Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
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Mme de Sabran
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Et merci pour votre analyse :;\':;\':;
Julia- Messages : 247
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Louise-Adélaïde a écrit:
J'avoue que bof, je n'apprécie pas cette œuvre difficile à mémoriser ( pour les élèves) difficile à synthétiser ( intrigues narratives) et je ne la trouve ni drôle, ni profonde; m'enfin, IL FAUT SUIVRE LA MODE OU QUITTER LE PAYS comme disent les braves gens;
Son succès de scandale qui a brillamment été scruté ici l'a propulsée dans la mémoire collective;
..
Quant à moi, je l'ai adorée !!!
Je pense que son analyse est un exercice aride qui plombe la lecture . Elle est inévitable dans le cadre des études scolaires, et vous, Louis Adé, prof que vous êtes, ne pouvez y échapper ! Mais il faut absolument s'en dépêtrer pour que la pensée s'envole librement et, qu'avec elle jaillissent mille impressions diffuses et confuses de déjà ressenti ( comment y échapper ? ) et de plaisir, plaisir de découvrir des caractères forts ou bien des sensibilités à fleur de peau, des interdits, des désirs inassouvis ... que sais je!
Les caractères de Valmont et Mme de Tourvel, leur impossible amour, me fascinent et me touchent profondément. J'ai plus de mal avec la machiavélique pourriture Merteuil. Je n'aime pas cette sainte nitouche vicieuse de Cécile et je plains amèrement sa malheureuse mère .
J'ajoute que je fais un régal de ce style épistolaire XVIIIème.
Ah tiens ! J'oubliais cette tarte de Danceny ... no comment !
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55500
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Mme de Sabran a écrit:Louise-Adélaïde a écrit:
J'avoue que bof, je n'apprécie pas cette œuvre difficile à mémoriser ( pour les élèves) difficile à synthétiser ( intrigues narratives) et je ne la trouve ni drôle, ni profonde; m'enfin, IL FAUT SUIVRE LA MODE OU QUITTER LE PAYS comme disent les braves gens;
Son succès de scandale qui a brillamment été scruté ici l'a propulsée dans la mémoire collective;
..
Je pense que son analyse est un exercice aride qui plombe la lecture . Elle est inévitable dans le cadre des études scolaires, et vous, Louis Adé, prof que vous êtes, ne pouvez y échapper !
Pour moi ce sera l'hypokhâgne ,;;^)àà:
àè-è\': àè-è\': àè-è\':
Dernière édition par Julia le Dim 07 Aoû 2016, 20:08, édité 1 fois
Julia- Messages : 247
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Je suis de votre avis.
Je pense également que c'est un livre que toute jeune fille DOIT lire. En particulier la lettre LXXXI.
Je pense également que c'est un livre que toute jeune fille DOIT lire. En particulier la lettre LXXXI.
Julia- Messages : 247
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Mme de Sabran a écrit:Louise-Adélaïde a écrit:
J'avoue que bof, je n'apprécie pas cette œuvre difficile à mémoriser ( pour les élèves) difficile à synthétiser ( intrigues narratives) et je ne la trouve ni drôle, ni profonde; m'enfin, IL FAUT SUIVRE LA MODE OU QUITTER LE PAYS comme disent les braves gens;
Son succès de scandale qui a brillamment été scruté ici l'a propulsée dans la mémoire collective;
..
Quant à moi, je l'ai adorée !!!
Je pense que son analyse est un exercice aride qui plombe la lecture . Elle est inévitable dans le cadre des études scolaires, et vous, Louis Adé, prof que vous êtes, ne pouvez y échapper ! Mais il faut absolument s'en dépêtrer pour que la pensée s'envole librement et, qu'avec elle jaillissent mille impressions diffuses et confuses de déjà ressenti ( comment y échapper ? ) et de plaisir, plaisir de découvrir des caractères forts ou bien des sensibilités à fleur de peau, des interdits, des désirs inassouvis ... que sais je!
Les caractères de Valmont et Mme de Tourvel, leur impossible amour, me fascinent et me touchent profondément. J'ai plus de mal avec la machiavélique pourriture Merteuil. Je n'aime pas cette sainte nitouche vicieuse de Cécile et je plains amèrement sa malheureuse mère .
J'ajoute que je fais un régal de ce style épistolaire XVIIIème.
Ah tiens ! J'oubliais cette tarte de Danceny ... no comment !
Et je rajouterais que c'est précisément ce style épistolaire qui rendent ces portraits psychologiques si sensibles. Comment devinerait-on la fausse candeur de Cécile sans ses "Oh!"?
Julia- Messages : 247
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
... ni ses « Ques’aco ? » faussement effarouchés ! : boudoi26
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Mme de Sabran- Messages : 55500
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Julia- Messages : 247
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Mais bien sûr, je vous comprends parfaitement toutes les deux......!!!
Invité- Invité
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Julia a écrit:Je suis de votre avis.
Je pense également que c'est un livre que toute jeune fille DOIT lire. En particulier la lettre LXXXI.
La voici ( pour rappel ) !
Lettre LXXXI
La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont
Que vos craintes me causent de pitié ! Combien elles me prouvent ma supériorité sur vous ! & vous voulez m’enseigner, me conduire ! Ah ! mon pauvre Valmont, quelle distance il y a encore de vous à moi ! Non, tout l’orgueil de votre sexe ne suffirait pas pour remplir l’intervalle qui nous sépare. Parce que vous ne pourriez exécuter mes projets, vous les jugez impossibles ! Etre orgueilleux & faible, il te sied bien de vouloir calculer mes moyens & juger de mes ressources ! Au vrai, Vicomte, vos conseils m’ont donné de l’humeur, & je ne puis vous le cacher.
Que pour masquer votre incroyable gaucherie auprès de votre Présidente, vous m’étaliez comme un triomphe d’avoir déconcerté un moment cette femme timide & qui vous aime, j’y consens ; d’en avoir obtenu un regard, un seul regard, je souris & vous le passe. Que sentant, malgré vous, le peu de valeur de votre conduite, vous espériez la dérober à mon attention, en me flattant de l’effort sublime de rapprocher deux enfants qui, tous deux, brûlent de se voir, & qui, soit dit en passant, doivent à moi seule l’ardeur de ce désir ; je le veux bien encore. Qu’enfin vous vous autorisiez de ces actions d’éclat, pour me dire d’un ton doctoral, qu’il vaut mieux employer son temps à exécuter ses projets qu’à les raconter ; cette vanité ne me nuit pas, & je la pardonne. Mais que vous puissiez croire que j’ai besoin de votre prudence, que je m’égarerais en ne déférant pas à vos avis, que je dois leur sacrifier un plaisir, une fantaisie ! en vérité, Vicomte, c’est aussi vous trop enorgueillir de la confiance que je veux bien avoir en vous !
Et qu’avez-vous donc fait, que je n’aie surpassé mille fois ? Vous avez séduit, perdu même beaucoup de femmes : mais quelles difficultés avez-vous eues à vaincre ? quels obstacles à surmonter ? où est là le mérite qui soit véritablement à vous ? Une belle figure, pur effet du hasard ; des grâces, que l’usage donne presque toujours ; de l’esprit à la vérité, mais auquel du jargon suppléerait au besoin ; une impudence assez louable, mais peut-être uniquement due à la facilité de vos premiers succès ; si je ne me trompe, voilà tous vos moyens : car pour la célébrité que vous avez pu acquérir, vous n’exigerez pas, je crois, que je compte pour beaucoup l’art de faire naître ou de saisir l’occasion d’un scandale.
Quant à la prudence, à la finesse, je ne parle pas de moi : mais quelle femme n’en aurait pas plus que vous ? Eh ! votre Présidente vous mène comme un enfant.
Croyez-moi, Vicomte, on acquiert rarement les qualités dont on peut se passer. Combattant sans risque, vous devez agir sans précaution. En effet, pour vous autres hommes, les défaites ne sont que des succès de moins. Dans cette partie si inégale, notre fortune est de ne pas perdre, & votre malheur de ne pas gagner. Quand je vous accorderais autant de talents qu’à nous, de combien encore ne devrions-nous pas vous surpasser, par la nécessité où nous sommes d’en faire un continuel usage !
Supposons, j’y consens, que vous mettiez autant d’adresse à nous vaincre que nous à nous défendre ou à céder, vous conviendrez au moins qu’elle vous devient inutile après le succès. Uniquement occupé de votre nouveau goût, vous vous y livrez sans crainte, sans réserve : ce n’est pas à vous que sa durée importe.
En effet, ces liens réciproquement donnés & reçus, pour parler le jargon de l’amour, vous seul pouvez, à votre choix, les resserrer ou les rompre : heureuses encore, si dans votre légèreté, préférant le mystère à l’éclat, vous vous contentez d’un abandon humiliant, & ne faites pas de l’idole de la veille la victime du lendemain !
Mais qu’une femme infortunée sente la première le poids de sa chaîne, quels risques n’a-t-elle pas à courir, si elle tente de s’y soustraire, si elle ose seulement la soulever ? Ce n’est qu’en tremblant qu’elle essaie d’éloigner d’elle l’homme que son cœur repousse avec effort. S’obstine-t-il à rester, ce qu’elle accordait à l’amour, il faut le livrer à la crainte : Ses bras s’ouvrent encor quand son cœur est fermé. Sa prudence doit dénouer avec adresse, ces mêmes liens que vous auriez rompus. A la merci de son ennemi, elle est sans ressource, s’il est sans générosité ; & comment en espérer de lui, lorsque, si quelquefois on le loue d’en avoir, jamais pourtant on ne le blâme d’en manquer ?
Sans doute vous ne nierez pas ces vérités que leur évidence a rendues triviales. Si pourtant vous m’avez vue, disposant des événements & des opinions, faire de ces hommes si redoutables les jouets de mes caprices ou de mes fantaisies ; ôter aux uns la volonté de me nuire, aux autres la puissance ; si j’ai su tour à tour, & suivant mes goûts mobiles, attacher à ma suite ou rejeter loin de moi ces tyrans détrônés devenus mes esclaves ; si, au milieu de ces révolutions fréquentes, ma réputation s’est pourtant conservée pure, n’avez-vous pas dû en conclure que, née pour venger mon sexe & maîtriser le vôtre, j’avais su me créer des moyens inconnus jusqu’à moi ?
