Agent secret en Amérique, Julien Alexandre Achard de Bonvouloir (1749–1783)

Je vous avais déjà raconté la légende qui entoure le nom de la famille Achard de Bonvouloir.      
Il y a quelques mois, dans cet autre sujet:
https://marie-antoinette.forumactif.org/t5481-almanach-de-paris-1790
Pour cela, je vous emmenais en Normandie, non loin ... que dis-je ! tout près de Bagnoles de l'Orne , jusqu'aux vestiges d’un manoir du XVème siècle
Il ne subsiste plus que la tour éponyme  de  l’ancien château de Bonvouloir  construit en 1485 par Guyon Essirard, l’intendant du duc d’Alençon, à Juvigny-sous-Andaine.

La tour de Bonvouloir, surnommée aussi le « phare de la forêt d’Andaine » servait à « rallier pendant le jour et éclairer pendant la nuit la marche des soldats égarés dans les environs ». Une tour d’enceinte devenue un colombier, une ancienne chapelle, un puits et des granges entourent l’édifice.


La légende de Bonvouloir nous plonge à l’époque du Moyen Âge, où le chevalier Guyon Essirard seigneur de Tessé épouse Anne, une demoiselle beaucoup beaucoup plus jeune que lui. Les premières années de mariage ne sont pas fécondes et les deux époux en éprouvent énormément de peine.



Ne sachant plus à quel saint se vouer, Guyon s’installe près de la fontaine de la forêt d’Andaine réputée pour ses vertus de jouvence. Il passe alors vingt-et-un jours à s’y baigner, à boire l’eau de la fontaine, tout cela en prières. Il dort même dans la forêt.  
De retour auprès de son épouse, miracle !    il a retrouvé sa vigueur d’antan. Et de fait, quelques mois plus tard, la jeune femme donne enfin naissance à un premier enfant.
 Pour célébrer cette prouesse, le chevalier fait construire la tour du château de Bonvouloir dont la forme est pour le moins ... suggestive.

Voyez plutôt !      



Le domaine passa par la suite à la famille Achard de Bonvouloir qui le détient depuis le XVIème siècle et qui compte plusieurs gouverneurs de la ville de Domfront.
Les Achard sont une famille très ancienne du Poitou et de Normandie, divisée en trois branches : Achard de Bonvouloir, de la Vente et de Leluardière. L'aîné des Achard passe pour avoir sauvé la ville d'Angoulême des infidèles . Les Achard ont livré bataille contre les Sarrasins, une croix commémore cette bataille où est inscrit « Les Achard, les Tison, les Voisin du pays ont chassé les Sarrazins ».
Un Achard fut compagnon d'arme de Guillaume à Hastings.

Cri de guerre: Hache Achard.
Devise : Bonvouloir et loyauté.
Armes : D'azur, au lion d'argent, armé et lampassé de gueules, à deux fasces alésées du troisième, brochant sur le tout.



Au XVIIIème siècle, Luc René Charles Achard de Bonvouloir  ( 1744 - 1827  ) , 
 après  avoir été page de Louis XV puis capitaine de cavalerie,  est nommé chevalier de l'ordre de Saint-Louis.

Il est député de la noblesse aux assemblées de la moyenne Normandie, en 1787, nous dit WIKI. Il est ensuite envoyé aux états généraux convoqués par Louis XVI en 1789 où défend fermement les privilèges de la noblesse et s'oppose, le 30 mai 1789,  à la double représentation du Tiers état, en refusant de siéger jusqu'au 28 juillet suivant, avec l'accord de ses commettants.  
Comme membre de l'Assemblée constituante, il propose l'ouverture du droit de prêt à tous, idée reprise par Pétion et votée. Il refuse l'abandon des différences de droits dans les provinces au nom des coutumes locales, et s'oppose ainsi en vain à l'égalité des partages lors des successions, au nom de la coutume de Normandie.

Après la dissolution de la Constituante, il émigre pour ne rentrer en France qu'en 1801.



