»

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Message par Invité Mer 14 Mai 2014, 16:20

Merci pour cette découverte, inédite pour ma part ! Very Happy 

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Message par Invité Mer 14 Mai 2014, 16:46

Comte d'Hézècques a écrit:Avec plaisir chère Evelyn ! Je suis content de donner à Belle de Zuylen la place qu'elle mérite.

Saviez-vous qu'elle était en Angleterre au début de l'année 1767 ?

Elle n'y est restée que trois mois, mais avec sa vivacité d'esprit, son enthousiasme et son intelligence, ce séjour lui a laissé bon nombre d'impressions.

Quand elle est de retour aux Pays-Bas, elle décrit ce triste retour à la réalité dans ces termes à d'Hermenches :

« Vous êtes content de ma façon de juger l'Angleterre et les Anglais, j'ai en effet assez bien vu ce que j'ai vu, mais il y a beaucoup de choses dont je n'ai pu juger : les Anglais étant moins parlants et montreurs que d'autres peuples, il faut plus de temps pour les voir ; d'ailleurs, comme ils se mettent un peu moins en peine des usages, on n'en trouve pas tant qui soient formés sur le même moule ; le climat, le gouvernement, les amusements publics ont comme ailleurs une influence universelle, mais celle de l'usage est moins générale et moins absolue : on aurait tort de juger de toute la nation par le petit nombre d'Anglais qu'une femme peut voir à Londres en six mois. Je serais charmée de vivre libre et à la campagne en Angleterre et je pourrais m'en croire sur ce choix parce qu'il ne s'y mêle point d'enthousiasme. Le local est charmant et quand on n'est pas plus vaine qu'une personne raisonnable ne doit l'être et qu'on peut vivre à peu près seule et avec ses livres, on serait fort bien au bord de la Tamise.
J'ai admiré en Savoie et à Genève des vues encore plus pittoresques, plus romanesques qu'en Angleterre, mais je n'avais jamais vu la nature si riante ni si embellie ; le peuple y est riche, les ouvrages publics sont admirables, les voyages y sont faciles ; les gens n'y sont pas extrêmement sociables ; ils sont réservés et
selfish ; on pourrait avoir du mérite et n'être pourtant pas fort recherché, tant mieux peut-être.
Ce qui me déplairait davantage, ce sont les voleurs de grand chemin, mais on en a pendu un si grand nombre cet hiver que je pense qu'il n'en reste plus. Peut-être que je me trompe après tout et que l'article de la vanité me toucherait plus que celui des voleurs.
»

Merci, cher Comte, pour ces réflexions d'Isabelle sur l'Angleterre. Je crois qu'elle voyait bien juste, mais je suis un peu surprise qu'une femme si libre et indépendante craigne des 'voleurs de grand chemin' – les highwaymen, comme nous les appelons. Ce sont des figures quasi-mythiques chez nous. On les reprochait, on les jugeait, mais on avait aussi de l'admiration pour leurs crimes audacieux – on n'a qu'à voir tous les romans, comédies et même opérettes sur ces brigands, en commençant par les œuvres du dix-huitième siècle: The Beggar's Opera et Jonathan Wild sont les plus célèbres.

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Message par Gouverneur Morris Mer 14 Mai 2014, 17:36

evelynfarr a écrit:Je crois qu'elle voyait bien juste, mais je suis un peu surprise qu'une femme si libre et indépendante craigne des 'voleurs de grand chemin' – les highwaymen, comme nous les appelons. Ce sont des figures quasi-mythiques chez nous. On les reprochait, on les jugeait, mais on avait aussi de l'admiration pour leurs crimes audacieux – on n'a qu'à voir tous les romans, comédies et même opérettes sur ces brigands, en commençant par les œuvres du dix-huitième siècle: The Beggar's Opera et Jonathan Wild sont les plus célèbres.

Sans oublier, plus près de nous, l'excellent Plunkett & Macleane (Guns 1748) :

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Message par Mme de Sabran Jeu 15 Mai 2014, 12:50

Comte d'Hézècques a écrit:

« Eh bien donc, si j’aimais, si j’étais libre, il me serait bien difficile d’être sage. Mes sens sont comme mon cœur et mon esprit, avides de plaisirs, susceptibles des impressions les plus vives et les plus délicates. Pas un des objets qui se présentent à ma vue, pas un son, ne passe sans m’apporter une sensation de plaisir ou de peine (…). »



... tout simplement merveilleux !!!  Very Happy  ... et si vrai !

