Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
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Mme de Sabran
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Mme de Volanges est enferrée dans un système inique qu'elle a subi toute sa vie, sans regimber, sans aucune velléité de révolte, et dans lequel elle envisage le plus sereinement du monde de voir sa fille emprisonnée à son tour.
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55500
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Mme de Sabran a écrit: Peut-on aller jusqu'à dire que son roman dénonce le despotisme et les inégalités sociales de l'Ancien Régime à l'aube de la Révolution française de 1789 ? Le rapprochement est tentant dès lors que l'on peut effectivement lire Les Liaisons dangereuses comme une mise en garde contre les institutions corrompues et inégalitaires
http://www.nonfiction.fr/article-6413-les_liaisons_dangereuses__le_chef_duvre_dun_inconnu.htm
Pour René Pomeau, l'inégalité des sexes est bel et bien dénoncée. Mais faut-il pour autant avoir une lecture marxiste de ce roman, comme l'envisage Roger Vailland ?
On se gardera pourtant d'appliquer ici des schémas adaptés aux sociétés industrielles des XIXè et XXè siècles, dont il ne pouvait avoir aucune idée. Roger Vailland, trop soucieux de retrouver chez Laclos un modèle de son oeuvre personnelle, s'est efforcé d'interpréter les relations entre Valmont et Mme de Tourvel comme une lutte de classes. Le Vicomte, représentant la noblesse d'épée, aurait "mis à mort " la Présidente, femme d'un "simple magistrat ", donc une "bourgeoise", appartenant à la classe dominée mais "montante". Ce que René Pomeau souligne alors, c'est qu'un président à mortiers fait partie à l'Ancien Régime de la classe dominante. Mme de Tourvel est "exactement du même monde que ses amies Mme de Volanges et Mme de Rosemonde et que le neveu de celle-ci, Valmont. ". Cette analyse marxiste n'a donc pas lieu d'être.
L'inégalité de rangs dénoncée dans Les Liaisons, ce n'est pas celle qui écarte la Présidente et le Vicomte, mais celle qui sépare les maîtres de leurs domestiques. Il ne faut pas oublier que Beaumarchais est un contemporain de Laclos. Voyez le ton qu'emploie Valmont dans cette lettre.
L'inégalité de rangs dénoncée dans Les Liaisons, ce n'est pas celle qui écarte la Présidente et le Vicomte, mais celle qui sépare les maîtres de leurs domestiques. Il ne faut pas oublier que Beaumarchais est un contemporain de Laclos. Voyez le ton qu'emploie Valmont dans cette lettre.
Lettre CI
Le Vicomte de Valmont à Azolan son chasseur (Jointe à la précédente.)
Il faut que vous soyez bien imbécile, vous qui êtes parti d’ici ce matin, de n’avoir pas su que Mme de Tourvel en partait aussi ; ou, si vous l’avez su, de n’être pas venu m’en avertir. A quoi sert-il donc que vous dépensiez mon argent à vous enivrer avec les valets ; que le temps que vous devriez employer à me servir, vous le passiez à faire l’agréable auprès des femmes de chambre, si je n’en suis pas mieux informé de ce qui se passe ? Voilà pourtant de vos négligences ! Mais je vous préviens que s’il vous en arrive une seule dans cette affaire-ci, ce sera la dernière que vous aurez à mon service.
Il faut que vous m’instruisiez de tout ce qui se passe chez Mme de Tourvel : de sa santé ; si elle dort ; si elle est triste ou gaie ; si elle sort souvent, & chez qui elle va ; si elle reçoit du monde chez elle, & qui y vient ; à quoi elle passe son temps, si elle a de l’humeur avec ses femmes, particulièrement avec celle qu’elle avait amenée ici ; ce qu’elle fait quand elle est seule ; si quand elle lit, elle lit de suite, ou si elle interrompt sa lecture pour rêver ; de même quand elle écrit. Songez aussi à vous rendre l’ami de celui qui porte ses lettres à la poste. Offrez-vous souvent à lui pour faire cette commission à sa place ; & quand il acceptera, ne faites partir que celles qui vous paraîtront indifférentes, & envoyez-moi les autres, surtout celles à Mme de Volanges, si vous en rencontrez.
Arrangez-vous donc pour être encore quelque temps l’amant heureux de votre Julie. Si elle en a un autre, comme vous l’avez cru, faites-la consentir à se partager ; & n’allez pas vous piquer d’une ridicule délicatesse : vous serez dans le cas de bien d’autres, qui valent mieux que vous. Si pourtant votre second se rendait importun, si vous vous aperceviez par exemple, qu’il occupât trop Julie pendant la journée, & qu’elle en fût moins souvent auprès de sa maîtresse, écartez-le par quelque moyen ; ou cherchez-lui querelle : n’en craignez pas les suites, je vous soutiendrai. Surtout ne quittez pas cette maison. C’est par l’assiduité qu’on voit tout, & qu’on voit bien. Si même le hasard faisait renvoyer quelqu’un des gens, présentez-vous pour le remplacer, comme n’étant plus à moi. Dites dans ce cas que vous m’avez quitté pour chercher une maison plus tranquille & plus réglée. Tâchez enfin de vous faire accepter. Je ne vous en garderai pas moins à mon service pendant ce temps : ce sera comme chez la duchesse de *** ; & par la suite, Mme de Tourvel vous en récompensera de même.
