Les bals de l'Opéra à Paris

Un post que je lis et relis... Incroyable l'importance qu'avait l'opéra, la comédie française et italienne à cette époque. Quand à ces artistes elles inspiraient les plus grands... C'est l'âme de folie française au 18eme.

Mr Ventier a écrit: Incroyable l'importance qu'avait l'opéra, la comédie française et italienne à cette époque.

Vous aurez bientôt de la lecture, cher Monsieur Ventier!
Restez attentifs aux annonces sur ce site dans les quinze jours qui viennent...

Oh je regarde, je regarde. Je serai un des plus assidus du futur post.

Marie-Antoinette ne fût pas le seul papillon irrésistiblement attiré par les feux du bal de l'opéra.
Tatie Wikie nous en conte de belles sur la duchesse de Berry, fille du Régent, au début du siècle :
Officiellement encore en deuil de la mort de son mari, Charles de France, Mme de Berry paraît cependant au bal de l'Opéra le 4 janvier 1716. Masquée, débordante de sensualité dans une magnifique robe à panier qui valorise sa beauté plantureuse et ses chairs éclatantes, la jeune veuve danse et se divertit sans vergogne, défiant les mœurs austères de la Cour. La Gazette de la Régence rapporte l'affront que Mme de Berry reçoit au bal de Carnaval en janvier 1717 : « Un officier ivre qui ne la connaissoit pas sous le masque, en l'abordant lui dit qu'elle avait une belle paire de tétons et demanda s'ils étoient à vendre. La princesse sur cela lui dit : - Me connois-tu bien, masque ? - Oui, je te connois. - Et qui suis-je ? - La plus grande putain de Paris. » L'impudent parvient à s'éclipser sans être inquiété. Avide de plaisirs et de représentations, la scandaleuse fille du Régent assiste chaque année aux bals de Carnaval, au mépris de toute morale. Le dimanche 19 février 1719, elle reste au bal de l'Opéra jusqu'à quatre heures du matin et s'y rend à nouveau le mardi gras (21 février).

Merci, mon cher Calonne, pour cet aperçu édifiant.  
Quatre heures du matin, c'est presque raisonnable comparées aux sept heures du mat' de Marie-Antoinette .  
C'est vrai, sous couvert du masque, les propos étaient très libres et licencieux.  Les jeunes-gens en veine de provoc s'en donnaient à coeur-joie.   Qu'en était-il de " des moeurs austères de la Cour " ? Les plus hauts personnages donnaient l'exemple de la luxure la plus débridée.  Les rumeurs n'allaient-elles pas jusqu'à prétendre que le Régent et sa fille étaient amants.

Encore svp trop fort trop bien.

Rappelons également que, très souvent, entre masques, le tutoiement était de rigueur.

Bien plus tard, l'impératrice Eugénie fût également courtisée à un de ses bals, sous l'anonymat du masque, par un bel homme qui était également un des représentants du mouvement légitimiste. Selon certains témoignages, l'impératrice, troublée, s'esquiva mais promît au bel inconnu que si le lendemain, il se trouvait à tel endroit, elle y serait et qu'il la reconnaîtrait quand elle passerait trois fois son mouchoir sur ses lèvres.
Le lendemain, notre homme se rendît à l'endroit convenu et il attendait, quand on annonça le landau de l'impératrice. Par respect et courtoisie, il s'inclina et c'est alors qu'il vît la souveraine passer trois fois son mouchoir sur ses lèvres en le regardant... Alors qu'il restait stupéfait, un chambellan vînt lui dire que l'impératrice l'invitait aux Tuileries. Ses convictions politiques l'emportant (et aussi la prudence sans doute), il déclina respectueusement l'invitation. D'après certains témoignages, jusqu'à la fin de l'Empire, lorsqu'ils se croisaient, aux courses, à la promenade, l'impératrice venait immanquablement le saluer, s'avançant seule et bavardant un moment seule avec lui, ce qui faisait jaser son entourage.

Calonne a écrit:Officiellement encore en deuil de la mort de son mari, Charles de France, Mme de Berry paraît cependant au bal de l'Opéra le 4 janvier 1716..

