Portraits de Madame Royale et de Louis-Joseph par E. Vigée Le Brun (1784 et 1789)
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Portraits de Madame Royale et de Louis-Joseph par E. Vigée Le Brun (1784 et 1789)
Ils sont si mignons tous deux sur ces portraits, qu'ils méritent bien un sujet...
Le site du Grand Palais proposait, à l'occasion de l'exposition Vigée Le Brun, une page internet consacrée au commentaire de cette oeuvre.
Le tableau de 1784 :
Je cite :
Alors que la comtesse d’Artois avait déjà deux fils, les ducs d’Angoulême et de Berry nés respectivement en 1775 et 1778, la naissance des Enfants de France rassura les souverains.
La venue au monde en 1778 de Marie-Thérèse-Charlotte de France (1778-1851) prouvait la fécondité du couple royal ; celle du dauphin, Louis-Joseph-Xavier François (1781-1789), donnait en 1781 un héritier au trône.
Ce double portrait, commandé par la reine, met en scène les enfants royaux, assis à terre, dans un cadre champêtre. Un nid tombé d’un arbre et encore habité par ses oisillons suscite leur intérêt.
À l’arrière-plan, le paysage, fermé à droite par un tronc d’arbre, s’ouvre à gauche sur une allée de treillage.
Le chapeau de feutre du dauphin est posé devant lui sur un bouquet de fleurs. On est loin des obligations officielles de la cour.
Cependant, le costume ne manque pas de rappeler le rang des enfants de Marie-Antoinette.
Dans son habit « à la matelote » ou « à la marinière » en satin de soie prune, le jeune dauphin arbore la croix et le cordon bleu céleste du Saint-Esprit, distinction que tout fils de France reçoit le jour de son baptême.
Abritée sous un chapeau de paille, un châle noué autour des épaules, Madame Royale est vêtue d’une robe fourreau de satin rayé, bordée de fine dentelle aux manches.
Comme l’a montré Joseph Baillio, l’artiste reprend ici la formule du double portrait d’enfants dans un paysage mise en oeuvre par François-Hubert Drouais dans les années 1760.
Le comte d’Artois et sa soeur, Madame Clotilde (château de Versailles), exécutéen 1763, constitue le modèle de notre tableau. Thème et composition sont en effet très proches.
Le comte d’Artois pose la main sur l’épaule de sa cadette, la fille de Marie-Antoinette, de même, sur celle de son jeune frère.
Les enfants, chez Drouais, jouent avec une chèvre, ici avec des oisillons. Le comte d’Artois serre une touffe d’herbe dans une main, le dauphin tient un volatile.
Mme Vigée Le Brun insiste davantage sur la relation fraternelle unissant les deux personnages.
Ainsi Madame Royale porte-t-elle sur son jeune frère un regard protecteur.
Relevons encore, avec Xavier Salmon, que l’intégration des deux enfants dans le paysage fonctionne mieux dans le tableau de Mme Vigée Le Brun que dans celui de Drouais.
Exposé au Salon de 1785, le tableau, qui portait le n° 85, reçut un accueil enthousiaste.
L’abbé Soulavie commenta : « […]la tête de Madame Royale, fille du roi, est pleine de grâce. Madame Le Brun y a puisé son savoir dans l’art des belles physionomies où elle excelle. »
Une réplique autographe, de moindres dimensions, d’après la toile de Versailles, mentionnée dans le livre de comptes de l’artiste à la date de 1789 (ancienne collection Roberto Polo, ventes à Paris, 30 mai 1988 et 7 novembre 1991), fut exécutée sans doute après la mort du dauphin qui, souffrant de rachitisme, disparut en 1789.
La réplique de 1789
Source : http://www.grandpalais.fr/fr/article/oeuvres-commentees-delisabeth-marie-therese-et-son-frere-le-dauphin#sthash.NXFBJgfC.dpuf
Si vous voulez jouer au jeu des 7 erreurs...
Le site du Grand Palais proposait, à l'occasion de l'exposition Vigée Le Brun, une page internet consacrée au commentaire de cette oeuvre.
Le tableau de 1784 :
Je cite :
Alors que la comtesse d’Artois avait déjà deux fils, les ducs d’Angoulême et de Berry nés respectivement en 1775 et 1778, la naissance des Enfants de France rassura les souverains.