Ah ! gardez vos conseils & vos craintes pour ces femmes à délire, & qui se disent à sentiments, dont l’imagination exaltée ferait croire que la nature a placé leurs sens dans leur tête ; qui n’ayant jamais réfléchi, confondent sans cesse l’amour & l’amant ; qui, dans leur folle illusion, croient que celui-là seul avec qui elles ont cherché le plaisir en est l’unique dépositaire ; &, vraies superstitieuses, ont pour le prêtre, le respect & la foi qui n’est dû qu’à la divinité.
Craignez encore pour celles qui, plus vaines que prudentes, ne savent pas au besoin consentir à se faire quitter.
Tremblez surtout pour ces femmes actives dans leur oisiveté, que vous nommez sensibles, & dont l’amour s’empare si facilement de toute l’existence ; qui sentent le besoin de s’en occuper encore, même alors qu’elles n’en jouissent pas ; & s’abandonnant sans réserve à la fermentation de leurs idées, enfantent par elles ces lettres brûlantes, si douces, mais si dangereuses à écrire ; & ne craignent pas de confier ces preuves de leur faiblesse à l’objet qui les cause : imprudentes, qui dans leur amant actuel ne savent pas voir leur ennemi futur !
Mais moi, qu’ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées ? Quand m’avez-vous vue m’écarter des règles que je me suis prescrites & manquer à mes principes ? je dis mes principes, & je le dis à dessein : car ils ne sont pas, comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, reçus sans examen & suivis par habitude ; ils sont le fruit de mes profondes réflexions ; je les ai créés, & je puis dire que je suis mon ouvrage.
Entrée dans le monde dans le temps où, fille encore, j’étais vouée par état au silence & à l’inaction, j’ai su en profiter pour observer & réfléchir. Tandis qu’on me croyait étourdie ou distraite, écoutant peu à la vérité les discours qu’on s’empressait de me tenir, je recueillais avec soin ceux qu’on cherchait à me cacher.
Cette utile curiosité, en servant à m’instruire, m’apprit encore à dissimuler : forcée souvent de cacher les objets de mon attention aux yeux qui m’entouraient, j’essayai de guider les miens à mon gré ; j’obtins dès lors de prendre à volonté ce regard distrait que depuis vous avez loué si souvent. Encouragée par ce premier succès, je tâchai de régler de même les divers mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque chagrin, je m’étudiais à prendre l’air de la sécurité, même celui de la joie ; j’ai porté le zèle jusqu’à me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l’expression du plaisir. Je me suis travaillée avec le même soin & plus de peine pour réprimer les symptômes d’une joie inattendue. C’est ainsi que j’ai su prendre sur ma physionomie cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si étonné.
J’étais bien jeune encore, & presque sans intérêt : mais je n’avais à moi que ma pensée, & je m’indignais qu’on pût me la ravir ou me la surprendre contre ma volonté. Munie de ces premières armes, j’en essayai l’usage : non contente de ne plus me laisser pénétrer, je m’amusais à me montrer sous des formes différentes ; sûre de mes gestes, j’observais mes discours ; je réglais les uns & les autres, suivant les circonstances, ou même seulement suivant mes fantaisies : dès ce moment, ma façon de penser fut pour moi seule, & je ne montrai plus que celle qu’il m’était utile de laisser voir.
Ce travail sur moi-même avait fixé mon attention sur l’expression des figures & le caractère des physionomies ; & j’y gagnai ce coup d’oeil pénétrant, auquel l’expérience m’a pourtant appris à ne pas me fier entièrement ; mais qui, en tout, m’a rarement trompée.
Je n’avais pas quinze ans, je possédais déjà les talents auxquels la plus grande partie de nos politiques doivent leur réputation, & je ne me trouvais encore qu’aux premiers éléments de la science que je voulais acquérir.
Vous jugez bien que, comme toutes les jeunes filles, je cherchais à deviner l’amour & ses plaisirs : mais n’ayant jamais été au couvent, n’ayant point de bonne amie, & surveillée par une mère vigilante, je n’avais que des idées vagues & que je ne pouvais fixer ; la nature même, dont assurément je n’ai eu qu’à me louer depuis, ne me donnait encore aucun indice. On eût dit qu’elle travaillait en silence à perfectionner son ouvrage. Ma tête seule fermentait ; je n’avais pas l’idée de jouir, je voulais savoir ; le désir de m’instruire m’en suggéra les moyens.
Je sentis que le seul homme avec qui je pouvais parler sur cet objet sans me compromettre, était mon confesseur. Aussitôt je pris mon parti ; je surmontai ma petite honte ; & me vantant d’une faute que je n’avais pas commise, je m’accusai d’avoir fait tout ce que font les femmes. Ce fut mon expression ; mais en parlant ainsi, je ne savais, en vérité, quelle idée j’exprimais. Mon espoir ne fut ni tout à fait trompé, ni entièrement rempli ; la crainte de me trahir m’empêchait de m’éclairer : mais le bon Père me fit le mal si grand, que j’en conclus que le plaisir devait être extrême ; & au désir de le connaître, succéda celui de le goûter.
Je ne sais où ce désir m’aurait conduite ; & alors dénuée d’expérience, peut-être une seule occasion m’eût perdue : heureusement pour moi, ma mère m’annonça peu de jours après que j’allais me marier ; sur-le-champ la certitude de savoir éteignit ma curiosité, & j’arrivai vierge entre les bras de M. de Merteuil.
J’attendais avec sécurité le moment qui devait m’instruire, & j’eus besoin de réflexion pour montrer de l’embarras & de la crainte. Cette première nuit, dont on se fait pour l’ordinaire une idée si cruelle ou si douce, ne me présentait qu’une occasion d’expérience : douleur & plaisir, j’observai tout exactement, & ne voyais dans ces diverses sensations, que des faits à recueillir & à méditer. Ce genre d’étude parvint bientôt à me plaire : mais fidèle à mes principes, & sentant, peut-être par instinct, que nul ne devait être plus loin de ma confiance que mon mari, je résolus, par cela seul que j’étais sensible, de me montrer impassible à ses yeux. Cette froideur apparente fut par la suite le fondement inébranlable de son aveugle confiance ; j’y joignis, par une seconde réflexion, l’air d’étourderie qu’autorisait mon âge ; & jamais il ne me jugea plus enfant que dans les moments où je jouais avec plus d’audace.
Cependant, je l’avouerai, je me laissai d’abord entraîner par le tourbillon du monde, & me livrai toute entière à ses distractions futiles. Mais au bout de quelques mois, M. de Merteuil m’ayant menée à sa triste campagne, la crainte de l’ennui fit revenir le goût de l’étude ; & ne m’y trouvant entourée que de gens dont la distance avec moi me mettait à l’abri du soupçon, j’en profitai pour donner un champ plus vaste à mes expériences. Ce fut là, surtout, que je m’assurai que l’amour, qu’on nous vante comme la cause de nos plaisirs, n’en est au plus que le prétexte.
La maladie de M. de Merteuil vint interrompre de si douces occupations ; il fallut le suivre à la ville où il revenait chercher des secours. Il mourut, comme vous savez, peu de temps après ; & quoique à tout prendre, je n’eusse pas à me plaindre de lui, je n’en sentis pas moins vivement le prix de la liberté qu’allait me donner mon veuvage, & je me promis bien d’en profiter.
Ma mère comptait que j’entrerais au couvent, ou reviendrais vivre avec elle. Je refusai l’un & l’autre parti ; & tout ce que j’accordai à la décence, fut de retourner dans cette même campagne, où il me restait bien encore quelques observations à faire.
Je les fortifiai par le secours de la lecture ; mais ne croyez pas qu’elle fût toute du genre que vous supposez. J’étudiai nos mœurs dans les romans ; nos opinions dans les philosophes ; je cherchai même dans les moralistes les plus sévères ce qu’ils exigeaient de nous, & je m’assurai ainsi de ce qu’on pouvait faire, de ce qu’on devait penser, & de ce qu’il fallait paraître. Une fois fixée sur ces trois objets, le dernier seul présentait quelques difficultés dans son exécution ; j’espérai les vaincre, & j’en méditai les moyens.
Je commençais à m’ennuyer de mes plaisirs rustiques, trop peu variés pour ma tête active ; je sentais un besoin de coquetterie qui me raccommoda avec l’amour ; non pour le ressentir à la vérité, mais pour l’inspirer & le feindre. En vain m’avait-on dit, & avais-je lu qu’on ne pouvait feindre ce sentiment ; je voyais pourtant que, pour y parvenir, il suffisait de joindre à l’esprit d’un auteur, le talent d’un comédien. Je m’exerçai dans les deux genres, & peut-être avec quelque succès : mais au lieu de rechercher les vains applaudissements du théâtre, je résolus d’employer à mon bonheur ce que tant d’autres sacrifiaient à la vanité.
Un an se passa dans ces occupations différentes. Mon deuil me permettant alors de reparaître, je revins à la ville avec mes grands projets ; je ne m’attendais pas au premier obstacle que j’y rencontrai.
Cette longue solitude, cette austère retraite, avaient jeté sur moi un vernis de pruderie qui effrayait nos plus agréables : ils se tenaient à l’écart, & me laissaient livrée à une foule d’ennuyeux, qui tous prétendaient à ma main. L’embarras n’était pas de les refuser ; mais plusieurs de ces refus déplaisaient à ma famille, & je passais dans ces tracasseries intérieures le temps dont je m’étais promis un si charmant usage. Je fus donc obligée, pour rappeler les uns & éloigner les autres, d’afficher quelques inconséquences, & d’employer à nuire à ma réputation le soin que je comptais mettre à la conserver. Je réussis facilement, comme vous pouvez croire. Mais n’étant emportée par aucune passion, je ne fis que ce que je jugeai nécessaire, & mesurai avec prudence les doses de mon étourderie.
