Philippe-François-Joseph Le Bas

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Message par Maximilien Dim 18 Sep 2016, 14:32

Surnommé le Suicidé de Thermidor par un historien, il est né le 4 novembre 1764 à Frévent dans le Pas-de-Calais d'un père administrateur des biens du prince de Rache, il suivit des études au collège de Montaigu à Paris, avant de sortir comme clerc d'un procureur au parlement de Paris. Il obtient sa licence de droit le 3 avril 1789 et retourne s'établir comme avocat chez lui.
Il se fait connaître lors de sa défense d'un vieux maréchal de cavalerie, Nicolas Berceau, accusé faussement d'insubordination. Philippe parvint à obtenir l'acquitement de Berceau et sa réintégration, mais les officiers de son régiment firent subir nombre de vexations au vieil officier, ce qui ammena Philippe (qui avait terminé son travail d'avocat) à écrire au ministre de la guerre d'alors :

Monsieur,
Nicolas Berceau, maréchal des logis au 8e régiment de cavalerie (ci-devant des cuirassiers), après avoir servi vingt-cinq ans avec honneur et s'être distingué par son patriotisme, notamment en juin 1791, a été renvoyé avec une cartouche pure et simple, sous prétexte qu'il s'était rendu coupable d'insubordination le 14 juillet suivant.
Déterminé à périr plutôt que de vivre déshonoré, il a voulu être jugé. Il s'est de lui-même rendu en prison ; il a été unanimement déclaré innocent. C'était une conséquence du jugement de la Cour Martiale qu'il rentrât au corps, et qu'il y jouît de tous les avantages dont il aurait joui s'il n'avait pas été accusé. Le roi l'a ainsi ordonné, et vous avez, monsieur, transmis des ordres à M. de Caulaincourt à Arras. M. de Caulaincourt les a transmis à M. de Pully, nouveau colonel du 8e, régiment de cavalerie.
Et cependant M. de Pully refuse de recevoir Berceau ; il ne peut, dit-il, déplacer personne pour un homme qui s'est fait renvoyer. Des ordres itératifs de M. de Caulaincourt n'ont pas obtenu plus d'obéissance. Ainsi gémit, depuis plus de huit mois, un vieux et brave militaire privé de tout, tandis qu'un sieur Aldeborth, son dénonciateur, ci devant maréchal des logis au même régiment, est officier dans la garde du roi, qu'un sieur Darthaud, son autre dénonciateur, ci-devant lieutenant au même régiment, absent, vient d'y être fait capitaine, qu'enfin un sieur Degras, ci-devant lieutenant-colonel au même régiment, celui-là même qui a.chassé Berceau ; est maintenant colonel commandant d'un autre corps.
J'ai été, monsieur, le défenseur de Berceau à la Cour Martiale. La loi m'offre différents moyens de le défendre encore : j'ai cru que le meilleur était de dénoncer à un ministre patriote des faits qui n'ont pas besoin de commentaires. Je ne demande pas la punition des coupables, mais au moins que Berceau cesse d'être si cruellement opprimé, qu'il soit convenablement placé dans un autre corps, puisque tant de persécutions semblent l'attendre encore dans le sien. Je vous présent, monsieur, l'occasion d'exercer le pouvoir que vous avez de faire le bien. Je ne crois pas devoir vous presser de la saisir. LE BAS.
Saint-Pol, ce 16 avril 1792.
Philippe obtient justice pour Berceau, et son succès lui créa une renommée locale importante qui amena cet avocat à être choisi comme membre par le directoire de son département.
Philippe sera plus tard élu député à la Convention Nationale, lors du procès de Louis XVI il votera la mort, contre l'appel au peuple et contre le sursis. A Paris il se liera avec Robespierre et deviendra membre du club des Jacobins.