Le frère cadet, Julien Alexandre Achard de Bonvouloir (1749–1783) eut une vie autrement plus aventureuse !     Elle le mena du Nouveau Monde à l'Extrême Orient ... Il fut un agent secret français.
Bonvouloir s'installe d'abord à Saint Domingue au début des années 1770. Il voyage ensuite en Amérique du Nord et fait le tour des colonies avant le déclenchement de la guerre.   Il rencontre à Philadelphie les membres du premier Congrès continental. Prétendant avoir obtenu de précieuses informations sur les Américains pendant son séjour là-bas, il se rend à Londres et rencontre l'ambassadeur de France, le comte de Guines.


Le 8 septembre 1775, il retourne en Amérique avec les instructions de Guines d'observer et d'informer les Américains que les Français n'ont aucune vue sur le Canada. Il leur souhaite même bonne chance et assure bon accueil à leurs navires dans les ports français !

Se faisant passer pour un marchand d'Anvers et chargé par Guines de ne jamais prononcer le mot «français», il assiste à trois réunions avec Benjamin Franklin et d'autres membres du Comité de correspondance secrète du Congrès.


Bien qu'Achard de Bonvouloir nie toute connexion officielle et prétende qu'il n'est là que pour explorer les possibilités de conclure des accords privés pour fournir aux Américains des munitions, les membres du comité comprennent sa véritable mission.
Des questions lui ont soumises par écrit:
- Peut-il livrer des informations sur l'attitude officielle française envers les colons, et si elles s'avèrent favorables en donner des garanties?
-  Comment  trouver des ingénieurs qualifiés?
-  Sera-t-il possible de se procurer des armes et autres fournitures de guerre directement de France, payées en produits américains, et les ports français seraient-ils ouverts à un tel échange ?


That project would become Carpenters’ Hall, which just months after completion in 1774 came to serve as the meeting ground not just for the First Continental Congress, but also later for Benjamin Franklin’s negotiations with French spy Julien Alexandre Achard de Bonvouloir and the site for Franklin’s Library Company.


Bonvouloir rapporte à ses supérieurs le 28 décembre 1775 qu'il garde son statut de simple citoyen et promet de seulement présenter leurs demandes là où elles pourraient être satisfaites. Pourtant, sa rencontre avec le comité est compliquée par l'arrivée de deux véritables marchands français, Pierre Penet et Emmanuel de Pliarne. Eux aussi offrent des armes aux Américains et laissent entendre qu'ils agissent au nom du gouvernement français. Penet arrive en France à peu près au même moment que le rapport de Bonvouloir.

Le 3 mars 1776, le Congrès américain décide d'agir directement. Silas Deane
devient son émissaire pour savoir exactement ce qu'il peut obtenir de la France.
Il en résulte la création d'Hortalez & Cie   , une « société écran » fondée par Beaumarchais.
Elle est destinée à fournir des armes aux insurgés d'Amérique contre le gouvernement Anglais.   En effet, les Français veulent évincer Bonvouloir  dont le zèle maladroit pourrait bien finir par embarrasser la Cour.
C'est ainsi que, le 13 juin 1776, le ministre Vergennes écrit à Guines:
J'espère vivement que M. de Bonvouloir a été assez sage d'entreprendre son voyage de retour.

Vergennes va jusqu'à envoyer à Guines l'argent dont Bonvouloir a besoin pour rentrer chez lui, car il a déjà épuisé son avance.

Julien-Alexandre est donc de retour en France en juin 1777. Mais, dans l'espoir de devenir un simple marchand et faire du commerce, il retourne pourtant en Amérique. Cette fois malencontreuse,  les Britanniques le capturent et l'emprisonnent dans la célèbre prison Saint-Augustin en Floride.  Le voilà sur la paille du cachot !  