Dès que j’eus touché le but que je voulais atteindre, je revins sur mes pas & fis honneur de mon amendement à quelques-unes de ces femmes, qui, dans l’impuissance d’avoir des prétentions à l’agrément, se rejettent sur celles du mérite & de la vertu. Ce fut un coup de partie qui me valut plus que je n’avais espéré. Ces reconnaissantes duègnes s’établirent mes apologistes ; & leur zèle aveugle pour ce qu’elles appelaient leur ouvrage, fut porté au point qu’au moindre propos qu’on se permettait sur moi, tout le parti prude criait au scandale & à l’injure. Le même moyen me valut encore le suffrage de nos femmes à prétentions, qui, persuadées que je renonçais à courir la même carrière qu’elles, me choisirent pour l’objet de leurs éloges, toutes les fois qu’elles voulaient prouver qu’elles ne médisaient pas de tout le monde.
Cependant ma conduite précédente avait ramené les amants ; & pour me ménager entre eux & mes fidèles protectrices, je me montrai comme une femme sensible, mais difficile, à qui l’excès de sa délicatesse fournissait des armes contre l’amour.
Alors je commençai à déployer sur le grand théâtre les talents que je m’étais donnés. Mon premier soin fut d’acquérir le renom d’invincible. Pour y parvenir, les hommes qui ne me plaisaient point furent toujours les seuls dont j’eus l’air d’accepter les hommages. Je les employais utilement à me procurer les honneurs de la résistance, tandis que je me livrais sans crainte à l’amant préféré. Mais, celui-là, ma feinte timidité ne lui a jamais permis de me suivre dans le monde ; & les regards du cercle ont été, ainsi, toujours fixés sur l’amant malheureux.
Vous savez combien je me décide vite : c’est pour avoir observé que ce sont presque toujours les soins antérieurs qui livrent le secret des femmes. Quoi qu’on puisse faire, le ton n’est jamais le même, avant ou après le succès. Cette différence n’échappe point à l’observateur attentif ; & j’ai trouvé moins dangereux de me tromper dans le choix ; que de le laisser pénétrer. Je gagne encore par là d’ôter les vraisemblances, sur lesquelles seules on peut nous juger.
Ces précautions & celles de ne jamais écrire, de ne livrer jamais aucune preuve de ma défaite, pouvaient paraître excessives, & ne m’ont jamais paru suffisantes. Descendue dans mon cœur, j’y ai étudié celui des autres. J’y ai vu qu’il n’est personne qui n’y conserve un secret qu’il lui importe qui ne soit point dévoilé : vérité que l’antiquité paraît avoir mieux connue que nous, & dont l’histoire de Samson pourrait n’être qu’un ingénieux emblème. Nouvelle Dalila, j’ai toujours, comme elle, employé ma puissance à surprendre ce secret important. De combien de nos Samsons modernes, ne tiens-je pas la chevelure sous le ciseau ! Et ceux-là, j’ai cessé de les craindre ; ce sont les seuls que je me sois permis d’humilier quelquefois. Plus souple avec les autres, l’art de les rendre infidèles pour éviter de leur paraître volage, une feinte amitié, une apparente confiance, quelques procédés généreux, l’idée flatteuse & que chacun conserve d’avoir été mon seul amant, m’ont obtenu leur discrétion. Enfin, quand ces moyens m’ont manqué, j’ai su, prévoyant mes ruptures, étouffer d’avance, sous le ridicule ou la calomnie, la confiance que ces hommes dangereux auraient pu obtenir.
Ce que je vous dis là, vous me le voyez pratiquer sans cesse ; & vous doutez de ma prudence ! Hé bien ! rappelez-vous le temps où vous me rendîtes vos premiers soins : jamais hommage ne me flatta autant ; je vous désirais avant de vous avoir vu. Séduite par votre réputation, il me semblait que vous manquiez à ma gloire ; je brûlais de vous combattre corps à corps. C’est le seul de mes goûts qui ait jamais pris un moment d’empire sur moi. Cependant, si vous eussiez voulu me perdre, quels moyens eussiez-vous trouvés ? de vains discours qui ne laissent aucune trace après eux, que votre réputation même eût aidé à rendre suspects, & une suite de faits sans vraisemblance, dont le récit sincère aurait eu l’air d’un roman mal tissé. A la vérité, je vous ai depuis livré tous mes secrets : mais vous savez quels intérêts nous unissent, & si, de nous deux, c’est moi qu’on doit taxer d’imprudence.
Puisque je suis en train de vous rendre compte, je veux le faire exactement. Je vous entends d’ici me dire que je suis au moins à la merci de ma femme de chambre ; en effet, si elle n’a pas le secret de mes sentiments, elle a celui de mes actions. Quand vous m’en parlâtes jadis, je vous répondis seulement que j’étais sûre d’elle ; & la preuve que cette réponse suffit alors à votre tranquillité, c’est que vous lui avez confié depuis, & pour votre compte, des secrets assez dangereux. Mais à présent que Prévan vous donne de l’ombrage, & que la tête vous en tourne, je me doute bien que vous ne me croyez plus sur parole. Il faut donc vous édifier.
Premièrement, cette fille est ma sœur de lait, & ce lien qui ne nous en paraît pas un, n’est sans force pour les gens de cet état ; de plus, j’ai son secret, & mieux encore ; victime d’une folie de l’amour, elle était perdue si je ne l’eusse sauvée. Ses parents, tout hérissés d’honneur, ne voulaient pas moins que la faire enfermer. Ils s’adressèrent à moi. Je vis, d’un coup d’oeil, combien leur courroux pouvait m’être utile. Je le secondai & sollicitai l’ordre, que j’obtins. Puis, passant tout à coup au parti de la clémence auquel j’amenai ses parents, & profitant de mon crédit auprès du vieux ministre, je les fis tous consentir à me laisser dépositaire de cet ordre, & maîtresse d’en arrêter ou demander l’exécution, suivant que je jugerais du mérite de la conduite future de cette fille. Elle sait donc que j’ai son sort entre les mains ; & quand, par impossible, ces moyens puissants ne l’arrêteraient point, n’est-il pas évident que sa conduite dévoilée & sa punition authentique ôteraient bientôt toute créance à ses discours ?
A ces précautions que j’appelle fondamentales, s’en joignent mille autres, ou locales, ou d’occasion, que la réflexion & l’habitude font trouver au besoin ; dont le détail serait minutieux, mais dont la pratique est importante, & qu’il faut vous donner la peine de recueillir dans l’ensemble de ma conduite, si vous voulez parvenir à les connaître.
Mais de prétendre que je me donne tant de soins pour n’en pas retirer de fruits ; qu’après m’être autant élevée au-dessus des autres femmes par mes travaux pénibles, je consente à ramper comme elles dans ma marche, entre l’imprudence & la timidité ; que surtout je puisse redouter un homme au point de ne plus voir mon salut que dans la fuite ? Non, Vicomte, jamais. Il faut vaincre ou périr. Quant à Prévan, je veux l’avoir, & je l’aurai ; il veut le dire, & il ne le dira pas : en deux mots, voilà notre roman. Adieu.
De … ce 20 septembre 17…
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Mme de Sabran- Messages : 55500
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Julia- Messages : 247
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
J'aime ces petits " et " : &
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Moi aussi j'aime ces "&" qui paraissent incongrus dans un tel contexte mais cela donne le ton de la confidentialité entre les deux protagonistes... boudoi30
Bien à vous.
Bien à vous.
Invité- Invité
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Je pose un court extrait fort utile pour comprendre ce chef-d’œuvre.
LA PRÉFACE DU RÉDACTEUR
(...) L'utilité de l'ouvrage, qui peut-être sera encore plus contestée, me paraît pourtant plus facile à établir. Il me semble du moins que c'est rendre un service aux mœurs, que de dévoiler les moyens qu'emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes, et je crois que ces lettres pourront concourir efficacement à ce but. On y trouvera aussi la preuve et l'exemple de deux vérités importantes qu'on pourrait croire méconnues, en voyant combien peu elles sont pratiquées : l'une, que toute femme qui consent à recevoir dans sa société un homme sans mœurs, finit par en devenir la victime ; l'autre, que toute mère est au moins imprudente, qui souffre qu'un autre qu'elle ait la confiance de sa fille. (... )
Julia- Messages : 247
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Les intentions de l'officier d'artillerie, en écrivant Les Liaisons dangereuses, nous restent obscures. Son œuvre est marquée par la carrière militaire de son auteur, ne serait-ce que dans le vocabulaire militaire et technique employé pour décrire les manœuvres amoureuses. En guise d'effusion des sentiments, Merteuil et Valmont se mènent une guerre sans merci et multiplient les dégâts collatéraux, bouleversant la Carte du Tendre des romans du Grand Siècle. Il devient nécessaire de s'armer contre le plus grand des dangers et des artifices : l'amour. Capable de faire sombrer ses victimes dans la déchéance morale et sociale et d'avoir raison des êtres les plus innocents (Mme de Tourvel, Cécile de Volanges), l'amour réduit en esclavage. C'est ce que redoutent le plus les libertins de Laclos. Peut-on aller jusqu'à dire que son roman dénonce le despotisme et les inégalités sociales de l'Ancien Régime à l'aube de la Révolution française de 1789 ? Le rapprochement est tentant dès lors que l'on peut effectivement lire Les Liaisons dangereuses comme une mise en garde contre les institutions corrompues et inégalitaires, imposant des contraintes extérieures inutiles et néfastes en lieu et place de la responsabilité éthique individuelle. Autrement dit, si on adhère aux prétentions morales dont l'auteur nous fait part dans sa préface, le roman de Laclos montrerait l'hypocrisie et les jeux pervers de ses personnages comme un moyen de défense contre la gangrène de la société, les mauvaises éducations et la fausse vertu morale chrétienne (voir Tartuffe) conduisant les individus à leur perte. Contre une telle logique sacrificielle, ce sont surtout les femmes qui sont appelées à mener une véritable révolution (voir Laclos, Des femmes et de leur éducation) pour sortir de leur minorité et revendiquer leur liberté individuelle.
http://www.nonfiction.fr/article-6413-les_liaisons_dangereuses__le_chef_duvre_dun_inconnu.htm
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Mme de Sabran- Messages : 55500
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Merci ! je taperai un bout de l'introduction des Liaisons par René Pomeau quand j'aurai le temps. Il fait suite à votre extrait.