La venue au monde en 1778 de Marie-Thérèse-Charlotte de France (1778-1851) prouvait la fécondité du couple royal ; celle du dauphin, Louis-Joseph-Xavier François (1781-1789), donnait en 1781 un héritier au trône.
Ce double portrait, commandé par la reine, met en scène les enfants royaux, assis à terre, dans un cadre champêtre. Un nid tombé d’un arbre et encore habité par ses oisillons suscite leur intérêt.
À l’arrière-plan, le paysage, fermé à droite par un tronc d’arbre, s’ouvre à gauche sur une allée de treillage.
Le chapeau de feutre du dauphin est posé devant lui sur un bouquet de fleurs. On est loin des obligations officielles de la cour.
Cependant, le costume ne manque pas de rappeler le rang des enfants de Marie-Antoinette.
Dans son habit « à la matelote » ou « à la marinière » en satin de soie prune, le jeune dauphin arbore la croix et le cordon bleu céleste du Saint-Esprit, distinction que tout fils de France reçoit le jour de son baptême.
Abritée sous un chapeau de paille, un châle noué autour des épaules, Madame Royale est vêtue d’une robe fourreau de satin rayé, bordée de fine dentelle aux manches.
Comme l’a montré Joseph Baillio, l’artiste reprend ici la formule du double portrait d’enfants dans un paysage mise en oeuvre par François-Hubert Drouais dans les années 1760.
Le comte d’Artois et sa soeur, Madame Clotilde (château de Versailles), exécutéen 1763, constitue le modèle de notre tableau. Thème et composition sont en effet très proches.
Le comte d’Artois pose la main sur l’épaule de sa cadette, la fille de Marie-Antoinette, de même, sur celle de son jeune frère.
Les enfants, chez Drouais, jouent avec une chèvre, ici avec des oisillons. Le comte d’Artois serre une touffe d’herbe dans une main, le dauphin tient un volatile.
Mme Vigée Le Brun insiste davantage sur la relation fraternelle unissant les deux personnages.
Ainsi Madame Royale porte-t-elle sur son jeune frère un regard protecteur.
Relevons encore, avec Xavier Salmon, que l’intégration des deux enfants dans le paysage fonctionne mieux dans le tableau de Mme Vigée Le Brun que dans celui de Drouais.
Exposé au Salon de 1785, le tableau, qui portait le n° 85, reçut un accueil enthousiaste.
L’abbé Soulavie commenta : « […]la tête de Madame Royale, fille du roi, est pleine de grâce. Madame Le Brun y a puisé son savoir dans l’art des belles physionomies où elle excelle. »
Une réplique autographe, de moindres dimensions, d’après la toile de Versailles, mentionnée dans le livre de comptes de l’artiste à la date de 1789 (ancienne collection Roberto Polo, ventes à Paris, 30 mai 1988 et 7 novembre 1991), fut exécutée sans doute après la mort du dauphin qui, souffrant de rachitisme, disparut en 1789.
La réplique de 1789
Source : http://www.grandpalais.fr/fr/article/oeuvres-commentees-delisabeth-marie-therese-et-son-frere-le-dauphin#sthash.NXFBJgfC.dpuf
Si vous voulez jouer au jeu des 7 erreurs...
Dernière édition par La nuit, la neige le Ven 04 Mai 2018, 17:38, édité 1 fois
La nuit, la neige- Messages : 18135
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: Portraits de Madame Royale et de Louis-Joseph par E. Vigée Le Brun (1784 et 1789)
La nuit, la neige a écrit:Ils sont si mignons tous deux sur ces portraits, qu'ils méritent bien un sujet...
Mme Vigée Le Brun insiste davantage sur la relation fraternelle unissant les deux personnages.
Ainsi Madame Royale porte-t-elle sur son jeune frère un regard protecteur.
... oui, protecteur et attendri ... ( Si elle savait ce qui les attend tous deux ! )
C'est une très jolie idée de sujet, en effet, cher ami !
Mme Le Brun n'excelle pas seulement à immortaliser sur ses toiles les dames qui gravitent à la Cour, elle s'impose aussi comme peintre de l'enfance, nous dit cet article :
Le Salon de 1787 fut pour Mme Vigée Le Brun non seulement celui auquel elle exposa le célèbre portrait de Marie-Antoinette et ses enfants, mais aussi celui qui lui permit d’obtenir ses lauriers comme peintre de l’enfance.
