Marie-Antoinette et le comte de Fersen, la correspondance secrète, d'Evelyn Farr

Oui, cher Févicq,  si tôt, et surtout de la part des élégants de Versailles, cela paraît très étonnant .    

La scène se passe lors d'un petit coucher du roi,   Louis XVI chante une chanson " grossière ".  C'est là-dessus que le baron de Frénilly fait cette réflexion .   Bien sûr il faut tenir compte qu'il écrit ses souvenirs rétrospectivement  et non pas à chaud comme le journal de Bombelles.
 Peut-être le baron anticipe-t-il cette expression de " gros cochon "  qui,  à notre connaissance,  n'apparaît d'une part qu'à la Révolution et, d'autre part, pas dans la bouche des courtisans ?

Voici l'extrait :  

J'ai été témoin de la stupeur que causa la défaite du comte de Grasse.  C'était un serrement de coeur, un chagrin universel et de là sortit spontanément une effusion de dos et d'offrandes non pas seulement des provinces, des villes, mais des moindres particuliers; il m'émut, me tira ces larmes que la sensibilité obtenait rarement de moi . Quel beau germe, quelle féconde semence que la Révolution vint épuiser et stériliser pour jamais !  C'est que Paris ne suivait que ses propres impulsions et, depuis Louis XIV, n'en recevait aucune de la Cour.  La vertu, la piété, la bonté étaient sur le trône sans doute, mais non la force, l'éclat, le jugement, l'esprit, même le goût, le tact et la mesure.  Comment la paix fut-elle connue à Paris ?  A toute heure on attendait la nouvelle; à Versailles, chacun avait un courrier prêt, des chevaux scellés.   Rien ne transpirait cependant . Le petit coucher fut le révélateur ...

En tout cas, c’est une facette peu connue de Louis XVI qui apparaît là : il pouvait donc se montrer plutôt drôle et sans façon, du moins dans sa jeunesse...
On avait, ailleurs, déjà évoqué ses blagues de potache...

... oui, ses blagues de potaches comme en raconte le prince de Ligne notamment .

Les élégants de Versailles sont certainement les " petits maîtres " poudrés à frimas qui raillent la rusticité du roi .
Ne parlons pas de Provence ...
Et reconnaissons que Marie-Antoinette se le permettait elle-même, quand elle écrivait à Rosenberg ne pas vouloir être Vénus auprès de Vulcain.

Merci, chère Eléonore... Bien sûr j'ai vu ces miniatures à Löfstad, plusieurs fois. C'est le seul double portrait de Marie-Antoinette et son tendre ami... Réunis en Suède.

( détail de première importance, en effet ! )

( Evelyn Farr,  Marie-Antoinette et le comte de Fersen,  la correspondance secrète )



 ( ........ )  
Après une heure de conversation, le Roi entra et me fit l'honneur de me dire qu'il voulait me voir avant mon départ en particulier, et me confirmer ce que la Reine m'aurait dit.  Il ajouta qu'à Petersbourg et à Stockholm on paraissait désirer qu'il pût sortir de Paris, mais qu'il n'en entrevoyait pas la possibilité ni ce qu'il pourrait devenir, si ce n'est de jouer le rôle d'un prétendant .


La source de cette lettre de l'ambassadeur russe en France, Simolin, a été parfois contestée parce qu'elle figure dans le recueil du célèbre faussaire Feuillet de Conches.
Or si Feuillet de Conches a dans sa musette quelques fruits de son imagination, c'est au milieu d'une foultitude de lettres authentiques .
Celle-ci, par exemple !

Ainsi donc,  Simolin aurait écrit, le 31 janvier, à l'impératrice Catherine , avoir vu la reine, aux Tuileries, seul à seule ?!

Eh bien oui !  
C'est Marie-Antoinette elle-même qui le confirme.  
Elle écrit le lendemain, le 1er février 1792, à Catherine :

Ayant eu occasion de voir M. Simolin seule chez moi, j'ai cru devoir l'instruire que j'ai déjà écrit une fois à V.M.  J'espère qu'elle ne désapprouvera pas cette confidence de ma part .

