Les services en porcelaine de Sèvres à décors révolutionnaires (durant la Révolution française)

Difficile d'obtenir des informations concernant la Manufacture de Sèvres durant la Révolution française...
L'histoire de la célèbre et vénérable manufacture telle que présentée sur le site officiel de la Cité de la céramique Sèvres & Limoges, Manufacture et Musées est tout simplement...affligeante !

Voir ici : https://www.sevresciteceramique.fr/timelinesevres.html

Bref, passons !  

Je présente donc ici un étonnant service en porcelaine de Sèvres, prochainement présenté en vente aux enchères, et qui témoigne des tentatives de la Manufacture (anciennement royale) de coller à l'air du temps.

Son ancienne clientèle ayant fui la France (au mieux), il fallait bien tenter de séduire les nouveaux commanditaires potentiels avec une production plus "adaptée"?
Du reste, dès la chute de la monarchie, les administrateurs et décorateurs de la Manufacture devaient se plier aux demandes du nouveau régime en place...


- SÈVRES
XVIIIème siècle, période révolutionnaire, 1793.
Gobelet litron de la deuxième grandeur et sa soucoupe en porcelaine dure à décor polychrome révolutionnaire et maçonnique sur le gobelet d'un bonnet phrygien sur un fond rayonnant or, et au centre de la soucoupe d'un triangle et fil de plomb dans un entourage de semis de coquelicots et bleuets.
Marqués : Sèvres RF, lettre-date QQ sur le gobelet pour 1793, marque de peintre de Jeanne Buteux et du doreur Vandé.
H. 6,6 cm, D. 13,8 cm.
Restaurations à la soucoupe, petite usure sur le bonnet phrygien.


Image : Pescheteau-Badin SVV

* Source et informations complémentaires : Pescheteau Badin - Vente de céramiques européennes (20 mars 2019)


De la même collection, très "Bleu, blanc, rouge" :


Sèvres, période révolutionnaire, fin du XVIIIe siècle, année 1793.
Gobelet litron et sa soucoupe à décor révolutionnaire au centre de la soucoupe d’un triangle
de maçon et sur le gobelet d’un bonnet phrygien (effacé) dans un entourage de coquelicots
et bleuets ; éclats à la base du gobelet, le bonnet phrygien délibérément effacé.
Marqués : Sèvres R.F. QQ pour 1793.
H. 6,5 D. 13,5 cm
Source : Daguerre


Je recopie ici la présentation d'un autre objet, décoré d'attributs révolutionnaires, précédemment passé en vente aux enchères (Sotheby's Londres, 2008).
La note au catalogue (en anglais, désolé), rédigée alors par l'expert en céramiques anciennes, Cyrille Froissart, nous apporte quelques informations.
Je le cite (extraits) :

- A two-handled green-ground Sèvres (gobelet anse étrusque et sa soucoupe), dated 1793
Painted by Jacques François Louis de Laroche, with revolutionary attributes to one side, reserves of flower bouquets to the other, the saucer painted with four reserves with attributes and bouquets of flowers, within a blue, white and red-line border.
Sèvres R.F. mark in blue, letter-date QQ, painter’s mark h, gilder’s mark v.d. for Pierre Jean Baptist Vandé fils and I.N in purple for Jean Chauvaux le jeune
8cm., 3¼in.


Photo : Sotheby's / Cyrille Froissart

Catalogue Note / Sèvres during the Revolution

(...)
Time would become difficult for the factory, loosing its wealthy clientele. The factory never closed its doors but the workers were either not paid in full or not at all.
The factory remained the property of the King until the foundation of the Republic in August 1792 when it came under the control of the Ministère des Contributions Publiques.

In 1793, the Ministre de L’intérieur, Dominique-Joseph Garat ordered the destruction of the molds and models related to the Royal family.
(J'y reviendrai  )

The director of the factory, Antoine Régnier, dispatched seven workers who spent one day smashing the stock with royal connections. The interlaced L’s mark was replaced with an RF mark for République Française, alone or with the word Sevres.

During this dismal period the factory was used to spread the political revolutionary propaganda.
New models of biscuit group were designed by Boizot.
No more l’Education de l’Amour, one of the most charming groups by Falconet but l’Education du Citoyen, La France gardant sa Constitution, La Liberté et l’Egalité.
Charles-Nicolas Dodin painted also republican allegories during this period.

The Musée des Arts decoratifs in Paris has two gobelets litron with beau bleu grounds entitled l’Egalité and la Liberté, painted in 1793.
The Musee Carnavalet in Paris has two vases dated 1794 representing La Force guidee par la Raison and La France gardant la Constitution.