Je pense que ces fameux bals étaient une sorte d'exutoire, de soupape, dans une société encore très rigide et très hiérarchisée où changer de statut était très difficile, voire impossible.
L'anonymat du masque permettait de parler et de se comporter plus librement. On pouvait avoir en face de soi un seigneur, une grande dame aussi bien qu'un perruquier ou une grisette sans le savoir et on pouvait donc se permettre pas mal de choses sans que ça porte à conséquence, des choses automatiquement sanctionnées autrement. On pouvait sortir de sa condition le temps d'une soirée ou côtoyer des gens inaccessibles en temps ordinaire, le tout dans une ambiance festive. De ce côté-là, le film de Sofia Coppola, lors de la scène du bal où la reine rencontre Fersen, est très bon je trouve et la musique des années 1980 bien employée. Même si la réalité était sans doute plus sage, on sent bien l'esprit de fête, de liberté et d'amusement de ces soirées.

Tout à fait d'accord avec vous,  la scène du Coppola exprime probablement assez bien l'esprit de ces soirées on l'on s'encanaillait dans un anonymat plutôt relatif.

Néanmoins, sauf déguisement à thème, on se rendait au bal de l'opéra en domino, une vaste manteau à manches chauve-souris inspiré des Vénitiens, généralement en satin blanc pour les femmes, et noir pour les hommes. Il dissimulait une tenue négligé ou une grande parure, et gommait les différences de classes de façon à s'amuser sans déroger officiellement à son rang.

Kirsten Dunst est absolument charmante ainsi masquée de dentelle et vêtue de noir, mais le noir étant spécifique aux deuils de cour, je doute que Marie-Antoinette ait pu faire la fête dans une telle période, et de surcroit dans cette tenue.

Dominos

Surtout que franchement, dans le film, c'est pas avec ce bout de slip en dentelle noire sur les yeux qu'elle va ne pas être reconnue ! Elle n'aurait rien sur la figure, ça ferait pareil.

Marie-Jeanne a écrit:

Néanmoins, sauf déguisement à thème, on se rendait au bal de l'opéra en domino, une vaste manteau à manches chauve-souris inspiré des Vénitiens, généralement en satin blanc pour les femmes, et noir pour les hommes.

C'est ça, ma chère Marie-Jeanne  : le Carnaval !!!     et par excellence, tu as raison, le Carnaval de Venise !  Ces rites païens antiques qui jouent les prolongations à l'ère chrétienne, c'est quelque chose ! ( l'un de mes sujets favoris  )    Sauf à se faire culbuter dans une plante verte par un galant très empressé, les bals de l'Opéra, même inspirés du Carnaval de Venise restaient très sages.

Rien à voir avec les Bacchanales romaines ou les Dionysies grecques  .  

Il faut reconnaître que Sophia Coppola s'en est fort bien tirée pour illustrer la frénésie d'un tourbillon enivrant de flirt,  froufrous, parfums, musique...  et là-dedans, notre Marie-Antoinette , toute follette, qui joue avec le feu. Celui qui brûle sous l'écorce de glace suédoise ( pour paraphraser la baronne de Korff ) l'embrasera bientôt.

 Pour moi, le plus beau film sur fond de Carnaval déchaîné est l'Orfeu Negro de Marcel Camus . J'adooooooore !     Je vous le recommande !
Et ne venez pas me changer le titre, sinon je me fâche  !

On reste dans la danse avec un pas de côté vers la Russie et le fameux "bal des métamorphoses". Il semble bien avoir été initié par Elizabeth Ière, fille de Pierre le Grand. L'évènement sera surtout rattaché à celle qui lui succède, Catherine II, "impératrice de toutes les Russies".

Catherine II était une forte femme (dans tous les sens du terme), née allemande, envoyée en Russie pour épouser le neveu et héritier d'Elizabeth Ière. A son arrivée, elle parle à peine russe, se nomme Sophie et devient Catherine lors de sa conversion à l'orthodoxie. Intelligente, volontaire, voire impitoyable, elle se débarrassera rapidement de son mari fantoche pour régner seule sur la Russie pendant plusieurs décennies en véritable autocrate.