( Recueil de la correspondance de Marie-Antoinette de Mme Evelyne Lever,   page 763 )

Ce comte de Simolin, d'après Maxime de la Rocheterie, ministre de Russie à Paris depuis 1784, après le départ de Mercy l'avait en partie remplacé dans la confiance de Marie-Antoinette .

Nous n'avons du reste pas ( encore  )  de sujet dévolu à Ivan Matvéévitch Simoline !  ( en français Jean de Simolin )
  Il va falloir y remédier !  D'autant qu'il était un intime de Fersen, Craufurd et Eléonore Sullivan , et un intermédiaire entre Fersen et Marie-Antoinette .

Mme de Sabran a écrit:
Ainsi donc,  Simolin aurait écrit, le 31 janvier, à l'impératrice Catherine , avoir vu la reine, aux Tuileries, seul à seule ?!
Eh bien oui !  
C'est Marie-Antoinette elle-même qui le confirme.  
Elle écrit le lendemain, le 1er février 1792,  à Catherine :

Ayant eu occasion de voir M. Simolin seule chez moi, j'ai cru devoir l'instruire que j'ai déjà écrit une fois à V.M.  J'espère qu'elle ne désapprouvera pas cette confidence de ma part .

( Recueil de la correspondance de Marie-Antoinette de Mme Evelyne Lever,   page 763 )

Cette histoire que certain(e)s se racontent, selon laquelle Marie-Antoinette n'était jamais seule est une vraie légende.
Bravo pour avoir retrouvé ces deux lettres.
Feuillet de Conches n'a pas publié que des faux. Son recueil de correspondance mêle vraies et fausses lettres . Les fausses lettres sont souvent faciles à identifier, par leur ton singulier.

Duc d'Ostrogothie a écrit:
Cette histoire que certain(e)s se racontent, selon laquelle Marie-Antoinette n'était jamais seule est une vraie légende.
.

Mais il est bien normal qu'elle se perpétue puisqu'elle est l'argument phare contre une éventuelle intimité entre Fersen et Marie-Antoinette .

Bien sûr. Ce qui est piquant, c'est de constater à quel point certaines personnes sous-estiment l'audace de Marie-Antoinette, qui était très réelle. Elle en a donné beaucoup de preuves, dans tous les domaines.

Note bien,  comme l'écrit Simolin à Catherine, que Marie-Antoinette ferme la porte à clef sur eux, puis ne consent à laisser entrer Louis XVI qu'au bout de une heure d'entretien privé avec Simolin .

Et oui.. clairement, Louis XVI n'était pas du type à pouvoir imposer quoique ce soit à sa femme, et encore moins du genre à lui empêcher de prendre un amant.

Simolin donne à Marie-Antoinette des nouvelles de Fersen, c'est certain . Selon Herman Lindqvist, Fersen et Simolin étaient très proches. Selon Kermina, c'est même Simolin qui avait présenté Fersen à Craufurd.
Peut-être Simolin a-t-il une commission à porter à Marie-Antoinette de la part de Fersen ?

Je commence à comprendre un peu mieux pourquoi tout le monde dans les cours étrangères connaissait la nature de la liaison de Marie-Antoinette et Fersen : elle n'était entourée que d'étrangers qui savaient tout .

Maxime de la Rochetterie sent bien qu'il y a anguille sous roche.
Ainsi, dans sa biographie de Marie-Antoinette écrit-il que Marie-Antoinette reçoit Simolin en présence de Louis XVI et ferme la porte à clef sur eux trois, au lieu d'écrire ce qui est : Marie-Antoinette ferme la porte à clef sur Simolin et elle. Louis XVI ne paraît qu'au bout d'une heure.
C'est curieux tout de même de raconter les faits autrement que comme ils se sont passés !
Je vais tâcher de retrouver l'extrait .

Mme de Sabran a écrit: 
C'est curieux tout de même de raconter les faits autrement que comme ils se sont passés !  
.

... ça me rappelle quelques personnes .