As can be seen on our two Gobelets à anses étrusques, a shape created by Boizot for Marie Antoinette’s dairy at Rambouillet, revolutionary emblems became part of the painters’ repertoire.
Our examples both bear the new tricolor painted on flag and ribbons. The cap of liberty - bonnet phrygien -inspired by the hat worn by the freed Roman slaves is found together with the Roman bundle of fasces and the freemasonry equilateral triangle, symbol of equality and reconstruction.

* Source texte : http://www.cyrillefroissart.com/fr/fiche.php3?id_article=2126

Et voici l'archive de la lettre évoquée, du ministre de l'intérieur au Directeur de la Manufacture de Sèvres qui se prend une volée de bois vert concernant la destruction effective des "décors" de l'Ancien Régime :


Lettre du 9 août 1793 du Ministre de l'Intérieur (Dominique Joseph Garat) au Directeur de la Manufacture nationale de Sèvres
Photo : Sèvres - Cité de la céramique



D'autres exemples de services en porcelaine de Sèvres, tout aussi inspirés...

- Sèvres
Période révolutionnaire, XVIIIe siècle, 1794
Tasses à thé et soucoupes, décor polychrome et or de motifs révolutionnaires dans des médaillons (bonnet phrygien, faisceaux etc.) se détachant sur le fond bleu céleste orné de motifs or.
Les bords sont ornés d'une guirlande de feuilles de laurier entrelacées d'un ruban bleu, blanc, rouge.
Marque «R-F» utilisée par la manufacture de Sèvres entre 1793 et 1797.


Photo : Fraysse



Lettre-date «RR» pour l'année 1794 (l'an II du calendrier révolutionnaire).
Marque du peintre et doreur Jean Chauvaux, et la marque du peintre Guillaume Buteux. Fin du XVIIIe siècle.
Diamètre de la soucoupe: 12,9 cm - Hauteur de la tasse: 4,6 cm Légère égrenure.
Jean Chauvaux, peintre et doreur, actif à la manufacture de Sèvres entre 1764 et 1800.
Guillaume Buteux, peintre de fleurs, actif à la manufacture de Sèvres entre 1782 et 1794.


Photo : Fraysse


Photo : Fraysse

Note au catalogue (extrait) :

L'usage du thé apparaît en France vers 1770. Dès cette date, la manufacture de Sèvres créa les premières formes de tasses à thé qui ne semblent pas être différenciées par le nom des formes. La forme des tasses présentées semble être d'usage dès 1772.
On rencontre différentes typologies décoratives sur ce type de tasses mais le décor révolutionnaire paraît être le plus fréquent.


Photo : Fraysse

Les archives de la Cité de la céramique de Sèvres conservent les modèles dessinés des attributs révolutionnaires créés par Pithou le jeune (Sèvres, Cité de la Céramique, archives, armoire R-XIII, dossier 4).

Photo : Fraysse


- Sèvres
Période révolutionnaire, XVIIIe siècle
Tasse à thé et sa soucoupe, décor polychrome et or de motifs révolutionnaires dans des médaillons ovales et ronds (bonnet phrygien, drapeaux, faisceaux) se détachant sur un fond vert.
Les bords sont ornés d’une guirlande, de roses et bleuets dans des réserves sur un fond jaune.
Marque de la manufacture de Sèvres utilisée entre 1793 et 1797.
Marque du peintre et doreur Charles-Nicolas Buteux fils aîné, et du peintre et doreur Jean Chauvaux. Fin du XVIIIe siècle.
Diamètre de la soucoupe: 13,4 cm – Hauteur de la tasse: 8,4 cm Charles-Nicolas Buteux fils aîné, peintre de fleurs et doreur, actif à la manufacture entre 1763 et 1801.
Jean Chauvaux, peintre et doreur, actif à la manufacture de Sèvres entre 1764 et 1800.