Femme libre, forte, volontaire, croqueuse d'hommes, Catherine reprend vite à son compte le fameux bal des métamorphoses. De quoi s'agit-il ?
Afin de montrer que le pouvoir ne dépend pas du genre et afin de rabattre le caquet de certains grands seigneurs (qui contestaient son autorité parce qu'elle était femme), l'impératrice donnait chaque mardi un bal où les femmes devaient s'habiller en homme et les hommes en femme. La souveraine montrait elle-même l'exemple, apparaissant en uniforme, en marin, en cavalier...
Princes et seigneurs jouaient complètement le jeu. Beaucoup au départ avaient pensé prendre simplement les habits de leurs épouses mais la taille et les mesures n'allaient pas. Ils se firent alors confectionner des robes et parures sur mesure, sans oublier maquillage, bijoux et coiffures. L'inversion des rôles ne s'arrêtait pas au vêtement : les hommes adoptaient le comportement des femmes et vice-versa. Les femmes habillées en homme invitaient les hommes habillés en femme à danser et, au cours de la danse, les hommes adoptaient la gestuelle des danseuses et les femmes celle des danseurs.
Comme l'impératrice, les dames appréciaient énormément la liberté offerte par le vêtement masculin et riaient de voir généraux, maris, frères et fils, empêtrés et gênés dans leurs lourdes et imposantes toilettes de bal... L'impératrice riait aux éclats quand Potemkine se prenait les pieds dans sa robe et poussait une bordée de jurons, pas vraiment féminins...

C'est complètement fou, cette histoire, cher Calonne !   Je n'avais jamais lu cela nulle part . Et ces bals ont eu lieu pendant combien de temps ?
J'imagine ce colosse de Potemkine en jupons, en dentelles, maniant délicatement l'éventail .

Difficile à dire, il y a bien peu d'informations sur ce fameux bal des métamorphoses. On en voit un exemple dans un épisode de la série sur Catherine II dont nous avons parlé avec Helen Mirren.

Dans la Russie impériale, la saison des bals débutait à l'automne pour se tenir jusqu'au printemps et culminait pendant le carnaval. Sans doute celui des métamorphoses avait-il lieu à cette période. Après, a-t-il duré tout le règne ? Mystère.
Catherine II adorait les bals costumés, le premier de son règne a eu lieu en 1763 au Palais d'Hiver.

D'après mes dernières infos, Catherine poursuivît la tradition de ces bals inversés à partir des fêtes de son couronnement. L'idée lui plût tant qu'elle poursuivît par la suite. Celle qui avait commencé, Elizabeth Ière, aurait lancé ce type de bal pour pouvoir paraître en homme et ainsi montrer ses jambes, qu'elle avait fort belles. "Elle avait les plus belles jambes et les pieds les plus joliment modelés qu'on ait pu voir" écrivît d'ailleurs Catherine II dans ses mémoires. Elizabeth Ière s'était rendue célèbre en se déguisant en Cosaque, en charpentier ou encore en marin hollandais prénommé Mikhailova...
Toujours dans ses mémoires, Catherine II s'amuse de voir ses seigneurs haïr le fameux bal des métamorphoses car "ils se trouvaient hideux dans ces costumes". On peut les comprendre... Ce qui ne les empêchaient pas de jouer le jeu et de se faire confectionner des toilettes fastueuses adaptées à leurs mensurations, sans oublier plumes, bijoux et éventails.

Calonne a écrit: Catherine II s'amuse de voir ses seigneurs haïr le fameux bal des métamorphoses car "ils se trouvaient hideux dans ces costumes". On peut les comprendre... Ce qui ne les empêchaient pas de jouer le jeu et de se faire confectionner des toilettes fastueuses adaptées à leurs mensurations, sans oublier plumes, bijoux et éventails.

