Jean-Baptiste de Boyer, marquis d'Argens ( 1704 - 1771 )

Jean-Baptiste de Boyer, futur marquis d'Argens, est né le 24 juin 1704 à Aix-en-Provence, dans le sud de la France . Il était l'aîné des sept enfants de Pierre-Jean de Boyer et d'Angélique de L'Enfant, fille de Luc de L'Enfant (1656-1729), président du Parlement régional . Tiens !   Ce nom ne vous rappelle rien ? Pierre Charles L'Enfant, fondateur de la ville de Washington.
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Je ne sais pas du tout s'il s'agit de la même famille ?  

Or donc,  Pierre-Jean de Boyer était procureur général ou procureur général au Parlement régional de Provence et membre du Second état , la Noblesse de robe ou Nobles de robe . Leur rang découlait de la possession de postes judiciaires ou administratifs contrairement à l'aristocratique Noblesse d'épée ; ils étaient souvent des professionnels de la classe moyenne laborieuse.

Au milieu du XVIIIe siècle, bon nombre de ces postes étaient devenus héréditaires, les fils aînés devant succéder à leur père, se marier et avoir des enfants. Jean-Baptiste  rejeta une carrière juridique et alors que le reste de sa famille était de fervents catholiques, il devint un auteur rationaliste et critique de l'Église.
Il écrira plus tard :  "Je n'étais pas l'enfant préféré de mon père".  

Pour empêcher la division des biens familiaux entre plusieurs héritiers, les fils cadets étaient souvent tenus de rester célibataires; de ses quatre frères cadets, trois dont Alexandre, plus tard marquis d'Éguilles ont été inscrits dans l'ordre religieux des Chevaliers de Malte et l'autre est devenu prêtre.  Son refus de se conformer lui valut d'être déshérité au profit de son jeune frère Alexandre en 1734 mais malgré leurs différences philosophiques, ils demeurèrent proches.
Alors que plusieurs générations de la famille avaient occupé le poste de procureur général , les Boyer avaient également une solide formation dans les arts. Le grand-oncle de Jean-Baptiste était le poète et dramaturge abbé Claude de Boyer (1618-1698), tandis que son grand-père, Jean-Baptiste de Boyer (1640-1709), possédait une célèbre collection d'art, avec des œuvres de Titien , Caravage , Michel - Ange , Van Dyck , Poussin , Rubens et Corregio .


En 1719, son père achète à contrecœur à ce fils impie, qui a jeté aux orties la toge et le bonnet carré,  une commission dans le régiment de Toulouse, basé à Strasbourg . Mais voilà que le jeune-homme se livre à toutes sortes de folies ! Il entre à l'armée et déserte aussitôt  pour enlever une actrice et s'enfuir avec elle  en Espagne, avant d'être ramené en France sous escorte militaire. L'un de ses gardiens était le vicomte d'Andrezel, bientôt ambassadeur de France à Constantinople.  Jean-Baptiste veut épouser la jeune personne. Son père réussit à empêcher le mariage.  De désespoir, l'amoureux se gave de verre pilé.  On le sauve en lui faisant ingurgiter de l'huile.  Le vicomte d'Andrezel persuade Pierre-Jean de Boyer de laisser son fils l'accompagner en Turquie et ils quittent Toulon à la fin de 1723.


Après une tentative de pénétrer dans la mosquée Sainte-Sophie lors d'une cérémonie religieuse,  Jean-Baptiste entre par effraction dans le Sérail ...   et se fait pincer à pincer une almée...  Il est battu, enchaîné et sommé de choisir entre l'Islam et le supplice du pal .    
 Il choisit la fuite, en Hollande.

D'Argens revient en France en 1724, où il passe les années suivantes à étudier docilement le droit et même à agir dans un certain nombre d'affaires judiciaires. Le procès de sorcellerie de la Cadière de 1731 semble avoir été le moment où il a définitivement rejeté toute carrière judiciaire.


En même temps,  il confirme hautement son opposition à l'Église catholique en général et aux jésuites en particulier.   Ses idéaux seront : Tolérance , Liberté de religion , Liberté d'expression , Séparation de l'Église et de l'État. Son avidité de savoir n'a d'égale que son avidité de plaisir. Il est attiré par les sciences mais la peinture le passionne à tel point qu'il part pour Rome se faire la main en copiant des chefs-d'oeuvre.  C'est en jouant à la roulette qu'il fait le gain providentiel qui lui permet d'admirer la ville éternelle pendant six mois. Mais le voici embarqué dans une nouvelle aventure amoureuse qui finit par prendre l'eau ... la jalouse lui dépêche deux spadassins pour l'assassiner .
Il fuit Rome et les Romaines...  