Photo : Fraysse


- Sèvres
Période révolutionnaire, XVIIIe siècle
Tasse à thé et sa soucoupe, décor polychrome et or de motifs révolutionnaires fleuris (bonnet phrygien, drapeaux, faisceaux) dans des médaillons à fond brun se détachant sur un fond vert.
Les bords sont ornés de guirlandes de feuilles de laurier entrelacées de rubans bleu, blanc, rouge sur fond pointillé rose.
Marque de la manufacture de Sèvres utilisée entre 1793 et 1797.
Marque du peintre et doreur Charles-Nicolas Buteux fils aîné, et du peintre et doreur Jean Chauvaux. Fin du XVIIIe siècle.
Diamètre de la soucoupe: 13,3 cm – Hauteur de la tasse: 8,4 cm


Photo : Fraysse



* Source et infos complémentaires : Fraysse


- Sèvres
XVIIIe siècle, époque révolutionnaire, année 1793.
Gobelet et sa soucoupe en porcelaine dure à décor polychrome et or d’attributs révolutionnaires et maçonniques : faisceau de licteur, bonnet phrygien, constitution, triangle et trophée militaire, les bords décorés de guirlande de coquelicots.
Marqués en bleu : Sevres RF QQ pour 1793.
H 6,5 × Ø 14,5 cm (Petite fêlure au gobelet, l’anse restaurée)


Image : Piasa / Cyrille Froissart


- Sèvres
XVIIIe siècle, époque révolutionnaire, vers 1795
Assiette en porcelaine tendre à décor polychrome révolutionnaire au centre d’une cocarde tricolore cernée d’une guirlande de feuillage et sur l’aile de guirlandes et filets tricolores.
Marquée : Sevres en bleu.
Ø 23 cm


Image : Piasa / Cyrille Froissart


De rares services donc, qu'il doit être intéressant de collectionner...

Je trouve que les peintres manquaient d'inspirations pour leurs décors, je les trouve tristes et ennuyeux. Très bling-bling quant aux couleurs, et la fantaisie et la légèreté sont mises à l'index.

Cela fait illustrations de propagande .

C'est à dire que j'ai illustré ce sujet de services avec des décors dits, et typiquement, révolutionnaires.
A la même époque, il y avait encore toutefois des décors à fleurs, avec des bestioles, ou bien néo-classiques.

Ce très rare exemplaire sera l'un des lots phares qui seront présentés en vente aux enchères, par la maison Rouillac, ce 4 octobre prochain, à l'occasion de la " 32ème vente garden party "...

Je cite l'intéressante présentation au catalogue (extraits) :

La tasse de Lumière
Rare et importante TASSE « LITRON » et sa SOUCOUPE,
Première grandeur, en porcelaine tendre, à fond beau bleu sur lequel se détache un très riche décor de quatre médaillons ovales ornés de symboles révolutionnaires et maçonniques (faisceau de licteur, bonnet phrygien, niveau) cernés de filets or, de frises de perles, et de frises feuillagées stylisées or.
Sur la partie inférieure de la tasse, une frise de laurier est placée entre deux frises de perles et filets or. Sur le bord supérieur de la tasse, un ruban tricolore se détache sur un fond hachuré.
Le très riche décor de la tasse se retrouve sur la sous-tasse avec des symboles différents : piques croisées, livre de sciences ouvert avec une pique, œil, et miroir réfléchissant.
Sèvres, 1794
Marque : RF Sèvres
Marque du peintre Guillaume Noël (actif à la manufacture de Sèvres entre 1755 et 1804)
Marque 2000 en or du doreur Henry François Vincent dit le jeune (actif entre 1753 et 1806)
Haut. 6,8 cm ; Diam. sous-tasse : 13,5 cm
Excellent état de conservation et très belle qualité.

Image : Rouillac

Autres modèles :
- Modèle très proche conservé au musée Carnavalet, Paris. C’est à partir de cet exemplaire que la manufacture Raynaud et Cie à Limoges a réalisé une réédition commémorative, la “Tasse de Lumière”, sous le patronage des Amis du musée Carnavalet.
- Une tasse “litron” et sa soucoupe à fond beau bleu, troisième grandeur, réalisées en 1794, sont conservées au musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, Russie (inv. N°3F 20569 ; entrée en 1918, ancienne collection A.S. D Dolgorukov de Petrograd.)
(...)

Sèvres pendant la Révolution

Symbole par excellence de l’Ancien Régime la manufacture royale de porcelaine perd sa prestigieuse clientèle pendant la Révolution. Cependant, la manufacture ne ferme jamais ses portes, mais ses ouvriers sont partiellement rémunérés ou non.
La manufacture reste la propriété du roi jusqu’à la fondation de la République en août 1792 et est placée sous le contrôle du Ministère des Contributions Publiques.

En 1793, le ministre de l’Intérieur, Dominique-Joseph Garat ordonne la destruction des moules et modèles reliés à la famille royale.
Le directeur Antoine Régnier fait changer la marque : les lettres entrelacées sont remplacées par les initiales « R.F. » de la République Française et « Sèvres » est alors inscrit en toutes lettres.
La production est fortement ralentie.

Image : Rouillac

Est lancée à partir de 1793 une production restreinte de pièces ornées de symboles révolutionnaires et maçonniques.