Julia- Messages : 247
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Avec plaisir, merci, ma chère Julia ! C'est un plaisir de vous lire, ce soir.
Je sors, bouleversée, de l'Incompris de Luigi Comencini que j'avais pourtant déjà vu, il y a des années ... sur ces accents poignants de l'adagio du concerto N° 23 de Mozart ... Quel beau film !
Je sors, bouleversée, de l'Incompris de Luigi Comencini que j'avais pourtant déjà vu, il y a des années ... sur ces accents poignants de l'adagio du concerto N° 23 de Mozart ... Quel beau film !
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Mme de Sabran- Messages : 55500
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Je viens de découvrir l'Incompris de Comencini. J'ai adoré ! Quelle violence sensible dans cette incompréhension entre les générations. De dangereuses liaisons familiales !
Bien à vous.
Bien à vous.
Invité- Invité
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Extraits de l'introduction des Liaisons dangereuses par René Pomeau :
Dans cette édition : https://www.amazon.fr/liaisons-dangereuses-LACLOS/dp/2080712942/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1471935643&sr=1-1&keywords=liaisons+dangereuses+gf
Dans la partie Laclos avant les Liaisons dangereuses de l'introduction :
Dans cette édition : https://www.amazon.fr/liaisons-dangereuses-LACLOS/dp/2080712942/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1471935643&sr=1-1&keywords=liaisons+dangereuses+gf
Dans la partie Laclos avant les Liaisons dangereuses de l'introduction :
Quelques aspects cependant sont à retenir, non certes comme explication des Liaisons, mais comme ayant du rapport avec l'oeuvre. Laclos eut pour vocation première et définitive l'armée. Il entre dans l'artillerie parce que, a-t-on dit, cette arme où la compétence est exigée s'ouvrait à ceux qui, comme lui, ne possédaient pas les quatre quartiers de noblesse obligatoires. Mais on peut penser aussi qu'il l' choisie par goût. Il se distingue de la foule des militaires, exerçant le métier par routine. Il se montre un novateur, attiré par la recherche. Pendant qu'il rédige son roman, il est affecté à l'île d'Aix, avant-poste de Rochefort. Il a mission d'y construire un fort, contre une éventuelle attaque anglaise. Or, l'ouvrage dessiné par le patron, le marquis de Montalembert, est d'une conception révolutionnaire, rompant avec la tradition de Vauban. (...)
Par là se manifeste chez Laclos un tour d'esprit à la fois inventif, minutieux et calculateur. L'influence du métier ne se traduit pas seulement dans son roman par l'abondance du vocabulaire militaire, inévitable d'ailleurs sous la plume de personnages menant des entreprises de conquête amoureuse. Il est plus important de noter que l'imagination combinatrice qui est la sienne trouve à s'employer dans la mise au point d'une intrigue aux mécanismes bien ajustés. Occupé professionnellement des plans de défense et d'attaque, l'artilleur Laclos fait l'histoire des "campagnes " de Valmont, de la Merteuil, le choix des stratégies aboutissant, comme il arrive souvent à la guerre, à des résultats non prévus.
Par là se manifeste chez Laclos un tour d'esprit à la fois inventif, minutieux et calculateur. L'influence du métier ne se traduit pas seulement dans son roman par l'abondance du vocabulaire militaire, inévitable d'ailleurs sous la plume de personnages menant des entreprises de conquête amoureuse. Il est plus important de noter que l'imagination combinatrice qui est la sienne trouve à s'employer dans la mise au point d'une intrigue aux mécanismes bien ajustés. Occupé professionnellement des plans de défense et d'attaque, l'artilleur Laclos fait l'histoire des "campagnes " de Valmont, de la Merteuil, le choix des stratégies aboutissant, comme il arrive souvent à la guerre, à des résultats non prévus.
Julia- Messages : 247
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Julia a écrit:
... l'imagination combinatrice qui est la sienne trouve à s'employer dans la mise au point d'une intrigue aux mécanismes bien ajustés.
C'est que les alliés d'hier deviennent, au cours de la lecture, les ennemis les plus irréconciliables .
Et même cette guerre amoureuse fera des morts.
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Mme de Sabran- Messages : 55500
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Les significations des Liaisons sont présentées par René Pomeau dans son introduction.
1-L'interprétation métaphysique,
Les notes en question se trouvent ici : http://femmedeslumieres.canalblog.com/archives/2014/02/06/29133848.html
1-L'interprétation métaphysique,
qui peut se réclamer d'une illustre autorité. Baudelaire, en faisant une lecture historique, la place dans la perspective où selon Joseph Maistre la Révolution française prendrait son sens. Il y reconnaît 'l'énergie du mal' qui allait détruire l'ancienne société. Un mal qui est le mal. Baudelaire en ses notes nomme plusieurs fois Satan : ce n'est point sous sa plume une métaphore sans portée. Une Merteuil déploie de prodigieux efforts , une savante stratégie de manoeuvres et de ruses et tout cela à quelle fin ? 'Pour gagner un prix très frivole', à savoir faire de Gercourt un mari par avance trompé. Une telle disproportion ne prouve-t-elle pas que le génie du Mal est l'oeuvre en cette "Eve infernale"? Elle et ses complices révèlent comment, dès ici-bas, selon Baudelaire, 'la détestable humanité se fait un enfer préparatoire ' .
Les notes en question se trouvent ici : http://femmedeslumieres.canalblog.com/archives/2014/02/06/29133848.html
Julia- Messages : 247
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
2- La critique sociale.
Voici la première lettre de Cécile Volanges :
PREMIÈRE LETTRE.
Cécile Volanges à Sophie Carnay, aux Ursulines de. . . . .
Laclos, homme des Lumières, situe sa critique au niveau social. Il cherche l'origine et les effets du mal dans les moeurs, ainsi que dans les institutions. Plus précisément, puisque ici "le danger des liaisons " fait deux victimes qui sont des femmes, il met en cause la condition féminine. Le roman déjà est sous-tendu par des analyses que développeront ses essais sur l'éducation des femmes. Les premières lettres de Cécile à sa camarade de pension font ressortir l'insuffisance de la formation reçue en son couvent. Il n'existait pas pour les jeunes filles, dans la France du XVIIIème siècle, d'établissements comparables aux collèges, de jésuites ou d'oratoriens, fréquentés par les garçons. C'était un premier facteur d'inégalité entre les sexes.
Voici la première lettre de Cécile Volanges :
PREMIÈRE LETTRE.
Cécile Volanges à Sophie Carnay, aux Ursulines de. . . . .
Tu vois, ma bonne amie, que je te tiens parole, & que les bonnets & les pompons ne prennent pas tout mon temps ; il m’en restera toujours pour toi. J’ai pourtant vu plus de parures dans cette seule journée que dans les quatre ans que nous avons passés ensemble, & je crois que la superbe Tanville[1] aura plus de chagrin à ma première visite, où je compte bien la demander, qu’elle n’a cru nous en faire toutes les fois qu’elle est venue nous voir dans son in fiocchi. Maman m’a consultée sur tout, & elle me traite beaucoup moins en pensionnaire que par le passé. J’ai une femme de chambre à moi ; j’ai une chambre & un cabinet dont je dispose, & je t’écris à un secrétaire très-joli, dont on m’a remis la clef, & où je peux renfermer tout ce que je veux. Maman m’a dit que je la verrais tous les jours à son lever ; qu’il suffisait que je fusse coiffée pour dîner, parce que nous serions toujours seules, & qu’alors elle me dirait chaque jour l’heure où je devrais l’aller joindre l’après-midi. Le reste du temps est à ma disposition, & j’ai ma harpe, mon dessin, & des livres comme au couvent ; si ce n’est que la mère Perpétue n’est pas là pour me gronder, & qu’il ne tiendrait qu’à moi d’être toujours sans rien faire : mais comme je n’ai pas ma Sophie pour causer ou pour rire, j’aime autant m’occuper.
Il n’est pas encore cinq heures ; je ne dois aller retrouver maman qu’à sept ; voilà bien du temps, si j’avais quelque chose à te dire ! Mais on ne m’a encore parlé de rien ; & sans les apprêts que je vois faire, & la quantité d’ouvrières qui viennent toutes pour moi, je croirais qu’on ne songe pas à me marier, & que c’est un radotage de plus de la bonne Joséphine ([2]). Cependant maman m’a dit si souvent qu’une demoiselle devait rester au couvent jusqu’à ce qu’elle se mariât, que puisqu’elle m’en fait sortir, il faut bien que Joséphine ait raison.
Il vient d’arrêter un carrosse à la porte, & maman me fait dire de passer chez elle, tout de suite. Si c’était le monsieur ! Je ne suis pas habillée, la main me tremble & le cœur me bat. J’ai demandé à la femme de chambre si elle savait qui était chez ma mère : « Vraiment, m’a-t-elle dit, c’est M. Ch.***. » Et elle riait. Oh ! je crois que c’est lui. Je reviendrai sûrement te raconter ce qui se sera passé. Voilà toujours son nom. Il ne faut pas se faire attendre. Adieu, jusqu’à un petit moment.
Comme tu vas te moquer de la pauvre Cécile ! Oh ! j’ai été bien honteuse ! Mais tu y aurais été attrapée comme moi. En entrant chez maman, j’ai vu un Monsieur en noir, debout auprès d’elle. Je l’ai salué du mieux que j’ai pu, & je suis restée sans pouvoir bouger de ma place. Tu juges combien je l’examinais ! « Madame, a-t-il dit à ma mère, en me saluant, voilà une charmante demoiselle, & je sens mieux que jamais le prix de vos bontés. » À ce propos si positif, il m’a pris un tremblement tel que je ne pouvais me soutenir : j’ai trouvé un fauteuil, & je m’y suis assise, bien rouge & bien déconcertée. J’y étais à peine, que voilà cet homme à mes genoux. Ta pauvre Cécile alors a perdu la tête ; j’étais, comme dit maman, tout effarouchée. Je me suis levée en jetant un cri perçant ; ... tiens, comme ce jour du tonnerre. Maman est partie d’un éclat de rire, en me disant : « Eh bien ! qu’avez-vous ? Asseyez-vous, & donnez votre pied à monsieur. » En effet, ma chère amie, le monsieur était un cordonnier : je ne peux te rendre combien j’ai été honteuse ; par bonheur il n’y avait que maman. Je crois que quand je serai mariée, je ne me servirai plus de ce cordonnier-là.
