Le poète Nicolas-Joseph-Laurent Gilbert ( 1750 - 1780 )
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Le poète Nicolas-Joseph-Laurent Gilbert ( 1750 - 1780 )
Nicolas-Joseph-Laurent Gilbert
Les traits mordants contre les philosophes et les encyclopédistes de ce poète né en Lorraine, fréquemment comparé à Juvénal et venu à Paris dans l’espoir d’y trouver des protecteurs, lui attirèrent beaucoup d’ennemis et nuisirent à sa fortune : tombant dans la misère avant de sombrer dans une démence consécutive à un accident, il fut conduit à l’Hôtel-Dieu où, lors d’une crise, il avala une petite clef et mourut à 29 ans
Peu de poètes sont nés en Lorraine, mais parmi eux il en est un qu’une mort prématurée empêcha seule de parvenir au premier rang ; quoiqu’il ait rapidement traversé la société du XVIIIe siècle, ce poète y signala son passage ; de la satire, émoussée dans les mains de Régnier et de Boileau, il fit une arme acérée, redoutable, et la tourna contre les plus grandes puissances de l’époque.
Il attaqua le vice, que le vice se nommât Voltaire ou Fronsac, il l’attaqua avec une indignation d’honnête homme qui rappelle Juvénal et Tacite. Il n’y eût point alors une renommée imposée par la coterie philosophique contre laquelle ce poète ne protestât par ses huées. Il n’y eût point de scandales qu’il ne poursuivît de sa colère, colère ardente et pleine de verve comme celle que d’Aubigné avait montrée dans ses tragiques. Le malheur s’est joint au génie et au courage pour rendre sacré le souvenir de ce hardi satirique : il mourut après avoir composé d’admirables stances, pauvre , méconnu. Où ? On le sait à peine.
Nicolas Gilbert.
Gravure d'Alexandre-Joseph Desenne (1785-1827)
extraite d'OEuvres complètes de Gilbert
publiées pour la première fois avec les corrections de l'auteur et les variantes paru en 1823
Ce poète était Nicolas-Joseph-Laurent Gilbert, né le 15 décembre 1750 à Fontenoy-le-Château, près de Remiremont (Vosges). Son père était un cultivateur qui céda au désir de voir son fils s’élever au-dessus de sa condition : après lui avoir fait donner un premier enseignement dans les écoles des environs, il l’envoya achever ses études au collège de l’Arc à DôIe. On ignore si Gilbert s’y fit remarquer par des succès scolaires ; on sait seulement qu’un professeur de ce collège disait souvent : « J’ai fait des poètes de tous mes élèves, un certain Gilbert excepté. »
En 1769, Nicolas Gilbert vint habiter Nancy où il occupa une petite chambre rue des Dominicains. Il partageait son temps entre l’étude, le spectacle, quelques leçons en ville et les soirées du comte de Lupcourt. Dans une de ces soirées — les bouts-rimés, les énigmes et autres jeux du même genre étaient alors fort à la mode — Gilbert donna une phrase à Durival aîné pour qu’il en fît l’anagramme. Dans les mots proposés ce dernier trouva l’anagramme suivante : Tu mourras fou.
Durant l’hiver de 1770, la société de Nancy, qu’avait attristée la mort de Stanislas, reprit quelque goûts pour les plaisirs. Darbès, l’ancien secrétaire intime du roi de Pologne, ouvrit un splendide salon et Nicolas Gilbert y fut accueilli aussi favorablement que chez le comte de Lupcourt. Darbès aurait proposé à Gilbert un emploi de 1200 francs, mais cette offre aurait été refusée et le poète commença à l’hôtel de ville un cours public de littérature, qui attira très peu d’auditeurs.
Un jour cependant, l’affluence fut extrême, la salle se remplit de monde longtemps avant l’heure indiquée, et le professeur prit place dans sa chaire en pensant qu’enfin son mérite était apprécié. Tout à coup une personne s’approcha de Gilbert et lui demanda s’il allait bientôt montrer les figures de cire. Ce spectacle qui occupait une salle voisine avait seule attiré la foule à l’hôtel de ville. Le professeur indigné termina son cours le jour même, et se décida à quitter la Lorraine dès qu’une occasion favorable se présenterait.