La richesse du décor et certains des ornements de notre tasse, comme les frises de perles, évoquent directement les prestigieux services royaux « riches en couleur et riches en or » réalisés en 1784 ; le premier offert par le roi Louis XVI au roi de Suède Gustave III, le second réalisé pour la reine Marie-Antoinette.


Image : Rouillac

Image : Rouillac

Une iconographie exceptionnelle

Notre tasse se distingue par la grande qualité du décor et sa riche iconographie révolutionnaire et maçonnique : le laurier de la gloire, le faisceau de licteur représente l’union et la force des citoyens français, le bonnet phrygien incarne la liberté, le niveau avec un fil à plomb symbolisant le renouveau, l’œil de la Providence, le livre de science sauvegardé par la pique ; le miroir emblème de la connaissance de soi et les piques croisées.
La plupart des symboles sont empruntés à la franc-maçonnerie, société secrète introduite en France par les Anglais en 1725.
Sans être anticatholique, elle critique toutes les religions et la philosophie des « lumières ». N’oublions pas que « Liberté – fraternité – égalité » avant de devenir une devise républicaine était déjà au début du XVIIIe la règle des francs-maçons. »


Images : Rouillac

Un Mystérieux acquéreur

Le 14 thermidor an II (1er août 1794), le peinte Noël et le doreur Vincent livrent : “4 gobelets litrons de 2(eme) g(randeur) beau bleu, frize et allégories”.
Notre tasse faisait très vraisemblablement partie de cette livraison.

Si les archives de la manufacture de porcelaine de Sèvres ne permettent pas d’identifier l’acquéreur, l’opulence du décor et l’iconographie de notre tasse indiquent que le récipiendaire de ces objets d’une insigne rareté ne pouvait s’agir que d’un révolutionnaire ardent et d’un franc-maçon engagé. La tradition suggère un personnage aussi important que Jean-Jacques Régis de Cambacérès (1753-1824).

Image : Rouillac

La ‘Tasse de Lumière’ une reproduction commémorative réalisée à Limoges

On y joint une reproduction en porcelaine dure de Limoges éditée pour la commémoration du Bicentenaire de la Révolution française.
Commémorations Limited a chargé André Raynaud, maître porcelainier de Limoges, de réaliser la reproduction scrupuleuse dans le moindre détail sous le haut patronage des Amis du musée Carnavalet avec l’accord de la Manufacture de Sèvres.
(...)

Le 1er floréal An II (20 avril 1794), au plus fort de la Terreur révolutionnaire, la Manufacture de Sèvres confia au peintre Guillaume Noël de « 4 gobelets et soucoupes, 2e grandeur, frise allégorique ». On convint du prix, soit 48 livres, somme considérable pour l’époque. Huit mois plus tard, fin frimaire An III, le registre des travaux porte la mention : « rendu 4 tasses peintes en allégories très riches et dorées ».
Ainsi naquit la « Tasse de Lumière ».

* Source et infos complémentaires : Rouillac - 32ème vente Garden party, 4 octobre 2020



Et voici un ensemble réédité à Limoges, en 1989, par la manufacture Raynaud & Cie ; et d'après la commande du musée Carnavalet, seul possesseur, alors, d'un exemplaire d'origine connu.



Ré-édition de la tasse de lumière, fabriquée par Raynaud & Cie à Limoges, attributs républicains et franc-maçonniques sur fond bleu de Sèvres
Source et infos complémentaires : PerfumeShopAntiques.com

Excellent pour faire fuir la riche clientèle étrangère de la manufacture !

Les régimes passent, l'Art reste !

D'accord avec vous, cher Pilayrou : si révolutionnaire et maçonnique qu'elle soit, cette porcelaine n'en est pas moins vraiment splendide !

Je proteste que c'est beaucoup trop beau pour des sans-culottes !

Mon point de vue n'est nullement artistique bien évidemment.  Commercial seulement.

Oui, bien sûr !
Quel révolutionnaire était donc nanti comme un aristo pour pouvoir s'offrir pareille vaisselle ?!

A noter que la manufacture continue de produire des services aux décors "classiques" durant la Révolution.
Certains sont mêmes très peu...révolutionnaires !  

Cup and Saucer
Sèvres Porcelain Manufactory
Soft-paste porcelain
1793
Image : 2020 The Clark Art Institute

Cet ensemble est daté 1793, et il encore marqué selon l’ancienne méthode historique de la fabrique, avec le lettres PP pour 1793


Image : 2020 The Clark Art Institute

Mais à l'été de la même année, la marque de la première république R-F apparaît. C'est celle que nous voyons sur le modèle que j'ai présenté précédemment.