Conviens que nous voilà bien savantes ! Adieu. Il est près de six heures, ma femme de chambre dit qu’il faut que je m’habille. Adieu, ma chère Sophie : je t’aime comme si j’étais encore au couvent.
P.S Je ne sais par qui envoyer ma lettre : ainsi j’attendrai que Joséphine vienne.
Paris, ce 3 août 17…
Il n’est pas encore cinq heures ; je ne dois aller retrouver maman qu’à sept ; voilà bien du temps, si j’avais quelque chose à te dire ! Mais on ne m’a encore parlé de rien ; & sans les apprêts que je vois faire, & la quantité d’ouvrières qui viennent toutes pour moi, je croirais qu’on ne songe pas à me marier, & que c’est un radotage de plus de la bonne Joséphine ([2]). Cependant maman m’a dit si souvent qu’une demoiselle devait rester au couvent jusqu’à ce qu’elle se mariât, que puisqu’elle m’en fait sortir, il faut bien que Joséphine ait raison.
Il vient d’arrêter un carrosse à la porte, & maman me fait dire de passer chez elle, tout de suite. Si c’était le monsieur ! Je ne suis pas habillée, la main me tremble & le cœur me bat. J’ai demandé à la femme de chambre si elle savait qui était chez ma mère : « Vraiment, m’a-t-elle dit, c’est M. Ch.***. » Et elle riait. Oh ! je crois que c’est lui. Je reviendrai sûrement te raconter ce qui se sera passé. Voilà toujours son nom. Il ne faut pas se faire attendre. Adieu, jusqu’à un petit moment.
Comme tu vas te moquer de la pauvre Cécile ! Oh ! j’ai été bien honteuse ! Mais tu y aurais été attrapée comme moi. En entrant chez maman, j’ai vu un Monsieur en noir, debout auprès d’elle. Je l’ai salué du mieux que j’ai pu, & je suis restée sans pouvoir bouger de ma place. Tu juges combien je l’examinais ! « Madame, a-t-il dit à ma mère, en me saluant, voilà une charmante demoiselle, & je sens mieux que jamais le prix de vos bontés. » À ce propos si positif, il m’a pris un tremblement tel que je ne pouvais me soutenir : j’ai trouvé un fauteuil, & je m’y suis assise, bien rouge & bien déconcertée. J’y étais à peine, que voilà cet homme à mes genoux. Ta pauvre Cécile alors a perdu la tête ; j’étais, comme dit maman, tout effarouchée. Je me suis levée en jetant un cri perçant ; ... tiens, comme ce jour du tonnerre. Maman est partie d’un éclat de rire, en me disant : « Eh bien ! qu’avez-vous ? Asseyez-vous, & donnez votre pied à monsieur. » En effet, ma chère amie, le monsieur était un cordonnier : je ne peux te rendre combien j’ai été honteuse ; par bonheur il n’y avait que maman. Je crois que quand je serai mariée, je ne me servirai plus de ce cordonnier-là.
Conviens que nous voilà bien savantes ! Adieu. Il est près de six heures, ma femme de chambre dit qu’il faut que je m’habille. Adieu, ma chère Sophie : je t’aime comme si j’étais encore au couvent.
P.S Je ne sais par qui envoyer ma lettre : ainsi j’attendrai que Joséphine vienne.
Paris, ce 3 août 17…
Julia- Messages : 247
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Inégalité ensuite aggravée , à l'âge adulte : la société exige de la femme une vertu rigoureuse, pendant qu'elle accueille avec indulgence les fredaines masculines. Ce qu'illustre l'anecdote des inséparables : les trois femmes sont 'perdues', alors qu'on applaudit l'exploit de Prévan, responsable du scandale.
La lettre qui relate cet exploit :
Du Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil
La lettre qui relate cet exploit :
Lettre LXXIX
Du Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil
Je comptais aller à la chasse ce matin, mais il fait un temps détestable. Je n’ai pour toute lecture qu’un roman nouveau, qui ennuierait même une pensionnaire. On déjeunera au plutôt dans deux heures : ainsi, malgré ma longue lettre d’hier, je vais encore causer avec vous. Je suis bien sûr de ne pas vous ennuyer, car je vous parlerai du très joli Prévan. Comment n’avez-vous pas su sa fameuse aventure, celle qui a séparé les inséparables ? Je parie que vous vous la rappellerez au premier mot. La voici pourtant, puisque vous la désirez.
Vous vous souvenez que tout Paris s’étonnait que trois femmes, toutes trois jolies, ayant toutes trois les mêmes talents, & pouvant avoir les mêmes prétentions, restassent intimement liées entre elles depuis le moment de leur entrée dans le monde. On crut d’abord en trouver la raison dans leur extrême timidité : mais bientôt, entourées d’une cour nombreuse dont elles partageaient les hommages, & éclairées sur leur valeur par l’empressement & les soins dont elles étaient l’objet, leur union n’en devint pourtant que plus forte ; & l’on eût dit que le triomphe de l’une était toujours celui des deux autres. On espérait au moins que le moment de l’amour amènerait quelque rivalité. Nos plus agréables se disputaient l’honneur d’être la pomme de discorde ; & moi-même, je me serais mis alors sur les rangs, si la grande faveur où la comtesse de *** s’éleva dans ce même temps, m’eût permis de lui être infidèle avant d’avoir obtenu l’agrément que je demandais.
Cependant nos trois beautés, dans le même carnaval, firent leur choix comme de concert ; & loin qu’il excitât les orages qu’on s’en était promis, il ne fit que rendre leur amitié plus intéressante, par le charme des confidences.
La foule des prétendants malheureux se joignit alors à celle des femmes jalouses, & la scandaleuse constance fut soumise à la censure publique. Les uns prétendaient que dans cette société des inséparables (ainsi la nomma-t-on alors), la loi fondamentale était la communauté de biens, & que l’amour même y était soumis ; d’autres assuraient que les trois Amants, exempts de rivaux, ne l’étaient pas de rivales : on alla même jusqu’à dire qu’ils n’avaient été admis que par décence, & n’avaient obtenu qu’un titre sans fonction.
Ces bruits, vrais ou faux, n’eurent pas l’effet qu’on s’en était promis. Les trois couples, au contraire, sentirent qu’ils étaient perdus s’ils se séparaient dans ce moment ; ils prirent le parti de faire tête à l’orage. Le public, qui se lasse de tout, se lassa bientôt d’une satire infructueuse. Emporté par sa légèreté naturelle, il s’occupa d’autres objets : puis, revenant à celui-ci avec son inconséquence ordinaire, il changea la critique en éloge. Comme ici tout est de mode, l’enthousiasme gagna ; il devenait un vrai délire, lorsque Prévan entreprit de vérifier ces prodiges, & de fixer sur eux l’opinion publique & la sienne.
Il rechercha donc ces modèles de perfection. Admis facilement dans leur société, il en tira un favorable augure. Il savait assez que les gens heureux ne sont pas d’un accès si facile. Il vit bientôt, en effet, que ce bonheur si vanté était, comme celui des Rois, plus envié que désirable. Il remarqua que, parmi ces prétendus inséparables, on commençait à rechercher les plaisirs du dehors, qu’on s’y occupait même de distraction ; & il en conclut que les liens d’amour ou d’amitié étaient déjà relâchés ou rompus, & que ceux de l’amour-propre & de l’habitude conservaient seuls quelque force.
Cependant les femmes, que le besoin rassemblait, conservaient entre elles l’apparence de la même intimité : mais les hommes, plus libres dans leurs démarches, retrouvaient des devoirs à remplir ou des affaires à suivre ; ils s’en plaignaient encore, mais ne s’en dispensaient plus, & rarement les soirées étaient complètes.
Cette conduite de leur part fut profitable à l’assidu Prévan, qui, placé naturellement auprès de la délaissée du jour, trouvait à offrir alternativement, & selon les circonstances, le même hommage aux trois amies. Il sentit que faire un choix entre elles, c’était se perdre, que la fausse honte de se trouver la première infidèle effaroucherait la préférée ; que la vanité blessée des deux autres les rendrait ennemies du nouvel Amant, & qu’elles ne manqueraient pas de déployer contre lui la sévérité des grands principes ; enfin, que la jalousie ramènerait à coup sûr les soins d’un rival qui pouvait être encore à craindre. Tout fût devenu obstacle ; tout devenait facile dans son triple projet : chaque femme était indulgente, parce qu’elle y était intéressée ; chaque homme, parce qu’il croyait ne pas l’être.
Prévan, qui n’avait alors qu’une seule femme à sacrifier, fut assez heureux pour qu’elle prît de la célébrité. Sa qualité d’étrangère, & l’hommage d’un grand prince assez adroitement refusé, avaient fixé sur elle l’attention de la Cour & de la ville ; son amant en partageait l’honneur & en profita auprès de ses nouvelles maîtresses. La vraie difficulté était de mener de front ces trois intrigues, dont la marche devait forcément se régler sur la plus tardive ; en effet, je tiens d’un de ses confidents, que sa plus grande peine fut d’en arrêter une, qui se trouva prête à éclore près de quinze jours avant les autres.
Enfin le grand jour arrive. Prévan, qui avait obtenu les trois aveux, se trouvait déjà maître des démarches, & les régla comme vous allez voir. Des trois maris, l’un était absent, l’autre partait le lendemain au point du jour, le troisième était à la ville. Les inséparables amies devaient souper chez la veuve future ; mais le nouveau maître n’avait pas permis que les anciens serviteurs y fussent invités. Le matin même de ce jour, il fait trois lots des lettres de sa belle ; il accompagne l’un du portrait qu’il avait reçu d’elle, le second d’un chiffre amoureux qu’elle-même avait peint, le troisième d’une boucle de ses cheveux ; chacune reçut pour complet ce tiers de sacrifice, & consentit, en échange, à envoyer à l’amant disgracié, une lettre éclatante de rupture.
