Les appartements de la reine décrits par Sophie von La Roche

Le 28 juin 1785, Sophie von La Roche passe son dernier jour à Versailles. Elle en profite pour voir les appartements de la reine :



« Aujourd'hui, j'ai aussi pu voir les appartements de la reine, l'occasion ne s'étant pas encore présentée jusqu'alors. Ils sont loin d'être aussi somptueux du roi, ni aussi nombreux et décorés d'aussi beaux vases. L'un en particulier, représentant le navire des armes de Paris, en argent et dorures avec des incrustations de pierres, se trouvait sur une commode, un présent que la ville de Paris avait offert à la reine pour la naissance du Dauphin.
La toilette se trouve près du lit, dorée elle aussi, et le linge est orné de dentelles. Les quatre petites pièces sont jolies. L'une est le cabinet de lecture, en boiseries blanches rehaussées des plus élégantes dorures qui soient, la porte à demi vitrée encadrée de bronze d'un travail admirable, tout comme les bronzes des cheminées.
Le canapé et les chaises sont en gros de Tours vert de mer, les petites tables en porcelaine, et tout a été choisi pour mettre en valeur cette belle femme et son teint éclatant.
Le jour qui pénètre depuis la petite cour à travers une mousseline d'Inde brodée éclaire ce ravissant mobilier d'une lumière si douce qu'il fallait voir que c'était, là aussi, à dessein.
Suivent ensuite deux pièces garnies de livres, tous bien choisis et décorés. En passant, je remarquai d'un coup d’œil furtif des cartes de Hollande et de l'Escaut.
La quatrième pièce est un peu plus grande, laquée de blanc argenté. Les chaises et les rideaux sont blancs avec des fleurs bleues et argentées, peintes très délicatement. On y trouve les portraits de Marie-Thérèse et de l'empereur et les portraits de ses deux enfants. Il y a un piano-forte anglais, une toilette japonaise, un tambour à broder et beaucoup de ravissants vases et récipients de valeur.
La salle de bains est recouverte de carreaux de porcelaine, et à côté se trouve un cabinet de repos, joli mais exigu, avec un lit.
Une dernière fois je passai par la galerie pour rentrer par la petite Venise, ainsi qu'on appelle les cabanes des bateliers. Ces jolies maisonnettes sont sur deux rangées, dans le parc au bord du grand canal. Chacune d'elle possède un jardinet charmant et alentour sous les arbres du parc se trouvent des tables et des bancs où les citadins de Versailles viennent se divertir le matin ou le soir. »

Extrait du Journal d'un voyage à travers la France, 1785, par Sophie von La Roche, traduit par Michel Lung, Thomas Dunskus et Anne Lung-Faivre, d'après l'édition originale (1787), aux Éditions de l'Entre-deux-Mers, 2012.

Il est intéressant de noter que Sophie von La Roche avait aperçu des cartes de la Hollande et de l'Escaut qui trainaient sur une table dans les appartements de la reine. Rappelons-nous qu'au printemps 1785 l'affaire de l'Escaut et les hollandais préoccupait particulièrement Joseph II et qu'il en entretenait Marie-Antoinette dans ses lettres. Cela prouve que Marie-Antoinette ne prenait pas la chose à la légère, mais essayait de bien s'informer

C'est toujours un vrai bonheur de marcher dans les pas de Sophie Von La Roche !
Il me semble bien que c'est la baronne d'Oberkirch qui fait la même remarque sur la relative simplicité de l'intérieur de la reine comparée à la magnificence des appartements du roi.

Sophie Von La Roche a écrit:
Une dernière fois je passai par la galerie pour rentrer par la petite Venise, ainsi qu'on appelle les cabanes des bateliers. Ces jolies maisonnettes sont sur deux rangées, dans le parc au bord du grand canal. Chacune d'elle possède un jardinet charmant et alentour sous les arbres du parc se trouvent des tables et des bancs où les citadins de Versailles viennent se divertir le matin ou le soir.[/i] »

... déjà !
C'est tout à fait comme aujourd'hui !