Cette année-là, elle présentait en effet trois effigies de mères accompagnées de leurs enfants, la reine, les marquises de Pezay et de Rougé, et elle-même, un portrait de garçonnet, « le petit d’Espagnac » (Londres, Wallace Collection), et deux fillettes, Caroline Lalive de La Briche et Julie Le Brun.
http://www.grandpalais.fr/fr/article/elisabeth-louise-vigee-le-brun-toute-lexpo
_________________
... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55508
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Portraits de Madame Royale et de Louis-Joseph par E. Vigée Le Brun (1784 et 1789)
Cela me rappelle la belle exposition que j'avais visitée à Marly :
Bien à vous.
L'Enfant chéri Portraits d'enfants dans la peinture de l'époque des lumières Elizabeth Vigée-Lebrun, Fragonard, Greuze… En coédition avec le Musée-promenade de Marly-le-Roi-Louvenciennes 125 ill. sont 92 pleines pages en coul. ISBN 2-910490-41-6 24,5 x 28 183 p. 2003 33,50 € | |
Sous les apparences "grand siècle" d'un catalogue d'art classique, L'Enfant chéri pose une double question de société : l'enfance, comme l'a suggéré Philippe Ariès, est-elle vraiment une invention du XVIème siècle, et l'amour parental, un phénomène culturel ? A quoi doit-on l'apparition de nombreux portraits d'enfants dans la peinture européenne de cette époque ? On n'est pas loin des débats d'aujourd'hui sur l'amour et l'instinct parentaux, sur l'importance de la mère dans le développement affectif du petit enfant. Et l'on constate que les questions posées par les philosophes des Lumières restent ouvertes. Ouvrage dirigé par Christine Kayser, conservateur du Musée-promenade. "Un nouveau regard sur l'enfance !" Les Nouvelles "Suivez l'évolution de l'art du portrait d'enfant, empreint de grâce et de légèreté." Chronique de Marly |
Bien à vous.
Invité- Invité
Re: Portraits de Madame Royale et de Louis-Joseph par E. Vigée Le Brun (1784 et 1789)
Musée-Promenade de Marly-le-Roi. – L’enfant chéri au siècle des Lumières
Louveciennes : L’Inventaire, 2003. – 183 p.
Philippe Marchand
p. 97-101
Référence(s) :
Musée-Promenade de Marly-le-Roi. – L’enfant chéri au siècle des Lumières, Louveciennes : L’Inventaire, 2003. – 183 p.
Depuis plusieurs années, l’intérêt des historiens et des historiens de l’art pour les représentations figurées, tableaux, estampes, mettant en scène les enfants est manifeste. En témoignent les nombreuses publications (cf. les ouvrages de Jeroen J. Dekker, de J.-B. Bedaux, de Mary Frances Durantini pour les Provinces-Unies, de Marie-Catherine Sahut pour la France) ainsi qu’une récente exposition dont il a été rendu compte dans une précédente livraison de la revue1. L’exposition organisée en mai-juin 2003 par le Musée – Promenade de Marly-le-Roi sous le titre L’enfant chéri au siècle des Lumières. Après l’Émile est un nouvel exemple de cet intérêt pour l’iconographie de l’enfance.
;;;;;;;;;;;;;;;;
En voici le catalogue établi sous la direction de Christine Kayser, conservateur du Musée-Promenade et commissaire général de l’exposition, assistée de Xavier Salmon et de Laurent Hugues, commissaires associés, et de nombreux autres collaborateurs mobilisés pour la rédaction des différents chapitres du catalogue et des notices des œuvres. Le catalogue offre au lecteur soixante-seize tableaux superbement reproduits en pleine page et en couleurs. Les autres œuvres (tableaux, eaux-fortes, estampes, dessins) présentées lors de l’exposition sont reprises en format plus petit, ce qui nuit parfois à leur lisibilité (cf. par exemple les deux tableaux représentant Julie Lebrun, p. 62 et p. 65, le tableau de Reynolds, Cupidon, l’enfant entremetteur, p. 153).
2Sans aller jusqu’à soutenir que l’iconographie de l’enfance est au xviiie siècle une affaire de femmes, on remarquera que l’exposition met en valeur leur rôle dans ce domaine. Sur les soixante-douze tableaux reproduits en pleine page, dix-huit sont l’œuvre de femmes. Douze sont d’Élisabeth Vigée-Lebrun.