C’était beaucoup ; ce n’était pas assez. Celle dont le mari était à la ville ne pouvait disposer que de la journée ; il fut convenu qu’une feinte indisposition la dispenserait d’aller souper chez son amie, & que la soirée serait toute à Prévan ; la nuit fut accordée par celle dont le mari était absent ; & le point du jour, moment du départ du troisième époux, fut marqué par la dernière, pour l’heure du berger.
Prévan, qui ne néglige rien, court ensuite chez la belle étrangère, y porte & y fait naître l’humeur dont il avait besoin, & n’en sort qu’après avoir établi une querelle qui lui assure vingt-quatre heures de liberté. Ses dispositions ainsi faites, il rentra chez lui, comptant prendre quelque repos ; d’autres affaires l’y attendaient.
Les lettres de rupture avaient été un coup de lumière pour les amants disgraciés : chacun d’eux ne pouvait douter qu’il n’eût été sacrifié à Prévan ; & le dépit d’avoir été joué, se joignant à l’humeur que donne presque toujours la petite humiliation d’être quitté, tous trois, sans se communiquer, mais comme de concert, avaient résolu d’en avoir raison, & pris le parti de la demander à leur fortuné rival.
Celui-ci trouva donc chez lui les trois cartels ; il les accepta loyalement : mais ne voulant perdre ni les plaisirs, ni l’éclat de cette aventure, il fixa les rendez-vous au lendemain matin, & les assigna tous les trois au même lieu & à la même heure. Ce fut à une des portes du bois de Boulogne.
Le soir venu, il courut sa triple carrière avec un succès égal ; au moins s’est-il vanté, depuis, que chacune de ses nouvelles maîtresses avait reçu trois fois le gage & le serment de son amour. Ici, comme vous jugez bien, les preuves manquant à l’histoire, tout ce que peut faire l’historien impartial, c’est de faire remarquer au lecteur incrédule, que la vanité & l’imagination exaltées peuvent enfanter des prodiges ; & de plus, que la matinée qui devait suivre une si brillante nuit, paraissait devoir dispenser de ménagement pour l’avenir. Quoi qu’il en soit, les faits suivants ont plus de certitude.
Prévan se rendit exactement au rendez-vous qu’il avait indiqué ; il y trouva ses trois rivaux, un peu surpris de leur rencontre & peut-être chacun d’eux déjà consolé en partie, en se voyant des compagnons d’infortune. Il les aborda d’un air affable & cavalier, & leur tint ce discours, qu’on m’a rendu fidèlement :
« Messieurs, leur dit-il, en vous trouvant rassemblés ici, vous avez deviné sans doute que vous aviez tous trois les mêmes sujets de plainte contre moi. Je suis prêt à vous rendre raison. Que le sort décide, entre vous, qui tentera le premier une vengeance à laquelle vous avez tous un droit égal. Je n’ai amené ici ni second ni témoins. Je n’en ai point pris pour l’offense ; je n’en demande point pour la réparation. » Puis cédant à son caractère joueur : « Je sais, ajouta-t-il, qu’on gagne rarement le sept & le va ; mais quel que soit le sort qui m’attend, on a toujours assez vécu, quand on a eu le temps d’acquérir l’amour des femmes & l’estime des hommes. »
Pendant que ses adversaires étonnés se regardaient en silence, & que leur délicatesse calculait peut-être que ce triple combat ne laissait plus la partie égale, Prévan reprit la parole : « Je ne vous cache pas, continua-t-il donc, que la nuit que je viens de passer m’a cruellement fatigué. Il serait généreux à vous de me permettre de réparer mes forces. J’ai donné mes ordres pour qu’on tînt ici un déjeûner prêt ; faites-moi l’honneur de l’accepter. Déjeûnons ensemble, & surtout déjeûnons gaiement. On peut se battre pour de semblables bagatelles, mais elles ne doivent pas, je crois, altérer notre humeur. »
Le déjeûner fut accepté. Jamais, dit-on, Prévan ne fut plus aimable. Il eut l’adresse de n’humilier aucun de ses rivaux ; de leur persuader que tous eussent eu facilement les mêmes succès, & surtout de les faire convenir qu’ils n’en eussent pas plus que lui laissé échapper l’occasion. Ces faits une fois avoués, tout s’arrangeait de soi-même. Aussi le déjeuner n’était-il pas fini, qu’on y avait déjà répété dix fois que de pareilles femmes ne méritaient pas que d’honnêtes gens se battissent pour elles. Cette idée amena la cordialité ; & le vin la fortifia ; si bien que peu de moments après, ce ne fut plus assez de n’avoir plus de rancune, on se jura amitié sans réserve.
Prévan, qui sans doute aimait bien autant ce dénouement là que l’autre, ne voulait pourtant y rien perdre de sa célébrité. En conséquence, pliant adroitement ses projets aux circonstances : « En effet, dit-il aux trois offensés, ce n’est pas de moi, mais de vos infidèles maîtresses que vous avez à vous venger. Je vous en offre l’occasion. Déjà je ressens, comme vous-mêmes, une injure que bientôt je partagerais : car si chacun de vous n’a pu parvenir à en fixer une seule, puis-je espérer de les fixer toutes trois ? Votre querelle devient la mienne. Acceptez, pour ce soir un souper dans ma petite maison, & j’espère ne pas différer plus longtemps votre vengeance. » On voulut le faire expliquer : mais lui, avec ce ton de supériorité que la circonstance l’autorisait à prendre : « Messieurs, répondit-il, je crois vous avoir prouvé que j’avais quelque esprit de conduite ; reposez-vous sur moi. » Tous consentirent ; & après avoir embrassé leur nouvel ami, ils se séparèrent jusqu’au soir, en attendant l’effet de ses promesses.
Celui-ci sans perdre de temps, retourne à Paris, & va, suivant l’usage, visiter ses nouvelles conquêtes. Il obtint de toutes trois qu’elles viendraient le soir même souper en tête-à-tête à sa petite maison. Deux d’entre elles firent bien quelques difficultés ; mais que reste-t-il à refuser le lendemain ? Il donna le rendez-vous à une heure de distance, temps nécessaire à ses projets. Après ces préparatifs, il se retira, fit avertir les trois autres conjurés, & tous quatre allèrent gaiement attendre leurs victimes.
On entend arriver la première. Prévan se présente seul, la reçoit avec l’air de l’empressement, la conduit jusques dans le sanctuaire dont elle se croyait la divinité ; puis, disparaissant sur un léger prétexte, il se fait remplacer aussitôt par l’amant outragé.
Vous jugez que la confusion d’une femme qui n’a point encore l’usage des aventures rendait, en ce moment, le triomphe bien facile : tout reproche qui ne fut pas fait, fut compté pour une grâce ; & l’esclave fugitive, livrée de nouveau à son ancien maître, fut trop heureuse de pouvoir espérer son pardon, en reprenant sa première chaîne. Le traité de paix se ratifia dans un lieu plus solitaire ; & la scène, restée vide, fut alternativement remplie par les autres acteurs, à peu près de la même manière, & surtout avec le même dénouement.
Chacune des femmes pourtant se croyait encore seule en jeu. Leur étonnement & leur embarras augmentèrent, quand, au moment du souper, les trois couples se réunirent ; mais la confusion fut au comble, quand Prévan, qui reparut au milieu d’elles, eut la cruauté de leur faire des excuses, qui, en livrant leur secret, leur apprenaient entièrement jusqu’à quel point elles avaient été jouées.
Cependant on se mit à table, & peu à peu la contenance revint ; les hommes se livrèrent, les femmes se soumirent. Tous avaient la haine dans le cœur ; mais les propos n’en étaient pas moins tendres : la gaieté éveilla le désir, qui à son tour lui prêta de nouveaux charmes. Cette étonnante orgie dura jusqu’au matin ; & quand on se sépara, les femmes durent se croire pardonnées : mais les hommes, qui avaient conservé leur ressentiment, firent dès le lendemain une rupture qui n’eut point de retour ; & non contents de quitter leurs infidèles maîtresses ils achevèrent leur vengeance, en publiant leur aventure. Depuis ce temps, une d’elles est au couvent, & les deux autres languissent exilées dans leurs terres.
Voilà l’histoire de Prévan ; c’est à vous de voir si vous voulez ajouter à sa gloire, & vous atteler à son char de triomphe. Votre lettre m’a vraiment donné de l’inquiétude, & j’attends avec impatience une réponse plus sage & plus claire à la dernière que je vous ai écrite.
Adieu, ma belle amie ; méfiez-vous des idées plaisantes ou bizarres qui vous séduisent toujours trop facilement. Songez que dans la carrière que vous courez, l’esprit ne suffit pas ; qu’une seule imprudence y devient un mal sans remède. Souffrez enfin, que la prudente amitié soit quelquefois le guide de vos plaisirs.
Adieu. Je vous aime pourtant comme si vous étiez raisonnable.
Du château de… le 18 septembre 17…
Vous vous souvenez que tout Paris s’étonnait que trois femmes, toutes trois jolies, ayant toutes trois les mêmes talents, & pouvant avoir les mêmes prétentions, restassent intimement liées entre elles depuis le moment de leur entrée dans le monde. On crut d’abord en trouver la raison dans leur extrême timidité : mais bientôt, entourées d’une cour nombreuse dont elles partageaient les hommages, & éclairées sur leur valeur par l’empressement & les soins dont elles étaient l’objet, leur union n’en devint pourtant que plus forte ; & l’on eût dit que le triomphe de l’une était toujours celui des deux autres. On espérait au moins que le moment de l’amour amènerait quelque rivalité. Nos plus agréables se disputaient l’honneur d’être la pomme de discorde ; & moi-même, je me serais mis alors sur les rangs, si la grande faveur où la comtesse de *** s’éleva dans ce même temps, m’eût permis de lui être infidèle avant d’avoir obtenu l’agrément que je demandais.