Comte d'Hézècques a écrit:

Il est intéressant de noter que Sophie von La Roche avait aperçu des cartes de la Hollande et de l'Escaut qui trainaient sur une table dans les appartements de la reine. Rappelons-nous qu'au printemps 1785 l'affaire de l'Escaut et les hollandais préoccupait particulièrement Joseph II et qu'il en entretenait Marie-Antoinette dans ses lettres. Cela prouve que Marie-Antoinette ne prenait pas la chose à la légère, mais essayait de bien s'informer

J'ai fait tilt exactement comme toi sur ce même détail, mon cher Félix .
Et je me suis tenu le même raisonnement.

Notons le petit air gêné de Sophie ... En passant, je remarquai d'un coup d’œil furtif ... qui ne voudrait pas paraître indiscrète, ni sembler attacher une grande importance à un détail ( qu'elle relate tout de même ! ) au sens très politique .

Oui, cette dame m'est tout à fait sympathique
J'aurais voulu être là avec elle et prendre des photos de tout ce qu'elle voyait avec ses yeux avides d'impressions
Je lui sais infiniment gré d'avoir noté les détails de ce qu'elle voyait autour d'elle, tel ces cartes sur la table. Cela nous montre que la reine n'était certainement plus cette tête à vent, comme son frère plaisait à la caractériser 10 ans plus tôt.

Quant aux chaises dans la quatrième pièce après les deux pièces garnies de livres, on peut peut-être penser à ce style de meubles dont il ne subsiste que très peu :

Mme de Sabran a écrit:
Il me semble bien que c'est la baronne d'Oberkirch qui fait la même remarque sur la relative simplicité de l'intérieur de la reine comparée à la magnificence des appartements du roi.

Ah non, c'est exactement le contraire !  



( la baronne d'Oberkirch )

Alors, qui a raison ?
Je pense que notre Sophie est plus objective, car pas impliquée dans la vie de cour comme la baronne d'Oberkirch, qui était plus intime avec la famille royale et les courtisans.

C'est passionnant !!!:n,,;::::!!!:
Merci de nous faire partager ce récit.

Oui, ce détail des cartes de l'Escaut et de la Hollande prouvent que Marie-Antoinette n'était pas qu'une tête à vent, malgré ce qu'en disait son frère. Qu'elle défendait à ses risques et périls, contre son mari, ses enfants, ses amis (les Polignac) et évidemment contre ses sujets...

Au fait, qu'est-ce donc une toilette japonaise ? Une petite table de toilette laquée ?

Les toilettes japonaises existent sous deux formes différentes. Le modèle plus ancien consiste en de simples toilettes au-dessus desquelles on s'accroupit (sorte de toilettes turques inversées). Il reste fréquent dans les toilettes publiques. Après la Seconde Guerre mondiale, le modèle moderne occidental des toilettes à chasse d'eau et des urinoirs a commencé à apparaître.

( Ah bon, Wiki ?!! )

Ah oui alors donc ce sont ces fameuses toilettes à jet d'eau permettant de nettoyer le popotin après usage ?
Ainsi la visite de particuliers des appartements de la reine allait jusqu'à ce lieu d'ultra-intimité ?

Oui, c'est très indiscret ...

Très intéressante visite en effet, mais on peut se demander si le poids des années n'a pas quelque peu embrouillé ses souvenirs !

Le "navire" "sur une commode" dont elle parle peut être rapproché de cette nef en lapis lazuli, des collections de Louis XIV, et qui figura sur la cheminée de la chambre de la reine (point de commode dans celle-ci !) :

http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/nef-en-lapis-lazuli

Mais ce n'était pas un cadeau de la ville de Paris...

"La toilette se trouve près du lit, dorée elle aussi, et le linge est orné de dentelles." Il doit s'agir ici de la toilette en vermeil héritée de Marie-Josèphe de Saxe, et fondue pendant la révolution, posée sur une table recouverte de dentelles.

Le "cabinet de lecture" décrit est à l'évidence le cabinet de la Méridienne : "porte à demi vitrée encadrée de bronzes d'un travail admirable"... ;-)

On reconnaît ensuite la bibliothèque et son supplément.