A une date incertaine(sans doute le 23 avril 1793) Philippe rencontra Élisabeth Duplay, fille cadette de la famille qui hébergeait alors Robespierre. Il semble qu'il y ait eut un coup de foudre entre Philippe et Élisabeth, mais une longue maladie de Philippe les sépara pendant de longues semaines.
Leurs retrouvailles se passèrent suivant Élisabeth dans la cour du couvent des Jacobins :
Ce fut après deux mois d'absence que je revis mon bien aimé. Ma mère, étant, un jour, allée dîner à la campagne avec Robespierre, nous avait laissées à la maison, ma sœur Victoire et moi, en nous recommandant d'aller lui retenir des places aux Jacobins, pour la séance du soir, où l'on pensait que Robespierre parlerait (les jours où l'on devait l'entendre, il y avait toujours une si grande affluence que l'on était forcé de retenir une si grande affluence que l'on était forcé de retenir des places à l'avance). J'y allai et j'arrivai de bonne heure, afin de ne pas en manquer.
Quelles furent ma surprise et ma joie quand j'aperçus mon bien-aimé ! Son absence m'avait fait verser des larmes. Quel fut mon bonheur, lorsque je le reconnus !
Je le trouvais bien changé ; lui me reconnut tout de suite et s'approcha de moi avec respect. Il me demanda de mes nouvelles et de celles de toute ma famille, ainsi que celles de Robespierre, qu'il n'avait pas vu depuis longtemps, et pour lequel il avait beaucoup d'amitié. Enfin, après un silence de plusieurs minutes, qu'il rompit le premier, il me fit beaucoup de questions et chercha à m'éprouver.
Il me demanda si je ne devais pas bientôt me marier, si j'aimais quelqu'un, si la toilette et les plaisirs étaient de mon goût, et si, mariée et devenue mère, j'aimerais à nourrir mes enfants.
Je lui répondis que je suivrais l'exemple de ma bonne mère et lui demanderais toujours conseil.
Alors, il me dit que,sachant que j'étais très bonne, il voulait me prier de lui chercher une femme très gaie, aimant les plaisirs et la toilette et ne tenant pas à nourrir elle-même ses enfants, que cela la rendrait trop esclave et la priverait des plaisirs qu'une jeune femme doit aimer.
Dieu ! Que ce langage me fit mal de sa part ! Quoi ! Me dis-je, voilà donc la manière de penser d'un homme que je croyais si raisonnable et si vertueux !
Je voulus alors m'éloigner ; mais il me pria de rester, disant qu'il avait encore à me parler ; je lui dis que s'il n'avait pas autre chose à me demander, je désirais me retirer, que sa manière de voir étant très différente de la mienne, je ne pouvais accepter la commission qu'il voulait me donner de lui chercher une femme. Je le priai de charger une autre personne de ce soin.
Je devins sérieuse ; car jamais je n'avais éprouvé tant de chagrin : il m'était pénible de découvrir de tels sentiments chez un homme que j'adorais en secret, que je croyais si bien sous tous les rapports. J'avoue que, l'ayant vu si plein de respect et d'attentions pour moi toutes les fois que je l'avais rencontré, me trouvant avec Charlotte, et que la persistance qu'il avait mise à garder ma bague et à ne pas reprendre sa lorgnette qui avait été un précieux souvenir pour moi pendant sa maladie, j'avoue que tout cela m'avait fait penser qu'il y avait entre nous un peu de sympathie. Mes illusions se trouvaient donc détruites.
Aussi cette conversation fit sur moi une telle impression que je fus près de me trouver mal. Je me disais : « Mon Dieu ! Combien j'ai été imprudente de penser à lui ! Combien j'aurais à rougir, ma mère, si vous connaissiez ma faiblesse ! Combien je mériterais d'être grondée par vous ! Mais que votre fille était malheureuse ! J'aimais et je voulais vous le cacher. »