3Les tableaux retenus dans l’exposition sont des commandes privées, s’inscrivant, qu’ils représentent ou non des aristocrates, dans le genre du portrait intime bourgeois. Un grand nombre a été exposé dans les salons, ce qui incite les auteurs du catalogue à utiliser largement les commentaires qu’en ont fait les critiques du temps. On ne trouve guère dans ces œuvres, à l’exception de l’Enfant en pénitence ou le Petit Boudeur de Lépicié (p. 88), de représentation d’enfant du « bas peuple », d’enfant au travail, comme si les peintres, en exaltant les valeurs de la famille bourgeoise et aristocratique et en cherchant à plaire à leur public et à leurs commanditaires, avaient voulu occulter, voire dans le cas de Lépicié, travestir la représentation de la souffrance de l’enfant au travail. À l’exception d’un dessin de Greuze (p. 95), La Jeunesse studieuse, on notera l’absence totale de scènes présentant d’enfant en situation d’étudier. Rien ne vient justifier l’appréciation aussi stéréotypée de l’éducation intellectuelle qu’en donne le commentaire : « L’élève studieux subit la contrainte d’une éducation sévère fondée sur la mémorisation d’œuvres ardues sous la menace de sanctions ». Écrire à la suite qu’une comparaison de cette scène avec La bonne éducation du même Greuze (p. 94) représentant une jeune fille faisant la lecture à ses parents fait « comprendre la différence existant entre l’éducation des filles et celle des garçons » relève de la fantaisie. Argument invoqué : aux pieds de la jeune fille « des pelotes de laine, un panier à tricoter confirmant les visées domestiques de l’éducation de la jeune fille ». On pourrait interpréter cette scène comme l’indice d’un changement culturel : la jeune fille ayant appris à lire alors que ses parents sont analphabètes.
4Les accessoires ludiques et les scènes de jeu sont rares comme si les enfants « chéris » ne jouaient pas. Un yo-yo (p. 138) un cerceau (p. 167), un petit tambour et un cheval à bascule (p. 158) sont les seuls jouets repérés. En revanche, les enfants sont souvent représentés avec leur animal favori dont ils semblent souvent se désintéresser totalement, l’animal n’étant qu’un élément du décor (p. 155, p. 157). Un tableau intitulé Enfants jouant avec un chien (p. 158) donne lieu à un commentaire surprenant : « Le peintre a mis dans la scène de dressage une note de cruauté qui rend compte de la réalité des méthodes d’apprentissage ».
Que faut-il comprendre ?
5Dans ses premières années, l’enfant en famille est représenté sur les genoux de la maman, prenant le sein ou blotti au creux de son épaule. Dès qu’il marche, on le montre donnant la main à la maman, à une sœur ou un frère plus âgé. Quand le père est présent, il est souvent en retrait, fixant la mère et rarement sa progéniture. Pour les auteurs de l’exposition, de telles représentations sont « la radiographie d’une évolution des idées largement inspirées par Rousseau ». Le choix de l’auteur de l’Émile dont un portrait est reproduit en frontispice du catalogue illustre la problématique de l’exposition faisant des années 1760 (1re édition de l’Émile : 1762) le point de départ d’un changement du statut de l’enfance dont la peinture rend compte.
Avant 1760, l’enfant vit peu avec sa famille. Dans la demeure familiale, il loge à l’étage avec sa gouvernante, son valet ou son précepteur. Puis vers dix ans, il quitte la demeure familiale pour passer deux ou trois ans au collège, d’où il revient pour être fiancé. Conséquence : les portraits d’enfants en compagnie de leurs parents sont une exception. Certes, des peintres représentent des enfants mais le plus souvent seuls, comme des êtres à part « à la périphérie du cercle des adultes ».
Après 1760, « sous l’effet conjugué des théories de Rousseau, d’une politique démographique nataliste et de l’insatisfaction des femmes dans leur rôle social », une nouvelle norme de la vie familiale s’établit avec une découverte des émotions propres à l’enfance. Conséquence : les portraits des parents et des enfants se développent, valorisant aux yeux du public « le rôle éminent des parents, les bienfaits de l’allaitement maternel, la nécessité et le bonheur d’élever ses enfants soi-même au lieu de les confier à des mains mercenaires… ».