Image : Pinterest

La nuit, la neige a écrit:
The factory remained the property of the King until the foundation of the Republic in August 1792 when it came under the control of the Ministère des Contributions Publiques.

In 1793, the Ministre de L’intérieur, Dominique-Joseph Garat ordered the destruction of the molds and models related to the Royal family.

The director of the factory, Antoine Régnier, dispatched seven workers who spent one day smashing the stock with royal connections. The interlaced L’s mark was replaced with an RF mark for République Française, alone or with the word Sevres.
(....)

Et voici l'archive de la lettre évoquée, du ministre de l'intérieur au Directeur de la Manufacture de Sèvres qui se prend une volée de bois vert concernant la destruction effective des "décors" de l'Ancien Régime :


Lettre du 9 août 1793 du Ministre de l'Intérieur (Dominique Joseph Garat) au Directeur de la Manufacture nationale de Sèvres
Photo : Sèvres - Cité de la céramique

Les exemplaires aux décors "révolutionnaires" sont d'autant plus rares que les commanditaires étaient en effet peu nombreux et que la manufacture tournait au ralenti durant cette période.
Enfin, j'imagine que les services de ce genre furent peu conservés : l'empire venant, puis la Restauration, ils ne devaient plus être très nombreux ceux qui souhaitaient " sortir " ces services pour leurs invités...

Cup (gobelet litron) and saucer (soucoupe)
Sèvres Porcelain Manufactury
Soft paste porcelain
1794
Image : Hillwood Estate Museum & Gardens


Painted and Gilded Cup and saucer (Gobelet 'litron' et soucoupe)
Jean-Jacques Pierre (born 1745 - 1746), Painter
Henry (-François) Vincent (1733 - 1809), Gilder
Sèvres, France c. 1794
Soft-paste porcelain
Image : Wallace Collection

Encore un modèle rare, que même les experts de cette vente aux enchères ont du mal à situer et interpréter...

Gobelet litron et sa sous-tasse (2e grandeur) en porcelaine dure de Sèvres de la fin du XVIIIe siècle
Marques en mauve sous le gobelet le 14. 8.bre 1787 / la révolution de paris / S'est faite / de puis le 12 juillet / jusqu'au 17 du dit. De / l'année 1789 et sous la sous-tasse le 14 8.bre 1787 / le 6 8.bre 1789 le Roy, la Raine. / M.r et M.r le Dauphin . ce / rendirendirent a Paris. accompagné / des braves Parisiens., marques en creux
A décor polychrome et or, le gobelet des armes de France empalées d'un carquois avec des flèches et d'un cœur flammé rouge avec étoile blanche entre deux rameaux de myrte, d'une colombe et de l'inscription UNION ET LIBERTE. dans un cartouche ovale or, la sous-tasse d'un trophée avec deux colombes blanches et d'un carquois dans un médaillon avec guirlande de myrte ; se détachant sur un fond à l'imitation du tissu avec des registres de guirlandes de myrte et de fleurs roses rayonnant intercalés, guirlande de myrte entre deux filets or sur le bord, gobelet avec très petit éclat au bord restauré et petites fêlures associées, petite fêlure à la base de l'anse, les deux avec petites usures et petites retouches à l'or
D. de la sous-tasse : 13,7 cm.
H. du gobelet : 6,7 cm.


Notes :

Les inscriptions et la symbolique des décors présents sur ce gobelet restent encore à ce jour mystérieuses.



A priori à la lecture des inscriptions, ce gobelet et sa sous-tasse n'ont pas pu être décorés avant la seconde moitié de 1789. Les très longues inscriptions qui figurent tant sous le gobelet que sous la sous-tasse n'ont malheureusement pas permis d'ajouter les marques de la manufacture, ni celles des décorateurs ; seules des marques en creux, la forme typique du gobelet et la qualité des émaux utilisés permettent de confirmer qu'il s'agit bien d'une pièce produite par la manufacture de Sèvres.

Un ensemble important de «petites pièces» de ce type apparait dans les Registres des travaux des peintres et du Magasin de vente de la manufacture dans les années qui suivent ; malheureusement très souvent les informations sont trop lacunaires (décoration «souvenir») pour rapprocher cet exemplaire d'une quelconque livraison avec certitude.
Une mention qui figure dans les Registres des travaux des peintres en date du 26 juillet 1790, pourrait être rapprochée de ce gobelet : «2 gobelets litrons, 2e grandeur, décoration nationale, doreur Weydinger» (Vl'3, fol.172).