.
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Message par Comte d'Hézècques Mar 12 Aoû 2014, 23:49

PS : pourquoi mon texte sur Isabelle de Charrière a-t-il été classé dans la section « Bavardages » ?
Il devrait plutôt figurer dans « Autres contemporains », vu que Isabelle était une contemporaine de Marie-Antoinette. Et non pas trop bavarde... enfin, elle a quand même écrit des choses sensées Very Happy 

Bientôt je vous donnerai la suite de sa vie, c'est-à-dire la période 1770-1805.

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Message par Invité Mer 13 Aoû 2014, 09:11

Oui il faudrait corriger ça. Je ne peux pas présentement avec ma tablette mais si un autre modérateur ne s'en est pas occupé avant, je m'en occupe dès que je rallume mon ordinateur.

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Message par Invité Mer 13 Aoû 2014, 10:10

Voilà qui est corrigé Very Happy

Bien à vous.

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Message par Comte d'Hézècques Mer 13 Aoû 2014, 11:56

Majesté a écrit:Voilà qui est corrigé Very Happy

Bien à vous.

Merci Majesté *révérences*  cheers 

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Message par Invité Mer 13 Aoû 2014, 13:40

Merci !  cheers 

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Message par Mme de Sabran Lun 18 Sep 2023, 15:43

Je vais découvrir à mon tour Isabelle de Charrière     Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen _120
au fil des pages de son roman Trois femmes .

Je te remercie, mon cher Félix, pour ce conseil de lecture !  Very Happy

Le résumé ( Babelio ) est alléchant et nous voici plongés en pleine tourmente révolutionnaire :
Dans ce roman polyphonique pétri d'humour, Mme de Charrière relate les expériences de trois personnages féminins: Émilie la noble prude et égoïste, Joséphine la servante volage au grand coeur et Constance la riche veuve au passé chargé.
Sous la Révolution française, trois Françaises émigrées vivent en Allemagne, dans l'épreuve d'une situation qui bouleverse tous leurs repères. Émilie est une jeune fille noble, qui se retrouve orpheline et sans fortune, accompagnée de sa servante, Joséphine. Constance, femme d'expérience, veuve et riche, s'installe auprès d'elles et les aide à s'adapter à une réalité sociale étrangère.
Un récit alerte, des dialogues vifs et pleins d'humour, des situations cocasses contribuent à faire de Trois femmes un roman gai, qui n'en est pas moins philosophique. Lucide plus que quiconque sur la nature sociale des inégalités, Isabelle de Charrière confie à trois femmes déplacées le soin de faire sentir, par-delà leurs aventures, leurs amours et leurs projets, le grand souffle des Lumières qui ébranle les catégories instituées de rang et de qualité, les préjugés relatifs à l'origine, à la naissance, au sexe ou à la couleur de peau.

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Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen Empty Re: Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen

Message par Gouverneur Morris Lun 18 Sep 2023, 15:48

Oh, très intéressant, merci Eléo et Félix Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen 2523452716

Mais bon il faudrait que je commence par retrouver Belle, que j'ai abandonnée il y a longtemps au milieu de ses lettres à d'Hermenches Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen 3177668066 Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen 2815550750
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Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen Empty Re: Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen

Message par Comte d'Hézècques Dim 24 Sep 2023, 19:02

Mme de Sabran a écrit:Je vais découvrir à mon tour Isabelle de Charrière     Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen _120
au fil des pages de son roman Trois femmes .

Je te remercie, mon cher Félix, pour ce conseil de lecture !  Very Happy

Mais avec grand plaisir ! Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen 1020289783
Isabelle de Charrière est un auteur qui m'est cher.
En remontant le fil de ce sujet, je me rends compte que je n'ai pas encore donné la suite de la biographie d'Isabelle ; je vous ai présenté ses jeunes années aux Pays-Bas, et je dois encore vous présenter la partie de sa vie qu'elle a passée en Suisse avec son mari, avec deux séjours à Paris.
J'espère avoir le temps bientôt ! Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen 1123740815

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« elle dominait de la tête toutes les dames de sa cour, comme un grand chêne, dans une forêt, s'élève au-dessus des arbres qui l'environnent. »
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