Je vis bien alors ma faute, et je voulus à l'instant m'éloigner de lui ; mais il fit beaucoup d'insistances pour me faire rester, et s'aperçut du mal qu'il m'avait fait. Il me dit : « Bonne Élisabeth, je vous ai fait bien de la peine, mais pardonnez-le moi. Oui je vous l'avoue, je voulais connaître votre manière de penser. Eh bien ! Celle que je vous priais de me chercher, ma chère Élisabeth, c'est vous ; oui mon amie, c'est vous que je chéris depuis le jour où je vis pour la première fois. Je l'ai donc trouvée, celle que je cherchais tant ! Oui, mon Élisabeth, si tu veux, je demanderai ce soir ta main à tes parents ; je les prierai de faire tout de suite notre bonheur. » Il me prit alors les mains et me dit : « Mais tu ne réponds pas ? Est-ce que tu n'éprouves pas pour moi ce que je sens pour toi ? »
J'étais tellement saisie de joie que je ne pouvais lui répondre ; je croyais rêver. Il tenait toujours ma main et me priait de lui répondre. Dieu ! Que j'étais heureuse ! Je lui dis alors que si mes parents consentaient à notre union je serais heureuse.
Il me pressa les mains tendrement et me dit : « Moi aussi je t'aime ; ne crains rien ; tu as affaire à un homme de bien. » — « Moi aussi, Philippe, je vous aime depuis le jour où je vous vis à la Convention avec Charlotte, à cette séance du soir... J'ai encore votre lorgnette. » — « Et moi, dit-il, j'ai ta bague ; elle ne m'a pas quittée depuis le jours où je suis tombé malade et où je ne te revis plus. Mon Dieu ! Que j'ai souffert, pendant si longtemps, privé de tes chères nouvelles ! Ne pouvant plus espérer te revoir quelquefois avec Mlle Charlotte, toutes ces pensées étaient loin d'avancer ma guérison. Dix fois par jour, je t'écrivais, mais je n'osais te faire parvenir mes lettres, dans la crainte de t'attirer du chagrin, bonne Élisabeth. Plusieurs amis vinrent me voir, mais personne ne me parlait de toi ; juge de ma douleur ! Enfin Robespierre vint un jour ; c'était le seul homme de qui j'eusse pu avoir de tes nouvelles ; mais combien j'étais malheureux ! Je ne savais comment m'y prendre pour lui en demander. Enfin, il me vint à la pensée de lui parler de ses hôtes ; il me fit le plus grand éloge de toute la famille, me parla du bonheur qu'il avait d'être chez des gens si purs, si dévoués pour la liberté. Je savais déjà cela par plusieurs de mes amis ; mais, mon Élisabeth, il ne me parla pas de toi. Mon Dieu ! Que j'ai souffert pendant plusieurs jours. Ce temps fut bien long... Robespierre le jeune vint enfin me voir. Quelle joie pour moi ! J'étais plus familier avec lui : nous étions du même âge. Nous parlâmes de son frère. Enfin, je n'y pus plus tenir; je lui parlai de ta famille, de tes sœurs ; je lui parlai de toi, mon Élisabeth. Il me fit ton éloge, me dit qu'il avait pour toi l'amitié d'un frère, que tu étais gaie, bonne, que c'était toi qu'il aimait le plus, que ta bonne mère était excellente, qu'elle vous avait bien élevées, en femmes de ménage, que votre intérieur était parfait et rappelait l'âge d'or, que tout y respirait la vertu et un pur patriotisme, que ton bon père était le plus digne et le plus généreux des hommes, que toute sa vie s'écoulait dans le bien. Il me dit que son frère se trouvait bien heureux d'être chez vous, que vous étiez pour lui sa famille, qu'il vous aimait comme des sœurs et regardait ton père et ta mère comme ses propres parents. Si tu savais, mon Élisabeth, combien j'étais heureux d'entendre parler ainsi d'une famille que j'honorais déjà, et que sa conduite envers Robespierre, envers l'ami de la liberté, m'avait fait connaître et estimer ! Je faisait des vœux pour le rétablissement de ma santé, afin de pouvoir te rencontrer comme autrefois avec Charlotte...
(Manuscrit de la Veuve Le Bas).
Toutefois la mère d’Élisabeth n'était pas partisane de ce mariage, elle voulait marier d'abord ses filles aînées et trouvait Élisabeth trop jeune pour se marier, mais comme le raconte Élisabeth dans son manuscrit, Robespierre intervint auprès des parents Duplay et plaida la cause des deux amoureux si bien que le mariage fut accordé.