On retrouve dans ces propos sur l’apparition d’un nouveau sentiment de l’enfant daté des années 1760 les présupposés fort contestables d’Élisabeth Badinter longuement citée dans le catalogue alors que d’autres travaux fondés sur l’étude des pratiques sociales et non sur l’examen d’un discours exclusivement normatif sont passés sous silence (cf. les notes infra-paginales qui ignorent les contributions de J. Gélis et de Dominique Julia à des ouvrages récents).
De la multiplication des scènes de genre représentant parents et enfants, peut-on réellement conclure à la soudaine construction d’une nouvelle norme familiale influencée par les théories rousseauistes ? Les témoignages iconographiques célébrant, par exemple, l’idéal de la mère attentive à ses enfants sont bien antérieurs à la publication de l’Émile. On peut en citer deux exemples. C’est tout d’abord la Toilette du Matin exposée au Salon de 1741, où Chardin met en scène une mère arrangeant tendrement le nœud surmontant le bonnet de sa fillette. En 1749, le même Chardin représente dans La Bonne éducation une mère assise tenant dans ses mains un gros livre, regardant droit dans les yeux sa fille âgée d’une dizaine d’années et lui faisant réciter son catéchisme. Aussi, dater « le coup d’envoi de la famille moderne fondée sur l’amour maternel » (citation d’E. Badinter, p. 26) des années 1760 est un postulat qui n’est guère recevable. Il en va de même du discours sur « la tendresse paternelle qui devient la norme » dans le dernier tiers du xviiie siècle (pp. 20-21).
Les mémoires autobiographiques et les livres de raison montrent que la tendresse n’est pas étrangère aux pères de l’époque moderne, et ce bien avant Rousseau. Sans doute s’exprime-t-elle avec une grande pudeur. L’intérêt ou l’indifférence à l’égard de l’enfant ne sont pas caractéristiques de telle ou telle période. Les deux attitudes coexistent au sein d’une même société, l’une l’emportant sur l’autre à un moment donné pour de multiples raisons qui ne sont pas toujours aisées à démêler.
6Avouons que devant toutes ces mises en scène où les mères, dans la plupart des cas – même quand elles allaitent (une seule exception le tableau p. 20) –, fixent le peintre et non l’enfant et posent, comme les pères d’ailleurs, avec une raideur, parfois hiératique, on éprouve une certaine difficulté à ressentir une réelle émotion, but pourtant recherché par les artistes si on en croit les commentaires des salons. La sensibilité est souvent absente de ces scènes familiales, encore plus dans l’iconographie des familles princières, même si dans ce domaine les peintres renoncent à la pompe louis-quatorzienne. Bien plus intéressants sur le plan de la sensibilité sont ces portraits d’adolescent(e)s où souvent, sans mise en scène, les peintres parviennent à rendre leur fraîcheur, leur naïveté et leur spontanéité.
7Un des intérêts de l’exposition et du catalogue est de nous faire sortir de l’Hexagone pour regarder du côté de l’Angleterre où les conditions sociales et intellectuelles ont très tôt favorisé l’émergence dans la peinture d’un nouveau regard sur l’enfant. On rappellera que dès la fin du xviie siècle, Van Dyck brise les stéréotypes de la représentation de l’enfant en lui donnant, qu’il appartienne ou non à la famille royale ou à l’aristocratie, un vrai naturel et une réelle nonchalance n’empêchant ni hauteur ni morgue. John Locke en 1693 recommande de ne pas emmailloter les enfants, qu’avant Rousseau, le Dr William Cadogan publie en 1748 un Essay upon Nursing and the Management of Children. Si Van Dyck apparaît comme le fondateur d’une nouvelle tradition, Gainsborough, dont le catalogue présente le superbe tableau de ses deux filles chassant le papillon (p. 148), en est l’exemple le plus remarquable. La volonté de peindre les enfants au milieu de leurs activités quotidiennes selon la technique artistique de la conversation piece nous donne des scènes pleines de grâce et de naturel, sans ce côté apprêté de certaines œuvres de l’école française.
Parallèlement à la vision positive de l’innocence et de la beauté enfantines, une vision plus pessimiste de l’enfance que les peintres anglais du xviiie siècle n’occultent pas, contrairement à leurs homologues français. Les œuvres l’illustrant ne figurent malheureusement pas dans le catalogue.