Ben oui, n'est-ce pas, c'est un monde !  


J'ai retrouvé la citation de M. de la Rocheterie que je te propose de comparer aux écrits de Simolin et Marie-Antoinette eux-mêmes.
Je rappelle que Simolin écrit à Catherine II :

  Le même soir du dimanche, la reine me fit parvenir, par un de ses secrétaires qui possède sa confiance, avis que le lendemain à six heures du soir, Elle me ferait chercher par le même confident  ( Goguelat )  pour m'introduire chez Elle en frac et en surtout. Sa Majesté me reçut dans sa chambre à coucher et après avoir fermé Elle-même la porte extérieure au verrou, Elle me dit  ( ......... )  Après une heure de conversation, le Roi entra et me fit l'honneur de me dire qu'il voulait me voir avant mon départ en particulier, et me confirmer ce que la Reine m'aurait dit.  Il ajouta qu'à Petersbourg et à Stockholm on paraissait désirer qu'il pût sortir de Paris, mais qu'il n'en entrevoyait pas la possibilité ni ce qu'il pourrait devenir, si ce n'est de jouer le rôle d'un prétendant .

Marie-Antoinette confirme.  
le 1er février 1792,  à Catherine II :

Ayant eu occasion de voir M. Simolin seule chez moi, j'ai cru devoir l'instruire que j'ai déjà écrit une fois à V.M.  J'espère qu'elle ne désapprouvera pas cette confidence de ma part .
( Recueil de la correspondance de Marie-Antoinette de Mme Evelyne Lever,   page 763 )

Or Maxime de la Rocheterie écrit ...  

Simolin devait prendre un congé de quelques semaines. La Reine le fit prier de passer chez elle, le reçut sans cérémonial, en frac et en surtout, dans sa chambre, où bientôt le Roi vint la rejoindre;  et là, après avoir soigneusement  poussé le verrou de la porte, lui ouvrit son âme tout entière,  se répandit en témoignages de reconnaissance pour la Csarine, mais ne dissimula pas son mécontentement  de la conduite de l'Empereur .....

Ici nous voyons Marie-Antoinette attendre Louis XVI pour pousser le verrou sur eux trois.  

Que dis-tu de cela, mon cher duc ?     Ce n'est pas du tout pareil .   Les faits, donc l'Histoire, sont biaisés .
Comment s'étonner ensuite que l'on nous dise sans sourciller que Marie-Antoinette n'était jamais seule : les faits les plus clairs sont ainsi retranscrits avec des modifications tellement légères et subtiles qu'elles passent inaperçues quand on n'a pas les témoignages originaux sous les yeux !  Et l'on prend pour argent comptant que, eh bien oui, la reine ne pouvait jamais s'isoler de son service, des dames de sa Maison, etc ... etc ...

Je rappelle notre sujet sur le moyen que Marie-Antoinette avait fait installer à Versailles et Trianon afin de s'enfermer dans sa chambre à son gré  :
https://marie-antoinette.forumactif.org/t2410-amenagements-pour-visites-privees-au-chateau-de-versailles

Mme de Sabran a écrit:Simolin donne à Marie-Antoinette des nouvelles de Fersen, c'est certain .   Selon Herman Lindqvist, Fersen et Simolin étaient très proches.  Selon Kermina, c'est même Simolin qui avait présenté Fersen à Craufurd.  
Peut-être Simolin a-t-il une commission à porter à Marie-Antoinette de la part de Fersen  ?

Je ne croyais pas si bien dire, mon cher duc , vois plutôt :
https://marie-antoinette.forumactif.org/t4429-ambassadeur-de-russie-en-france-le-baron-de-simolin#139379

Mathieu da Vinha, Directeur scientifique du centre de recherche du château de Versailles, confirme dans son dernier livre (paru le mois dernier) que Axel Fersen logeait dans les cabinets intérieurs de Marie-Antoinette au château de Versailles, ainsi que Marguerite Jallut l'avait déjà découvert dans les années 70.