Malheureusement, avant que le mariage ait pu être célébrer, un décret de la Convention Nationale du 2 août 1793 envoya Philippe et son cousin Duquesnoy pour remettre de l'ordre à l'armée du Nord. Dès leur arrivée, Philippe fit une déclaration solennelle aux troupes :

J'ai souvent entendu des officiers accuser le soldat d'indiscipline, de négligence et de lâcheté. La source de ces désordres n'existe que dans la mauvaise conduite de quelques officiers.
J'ai visité les camps, les cantonnements, les postes, les avant-postes ; j'ai assisté à plusieurs affaires : partout je me suis convaincu de ce que j'avance.
Si j'ai vu des soldats mal tenus, mal instruits, des postes endormis, des armes jetées à terre sans être sous le manteau, j'ai vu aussi des officiers, les uns plongés dans l'ivresse, les autres absents du camp et abandonnant absolument leurs subordonnés à eux-mêmes. Faut·il s'étonner, d'après un pareil ordre de choses ; de tant de surprises où les soldats de la République ont été forcés de prendre honteusement la fuite ? Et n'est-il pas révoltant d'entendre des officiers qui n'ont pas osé regarder l'ennemi en face, rejeter un revers sur de braves gens dont ils n'ont pas su guider le courage.
Des abus aussi condamnables ne peuvent être tolérés, et un représentant du peuple doit employer tout le pouvoir dont il est revêtu pour les réprimer.
Je déclare donc que je ne balancerai pas à suspendre et à livrer à toute la rigueur des lois tout chef qui ne surveillera pas la troupe qui lui est confiée, qui sera trouvé ivre hors de son service, qui s'absentera du camp ou de son poste sans une permission motivée de son supérieur, visée du général.
Invariablement attaché aux principes de l'égalité, je ne ferai aucune distinction de grade, et le général sera soumis à la loi, aussi bien que le dernier soldat de l'armée.
Conformément à la déclaration de Philippe, deux généraux furent mis aux arrêts.

(à suivre si cela vous intéresse)
Maximilien
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Message par Maximilien Lun 19 Sep 2016, 00:40

Plusieurs lettres de Philippe à Elisabeth datant de la mission du député à l'armée du Nord ont été conservées(elles sont aux archives nationales, la famille le Bas à un fond d'archive dédié) :

Cambrai, 4 août (1793)
Nous sommes arrivés hier ici, ma chère Élisabeth, bien fatigués. Je crois que nous n'y resterons pas long-temps, et nous nous hâterons d'aller du côté de Bergues. J'espère que mon séjour dans ce pays ne sera pas de longue durée. Tu ne dois pas douter de mon empressement à te rejoindre et à mettre le sceau à une union à laquelle j'attache le bonheur de ma vie. Surtout prends bien soin de ta santé. Mille amitiés à toute la famille; dis à Robespierre que, tout en enrageant contre lui, je suis un de ses meilleurs amis. Je t'embrasse. - Lebas.


Cassel, 6 août (1793)
Je n'ai pas eu le temps, ma chère et tendre amie, de t'écrire hier, et je n'ai aujourd'hui que trè-peu de loisir. Nous avons beaucoup travaillé, et il me paraît que nous aurons encore beaucoup à faire pour remplir l'objet de notre mission. J'ai néanmoins l'espoir d'être libre vers le 10 de ce mois. Oh ! Qu'il sera doux pour moi le moment où je te reverrai ! Que l'absence est cruelle, quand on aime comme moi ! Mon père n'ira sûrement pas à Paris avant mon retour, et je compte l'emmener avec moi lorsque cette époque sera arrivée. Je dois aller demain à Dunkerque. Adresse-moi tes lettres ici. Mille amitiés à ta famille que je regarde aussi comme la mienne. Je suis pour la vie ton fidèle ami. - Lebas
Duquesnoy te fait ses complimens.