Cependant nos trois beautés, dans le même carnaval, firent leur choix comme de concert ; & loin qu’il excitât les orages qu’on s’en était promis, il ne fit que rendre leur amitié plus intéressante, par le charme des confidences.
La foule des prétendants malheureux se joignit alors à celle des femmes jalouses, & la scandaleuse constance fut soumise à la censure publique. Les uns prétendaient que dans cette société des inséparables (ainsi la nomma-t-on alors), la loi fondamentale était la communauté de biens, & que l’amour même y était soumis ; d’autres assuraient que les trois Amants, exempts de rivaux, ne l’étaient pas de rivales : on alla même jusqu’à dire qu’ils n’avaient été admis que par décence, & n’avaient obtenu qu’un titre sans fonction.
Ces bruits, vrais ou faux, n’eurent pas l’effet qu’on s’en était promis. Les trois couples, au contraire, sentirent qu’ils étaient perdus s’ils se séparaient dans ce moment ; ils prirent le parti de faire tête à l’orage. Le public, qui se lasse de tout, se lassa bientôt d’une satire infructueuse. Emporté par sa légèreté naturelle, il s’occupa d’autres objets : puis, revenant à celui-ci avec son inconséquence ordinaire, il changea la critique en éloge. Comme ici tout est de mode, l’enthousiasme gagna ; il devenait un vrai délire, lorsque Prévan entreprit de vérifier ces prodiges, & de fixer sur eux l’opinion publique & la sienne.
Il rechercha donc ces modèles de perfection. Admis facilement dans leur société, il en tira un favorable augure. Il savait assez que les gens heureux ne sont pas d’un accès si facile. Il vit bientôt, en effet, que ce bonheur si vanté était, comme celui des Rois, plus envié que désirable. Il remarqua que, parmi ces prétendus inséparables, on commençait à rechercher les plaisirs du dehors, qu’on s’y occupait même de distraction ; & il en conclut que les liens d’amour ou d’amitié étaient déjà relâchés ou rompus, & que ceux de l’amour-propre & de l’habitude conservaient seuls quelque force.
Cependant les femmes, que le besoin rassemblait, conservaient entre elles l’apparence de la même intimité : mais les hommes, plus libres dans leurs démarches, retrouvaient des devoirs à remplir ou des affaires à suivre ; ils s’en plaignaient encore, mais ne s’en dispensaient plus, & rarement les soirées étaient complètes.
Cette conduite de leur part fut profitable à l’assidu Prévan, qui, placé naturellement auprès de la délaissée du jour, trouvait à offrir alternativement, & selon les circonstances, le même hommage aux trois amies. Il sentit que faire un choix entre elles, c’était se perdre, que la fausse honte de se trouver la première infidèle effaroucherait la préférée ; que la vanité blessée des deux autres les rendrait ennemies du nouvel Amant, & qu’elles ne manqueraient pas de déployer contre lui la sévérité des grands principes ; enfin, que la jalousie ramènerait à coup sûr les soins d’un rival qui pouvait être encore à craindre. Tout fût devenu obstacle ; tout devenait facile dans son triple projet : chaque femme était indulgente, parce qu’elle y était intéressée ; chaque homme, parce qu’il croyait ne pas l’être.
Prévan, qui n’avait alors qu’une seule femme à sacrifier, fut assez heureux pour qu’elle prît de la célébrité. Sa qualité d’étrangère, & l’hommage d’un grand prince assez adroitement refusé, avaient fixé sur elle l’attention de la Cour & de la ville ; son amant en partageait l’honneur & en profita auprès de ses nouvelles maîtresses. La vraie difficulté était de mener de front ces trois intrigues, dont la marche devait forcément se régler sur la plus tardive ; en effet, je tiens d’un de ses confidents, que sa plus grande peine fut d’en arrêter une, qui se trouva prête à éclore près de quinze jours avant les autres.
Enfin le grand jour arrive. Prévan, qui avait obtenu les trois aveux, se trouvait déjà maître des démarches, & les régla comme vous allez voir. Des trois maris, l’un était absent, l’autre partait le lendemain au point du jour, le troisième était à la ville. Les inséparables amies devaient souper chez la veuve future ; mais le nouveau maître n’avait pas permis que les anciens serviteurs y fussent invités. Le matin même de ce jour, il fait trois lots des lettres de sa belle ; il accompagne l’un du portrait qu’il avait reçu d’elle, le second d’un chiffre amoureux qu’elle-même avait peint, le troisième d’une boucle de ses cheveux ; chacune reçut pour complet ce tiers de sacrifice, & consentit, en échange, à envoyer à l’amant disgracié, une lettre éclatante de rupture.
C’était beaucoup ; ce n’était pas assez. Celle dont le mari était à la ville ne pouvait disposer que de la journée ; il fut convenu qu’une feinte indisposition la dispenserait d’aller souper chez son amie, & que la soirée serait toute à Prévan ; la nuit fut accordée par celle dont le mari était absent ; & le point du jour, moment du départ du troisième époux, fut marqué par la dernière, pour l’heure du berger.
Prévan, qui ne néglige rien, court ensuite chez la belle étrangère, y porte & y fait naître l’humeur dont il avait besoin, & n’en sort qu’après avoir établi une querelle qui lui assure vingt-quatre heures de liberté. Ses dispositions ainsi faites, il rentra chez lui, comptant prendre quelque repos ; d’autres affaires l’y attendaient.
Les lettres de rupture avaient été un coup de lumière pour les amants disgraciés : chacun d’eux ne pouvait douter qu’il n’eût été sacrifié à Prévan ; & le dépit d’avoir été joué, se joignant à l’humeur que donne presque toujours la petite humiliation d’être quitté, tous trois, sans se communiquer, mais comme de concert, avaient résolu d’en avoir raison, & pris le parti de la demander à leur fortuné rival.
Celui-ci trouva donc chez lui les trois cartels ; il les accepta loyalement : mais ne voulant perdre ni les plaisirs, ni l’éclat de cette aventure, il fixa les rendez-vous au lendemain matin, & les assigna tous les trois au même lieu & à la même heure. Ce fut à une des portes du bois de Boulogne.
Le soir venu, il courut sa triple carrière avec un succès égal ; au moins s’est-il vanté, depuis, que chacune de ses nouvelles maîtresses avait reçu trois fois le gage & le serment de son amour. Ici, comme vous jugez bien, les preuves manquant à l’histoire, tout ce que peut faire l’historien impartial, c’est de faire remarquer au lecteur incrédule, que la vanité & l’imagination exaltées peuvent enfanter des prodiges ; & de plus, que la matinée qui devait suivre une si brillante nuit, paraissait devoir dispenser de ménagement pour l’avenir. Quoi qu’il en soit, les faits suivants ont plus de certitude.
Prévan se rendit exactement au rendez-vous qu’il avait indiqué ; il y trouva ses trois rivaux, un peu surpris de leur rencontre & peut-être chacun d’eux déjà consolé en partie, en se voyant des compagnons d’infortune. Il les aborda d’un air affable & cavalier, & leur tint ce discours, qu’on m’a rendu fidèlement :
« Messieurs, leur dit-il, en vous trouvant rassemblés ici, vous avez deviné sans doute que vous aviez tous trois les mêmes sujets de plainte contre moi. Je suis prêt à vous rendre raison. Que le sort décide, entre vous, qui tentera le premier une vengeance à laquelle vous avez tous un droit égal. Je n’ai amené ici ni second ni témoins. Je n’en ai point pris pour l’offense ; je n’en demande point pour la réparation. » Puis cédant à son caractère joueur : « Je sais, ajouta-t-il, qu’on gagne rarement le sept & le va ; mais quel que soit le sort qui m’attend, on a toujours assez vécu, quand on a eu le temps d’acquérir l’amour des femmes & l’estime des hommes. »
Pendant que ses adversaires étonnés se regardaient en silence, & que leur délicatesse calculait peut-être que ce triple combat ne laissait plus la partie égale, Prévan reprit la parole : « Je ne vous cache pas, continua-t-il donc, que la nuit que je viens de passer m’a cruellement fatigué. Il serait généreux à vous de me permettre de réparer mes forces. J’ai donné mes ordres pour qu’on tînt ici un déjeûner prêt ; faites-moi l’honneur de l’accepter. Déjeûnons ensemble, & surtout déjeûnons gaiement. On peut se battre pour de semblables bagatelles, mais elles ne doivent pas, je crois, altérer notre humeur. »
Le déjeûner fut accepté. Jamais, dit-on, Prévan ne fut plus aimable. Il eut l’adresse de n’humilier aucun de ses rivaux ; de leur persuader que tous eussent eu facilement les mêmes succès, & surtout de les faire convenir qu’ils n’en eussent pas plus que lui laissé échapper l’occasion. Ces faits une fois avoués, tout s’arrangeait de soi-même. Aussi le déjeuner n’était-il pas fini, qu’on y avait déjà répété dix fois que de pareilles femmes ne méritaient pas que d’honnêtes gens se battissent pour elles. Cette idée amena la cordialité ; & le vin la fortifia ; si bien que peu de moments après, ce ne fut plus assez de n’avoir plus de rancune, on se jura amitié sans réserve.
Prévan, qui sans doute aimait bien autant ce dénouement là que l’autre, ne voulait pourtant y rien perdre de sa célébrité. En conséquence, pliant adroitement ses projets aux circonstances : « En effet, dit-il aux trois offensés, ce n’est pas de moi, mais de vos infidèles maîtresses que vous avez à vous venger. Je vous en offre l’occasion. Déjà je ressens, comme vous-mêmes, une injure que bientôt je partagerais : car si chacun de vous n’a pu parvenir à en fixer une seule, puis-je espérer de les fixer toutes trois ? Votre querelle devient la mienne. Acceptez, pour ce soir un souper dans ma petite maison, & j’espère ne pas différer plus longtemps votre vengeance. » On voulut le faire expliquer : mais lui, avec ce ton de supériorité que la circonstance l’autorisait à prendre : « Messieurs, répondit-il, je crois vous avoir prouvé que j’avais quelque esprit de conduite ; reposez-vous sur moi. » Tous consentirent ; & après avoir embrassé leur nouvel ami, ils se séparèrent jusqu’au soir, en attendant l’effet de ses promesses.