Quoiqu'il en soit, ce gobelet illustre parfaitement cette période de transition que connaît la manufacture à la fin du XVIIIe siècle, avec un décor à l'imitation du tissu, associé à un décor probablement patriotique dont le thème arrivera à son paroxysme vers 1793.

En effet, à cette date, le ministre de l'Intérieur, le comte Dominique-Joseph Garat, prend la décision et demande au directeur de la manufacture de Sèvres, Antoine Régnier, de...

« faire disparaître totalement dans un établissement devenu national tout ce qui peut rappeler le souvenir de la royauté et les emblêmes de l'orgueil Despotique... la marque... doit être remplacée par une marque... qui ne blesse plus les regards de L'homme devenu Libre et constate la propriété nationale. Je crois en conséquence nécessaire de substituer dorénavant à la marque ordinaire le mot Sevres, accompagné des lettres initiales de Republique francaise, R.F....Vous voudrez bien en conséquence faire dans le plus court délai tout ce qui sera nécessaire pour opérer ce changement dans la marque des porcelaines.» (Lettre du 17 juillet 1793, An 2)

Pour une intéressante étude sur les productions de cette période, voir l'article de Christian Béalu dans Art & curiosités, ‘Les porcelaines révolutionnaires', Paris, 1989, n.108, pp.10-39

* Source et infos complémentaires : Couteau Bégarie & Associés - Vente du 19 octobre 2021

La nuit, la neige a écrit:

En effet, à cette date, le ministre de l'Intérieur, le comte Dominique-Joseph Garat, prend la décision et demande au directeur de la manufacture de Sèvres, Antoine Régnier, de...

« faire disparaître totalement dans un établissement devenu national tout ce qui peut rappeler le souvenir de la royauté et les emblêmes de l'orgueil Despotique... la marque... doit être remplacée par une marque... qui ne blesse plus les regards de L'homme devenu Libre et constate la propriété nationale. Je crois en conséquence nécessaire de substituer dorénavant à la marque ordinaire le mot Sevres, accompagné des lettres initiales de Republique francaise, R.F....Vous voudrez bien en conséquence faire dans le plus court délai tout ce qui sera nécessaire pour opérer ce changement dans la marque des porcelaines.» (Lettre du 17 juillet 1793, An 2)

Je vous renvoie à la lecture de notre sujet biographique consacré à cet homme :

Dominique-Joseph Garat, homme politique et ambassadeur à Naples en 1798

Quel incroyable parcours !   Et comment a-t-il fait pour tirer son épingle du jeu avec tous les régimes qui se sont succédés...

Avocat, journaliste, écrivain, philosophe, député, sénateur, ministre de la Justice, ministre de l'Intérieur, ambassadeur à Naples, comte d'Empire, membre du Conseil des Cinq-Cents, membre de la Chambre des représentants pendant les Cent-Jours, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, membre de l'Académie française et Commandeur de la Légion d'honneur‎ !!  


Dominique-Joseph Garat (1749-1833)
Par Dryander, Johann-Friedrich (1756-1812)
Huile sur toile, 1794
signé et daté : Peint par / Dryander / à Saarbruck / 1794.
Image : Musée de la Révolution française


Sa biographie Wikipedia :

Né dans le Labourd, Dominique Garat arrive fort jeune à Paris. Il y est journaliste à partir de 1777. De cette date à la Révolution, il est rédacteur au Mercure de France pour sa partie littéraire: il publie ainsi un long compte-rendu du discours de réception de Condorcet à l'Académie française. Il est aussi rédacteur au Journal de Paris à partir de 1781.

Il obtient en 1779 le prix d'éloquence de l'Académie française pour son Éloge de Suger. Ses Éloge de Montausier et Éloge de Fontenelle sont couronnés dans les concours de 1781 et 1784.

En 1789, il est élu député du Labourd aux États généraux.

Le 9 octobre 1792, il remplace Danton au ministère de la Justice, et à ce titre notifie à Louis XVI la sentence de mort (20 janvier 1793) et lui amène un confesseur.


Exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793
Anonyme
Estampe, fin 18e siècle
Personnages : Louis XVI et son confesseur l'abbé Edgeworth de Firmont, Charles-Henri Sanson, bourreau, Antoine-Joseph Santerre, commandant général de la garde nationale, tambours, Jacques Roux, ex-prêtre, Jean-Nicolas Pache, maire de Paris, Dominique-Joseph Garat, ministre de la Justice
Image : Musée Carnavalet, Histoire de Paris

Le 23 janvier 1793, il remplace Jean Marie Roland au ministère de l'Intérieur et reste à ce poste jusqu'en août 1793. En octobre 1793, il est arrêté comme girondin, mais rapidement libéré. Le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), il vote contre Maximilien de Robespierre. Il est alors chargé du cours d'analyse de l'entendement à l'École normale, puis envoyé ambassadeur à Naples, après le 12 fructidor.