Cassel, 9 août (1793)
Voilà bientôt huit jours que je suis loin de toi, mon Élisabeth. Tu as sûrement reçu les lettres que je t'ai écrites; et moi, m'as-tu laissé dans l'oubli ? Tous les jours j'espère voir une lettre de toi; tous les jours, jusqu'à présent, mon attente a été trompée. N'être pas avec toi, ne pas recevoir de tes nouvelles, est une situation que je ne puis supporter. Je suis accablé d'affaires. Il fallait, j'en conviens, dans ce pays des commissaires vrais patriotes. Nous avons fait arrêter deux généraux, Omoran et Richardot. Nous envoyons des officiers au tribunal révolutionnaire, et nous ne cessons de prendre tous les jours les mesures de prudence et de sévérité que commandent les circonstances. Mais un député aussi ferme que moi, secondé par Duquesnoy qui, pour une pareille mission, a un talent que je ne lui connaissais pas, aurait parfaitement rempli le but que se propose Robespierre; et moi, en rendant à Paris tous les services dont je suis capable, je jouirais du bonheur d'être avec toi, ma chère...
Nous serons unis maintenant. Dis à Robespierre que ma santé ne peut se prêter long-temps au rude métier que je fais ici; dis-luique plusieurs de mes collègues sont autant et plus en état que moi de s'acquitter des devoirs que j'y remplis. Deux de mes frères sont arrivés aujourd’hui; c'est une petite consolation. Mon père doit m'écrire incessamment, et je suis persuadé que je l'emmènerai avec moi à Paris. Écris-moi donc, ma chère Élisabeth, tous les jours; tu me l'as promis. Souffrirais-tu de t'acquitter de cette promesse ? Ah ! S'il était possible ! Mais, non, tu n'as pas cessé de m'aimer, comme je n'ai pas cessé, comme je ne cesserai jamais d'être ton tendre et fidèleami. - LeBas.
Mille amitiés chez toi.

Arras, 13 août 1793, an 2 de la République.
J'étais depuis huit jours à Cassel dans une mortelle inquiétude, ma chère Élisabeth. Tous les jours j'attendais et j'attendais vainement de tes nouvelles; l'ennui, la tristesse me dévoraient. Des affaires imprévues, l'envie de savoir l'état de nos armées du côté de Cambrai, m'ont amené aujourd’hui avec Duquesnoy a Arras. On m'y a remis deux paquets; ils renfermaient des lettres de mon père, une de ta soeur, ma bonne amie Victoire, et deux lettres de mon Élisabeth. Juge de ma joie, de mon ravissement ! Je les ai lues, je les ai relues; je viens de les lire encore, ces deux lettres. Oh ! Quel bien elles ont fait à mon pauvre coeur ! Que je bénie, mon aimable amie, le jour, l'heureux jour où j'eus la douceur d'apprendre que ton ame si sensible, si tendre, partageait les sentimens que tu m'avais inspirés ! Pourquoi faut-il qu'à l'instant où j'allais unir ma destinée à la tienne, nous nous soyons vus si cruellement séparés ? Il m'est impossible de me rappeler sans douleur le moment qui recula celui que je voyais si prochain, après lequel je soupirais. Tu te plains du laconisme de la lettre que je t'ai écrite à Cambrai; à peine ai-je pu trouver un instant pour te tracer quelques lignes, et je n'aurais pas fini si j'avais entrepris de t'exprimer tout ce que je ressentais. Tu dois avoir reçu depuis deux autres lettres datées de Cassel; je t'y engageais à m'écrire dans cette ville. Je vais y retourner demain et y rester habituellement jusqu'au jour fortuné où je retournerai près de toi. Quand viendra-t-il ce jour ? Je sens que la présence de deux députés vraiment patriotes est nécessaire dans les lieux où je reste, mais je suis très-éloigné de penser qu'il soit difficile de donner à Duquesnoy  un collègue qui me remplace. Il suffit de lui adjoindre un homme d'un caractère ferme, tel que Hentz. D'ailleurs les principales mesures ont été prises au moyen de l'arrestation d'Omoran, de Richardot, de plusieurs officiers royalistes, d'une assez grande quantité de personnes suspectes et de la tradition de deux capitaines au tribunal révolutionnaire. Les généraux Bartel et Ernouf n'étant plus désormais contrariés par des généraux perfides et trouvant un anoni certain dans deux députés bien intentionnés, peuvent servir très-utilement la République.  Je n'aperçois donc aucun inconvénient à ce qu'on me rappelle promptement. Je ne dois pas te cacher d'ailleurs que ma santé souffre un peu de la vie extrêmement fatigante et agitée que je mène, et que j'ai commencée dans ma convalescence. J'avais besoin de quelque repos, et je ne m'imagine pas qu'on puisse m'en vouloir de m'en souvenir aujourd’hui que les motifs qui m'ont déterminé à l'oublier n'existent plus. J'ai eu la satisfaction de rencontrer ici mon père; il a compati à mes souffrances, ce bon père. Sans te connaître, et sur mon récit, il a conçu pour toi une amitié qui ne s'affaiblira sûrement pas quand il te connaîtra. Il ne peut absolument venir à Paris, et tu as dû voir les obstacles qui s'opposent à ce que mes frères y viennent. Mais cela n'empêchera pas, ne retardera pas notre union, puisque mon père, qui ne peut en être témoin, m'invite à la conclure, et envisage comme un jour de fête celui où il pourra t'embrasser comme l'épouse de son fils.
Que de choses n'aurais-je pas à te dire, ma chère Élisabeth ! Mais je n'ai pu de toute la journée t'écrire; et il est une heure du matin; je suis accablé de fatigue. Victoire me pardonnera si je ne lui écris point séparément. Elle n'aime pas un ingrat; je lui suis aussi très-attaché. Quand au reste de la famille, je la regarde comme la mienne. Tes père et mère sont pour moi à jamais des objets de respect et de tendresse. Embrasse-les pour moi, chère Élisabeth, et fais en sorte que je puisse bientôt te revoir. Mon idée, dis-tu, ne te quitte pas. Eh bien ! De mon côté, il en est de même. Je ne puis cesser de s'occuper de toi. Bonsoir, ma chère amie, je vais me coucher et songer encore à toi pendant mon sommeil. - Lebas.
P. S. Ce que tu me dis de ta santé est loin de me tranquilliser. Prends le plus grand soin de cette santé qui m'est si précieuse.