Elle parut s’offrir quelques mois plus tard. À son arrivée en France la belle et infortunée Marie-Antoinette passa par Nancy, et Gilbert lui fit hommage d’un épithalame. Il fut reçu avec bonté par la nouvelle Dauphine, et croyant pouvoir compter sur son appui, n’ayant plus rien qui le retînt en Lorraine — il avait perdu son père et sa mère — il se détermina à se rendre à Paris.
N’emportant guère qu’un léger bagage poétique, le pauvre jeune homme arriva plein d’espérance dans la Rome nouvelle. Mais où trouver un libraire qui consentît à publier les essais d’un débutant ? On avait bien donné à Gilbert une lettre de recommandation pour d’Alembert ; mais le poète fut reçu avec un dédain qu’il se rappela probablement le jour où il écrivit ces deux vers mordants :
Et ce froid d’Alembert , chancelier du Parnasse,
Qui se croit un grand homme et fit une préface...
Qui se croit un grand homme et fit une préface...
Le découragement que l’accueil du philosophe avait causé à Gilbert fut augmenté par le peu de succès qu’obtint le Poète malheureux. Cette pièce ne fut pas même admise au concours académique. Elle contient pourtant quelques beaux vers, mais ce que l’on y remarque surtout c’est le désir de gloire dont le poète était dévoré :
Savez-vous quel trésor eut pu me rendre heureux ?
La gloire.
La gloire.
Ce sont presque les premières paroles de Gilbert.
Plus loin il s’écrie :
Il n’est qu’un vrai malheur c’est de vivre ignoré.
L’homme brille un moment et la tombe dévore
Les titres fastueux dont on fut décoré ;
Nos maux et ces plaisirs que le vulgaire adore,
Tout périt sous la faux de la mort et du temps ;
Mais la gloire, du moins, que l’homme a méritée,
Survit à son trépas et s’accroît par les ans.
L’homme brille un moment et la tombe dévore
Les titres fastueux dont on fut décoré ;
Nos maux et ces plaisirs que le vulgaire adore,
Tout périt sous la faux de la mort et du temps ;
Mais la gloire, du moins, que l’homme a méritée,
Survit à son trépas et s’accroît par les ans.
Avec de telles pensées Gilbert, on le conçoit, dut éprouver un violent dépit en se voyant repoussé du concours. Ce dépit il l’exhala non seulement dans ses deux satires, mais encore dans quelques pages de prose intitulées : Diatribes au sujet des prix académiques. Ce petit ouvrage , dirigé principalement contre La Harpe, contient, du reste, des réflexions très justes sur la poésie du temps ; elles révèlent tout ce que l’on aurait pu attendre de Gilbert si sa vie n’eut pas été aussi courte ; il y a dans les lignes suivantes comme le programme de la rénovation qui s’est accomplie plus tard :
« Tous les écrits du siècle ont la même physionomie, la même couleur, le même ton. Une fausse élévation règne également dans toutes nos poésies. On craint de donner à son style cet air de familiarité noble ou naïve que les anciens recherchaient, et toujours inséparable du vrai, du naturel et du sublime. Gardez-vous de croire que cette familiarité de style rejette la nouveauté des expressions ou l’audace des métaphores. N’avez-vous pas cent fois observé que le peuple même emploie dans la conversation des mots si hardis, si originaux, qu’ils vous paraîtraient encore présomptueux dans un ouvrage du genre le plus élevé ? »
Nicolas Gilbert.
Gravure extraite d'OEuvres de Gilbert
précédées d'une notice historique (par Charles Nodier) paru en 1826
Il est à regretter que Gilbert n’ait pas continué à développer ces idées qui, alors, devaient paraître bien nouvelles ; mais il avait hâte de revenir aux lauréats que l’académie choisissait avec partialité dans les rangs des philosophes.