8Notre propos paraîtra sans doute bien sévère. Indiscutablement, l’idée de rassembler des images d’enfants était intéressante. Mais leur interprétation à la lumière d’une problématique fort contestable donne lieu à des propos fort réducteurs qui propose au lecteur peu informé de l’historiographie récente, une image bien stéréotypée de l’enfance au xviiie siècle. Il reste les tableaux qui nous renseignent sur la culture matérielle de l’enfance, dimension bien absente des notices qui s’attardent surtout sur l’histoire des œuvres et leur style.
Bien à vous.
Louveciennes : L’Inventaire, 2003. – 183 p.
Philippe Marchand
p. 97-101
Référence(s) :
Musée-Promenade de Marly-le-Roi. – L’enfant chéri au siècle des Lumières, Louveciennes : L’Inventaire, 2003. – 183 p.
Texte intégral
Depuis plusieurs années, l’intérêt des historiens et des historiens de l’art pour les représentations figurées, tableaux, estampes, mettant en scène les enfants est manifeste. En témoignent les nombreuses publications (cf. les ouvrages de Jeroen J. Dekker, de J.-B. Bedaux, de Mary Frances Durantini pour les Provinces-Unies, de Marie-Catherine Sahut pour la France) ainsi qu’une récente exposition dont il a été rendu compte dans une précédente livraison de la revue1. L’exposition organisée en mai-juin 2003 par le Musée – Promenade de Marly-le-Roi sous le titre L’enfant chéri au siècle des Lumières. Après l’Émile est un nouvel exemple de cet intérêt pour l’iconographie de l’enfance.
;;;;;;;;;;;;;;;;
En voici le catalogue établi sous la direction de Christine Kayser, conservateur du Musée-Promenade et commissaire général de l’exposition, assistée de Xavier Salmon et de Laurent Hugues, commissaires associés, et de nombreux autres collaborateurs mobilisés pour la rédaction des différents chapitres du catalogue et des notices des œuvres. Le catalogue offre au lecteur soixante-seize tableaux superbement reproduits en pleine page et en couleurs. Les autres œuvres (tableaux, eaux-fortes, estampes, dessins) présentées lors de l’exposition sont reprises en format plus petit, ce qui nuit parfois à leur lisibilité (cf. par exemple les deux tableaux représentant Julie Lebrun, p. 62 et p. 65, le tableau de Reynolds, Cupidon, l’enfant entremetteur, p. 153).
2Sans aller jusqu’à soutenir que l’iconographie de l’enfance est au xviiie siècle une affaire de femmes, on remarquera que l’exposition met en valeur leur rôle dans ce domaine. Sur les soixante-douze tableaux reproduits en pleine page, dix-huit sont l’œuvre de femmes. Douze sont d’Élisabeth Vigée-Lebrun.
3Les tableaux retenus dans l’exposition sont des commandes privées, s’inscrivant, qu’ils représentent ou non des aristocrates, dans le genre du portrait intime bourgeois. Un grand nombre a été exposé dans les salons, ce qui incite les auteurs du catalogue à utiliser largement les commentaires qu’en ont fait les critiques du temps. On ne trouve guère dans ces œuvres, à l’exception de l’Enfant en pénitence ou le Petit Boudeur de Lépicié (p. 88), de représentation d’enfant du « bas peuple », d’enfant au travail, comme si les peintres, en exaltant les valeurs de la famille bourgeoise et aristocratique et en cherchant à plaire à leur public et à leurs commanditaires, avaient voulu occulter, voire dans le cas de Lépicié, travestir la représentation de la souffrance de l’enfant au travail. À l’exception d’un dessin de Greuze (p. 95), La Jeunesse studieuse, on notera l’absence totale de scènes présentant d’enfant en situation d’étudier. Rien ne vient justifier l’appréciation aussi stéréotypée de l’éducation intellectuelle qu’en donne le commentaire : « L’élève studieux subit la contrainte d’une éducation sévère fondée sur la mémorisation d’œuvres ardues sous la menace de sanctions ». Écrire à la suite qu’une comparaison de cette scène avec La bonne éducation du même Greuze (p. 94) représentant une jeune fille faisant la lecture à ses parents fait « comprendre la différence existant entre l’éducation des filles et celle des garçons » relève de la fantaisie. Argument invoqué : aux pieds de la jeune fille « des pelotes de laine, un panier à tricoter confirmant les visées domestiques de l’éducation de la jeune fille ». On pourrait interpréter cette scène comme l’indice d’un changement culturel : la jeune fille ayant appris à lire alors que ses parents sont analphabètes.