Hazebrouck, 16 août (1793)
Je profite, ma chère Élisabeth, d'un moment de loisir pour m'entretenir un peu avec toi. Je compte arriver ce soir à Cassel, et être assez heureux pour y trouver une lettre de toi. Je compte arriver ce soir à Cassel, et être assez heureux pour y trouver une lettre de toi. Une lettre de toi ! ... C'est sans doute une grande consolation, mais ce n'est pas toi; rien ne peut te suppléer, et je sens à chaque instant que tu me manques. Tu m'as parler du jardin; tu m'as demandé si je m'en souvenais. Pourrais-je l'oublier, ma chère Élisabeth ? Oh non ! Tous les lieux où j'ai pu librement causer avec toi, t'exprimer ma tendresse et m'entendre dire par toi-même que tu m'aimais,mon imagination ne casse de les revoir, de s'y reposer. Lorsque notre voiture nous conduit, et que mon collègue fatigué, ou cesse de parler ou s'endort, moi je songe à toi; si je m'endors aussi, je pense encore à toi. Toute autre idée, lorsque les affaires publiques ne m'occupent plus, m'est importune. Duquesnoy m'est devenu plus cher, depuis qu'il m'a questionné sur toi, et qu'il m'a fourni l'occasion de lui peindre mon amour. Ma chère Élisabeth, ô toi,qu'il m'a fallu abandonner au moment où je croyais m'unir pour jamais à toi, toi qu'il m'a fallu quitter pour entreprendre un voyage pénible et triste, quand te reverrai-je ? Maintenant que ma présence n'est plus à beaucoup près aussi nécessaire, Couthon n'aura-t-il pas assez d'égards pour son jeune collègue, Robespierre ne considérera-t-il pas que j'ai assez fait pour chercher à abréger le terme de mon sacrifice ? Certes, de tous ceux que j'ai faits à la patrie, aucun ne m'a coûté auant que celui qui me priva du bonheur d'être à toi aussitôt que je le désirais. Une chose surtout augmente mon impatience de te rejoindre. Je crains que tu ne négliges trop ta santé. Ma chère Élisabeth, prends bien soin de ta santé, je t'en conjure; que je puisse bientôt t'embrasser bien portante. Si d'ici à huit jours au plus tard je ne suis pas rappelé, il est certain que je saurai trouver un moyen d'aller à Paris, et, quand j'y serai, il faudra bien qu'on se détermine à me remplacer. Chacun son tour.Je reverrai Ernouf aujourd’hui, à ce que j'espère. Depuis mon arrivée à Cassel, je ne l'ai guère vu, parce qu'il a fallu qu'il accompagnât le général Barthel à Cambrai, d'où il n'est de retour que depuis peu de jours. Celui-là m'aurait encore parlé de toi; il te connaît, et il sait combien un tel sujet m'est agréable. Occupe-toi toujours, ma chère Élisabeth, de l'arrangement de notre habitation.Quelle joie, quand nous y serons ! J'ai écrit hier à la hâte à Robespierre. Je n'ai pu lui dire qu'une partie de ce que je voulais qu'il sût. Le temps m'a manqué; c'est ce qui m'arrive souvent. Il paraît que ma prédiction sur e comité de salut public s'accomplit. J'en suis fâché, mais on aura encore longtemps raison en présumant mal du commun des hommes en place.Je finis à regret, ma tendre amie. Embrasse pour moi tes père et mère. Dis-leur que je les aime, que je es aimerai toujours de même. Embrasse aussi Victoire et le reste de la famille. Ne m'oublie pas auprès de la citoyenne Chalabre, de Calandini, de Robespierre, que je haïrais, si je pouvais haïr un aussi bon patriote. Je t'embrasse de tout mon coeur. - Lebas.