Il rejoint l'armée en 1733 pendant la guerre de Succession de Pologne , servant dans le même régiment que son jeune frère Luc de Boyer (1713-1772). Blessé à Kehl , il est grièvement blessé lors d'une chute de cheval en 1734, qui met fin à sa carrière militaire.

Pour gagner un peu d'argent, il vend à des libraires de Hollande des libelles où il touche à tout, n'approfondit rien, mais où rien n'est sot ni même indifférent.  Il publie aussi les Mémoires de Monsieur le marquis d'Argens en 1735.
ou bien, plus sulfureux ...  

Viennent ensuite Lettres juives , publiées en six volumes entre 1736 et 1740 ; employant le format utilisé par Montesquieu dans son ouvrage de 1721, Lettres persanes , ce fut un succès immédiat mais provoqua les critiques d'écrivains catholiques tels que  La Martinière .


C'est au cours de l'un de ses voyages qu'il avait fait la connaissance d'un juif nommé Fonséca, qui deviendra Aaron Monseca dans ses Lettres juives . On ne saurait oublier qu'il fut l'un des premiers écrivains de l'Occident à traiter le peuple juif avec respect — ce qui le distingue de son ami Voltaire, dont l'analyse simpliste du peuple d'Israël n'a jamais servi la cause de la tolérance. Les Lettres juives ont, d'ailleurs, permis à Voltaire de faire la connaissance d'Argens, mais les raisons de cette rencontre sont plus complexes : elle remonte à l'époque de la querelle entre Voltaire et le poète Jean-Baptiste Rousseau, à l'occasion de laquelle le marquis d'Argens prit le parti de Voltaire. Tous deux admiraient profondément la Chine, suivant en cela une tradition qui remonte à La Mothe Le Vayer et qui considère le confucianisme comme le véritable ennemi de la superstition. Les Lettres chinoises (1739), grande œuvre de la littérature française, se distinguent nettement des autres lettres exotiques de l'époque et ont leur place à côté d'œuvres majeures telles que les Lettres persanes.

Le génie d'Argens — connu également pour la Philosophie du bon sens (1737) et les Mémoires secrets de la république des lettres (1737) — attira bien vite l'attention du grand empereur du siècle des Lumières, Frédéric le Grand, qui l'appela à sa cour. D'Argens s'y trouva en célèbre compagnie, entouré de Francesco Algarotti, de Pierre Maupertuis et de Voltaire.

— Joël SHAPIRO
Joël SHAPIRO, « ARGENS JEAN-BAPTISTE DE BOYER marquis d' (1704-1771) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 9 mars 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/jean-baptiste-de-argens/


Héritier des philosophes antiques (Épicure, Lucrèce), de Montaigne, Bayle, Locke et surtout Gassendi, Boyer d’Argens expose sa vision philosophique de la Physique, de la Métaphysique,de la Logique, du bonheur et de la vie en société. Le sous-titre de son ouvrage indique clairement le procès qu’il adresse à la raison, à l’Histoire et parfois à la science lorsqu’elle n’est précisément pas une science, mettant en lumière combien les connaissances humaines sont fragiles, inconstantes et peu fiables.
Sa démarche essentiellement critique à l’égard des stoïciens, de Malebranche, Spinoza et Descartes, son admiration pour La Bruyère, Fontenelle et La Fontaine installe une attitude philosophique préfigurant avec clarté le bouleversement intellectuel qui sera celui des Lumières.

Mais avant de tâter de Berlin, notre marquis se fait donner le titre de chargé d'affaires du roi de Prusse, auprès du duc de Wurtemberg. Il est mort !  Jean-Baptiste a donc affaire à la duchesse régente. Elle le reçoit bien, très bien, trop bien... il est presque effrayé par la vivacité des sentiments de cette personne ducale. Il n'est pas homme à reculer devant cette sorte de danger mais, soit qu'il ait eu l'illusion d'être quitte avec quelques politesses , soit que ces politesses loin de rafraîchir la duchesse l'eussent au contraire enflammée (   )  et mise hors d'elle-même (    ) , l'humeur de la dame s'aigrit, et les disputes des deux amants devinrent la fables des Cours d'Allemagne. D'Argens chercha refuge auprès de Frédéric où il était bien sûr qu'aucun danger de cette sorte ne le guettait. ( Jean Orieux, Voltaire ) .




Chambellan royal à Berlin, Boyer d'Argens est également nommé directeur de la section Belles-Lettres de l' Académie prussienne des arts et de l' Opéra d'État de Berlin ; c'est justement en visitant Paris pour recruter des interprètes qu'il rencontre Babette Cochois.