On peut présumer que la vanité blessée exalta la colère que ceux-ci inspiraient au poète. Il est probable que tout en ayant des principes opposés aux leurs, Gilbert, à son arrivée à Paris — sa lettre pour d’Alembert est déjà un indice à cet égard — n’avait pas contre les novateurs cette haine véhémente qu’il fit tant de fois éclater par la suite. Sans doute dans sa première jeunesse il avait, comme toute la France, été fasciné par les talents de ceux dont plus tard il devint l’ennemi acharné. Ainsi, dans la préface de ses poésies , il s’écrie : « Heureux Voltaire d’être né avec un génie si éclatant ! pour attirer sur lui, pour fixer les regards dédaigneux de notre public, il lui fallait avoir composé la Henriade, Alzire, Brutus et tant d’autres chefs-d’œuvre. » Gilbert ne devait pas toujours parler de Voltaire dans les mêmes termes.
Il se peut que Gilbert ait été stimulé par les blessures faites à son amour-propre, que le besoin des représailles ait donné plus de mordant à son style, mais Gilbert était certes un homme de conviction. Le sujet d’une seconde pièce qu’il présenta au concours, l’ode sur le Jugement dernier témoigne de ses sentiments religieux. Cette œuvre était trop peu dans les idées du jour pour valoir une couronne à son auteur. Si celui-ci n’eut été qu’un vil condottiere littéraire, lorsque sa réputation commença à poindre, il aurait passé avec armes et bagage dans l’armée de ses ennemis, et sa défection eut été splendidement récompensée. Or Gilbert resta dans la pauvreté, dans le dédain. La révolution de plume le tua comme la révolution de sang qui la suivit.
La réception si froide que d’Alembert avait faite au satirique n’était que le préliminaire des rudes épreuves qui attendaient ce dernier à Paris. On assure que faute d’asile il passa plusieurs nuits auprès du corps-de-garde de la statue d’Henri IV, et quoique ce soit le propre des poètes d’exagérer leurs souffrances, on peut croire que les vers intitulés la Plainte du malheureux expriment une détresse trop réelle. Dans cette pièce, Gilbert demande à Dieu s’il n’a pas été assez éprouvé, il le sent, sa vertu est chancelante :
Le besoin la balance et va triompher d’elle,
(...)
Il est donc vrai que l’homme en proie à la misère
Malgré lui vers le crime est souvent entraîné.
(...)
Il est donc vrai que l’homme en proie à la misère
Malgré lui vers le crime est souvent entraîné.
Rien n’est plus sacré pour l’infortuné poète ; s’il se rappelle ses parents c’est pour s’écrier : Malheur à ceux dont je suis né ! Ce ne sont pas là des fictions poétiques, de petites douleurs : ces vers semblent être véritablement le cri de désespoir d’un malheureux dévoré par la faim.
Il paraît que Gilbert avait compté sur l’appui de Palissot avec lequel il s’était trouvé en relations à Nancy ; mais Palissot se montra indigne de cette confiance. Ennemi des philosophes, il se ligua avec eux contre son compatriote. Gilbert, cependant, ne devait pas se trouver privé de tout appui. Fréron, Clément, tous ceux qui eurent le courage de s’opposer au despotisme de Voltaire, devinrent les amis de notre poète. L’abbé de Crillon lui accorda ses suffrages, et l’archevêque de Paris réussit à lui faire obtenir une modique pension que les philosophes qualifièrent dédaigneusement d’aumône.
Voilà tout ce que l’on sait sur la vie de Gilbert, vie qui tient à peine quelques feuillets, mais qui formerait sans doute un bien triste volume si l’on pouvait énumérer toutes les déceptions, toutes les angoisses dont elle fut remplie.