Par contre, quel est ce mystérieux cabinet "laqué de blanc argenté" ??? On semble y deviner le cabinet intérieur, là où la reine a toujours exposé "beaucoup de ravissants vases et récipients de valeur", provenant de sa collection de laques et pierres dures et de celle de sa mère, mais il était déjà dans son état "Cabinet doré" en 1785...

Quant à la toilette japonaise, ne serait-ce pas un ensemble d'objets en laque japonaise formant toilette, appartenant aux riches collections de la reine, qui serait là mentionné ? Voire, la fameuse table de toilette en laque de Weisweiler, qui figura un temps à Versailles avant d'être envoyée à Saint-Cloud ?

http://c2rmf.fr/objet/mobilier-xviii-eme-table-ecrire-pupitre-de-weisweiler

Eh bien ! Il faut illustrer Momo...

Demain... Je rame suffisamment depuis mon IPhone

Chic ! Merci d'avance !!! :n,,;::::!!!:

OK. Désolé...

Pas de soucis cher LNLN  !!! C'est que poster des images avec ce machin relève de la gageure

Pas question de poids des années pour notre Sophie von La Roche, elle a tout noté dans son journal le soir même de ses visites
Elle semble parler d'un vase sur lequel est représenté un navire, non ?

Peut-être cher Hézècques, j'essaie juste de croiser les informations. Notamment, il n'y eut jamais de commode dans la chambre de la reine, donc quid ? Mais bien une nef incrustée de métal et pierres précieuses sur la cheminée... Posée sur un haut pied, n'aurait elle pu être confondue par sa forme avec un vase ? Je pose juste des questions.

Essayons nous-mêmes de retranscrire un soir la visite d'appartements somptueux qui nous étaient inconnus auparavant (salles du XVIIIème au Louvre par exemple, ou salon d'un autre palais...), sans photos ni notes. On serait bien déçu de l'approximation de nos mentions !

Il se peut en effet que suite à toutes les impressions nouvelles que Sophie avait absorbées lors de ses quelques visites aux pièces de Versailles, elle se soit embrouillée dans quelques détails

Je vous donnerai bientôt le récit qu'elle fait de sa visite aux appartements de Louis XVI ... enfin, je pense que je n'en ai donné qu'une partie céans.

En tout cas, nous n'avons que des descriptions de mobilier, pas d'estampes des intérieurs ... nous devons donc nous fier aux quelques descriptions faites par les gens qui visitèrent Versailles.

Oui, et cest là où c'est intéressant : confronter ces descriptions avec l'ameublement connu par les inventaires. Rien d'exclusif l'un de l'autre !

L'idée n'est pas de donner tort à la mémorialiste, mais d'essayer d'identifier ce qu'elle a réellement vu, compte tenu des approximations possibles de son récit

Et à ce titre, je pense que la nef en lapis lazuli peut-être un bon exemple

En effet
Je me demande si Mme Cradock a elle aussi décrit les appartements du roi et de la reine lors de sa visite à Versailles ?
Je ne pense pas, je vais aller vérifier...

Très intéressante visite en effet, mais on peut se demander si le poids des années n'a pas quelque peu embrouillé ses souvenirs !

L'un en particulier, représentant le navire des armes de Paris, en argent et dorures avec des incrustations de pierres, se trouvait sur une commode, un présent que la ville de Paris avait offert à la reine pour la naissance du Dauphin. Cet objet peut être rapproché de cette nef en lapis lazuli, des collections de Louis XIV, et qui figura sur la cheminée de la chambre de la reine (point de commode dans celle-ci !) :


Mais ce n'était pas un cadeau de la ville de Paris... Curieuses ces légendes déjà rapportées à l'époque de cadeaux de la ville de Paris. On crût ainsi longtemps que le serre-bijoux en fut un, alors qu'il fut acquis par la reine. Le coffre à layette du 1er dauphin n'en fut-il pas un cependant ?

Les valets qui se faisaient rétribuer pour ce type de visite avaient-ils déjà l'ignorance d'oublée de l'imagination fertile de certains guides contemporains ?  