Malgré la contrariété de Frédéric, Jean-Baptiste épouse la ballerine et écrivaine Babette Cochois, en 1749.  Frédéric lui joue un tour à sa façon. Il offre à son chambellan une maison dont les murs sont peints à fresques représentant les prouesses du marquis. Et l'on voit d'Argens à la guerre fuyant devant l'ennemi, menacé du pal par le Grand Turc, charcuté par un chirurgien dans un endroit de sa personne que Vénus avait maltraité, etc ...   D'Argens qui s'était levé à l'aube pour aller admirer sa maison croit s'étrangler de rage et appelle des peintres qui badigeonnent le tout.  



Mariage heureux néanmoins.    Les époux ont une fille, Barbe (1754-1814).  Après de nombreuses années à Berlin , Jean-Baptiste revient en France en 1769, où il meurt au château de La Garde le 11 janvier 1771 ; initialement enterré dans la cathédrale de Toulon , sa dépouille a ensuite été transférée dans le caveau familial du Couvent des Minimes.


Travaux

D'Argens lutta toute sa vie contre l'obscurantisme. Il faisait partie du mouvement des Lumières du milieu du XVIIIe siècle en France, dirigé par Voltaire, Jean-Jacques Rousseau et Montesquieu , qui plaidaient pour une société fondée sur la raison, plutôt que sur la foi, et la séparation de l'Église et de l'État . Cependant, ils n'étaient pas des révolutionnaires ; beaucoup étaient des membres de la noblesse qui s'opposaient à la monarchie absolue , et non à la monarchie elle-même, une divergence majeure entre le marquis d'Argens et les protestants libéraux comme Prosper Marchand .


« Je ne crois pas qu'il eût en France un ami plus constant que moi.
Mon attachement et mon estime augmentaient encore par les traits que frère Berthier et d'autres polissons fanatiques lançaient continuellement contre lui. Les ouvrages de ces pédants de collège sont tombés dans un éternel oubli, et son mérite restera.
C'était un philosophe gai, sensible, et vertueux.
Ses ennemis n'étaient que des dévots, et vous savez combien un dévot est loin d'un homme de bien. »
(Voltaire)

Outre les Lettres juives , ses œuvres majeures comprennent les Lettres chinoises , les Lettres cabalistiques et les Mémoires secrets de la république des lettres , plus tard révisées et augmentées en Histoire de l'esprit humain . Il a également écrit six romans, le plus connu étant Thérèse Philosophe , petit ouvrage pornographique  basé sur les événements du procès Cadière. Cependant, le livre a été publié de manière anonyme. D'Argens lui-même a nié en être l'auteur et il y a un débat quant à savoir s'il doit lui être attribué.
https://en.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_de_Boyer,_Marquis_d%27Argens[/size][/url]

Merci Eléonore !!!

Entre les Boyer d'Argens et les Voyer d'Argenson, attention à ne pas s’emmêler les pinceaux !!!

En effet, quelle étonnante similarité de noms !

Merci pour cette biographie chère Eléonore ! Il y a fort longtemps, dans la charmante ville aux livres Deventer (aux Pays-Bas) j'ai trouvé Les Mémoires du marquis d'Argens, publiées à La Haye en 1735. Je ne savais pas du tout à quoi m'attendre, je croyais avoir affaire à des mémoires insipides d'un marquis dévot ou à moitié endormi dans ses terres, mais quand j'en commençais la lecture en 2010, j'étais agréablement surpris par la plume élégante et quelque peu satirique du marquis, donnant des petites piques à tout va, ayant souvent des réflexions fort à propos des différentes nations qu'il avait visitées, et dans certaines pages à la fin des Mémoires, il parlait même à mots couverts de sentiments homosexuels. J'ignore si ses mémoires ont été rééditées au Mercure de France. Si ce n'est pas le cas, ils devraient y penser, car c'est une lecture fort amusante.

Le Neues Palais de Potsdam nous propose sur sa page FB de découvrir le service de Meissen offert par Frédéric II au marquis. Le roi en aurait dessiné certains ornements :

De toute évidence, le marquis était très bien en Cour .
Frédéric était un homme à coups de coeur.

Gouverneur Morris a écrit:
Le Neues Palais de Potsdam nous propose sur sa page FB de découvrir le service de Meissen offert par Frédéric II au marquis. Le roi en aurait dessiné certains ornements

Je trouve cette décoration assez sobre et virile.
... dont la balance de Thémis, centrale, symbole maçonnique en diable. Est-ce que je me trompe ?

Cela en a tout l’air…