Ben tiens ! ils n'avaient pas le choix. La volonté de Catherine primait. Cette inversion des sexes était une manière pour elle de rabaisser celui dit fort et de le ridiculiser. Car ils étaient rares sans doute les gentilshommes qui portaient le costume féminin à la perfection, à s'y tromper, comme le chevalier d'Eon. D'ailleurs, nous n'en connaissons pas d'autres exemples, me semble-t-il, que d'Eon. Le cas de figure donne toujours un résultat ridicule, grotesque ou pathétique. Ces messieurs, empêtrés qu'ils étaient dans les fanfreluches, corsets, baleines, paniers, poufs branlants, avaient un petit aperçu ( symbolique ) des contraintes de la condition féminine .

Calonne a écrit:Marie-Antoinette ne fût pas le seul papillon irrésistiblement attiré par les feux du bal de l'opéra.
Tatie Wikie nous en conte de belles sur la duchesse de Berry, fille du Régent, au début du siècle :
Officiellement encore en deuil de la mort de son mari, Charles de France, Mme de Berry paraît cependant au bal de l'Opéra le 4 janvier 1716. Masquée, débordante de sensualité dans une magnifique robe à panier qui valorise sa beauté plantureuse et ses chairs éclatantes, la jeune veuve danse et se divertit sans vergogne, défiant les mœurs austères de la Cour. La Gazette de la Régence rapporte l'affront que Mme de Berry reçoit au bal de Carnaval en janvier 1717 : « Un officier ivre qui ne la connaissoit pas sous le masque, en l'abordant lui dit qu'elle avait une belle paire de tétons et demanda s'ils étoient à vendre. La princesse sur cela lui dit : - Me connois-tu bien, masque ? - Oui, je te connois. - Et qui suis-je ? - La plus grande putain de Paris. » L'impudent parvient à s'éclipser sans être inquiété. Avide de plaisirs et de représentations, la scandaleuse fille du Régent assiste chaque année aux bals de Carnaval, au mépris de toute morale. Le dimanche 19 février 1719, elle reste au bal de l'Opéra jusqu'à quatre heures du matin et s'y rend à nouveau le mardi gras (21 février).

La participation de la duchesse de Berry aux bal de l'Opéra en février 1719 est d'autant plus scandaleuse que sa grossesse avancée est connue de tout Paris et que la jeune veuve prétend cacher son état tout en s'acharnant à poursuivre sa vie de plaisirs et de représentations publiques. Elle entre en couches le 28 mars et comme le précise Saint-SImon son accouchement est très laborieux, si mal préparé par sa vie festive et ses excès alimentaires, largement arrosés d'alcools forts. On la délivre d'une fille mort-née le 2 avril, Dimanche des Rameaux! Une manière bien singulière de célébrer la Semaine Sainte pour cette princesse de sang qui depuis le début de la Régence "jouit sans entraves" tout en faisant étalage de sa piété (notamment lors de ses retraites au couvent des carmélites où elle se mortifie pendant la Carême - sans renoncer pour autant aux fêtes licencieuses) ne cessant d'alimenter ainsi la chronique scandaleuse de ses frasques. Et "la féconde Berry" n'en est pas à sa première "incartade". Son apparition au bal de l'Opéra début janvier 1716 alors qu'elle se trouve encore officiellement en deuil (et que son grand-père Louis XIV est mort le 1er septembre 1715) choque les moeurs austères de l'ancienne cour mais trois semaines après Madame de Berry garde la chambre sous prétexte d'un gros rhume et accouche d'une fille qui ne vit que trois jours! Et en 1717 après le bal de janvier où cet officier pris de boisson la "complimente" si grossièrement, la "Messaline de Berry" (comme la surnomment les chansonniers satiriques) passe le printemps et le début de l'été au château de La Muette pour y mener à terme une nouvelle grossesse ! Bref, la duchesse de Berry est une figure emblématique de la Régence, ère de jouissances et de plaisirs débridés que symbolise le bal de Opéra.

Merci, Leobauman, pour ce premier message en complément de celui de Calonne. Soyez le bienvenu dans le Forum de Marie-Antoinette.  
Cette duchesse de Berry avait une bien curieuse façon de tenir son rang... quelle joyeuse luronne !