La toilette se trouve près du lit, dorée elle aussi, et le linge est orné de dentelles. Il doit s'agir ici de la toilette en vermeil héritée de Marie-Josèphe de Saxe, et fondue pendant la révolution, posée sur une table recouverte de dentelles. Une toilette équivalente a été reconstituée chez Mme de Pompadour :


Un exemple de toilette en vermeil contemporaine :


Celle de la reine Sophie-Charlotte, dans son portrait par Zoffany :


L'une est le cabinet de lecture, en boiseries blanches rehaussées des plus élégantes dorures qui soient, la porte à demi vitrée encadrée de bronze d'un travail admirable, tout comme les bronzes des cheminées.

On est dans la Méridienne :



Pour les bronzes de la cheminée, elle a été bien eue : , il n'y en a pas, le marbre est directement doré à la feuile :


Suivent ensuite deux pièces garnies de livres, tous bien choisis et décorés. On reconnaît la bibliothèque et son supplément :


La quatrième pièce est un peu plus grande, laquée de blanc argenté. Les chaises et les rideaux sont blancs avec des fleurs bleues et argentées, peintes très délicatement. On y trouve les portraits de Marie-Thérèse et de l'empereur et les portraits de ses deux enfants. Il y a un piano-forte anglais, une toilette japonaise, un tambour à broder et beaucoup de ravissants vases et récipients de valeur.  

Malgré la mention de "blanc argenté", on semble d'après le sens de la visite deviner le cabinet intérieur, là où la reine a toujours exposé "beaucoup de ravissants vases et récipients de valeur", provenant de sa collection de laques et pierres dures et de celle de sa mère, mais il était déjà dans son état "Cabinet doré" en 1785...

Exemple de piano forte par Roentgen :

http://www.artnet.com/artists/david-roentgen/historical-piano-neuwied-a-UtOwunW-SXSf35eDkXpJ0g2

Quant à la toilette japonaise, ne serait-ce pas un ensemble d'objets en laque japonaise formant toilette, appartenant aux riches collections de la reine, qui serait là mentionné ? Voire, la fameuse table de toilette en laque de Weisweiler, qui figura un temps dans le cabinet doré avant d'être envoyée à Saint-Cloud ?

Cosmo a écrit:Cette table de laque fut livrée fin 1784 ou début 1785 pour le service de Marie-Antoinette, sans que soit précisée la destination de ce meuble. Réalisée en 1784 par l'ébéniste Adam Weissweiler, elle fut probablement conçue pour le Cabinet doré de Marie-Antoinette à Versailles ; à décor de laque du Japon, elle s'accorde particulièrement bien avec les autres nombreux objets en laque dont la reine aimait s'entourer. Ses motifs de sphinges ailées transcrits dans les bronzes dorés ornant le tiroir se retrouvent sur les reliefs dorés des lambris blancs du cabinet.

C'est cependant à Saint-Cloud que la table est inventoriée pour la première fois, en 1789.

La salle de bains est recouverte de carreaux de porcelaine, et à côté se trouve un cabinet de repos, joli mais exigu, avec un lit.

Pas de porcelaine, mais du marbre ! La reine s'en servit fort peu de toute façon, préférant faire rouler un sabot dans sa chambre, ou bien utiliser sa spacieuse salle de bains du RDC.

Le cabinet de repos existe toujours, for exigu en effet, je cherche une photo !

Merci, mon cher Momo, pour ces belles images !

Je ne connaissais pas ce beau portrait :

La reine Sophie-Charlotte d'Angleterre, épouse de George III, par Zoffany, vers 1765 :

Ton érudition me laisse pantoise, cher Momo !
Merci pour ce somptueux exposé !!! :n,,;::::!!!:
Comme Majesté, je découvre avec plaisir ce très beau portrait .
Nous parlions justement des portraits avec reflet dans un miroir, après notre visite commune au Grand Palais, au sujet de la petite Julie Le Brun .

Ici :

https://marie-antoinette.forumactif.org/t733p240-galerie-virtuelle-des-oeuvres-de-mme-vigee-le-brun?highlight=vig%C3%A9e+lebrun

Encore merci, très cher ami...
Ton détail donnait à ce reflet une allure singulière et plus importante que dans le format global du tableau où ce n'est qu'un détail...  


Bien à vous.