Sous le Directoire, il est élu au Conseil des Anciens (élections de 1799). Après le coup d'État du 18 brumaire (9 novembre 1799), Napoléon Bonaparte le nomme sénateur, et en 1808, comte de l'Empire.


Dominique-Joseph Garat
Estampe anonyme, 19e siècle
Image : Bibliothèque nationale de France

Bien qu'il fût membre de la Chambre des représentants pendant les Cent-Jours, il n'est pas inquiété sous la Restauration, mais est cependant radié de l'Académie française par Ordonnance du 21 mars 1816. Il devient membre de l'Académie des sciences morales et politiques après 1830. Dominique Joseph Garat meurt au château d'Urdains (en), à Bassussarry.

On dit que Dominique Joseph Garat devint, après avoir notifié à Louis XVI la sentence de mort le 20 janvier 1793, de plus en plus grognon et renfermé et que ses lunettes d'or qui servirent ce 20 janvier 1793, ne sortirent plus d'un tiroir auquel il était interdit de toucher.
Familier de la maison de Dominique-Joseph Garat, le curé d'Ustaritz les utilisa un jour pour lire son bréviaire et lorsque Dominique Joseph Garat revenant d'une visite les aperçut, il s'écria : « Les lunettes de la sentence » et tomba foudroyé.  

Franc-maçon, Garat est recensé, en 1779, comme membre de la loge des Neuf Sœurs.

* Source et infos complémentaires : Wikipedia - Dominique Joseph Garat

Dominique-Joseph Garat, à ne pas confondre avec Pierre-Jean, le chanteur, qui passait pour « L'Orphée moderne ».
C'est le premier qu'honore la rue Garat, à Saint-Jean de Luz.

La nuit, la neige a écrit:Encore un modèle rare, que même les experts de cette vente aux enchères ont du mal à situer et interpréter...

Gobelet litron et sa sous-tasse (2e grandeur) en porcelaine dure de Sèvres de la fin du XVIIIe siècle

C'est plutôt joli, très gai . Le Roy, la Raine. Le marquis de Favras eût relevé la petite fote d'orthografe.

Ce sont de belles et toujours rares pièces qui seront prochainement proposées en vente aux enchères.
Je cite la présentation au catalogue, qui est intéressante :

DEUX GOBELETS ÉTRUSQUES ET LEUR SOUCOUPE EN PORCELAINE DURE DE SÈVRES
D’EPOQUE REVOLUTIONNAIRE, VERS 1795
MARQUÉS EN BLEU SEVRES RF POUR RÉPUBLIQUE FRANÇAISE,
MARQUE DU PEINTRE ETIENNE-HENRY LEGUAY, MARQUE DU DOREUR THÉODORE BUTEUX
En forme de coupe, munis de deux anses, à fond bleu, à décor polychrome et or de symboles révolutionnaires dans des médaillons comprenant la réunion des trois ordres, masse, bonnet phrygien, faisceau de licteur, triangle maçonnique, couronnes de laurier, la Constitution et Déclaration des Droit de l’Homme et trophée militaire, les bords décorés de rubans tricolores et épis de blé
Gobelet : H.: 7,5 cm. (3.½ in.) ; Soucoupe : D.: 17 cm. (6.½ in.)


Note au catalogue

Le 6 octobre 1789, les ouvriers de la manufacture de Sèvres virent le roi, la reine et le jeune dauphin escortés par une foule de milliers de personnes en colère venant de Versailles par Sèvres pour rentrer à Paris.     Quel contraste avec les précédentes visites de la famille royale à la manufacture pour inspecter l'établissement ou acheter de la porcelaine.

La période devient difficile pour la manufacture de Sèvres, perdant sa clientèle aristocratique aisée rapidement remplacée par de nouveaux acheteurs désignés citoyens dans les registres de la manufacture. La manufacture de Sèvres n'a jamais fermé ses portes mais les ouvriers ne sont pas payés ou partiellement seulement. Elle reste la propriété du Roi jusqu'à la fondation de la République en août 1792 lorsqu'elle passe sous le contrôle du ministère des Contributions publiques.