Celui-ci sans perdre de temps, retourne à Paris, & va, suivant l’usage, visiter ses nouvelles conquêtes. Il obtint de toutes trois qu’elles viendraient le soir même souper en tête-à-tête à sa petite maison. Deux d’entre elles firent bien quelques difficultés ; mais que reste-t-il à refuser le lendemain ? Il donna le rendez-vous à une heure de distance, temps nécessaire à ses projets. Après ces préparatifs, il se retira, fit avertir les trois autres conjurés, & tous quatre allèrent gaiement attendre leurs victimes.
On entend arriver la première. Prévan se présente seul, la reçoit avec l’air de l’empressement, la conduit jusques dans le sanctuaire dont elle se croyait la divinité ; puis, disparaissant sur un léger prétexte, il se fait remplacer aussitôt par l’amant outragé.
Vous jugez que la confusion d’une femme qui n’a point encore l’usage des aventures rendait, en ce moment, le triomphe bien facile : tout reproche qui ne fut pas fait, fut compté pour une grâce ; & l’esclave fugitive, livrée de nouveau à son ancien maître, fut trop heureuse de pouvoir espérer son pardon, en reprenant sa première chaîne. Le traité de paix se ratifia dans un lieu plus solitaire ; & la scène, restée vide, fut alternativement remplie par les autres acteurs, à peu près de la même manière, & surtout avec le même dénouement.
Chacune des femmes pourtant se croyait encore seule en jeu. Leur étonnement & leur embarras augmentèrent, quand, au moment du souper, les trois couples se réunirent ; mais la confusion fut au comble, quand Prévan, qui reparut au milieu d’elles, eut la cruauté de leur faire des excuses, qui, en livrant leur secret, leur apprenaient entièrement jusqu’à quel point elles avaient été jouées.
Cependant on se mit à table, & peu à peu la contenance revint ; les hommes se livrèrent, les femmes se soumirent. Tous avaient la haine dans le cœur ; mais les propos n’en étaient pas moins tendres : la gaieté éveilla le désir, qui à son tour lui prêta de nouveaux charmes. Cette étonnante orgie dura jusqu’au matin ; & quand on se sépara, les femmes durent se croire pardonnées : mais les hommes, qui avaient conservé leur ressentiment, firent dès le lendemain une rupture qui n’eut point de retour ; & non contents de quitter leurs infidèles maîtresses ils achevèrent leur vengeance, en publiant leur aventure. Depuis ce temps, une d’elles est au couvent, & les deux autres languissent exilées dans leurs terres.
Voilà l’histoire de Prévan ; c’est à vous de voir si vous voulez ajouter à sa gloire, & vous atteler à son char de triomphe. Votre lettre m’a vraiment donné de l’inquiétude, & j’attends avec impatience une réponse plus sage & plus claire à la dernière que je vous ai écrite.
Adieu, ma belle amie ; méfiez-vous des idées plaisantes ou bizarres qui vous séduisent toujours trop facilement. Songez que dans la carrière que vous courez, l’esprit ne suffit pas ; qu’une seule imprudence y devient un mal sans remède. Souffrez enfin, que la prudente amitié soit quelquefois le guide de vos plaisirs.
Adieu. Je vous aime pourtant comme si vous étiez raisonnable.
Du château de… le 18 septembre 17…
Julia- Messages : 247
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Mme de Sabran a écrit:Julia a écrit:
... l'imagination combinatrice qui est la sienne trouve à s'employer dans la mise au point d'une intrigue aux mécanismes bien ajustés.
C'est que les alliés d'hier deviennent, au cours de la lecture, les ennemis les plus irréconciliables .
Et même cette guerre amoureuse fera des morts.
Lettre CLIII
Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil
Je réponds sur-le-champ à votre lettre, & je tâcherai d’être clair ; ce qui n’est pas facile avec vous, quand une fois vous avez pris le parti de ne pas entendre.
De longs discours n’étaient pas nécessaires pour établir que chacun de nous ayant en main tout ce qu’il faut pour perdre l’autre, nous avons un égal intérêt à nous ménager mutuellement : aussi, n’est-ce pas de cela dont il s’agit. Mais entre le parti violent de se perdre, & celui, sans doute meilleur, de rester unis comme nous l’avons été, de le devenir davantage encore en reprenant notre première liaison ; entre ces deux partis, dis-je, il y en a mille autres à prendre. Il n’était donc pas ridicule de vous dire, & il ne l’est pas de vous répéter que, de ce jour même je serai votre amant, ou votre ennemi.
Je sens à merveille que ce choix vous gêne ; qu’il vous conviendrait mieux de tergiverser ; & je n’ignore pas que vous n’avez jamais aimé à être placée ainsi entre le oui & le non : mais vous devez sentir aussi que je ne puis vous laisser sortir de ce cercle étroit, sans risquer d’être joué ; & vous avez dû prévoir que je ne le souffrirais pas. C’est maintenant à vous à décider : je peux vous laisser le choix, mais non pas rester dans l’incertitude.
Je vous préviens seulement que vous ne m’abuserez pas par vos raisonnements, bons ou mauvais ; que vous ne me séduirez pas davantage par quelques cajoleries dont vous chercheriez à parer vos refus ; & qu’enfin, le moment de la franchise est arrivé. Je ne demande pas mieux que de vous en donner l’exemple ; & je déclare avec plaisir que je préfère la paix & l’union : mais s’il faut rompre l’une & l’autre, je crois en avoir le droit & les moyens.
J’ajoute donc que le moindre obstacle mis de votre part, sera pris de la mienne pour une véritable déclaration de guerre : vous voyez que la réponse que je vous demande, n’exige ni longues ni belles phrases. Deux mots suffisent.
Paris ce 4 décembre 17…
Réponse de la Marquise de Merteuil
(Écrite au bas de la même lettre.)
Hé bien ! la guerre.
Je réponds sur-le-champ à votre lettre, & je tâcherai d’être clair ; ce qui n’est pas facile avec vous, quand une fois vous avez pris le parti de ne pas entendre.
De longs discours n’étaient pas nécessaires pour établir que chacun de nous ayant en main tout ce qu’il faut pour perdre l’autre, nous avons un égal intérêt à nous ménager mutuellement : aussi, n’est-ce pas de cela dont il s’agit. Mais entre le parti violent de se perdre, & celui, sans doute meilleur, de rester unis comme nous l’avons été, de le devenir davantage encore en reprenant notre première liaison ; entre ces deux partis, dis-je, il y en a mille autres à prendre. Il n’était donc pas ridicule de vous dire, & il ne l’est pas de vous répéter que, de ce jour même je serai votre amant, ou votre ennemi.
Je sens à merveille que ce choix vous gêne ; qu’il vous conviendrait mieux de tergiverser ; & je n’ignore pas que vous n’avez jamais aimé à être placée ainsi entre le oui & le non : mais vous devez sentir aussi que je ne puis vous laisser sortir de ce cercle étroit, sans risquer d’être joué ; & vous avez dû prévoir que je ne le souffrirais pas. C’est maintenant à vous à décider : je peux vous laisser le choix, mais non pas rester dans l’incertitude.
Je vous préviens seulement que vous ne m’abuserez pas par vos raisonnements, bons ou mauvais ; que vous ne me séduirez pas davantage par quelques cajoleries dont vous chercheriez à parer vos refus ; & qu’enfin, le moment de la franchise est arrivé. Je ne demande pas mieux que de vous en donner l’exemple ; & je déclare avec plaisir que je préfère la paix & l’union : mais s’il faut rompre l’une & l’autre, je crois en avoir le droit & les moyens.
J’ajoute donc que le moindre obstacle mis de votre part, sera pris de la mienne pour une véritable déclaration de guerre : vous voyez que la réponse que je vous demande, n’exige ni longues ni belles phrases. Deux mots suffisent.
Paris ce 4 décembre 17…
Réponse de la Marquise de Merteuil
(Écrite au bas de la même lettre.)
Hé bien ! la guerre.
Julia- Messages : 247
Date d'inscription : 08/04/2015
Age : 26
Localisation : Issy-les-Moulineaux
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
;
Remarquable Glenn Close !!! :àç_èè--è:
Justement, je postais hier dans notre sujet sur les coiffures :
https://marie-antoinette.forumactif.org/t115p250-les-coiffures-au-xviiieme-siecle#82774
Remarquable Glenn Close !!! :àç_èè--è:
Justement, je postais hier dans notre sujet sur les coiffures :
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_________________
... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55500
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
On l'aura compris, les Liaisons servent avant tout à dénoncer l'inégalité des sexes.
Pour approfondir cette réflexion on peut lire le traité de Laclos lui-même, De l'éducation des femmes. En voici les premières pages :
C'est dans le mariage surtout, tel que le pratique la bonne société, que la femme paraît sacrifiée. Laclos fait énoncer par la mondaine Mme de Volanges, bien placée pour en juger, la critique de ces unions dites de convenance, "où tout se convient en effet hors les goûts et les caractères"., ce qui produit "ces éclats scandaleux qui deviennent tous les jours plus fréquents". Cest un mariage de ce genre, oeuvre d'ailleurs de Mme de Volanges, qui est à l'origine des malheurs de la présidente de Tourvel. La mère de Cécile pourrait pousser plus loin son autocritique. Elle ne songe pas que sa fille, si enfantine encore, n'est guère préparée à épouser un libertin faisant une fin comme Gercourt. Mme de Volanges ne s'occupe que des questions de toilette et de présentation à la Cour. Elle n'a pas le temps de parler à Cécile, qu'elle avoue "ne pas connaître". Inconsciente du danger, elle la laisse sans protection, exposée aux intrigues de Merteuil et de Valmont. Par là se vérifie l'opportunité de la leçon annoncée par le rédacteur : "que toute mère est au moins imprudente, qui souffre qu'une autre qu'elle ait la confiance de sa fille".
Pour approfondir cette réflexion on peut lire le traité de Laclos lui-même, De l'éducation des femmes. En voici les premières pages :
Dernière édition par Julia le Mar 23 Aoû 2016, 10:56, édité 1 fois
Julia- Messages : 247
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