4Les accessoires ludiques et les scènes de jeu sont rares comme si les enfants « chéris » ne jouaient pas. Un yo-yo (p. 138) un cerceau (p. 167), un petit tambour et un cheval à bascule (p. 158) sont les seuls jouets repérés. En revanche, les enfants sont souvent représentés avec leur animal favori dont ils semblent souvent se désintéresser totalement, l’animal n’étant qu’un élément du décor (p. 155, p. 157). Un tableau intitulé Enfants jouant avec un chien (p. 158) donne lieu à un commentaire surprenant : « Le peintre a mis dans la scène de dressage une note de cruauté qui rend compte de la réalité des méthodes d’apprentissage ».
Que faut-il comprendre ?
5Dans ses premières années, l’enfant en famille est représenté sur les genoux de la maman, prenant le sein ou blotti au creux de son épaule. Dès qu’il marche, on le montre donnant la main à la maman, à une sœur ou un frère plus âgé. Quand le père est présent, il est souvent en retrait, fixant la mère et rarement sa progéniture. Pour les auteurs de l’exposition, de telles représentations sont « la radiographie d’une évolution des idées largement inspirées par Rousseau ». Le choix de l’auteur de l’Émile dont un portrait est reproduit en frontispice du catalogue illustre la problématique de l’exposition faisant des années 1760 (1re édition de l’Émile : 1762) le point de départ d’un changement du statut de l’enfance dont la peinture rend compte.
Avant 1760, l’enfant vit peu avec sa famille. Dans la demeure familiale, il loge à l’étage avec sa gouvernante, son valet ou son précepteur. Puis vers dix ans, il quitte la demeure familiale pour passer deux ou trois ans au collège, d’où il revient pour être fiancé. Conséquence : les portraits d’enfants en compagnie de leurs parents sont une exception. Certes, des peintres représentent des enfants mais le plus souvent seuls, comme des êtres à part « à la périphérie du cercle des adultes ».
Après 1760, « sous l’effet conjugué des théories de Rousseau, d’une politique démographique nataliste et de l’insatisfaction des femmes dans leur rôle social », une nouvelle norme de la vie familiale s’établit avec une découverte des émotions propres à l’enfance. Conséquence : les portraits des parents et des enfants se développent, valorisant aux yeux du public « le rôle éminent des parents, les bienfaits de l’allaitement maternel, la nécessité et le bonheur d’élever ses enfants soi-même au lieu de les confier à des mains mercenaires… ».
On retrouve dans ces propos sur l’apparition d’un nouveau sentiment de l’enfant daté des années 1760 les présupposés fort contestables d’Élisabeth Badinter longuement citée dans le catalogue alors que d’autres travaux fondés sur l’étude des pratiques sociales et non sur l’examen d’un discours exclusivement normatif sont passés sous silence (cf. les notes infra-paginales qui ignorent les contributions de J. Gélis et de Dominique Julia à des ouvrages récents).
De la multiplication des scènes de genre représentant parents et enfants, peut-on réellement conclure à la soudaine construction d’une nouvelle norme familiale influencée par les théories rousseauistes ? Les témoignages iconographiques célébrant, par exemple, l’idéal de la mère attentive à ses enfants sont bien antérieurs à la publication de l’Émile. On peut en citer deux exemples. C’est tout d’abord la Toilette du Matin exposée au Salon de 1741, où Chardin met en scène une mère arrangeant tendrement le nœud surmontant le bonnet de sa fillette. En 1749, le même Chardin représente dans La Bonne éducation une mère assise tenant dans ses mains un gros livre, regardant droit dans les yeux sa fille âgée d’une dizaine d’années et lui faisant réciter son catéchisme. Aussi, dater « le coup d’envoi de la famille moderne fondée sur l’amour maternel » (citation d’E. Badinter, p. 26) des années 1760 est un postulat qui n’est guère recevable. Il en va de même du discours sur « la tendresse paternelle qui devient la norme » dans le dernier tiers du xviiie siècle (pp. 20-21).
Les mémoires autobiographiques et les livres de raison montrent que la tendresse n’est pas étrangère aux pères de l’époque moderne, et ce bien avant Rousseau. Sans doute s’exprime-t-elle avec une grande pudeur. L’intérêt ou l’indifférence à l’égard de l’enfant ne sont pas caractéristiques de telle ou telle période. Les deux attitudes coexistent au sein d’une même société, l’une l’emportant sur l’autre à un moment donné pour de multiples raisons qui ne sont pas toujours aisées à démêler.