En 1793, le ministre de l’Intérieur, Dominique-Joseph Garat (voir mon précédent message, ci-dessus) ordonne la destruction des moules et modèles liés à la famille royale.
Le directeur de la manufacture, Antoine Régnier, dépêcha sept ouvriers qui passèrent quatre jours à casser les porcelaines en stock évoquant les tyrans. La marque LL entrelacées est remplacée par une marque RF pour République Française, seule ou avec le mot Sèvres.



Au cours de cette période sombre, la manufacture de Sèvres est employée pour diffuser la propagande politique révolutionnaire. De nouveaux modèles de groupe biscuit sont dessinés par Louis-Simon Boizot.
Fini l’Éducation de l’Amour, un des groupes les plus charmants de Falconet désormais remplacé par l’Éducation du Citoyen, La France gardant sa Constitution, La Liberté et l’Égalité.

Le musée des Arts décoratifs de Paris possède deux gobelets litron à fond beau bleu intitulés l'Égalité et la Liberté, peints en 1793. Le musée Carnavalet de Paris conserve deux vases datés de 1794 représentant La Force guidée par la Raison et La France gardant la Constitution.

Vase couvert de forme ovoïde dit de forme C, inscrit "La Force guidée par la Raison"
Manufacture de Sèvres, 1795
Charles-Nicolas Dodin (1734 - 1803), peintre
Inscription peinte en or: "Sèvres / R F entrelacés 2000 [Vincent]
Image : Musée Carnavalet, Histoire de Paris

Sur nos deux gobelets étrusques, forme créée par Boizot pour la laiterie de Marie-Antoinette à Rambouillet, les emblèmes révolutionnaires bordés par le nouveau drapeau tricolore sont entrés dans le répertoire des peintres.

Spoiler:

Le bonnet de la liberté - bonnet phrygien - inspiré du chapeau porté par les esclaves romains affranchis se retrouve avec le faisceau de licteur romain et le triangle équilatéral de la franc-maçonnerie, symbole d'égalité et de reconstruction.


Ils sont également accompagnés des symboles de la réunion des Ordres, de la Constitution de 1791 et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Plusieurs de ces symboles figurent sur un dessin par Nicolas Pierre Pithou Jeune, daté 1793, conservé aux archives de la manufacture de Sèvres.



]Bibliographie :

Nos deux gobelets sont reproduits par Ian Wardropper, News from a Radiant Future, Soviet Porcelain, The Art Institute of Chicago, 1992, page 14 et figure 1, page 16, comme exemple d’un premier emploi de la porcelaine comme support de la propagande.

Pour une étude de porcelaine de Sèvres à décor révolutionnaire voir Christian Béalu, « Les porcelaines révolutionnaires », Art & Curiosités, 1989, n°108, pp. 10-39 et Pamela Roditi, « A minute Sèvres Revolutionary Gobelet Litron et soucoupe and its possible sources », The French Porcelain Society Journal, vol. III, 2007, pp. 167-178.


* Source et infos complémentaires : Christie's Paris - Vente Dalva Brothers II (23 novembre 2021)

Splendide, merci LNLN

A comparer avec les vilains mugs made in China qui seront certainement vendus durant les Jeux olympiques Paris 2024 et décorés de l'emblématique bonnet phrygien, transformé en mascotte grotesque de ces jeux...

Spoiler:

Prochainement présenté en vente aux enchères :

Manufacture de Sèvres
Tasse à anse "Boizot" et sa sous-tasse
Fin du XVIIIe siècle, période révolutionnaire, circa 1793


Description :
En porcelaine peinte et dorée à fond vert décorée d'une frise de chêne ponctuée de médaillons polychromes présentant des attributs révolutionnaires et maçonniques tels que : bonnet phrygien, équerre et fil à plomb à ruban tricolore, trois couronnes représentant les trois ordres, glaive et balance pour la Justice, et faisceau de licteur tricolore.

Au revers marques en bleu Sèvres en toutes lettres, RF pour République Française, initiales du peintre LR pour Jeanne Joséphine Roguier née Le Riche (active à Sèvres de 1782 à 1793) et initiales à l'or GI du doreur Étienne Gabriel Girard (actif à Sèvres de 1762 à 1805).
Sous la soucoupe, en plus, marque en pourpre IN de Jean Chauvaux, peintre et doreur, actif à la manufacture de Sèvres entre 1764 et 1800.


Références : on retrouve les modèles des attributs aux archives de la Cité de la Céramique à Sèvres créés par Pithou le jeune (Sèvres, Cité de la Céramique, archives, armoire R-XIII, dossier 4).

* Source et infos complémentaires : Osenat - Versailles, vente du 26 novembre 2023