Il cite également les travaux d'Evelyn Farr au sujet des divers logements d'Axel Fersen à Versailles :  

En ce qui concerne le recueil de lettres de Feuillet de Conches, il y en a beaucoup de lettres de Marie-Antoinette qui sont tout à fait authentiques... Car j'ai tenu entre mes propres mains les originaux. Ce qui est difficile pour les chercheurs, surtout, est sa méthode assez bizarre de les organiser.

Aux archives des Habsbourg à Vienne, par exemple, il y a beaucoup de lettres de la reine au comte de Mercy, à son frère etc, qui portent en crayon les mots "copie envoyée à M. Feuillet de Conche". Et je constate que les transcriptions reproduites par Feuillet de Conches sont fidèles.

Hello Lady Bess ! Les lettres publiées par Feuillet de Conches sont pour la plupart authentiques en effet... ce qui peut rendre quelque peu délicat, l'identification de celles qui sont fausses. Mais en réalité, on les repère très rapidement, à leur style maladroit, à leur contenu un peu "nunuche". Marie-Antoinette s'exprimait clairement et simplement. Elle ne pleurait pas sur son sort. Elle n'en appelait pas au "bon dieu", elle ne "philosophait" pas sur le "bon peuple" de France etc... toutes ces niaiseries trahissent le faussaire du XIXème siècle.

Pour la petite histoire, Feuillet de Conches a fabriqué des fausses lettres pour pouvoir les échanger avec des lettres authentiques. Il a ensuite publié le tout. C'est d'une grande perversité...

Lady Bess a écrit:

Aux archives des Habsbourg à Vienne, par exemple, il y a beaucoup de lettres de la reine au comte de Mercy, à son frère etc, qui portent en crayon les mots "copie envoyée à M. Feuillet de Conche". Et je constate que les transcriptions reproduites par Feuillet de Conches sont fidèles.

Très intéressant, merci, chère Lady Bess !

Je suis d'accord avec Notre Grâce sur la nunucherie qui trahit Feuillet de Conches.
Il se croit obligé d'en faire des tonnes, comme si Marie-Antoinette avait besoin de cela !

Dans le cadre de la nouvelle exposition d'art contemporain à Versailles, l'artiste néerlandaise Viviane Sassen a choisi de regarder Versailles par le prisme d’Eros et Thanatos. Elle a plongé dans l’histoire des lieux, la documentation, les secrets  , et notamment en réalisant une photographie énorme extraite de la correspondance codée entre Marie-Antoinette et Fersen  ...

https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/chateau-de-versailles/martin-parr-nan-goldin-eric-poitevin-cinq-photographes-se-confrontent-au-mythe-de-versailles_3458263.html



Dans le livre d'Evelyn Farr, j'ai retrouvé l'extrait de la lettre en question.

 franceinfo : culture
-  une lettre de Marie-Antoinette à son amant imprimée sur fond rose Barbie

Eh non !  Il s'agit là de la fin d'une lettre de  Fersen à Marie-Antoinette.  
Il écrit, de Bruxelles, le 12 octobre 1791 :

 "  Répondez-moi au plus tôt .
Adieu, ma chère et tendre amie, jamais je ne cesserai de vous adorer.  ( scrupuleusement caviardé )
Je n'ai pas encore eu le temps de déchiffrer la vôtre du vingt-cinq. Le chevalier de Coigny vous dira ce que je pense sur vos affaires. Il est bien mais il aime un peu Calonne . "

Le livre d'Evelyn figure toujours en très bonne position dans les rayons de la librairie du château de Versailles :



Je sens que ça ne va pas plaire à tout le monde.

Je note par contre le présence d’une édition vintage des mémoires de Tilly, le Mercure de France ayant changé leur format et leur couverture depuis plus de 20 ans déjà

Duc d'Ostrogothie a écrit:
Le livre d'Evelyn figure toujours en très bonne position dans les rayons de la librairie du château de Versailles :

C'est bien normal : il est devenu une référence incontournable.
Et puis, Viviane Sassen lui fait une pub d'enfer au Grand Trianon !!!
( voir plus haut )