Il reste maintenant à parler des derniers moments du poète, qui ont donné lieu à des versions différentes. Madame de Créquy, ou le spirituel écrivain qui se cache sous ce nom ( ) , prétend que Gilbert sur la fin de ses jours était en pleine jouissance d’une pension de 800 livres sur la cassette du roi, d’une pension de 100 écus sur le Mercure de France, d’une autre pension de 500 livres sur la caisse épiscopale des économats, et qu’en outre il recevait de Mesdames, tantes du roi, un mandat de 600 livres que ces bonnes princesses lui faisaient adresser régulièrement pour étrennes. La marquise de Créquy cite, à l’appui de ces faits, une lettre de Madame Louise de France, et affirme que lorsque Gilbert fut mort, non à l’Hôtel-Dieu mais dans sa chambre, rue de la Jussienne, on trouva dans ses papiers un legs de dix louis fait à un jeune soldat aux gardes françaises. Si l’anecdote est vraie, ce legs a porté bonheur au jeune soldat : il est mort roi de Suède. ( )
Nicolas Gilbert.
Gravure extraite de Poésies diverses de Gilbert
avec une notice bio-bibliographique (par Paul Perret) paru en 1882
L’auteur de la lettre citée semble d’accord sur quelques points avec les Mémoires de Madame de Créquy. Ainsi il avance que Gilbert jouit d’une certaine aisance et que son goût pour l’équitation, goût auquel il dut sa mort, ne se fut pas accordé avec la pauvreté. Une chute de cheval que le poète fit en revenant de Versailles nécessita l’opération du trépan. Dessaut la fit et engagea le blessé à entrer à l’Hôtel-Dieu.
Selon une troisième version généralement accréditée ce fut à Charenton où il s’était logé non loin de la maison de campagne de l’archevêque que Gilbert fut pris d’une fièvre violente. Un matin, à peine vêtu, il alla demander l’extrême-onction au curé qui l’exhorta vainement à rentrer chez lui. Gilbert se rendit ensuite chez l’archevêque et s’écria en se couchant à ses pieds que les philosophes avaient gagné le curé pour qu’il lui refusât les sacrements. L’archevêque effrayé fit transporter le malade à l’Hôtel-Dieu. Là, ses crises redoublèrent ; il avala la clé d’une petite cassette, clé qui resta dans l’œsophage , et vingt-quatre heures après le poète expira. Ce fut le 16 novembre 1780. Il n’était âgé que de 29 ans.
Si les portraits que l’on a de notre poète sont fidèles, Lavater en le voyant aurait pu deviner son génie. Gilbert avait la figure ovale, le nez bien formé, la bouche petite et devant prendre au moindre sourire une expression ironique, ses yeux grands et expressifs brillaient sous des sourcils assez fortement marqués ; il avait le front de la plupart des grands poètes, haut et se creusant au-dessus du nez : c’est à cet endroit que, selon Herder, « l’entendement paraît se confondre avec la volonté : c’est là où l’âme se concentre et rassemble des forces pour se préparer à la résistance. »
Pour mener son combat, Gilbert dut donner à la satire un ton pour ainsi dire nouveau. Ce n’étaient pas quelques travers individuels, inoffensifs qu’il fallait tâcher de ridiculiser ; il n’était question ni de s’amuser aux dépens d’un importun, ni de prodiguer toutes les ressources d’un style correct et piquant dans la description d’un mauvais dîner. Il s’agissait de combattre les principes funestes à ses yeux, qui se répandaient dans toutes les classes de la société. Il s’agissait de lutter contre des hommes redoutables par leurs talents, leur union, et admirés de l’Europe entière.
Ce n’était donc plus un jeu littéraire , c’était une œuvre morale que Gilbert se proposait d’accomplir. C’était un combat à mort que seul il allait soutenir contre des centaines d’ennemis. Plus d’armes courtoises, plus de fer émoussé ! L’épigramme n’était plus suffisante, à l’ironie il fallait ajouter la colère. Gilbert l’eut à un suprême degré cette colère, et si quelquefois elle l’aveugle, le plus souvent elle ne l’empêche point de porter des coups assurés.