Cassel, 19 août (1793)
Ma chère Élisabeth, j'ai reçu plusieurs lettres de toi. Le sentiment qu'elles m'ont fait éprouver a été mêlé de douleur et de plaisir. Elles ont redoublé mon impatience de revoler vers toi. Puisque l'on ne me rapelle pas, je vais prendre, de concert avec Duquesnoy, un arrêté pour me rendre à Paris,où je compte arriver à la fin de la semaine. Fais tout préparer pour notre mariage. Peut-être après un court séjour faudra-t-il que je reparte. Mais au moins nous nous arrangerons de manière à n'être plus éloignés l'un de l'autre. Je n'ai que le temps de t'écrire ce peu de mots. Mille embrassades à toute la chère famille et à nos amis communs. Tout à toi, ma chère et tendre amie. - Lebas.

Le 21 août, Philippe était rappelé à Paris par la convention, et le 29 du même mois fut célébré son mariage à la commune. Parmi les témoins du couple figura Jacques-Louis David, le célèbre peintre. Le mariage a été célébré à la commune par Jacques-René Hébert, révolutionnaire bien connu pour ses positions.
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Message par Mme de Sabran Ven 24 Mar 2017, 10:30

Autour de Robespierre Le conventionnel Le Bas
d'après des documents inédits et les mémoires de sa veuve.

Préface de Victorien Sardou
DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE
PARIS
ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR
26, RUE RACINE, PRÈS L'ODÉONA MARIE-AIMB'E'
ET A MARCELLE COUTANT-LE BAS


A vous, mes enfants, je dédie ce livre, consacré à' la mémoire de votre aïeul, le conventionnel Le Bas, et à celle de ses proches.
J'ai commencé à l'écrire en vous regardant jouer, l'été dernier; pendant notre séjour à Yport. - Souvent, à la tombée de la nuit, nous apercevions de joyeux pêcheurs, à la trogne énergique et tannée, aux oreilles percées d'un anneau d'or, appuyés sur le garde-fou de la jetée, ils regardaient au loin, très loin, et semblaient voir, avec le soleil, là-bas, s'enfuir dans la mer immense le souvenir de leurs jeunes ans, les ans de force, les ans robustes. Et leurs regards exprimaient une indicible tristesse.  Ces vieux-là dataient de 1830, pour le moins. Et pourtant mes pensées allaient plus loin que les leurs; j'étais penché, comme eux, sur une mer sans limites, merveilleuse de vie, quoique pleine de détresses : au déclin des années de la Révolution - siècles d'énergie - je voyais pâlir la flamme des grands enthousiasmes, et je me demandais avec affliction si elle n'avait point, alors, brillé pour la dernière fois sur l'univers.
Quand, plus tard, vous lirez ces pages, mes chères enfants, vous rendrez, comme moi; un hommage pieux à la vertu, au dévouement, au patriotisme exalté de vos ancêtres.


S.-P.

http://docnum.univ-lorraine.fr/pulsar/RCR_543952103_Zs706.pdf


Hum ...    c'est une façon de voir,  une subjectivité toute familiale !    Hop!

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Message par Comtesse Diane Ven 24 Mar 2017, 11:00

Mme de Sabran a écrit:


Hum ...    c'est une façon de voir,  une subjectivité toute familiale !    Hop!

J'voudrais pas dire, mais on en connaît d'autres . :Philippe-François-Joseph Le Bas 2028181902

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