Heureusement,  libéré au bout d'un an Bonvouloir rentre en France en juillet 1778.    Il y reçoit une commission de lieutenant de frégate le 10 juillet 1779, et devient lieutenant d'artillerie !  Le 30 septembre 1781, le voici aide-major dans le corps expéditionnaire en Inde.
Las ! deux ans plus tard, la mort le cueille  près de Pondichéry, en 1783.  
https://histoire.wiki/achard-de-bonvouloir-et-loyaute-julien-alexandre/




Retour en France, après toutes ces tribulations historiques ...  

Offrons-nous une petite promenade jusqu'à cette tour éponyme de la famille Achard de Bonvouloir dont je vous contais la légende en début de ce sujet !
Nous la découvrons en pleine campagne normande, dans un site vallonné, flaquée de sa toute petite chapelle ...



...  et de son gros pigeonnier :












Qui croirait que ce lieu paisible fut jadis le rendez-vous de créatures infernales ?  ...  

Julien-Alexandre de Bonvouloir connaissait donc, personnellement,  Benjamin Franklin    
depuis une entrevue secrète avec lui au Carpenters'Hall,  à Philadelphie.



Le Premier Congrès continental, assemblée des délégués des Treize colonies américaines au XVIII siècle, s'était réuni dans le Carpenters' Hall en septembre et octobre 1774.
Comme nous le voyons ci-dessous, le bâtiment n'a pas changé depuis !  





Or donc,  de retour en France , Bonvouloir prend sa plus belle plume pour adresser à Franklin, une requête .
Oserai-je dire qu'il sollicite son bon vouloir ? ...  

To Benjamin Franklin from Julien-Alexandre Achard de Bonvouloir, [July 1778]
From Julien-Alexandre Achard de Bonvouloir
als: American Philosophical Society
[July, 1778]


Monsieur

Je suis à Paris depuis deux jours, et si je n’eusse pas été incommodé et extrêmement las, j’aurais déjà eu l’honneur d’aller vous présenter mon respectueux hommage et vous rendre compte de mon voyage. Il a été on ne peut plus malheureux, j’ai été pris par la frégate la galathée, a quinze lieues de Charlestown, et conduit à st. augustin où j’ai éprouvé les plus affreux traitements. Ils m’ont tout pris, j’avais environ 12000 l.t. sur le bâtiment; ils ne m’ont pas même laissé ma montre, ny mon épée ny mes effets d’usage journalier. J’ai trouvé dans la même prison Mr. de Bretigny, Keranguais et beaucoup d’autres officiers français, qui gémissaient dans les fers.

Vous m’aviez, Monsieur, confié des lettres je les ai regardées comme un dépôt sacré confié à mes soins, et je les ai conservées malgré vent et marée; j’ai l’honneur de vous les envoyer.

J’ose espérer, Monsieur, que vous voudrez bien être mon protecteur, et chercher à m’indemniser de mes pertes. Il est question d’un avancement très avantageux pour moi, l’on me demande un certificat, comme je me suis bien conduit chez vous, et que j’ai cherché à vous rendre quelques services. J’ai eu l’honneur, Monsieur, d’être connu de vous à Philadelphie, ma conduite, et ma bonne volonté vous étaient connues.

Ce certificat, conçu a peu près dans ces termes:

Je certifie, que le chevalier Achard de Bonvouloir, officier au Régiment du Cap, que j’ai connu à Philadelphie, c’est bien conduit et qu’il a cherché à nous rendre service. En foi de quoi etc.

Ce certificat dis-je, Monsieur, ne vous engage à rien et me peut procurer mon avancement. J’attends cette grâce de vous, Monsieur, j’en serai à jamais reconnaissant, j’irai vous en faire mes très humbles remerciements et vous offrir le profond respect avec lequel j’ai l’honneur [d’être] Monsieur Votre très humble et très obéissant serviteur

De Bonvouloir

Si vous m’envoyez ce certificat, je vous prie de le faire par le porteur, j’en aurai besoin ce soir vous voudrez bien y mettre votre cachet.


Original source:
The Papers of Benjamin Franklin, vol. 27, July 1 through October 31, 1778, ed. Claude A. Lopez. New Haven and London: Yale University Press, 1988, pp. 189–190.