La satire de Gilbert ne pouvait ressembler à celle de ses deux célèbres précurseurs. Une inspiration tragique, si l’on peut employer ce mot dans cette circonstance, remplaça la gaieté, le persiflage. Le rire est rare chez Gilbert, s’il erre quelquefois sur sa bouche c’est pour en abaisser les extrémités avec cette expression de haine et de mépris qui donne un si énergique caractère à la tête de Dante. Si parfois il semble s’égayer, sa gaieté est amère de fiel. On reconnaît la présence de notre poète à la brûlante causticité, à la verve, à l’emportement avec lesquels sont écrits certains passages pleins de hardies métaphores, d’heureuses alliances de mots, de ces vers concis, faisant images, qui se gravent d’eux-mêmes dans la mémoire.
La première satire de Gilbert, Le Dix-huitième siècle, est adressée à Fréron. Ainsi que Chateaubriand, Gilbert avait senti que « sans la religion on peut avoir de l’esprit , mais qu’il est bien difficile d’avoir du génie » ; il considère la philosophie comme devant non seulement causer le malheur de l’homme mais encore tuer les arts et la poésie. L’école philosophique n’est pas seule à entraîner la France dans une voie de perdition, elle est secondée par la débauche.
Mort de Nicolas Gilbert.
Gravure extraite de Gilbert ou Le poète malheureux
(par l’abbé Clovis Pinard), édition de 1844
C’est dans cette première satire que se trouve la tirade si vigoureuse qui commence par ce vers : « J’aurais pu te montrer nos duchesses fameuses ». Ce passage est écrit avec la verve et aussi avec la liberté de langage de Juvénal. Mais la corruption ne s’est pas arrêtée dans les hautes classes, elle infecte la France :
Il faut voir ce marchand, philosophe en boutique
Qui déclarant trois fois sa ruine authentique,
Trois fois s’est enrichi d’un heureux déshonneur,
Trancher du financier, jouer le grand seigneur.
Partout s’offre l’orgueil et le luxe et l’audace,
Orgon à prix d’argent veut anoblir sa race,
Devenu magistrat, de mince roturier,
Pour être un jour baron il se fait usurier.
Qui déclarant trois fois sa ruine authentique,
Trois fois s’est enrichi d’un heureux déshonneur,
Trancher du financier, jouer le grand seigneur.
Partout s’offre l’orgueil et le luxe et l’audace,
Orgon à prix d’argent veut anoblir sa race,
Devenu magistrat, de mince roturier,
Pour être un jour baron il se fait usurier.
La religion se voit dénigrer par ses propres enfants :
Entends ce jeune abbé sophiste bel esprit ;
Monsieur fait le procès au Dieu qui le nourrit,
Monsieur trouve plaisant les feux du purgatoire,
Et pour mieux amuser son galant auditoire
Mêle aux tendres propos ses blasphèmes charmants,
Lui prêche de l’amour les doux égarements,
Traite la piété d’aveugle fanatisme,
Et donne en se jouant des leçons d’athéisme.
Monsieur fait le procès au Dieu qui le nourrit,
Monsieur trouve plaisant les feux du purgatoire,
Et pour mieux amuser son galant auditoire
Mêle aux tendres propos ses blasphèmes charmants,
Lui prêche de l’amour les doux égarements,
Traite la piété d’aveugle fanatisme,
Et donne en se jouant des leçons d’athéisme.
Le satirique ne doit pas se borner à censurer le vice, il peut quelquefois remplir une plus douce tâche : après avoir stigmatisé le crime, il lui est permis d’honorer la vertu, et Gilbert a fait apparaître le malheureux Louis XVI au milieu des sombres acteurs du prologue de la Révolution. Puis tout à coup comme s’il se reprochait ce moment de repos, le poète poursuit sa mission, et de nouveau s’acharne sur les encyclopédistes. Déjà Gilbert a dit ce qu’ils avaient fait de la morale ; cette fois ils vont rendre compte de l’état où ils ont mis la littérature ; ce n’est pas du reste contre d’obscurs coupables que lutte le jeune Lorrain, car Voltaire est le premier qui s’offre à lui.