6Avouons que devant toutes ces mises en scène où les mères, dans la plupart des cas – même quand elles allaitent (une seule exception le tableau p. 20) –, fixent le peintre et non l’enfant et posent, comme les pères d’ailleurs, avec une raideur, parfois hiératique, on éprouve une certaine difficulté à ressentir une réelle émotion, but pourtant recherché par les artistes si on en croit les commentaires des salons. La sensibilité est souvent absente de ces scènes familiales, encore plus dans l’iconographie des familles princières, même si dans ce domaine les peintres renoncent à la pompe louis-quatorzienne. Bien plus intéressants sur le plan de la sensibilité sont ces portraits d’adolescent(e)s où souvent, sans mise en scène, les peintres parviennent à rendre leur fraîcheur, leur naïveté et leur spontanéité.
7Un des intérêts de l’exposition et du catalogue est de nous faire sortir de l’Hexagone pour regarder du côté de l’Angleterre où les conditions sociales et intellectuelles ont très tôt favorisé l’émergence dans la peinture d’un nouveau regard sur l’enfant. On rappellera que dès la fin du xviie siècle, Van Dyck brise les stéréotypes de la représentation de l’enfant en lui donnant, qu’il appartienne ou non à la famille royale ou à l’aristocratie, un vrai naturel et une réelle nonchalance n’empêchant ni hauteur ni morgue. John Locke en 1693 recommande de ne pas emmailloter les enfants, qu’avant Rousseau, le Dr William Cadogan publie en 1748 un Essay upon Nursing and the Management of Children. Si Van Dyck apparaît comme le fondateur d’une nouvelle tradition, Gainsborough, dont le catalogue présente le superbe tableau de ses deux filles chassant le papillon (p. 148), en est l’exemple le plus remarquable. La volonté de peindre les enfants au milieu de leurs activités quotidiennes selon la technique artistique de la conversation piece nous donne des scènes pleines de grâce et de naturel, sans ce côté apprêté de certaines œuvres de l’école française.
Parallèlement à la vision positive de l’innocence et de la beauté enfantines, une vision plus pessimiste de l’enfance que les peintres anglais du xviiie siècle n’occultent pas, contrairement à leurs homologues français. Les œuvres l’illustrant ne figurent malheureusement pas dans le catalogue.
8Notre propos paraîtra sans doute bien sévère. Indiscutablement, l’idée de rassembler des images d’enfants était intéressante. Mais leur interprétation à la lumière d’une problématique fort contestable donne lieu à des propos fort réducteurs qui propose au lecteur peu informé de l’historiographie récente, une image bien stéréotypée de l’enfance au xviiie siècle. Il reste les tableaux qui nous renseignent sur la culture matérielle de l’enfance, dimension bien absente des notices qui s’attardent surtout sur l’histoire des œuvres et leur style.
Bien à vous.
Invité- Invité
Re: Portraits de Madame Royale et de Louis-Joseph par E. Vigée Le Brun (1784 et 1789)
Majesté a écrit:
Notre propos paraîtra sans doute bien sévère.
... euh ! oui, en effet ...
_________________
... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55508
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Portraits de Madame Royale et de Louis-Joseph par E. Vigée Le Brun (1784 et 1789)
Je poste ces images ici plutôt que dans celui consacré à la biographie de Louis-Joseph.
Même si la plaque du cadre annonce Louis (XVII), ce portrait s'inspire de ceux d'Elisabeth Vigée Le Brun présentés précédemment, où nous retrouvons cet adorable visage de Louis-Joseph.
Sur cette autre version en noir et blanc, au cadrage moins resserré, et que nous avions déjà présentée dans le forum, nous distinguons la décoration que le dauphin porte épinglée.
J'ignore laquelle est-ce ?
Même si la plaque du cadre annonce Louis (XVII), ce portrait s'inspire de ceux d'Elisabeth Vigée Le Brun présentés précédemment, où nous retrouvons cet adorable visage de Louis-Joseph.
Sur cette autre version en noir et blanc, au cadrage moins resserré, et que nous avions déjà présentée dans le forum, nous distinguons la décoration que le dauphin porte épinglée.
J'ignore laquelle est-ce ?
La nuit, la neige- Messages : 18135
Date d'inscription : 21/12/2013
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