La seconde satire de Gilbert renferme des morceaux très remarquables, mais l’ensemble en est peut-être un peu défectueux ; le dialogue que le poète feint d’avoir avec un philosophe nommé Psaphon manque souvent de vérité. Psaphon cherche à convertir Gilbert, « qui croit en Dieu dans un siècle éclairé » ; il lui démontre qu’il a pris un chemin par lequel on n’arrive pas à la fortune, et lui conseille de ne plus composer de satires. Le poète répond qu’il ne se taira que lorsque les philosophes n’écriront plus ; il prend ensuite la défense de la satire, ce qui le conduit à signaler de nouveau les vices les plus saillants du XVIIIe siècle ; il revient sur la dépravation des mœurs ; il s’attaque au tyran de la littérature, à Voltaire.
Les deux satires dont il vient d’être question et quelques stances que chacun a retenues, voilà ce qui éternise le nom de Gilbert. Ses satires font de lui le Juvénal du XVIIIe siècle ; son ode, imitée de plusieurs psaumes, révèle un lyrique du premier ordre.
Statue de Nicolas Gilbert réalisée par Manuela
(nom d'artiste d'Anne de Rochechouart de Mortemart, duchesse d'Uzès ) inaugurée à Fontenoy-le-Château en 1898.
Elle fut retirée pour être fondue pendant la Seconde Guerre mondiale
Quelque temps avant sa mort, Nicolas Gilbert composa une ode connue sous le nom d’Adieux à la vie et marquant les mémoires : ce sont les stances qu’il imita de plusieurs psaumes et dans lesquelles il s’éleva à toute la sublimité du genre lyrique. Le pressentiment d’une fin prochaine se révèle dans ces novissima verba. L’indignation ne l’inspire plus ; sa voix a encore des plaintes, mais elles sont à la fois pleines de mélancolie et d’espérance :
Soyez béni, mon Dieu ! vous qui daignez me rendre
L’innocence et son noble orgueil ;
Vous qui, pour protéger le repos de ma cendre,
Veillerez près de mon cercueil !
Au banquet de la vie, infortuné convive,
J’apparus un jour, et je meurs :
Je meurs, et sur la tombe où lentement j’arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.
Salut champs que j’aimais, et vous douce verdure,
Et vous, riant exil des bois !
Ciel, pavillon de l’homme, admirable nature,
Salut pour la dernière fois !
Ah ! puissent voir longtemps votre beauté sacrée
Tant d’amis sourds à mes adieux !
Qu’ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée,
Qu’un ami leur ferme les yeux.
L’innocence et son noble orgueil ;
Vous qui, pour protéger le repos de ma cendre,
Veillerez près de mon cercueil !
Au banquet de la vie, infortuné convive,
J’apparus un jour, et je meurs :
Je meurs, et sur la tombe où lentement j’arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.
Salut champs que j’aimais, et vous douce verdure,
Et vous, riant exil des bois !
Ciel, pavillon de l’homme, admirable nature,
Salut pour la dernière fois !
Ah ! puissent voir longtemps votre beauté sacrée
Tant d’amis sourds à mes adieux !
Qu’ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée,
Qu’un ami leur ferme les yeux.
Cette ode si pure de style, si harmonieuse, si touchante, telle enfin qu’aucun des écrivains de l’époque n’aurait pu l’écrire, cette ode a mis le comble à l’intérêt qu’inspire Gilbert. Il fallait pour que sa gloire fût complète qu’après avoir vu le jeune homme fougueux et irritable, on vît la victime résignée.
D’après « Poètes et romanciers de la Lorraine »
par Théodore-Joseph Boudet de Puymaigre, paru en 1848
Publié / Mis à jour le MARDI 16 NOVEMBRE 2021, par LA RÉDACTION
https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article6938
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Le poète Nicolas-Joseph-Laurent Gilbert ( 1750 - 1780 )
Hommage au poète oublié ...
Enjoy !
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