Si vous aviez assez d’adresse & de zèle, cette instruction devrait suffire ; mais pour suppléer à l’un & à l’autre, je vous envoie de l’argent. Le billet ci-joint vous autorise, comme vous verrez, à toucher vingt-cinq louis chez mon homme d’affaires ; car je ne doute pas que vous ne soyez sans le sol. Vous emploierez de cette somme ce qui sera nécessaire pour décider Julie à établir une correspondance avec moi. Le reste servira à faire boire les gens. Ayez soin, autant que cela se pourra, que ce soit chez le Suisse de la maison, afin qu’il aime à vous y voir venir. Mais n’oubliez pas que ce ne sont pas vos plaisirs que je veux payer, mais vos services.
Accoutumez Julie à observer tout et à tout rapporter, même ce qui lui paraîtrait minutieux. Il vaut mieux qu’elle écrive dix phrases inutiles, que d’en omettre une intéressante ; et souvent ce qui paraît indifférent ne l’est pas. Comme il faut que je puisse être instruit sur-le-champ, s’il arrivait quelque chose qui vous parût mériter attention, aussitôt cette lettre reçue, vous enverrez Philippe, sur le cheval de commission, s’établir à *** [1] ; il y restera jusqu’à nouvel ordre ; ce sera un relais en cas de besoin. Pour la correspondance courante, la poste suffira.
Prenez garde de ne pas perdre cette lettre. Relisez-la tous les jours, tant pour vous assurer de ne rien oublier, que pour être sûr de l’avoir encore. Faites enfin tout ce qu’il faut faire quand on est honoré de ma confiance. Vous savez que si je suis content de vous, vous le serez de moi.
Du château de… ce 3 octobre 17…
Et la réponse d'Azolan : Il faut que vous soyez bien imbécile, vous qui êtes parti d’ici ce matin, de n’avoir pas su que Mme de Tourvel en partait aussi ; ou, si vous l’avez su, de n’être pas venu m’en avertir. A quoi sert-il donc que vous dépensiez mon argent à vous enivrer avec les valets ; que le temps que vous devriez employer à me servir, vous le passiez à faire l’agréable auprès des femmes de chambre, si je n’en suis pas mieux informé de ce qui se passe ? Voilà pourtant de vos négligences ! Mais je vous préviens que s’il vous en arrive une seule dans cette affaire-ci, ce sera la dernière que vous aurez à mon service.
Il faut que vous m’instruisiez de tout ce qui se passe chez Mme de Tourvel : de sa santé ; si elle dort ; si elle est triste ou gaie ; si elle sort souvent, & chez qui elle va ; si elle reçoit du monde chez elle, & qui y vient ; à quoi elle passe son temps, si elle a de l’humeur avec ses femmes, particulièrement avec celle qu’elle avait amenée ici ; ce qu’elle fait quand elle est seule ; si quand elle lit, elle lit de suite, ou si elle interrompt sa lecture pour rêver ; de même quand elle écrit. Songez aussi à vous rendre l’ami de celui qui porte ses lettres à la poste. Offrez-vous souvent à lui pour faire cette commission à sa place ; & quand il acceptera, ne faites partir que celles qui vous paraîtront indifférentes, & envoyez-moi les autres, surtout celles à Mme de Volanges, si vous en rencontrez.
Arrangez-vous donc pour être encore quelque temps l’amant heureux de votre Julie. Si elle en a un autre, comme vous l’avez cru, faites-la consentir à se partager ; & n’allez pas vous piquer d’une ridicule délicatesse : vous serez dans le cas de bien d’autres, qui valent mieux que vous. Si pourtant votre second se rendait importun, si vous vous aperceviez par exemple, qu’il occupât trop Julie pendant la journée, & qu’elle en fût moins souvent auprès de sa maîtresse, écartez-le par quelque moyen ; ou cherchez-lui querelle : n’en craignez pas les suites, je vous soutiendrai. Surtout ne quittez pas cette maison. C’est par l’assiduité qu’on voit tout, & qu’on voit bien. Si même le hasard faisait renvoyer quelqu’un des gens, présentez-vous pour le remplacer, comme n’étant plus à moi. Dites dans ce cas que vous m’avez quitté pour chercher une maison plus tranquille & plus réglée. Tâchez enfin de vous faire accepter. Je ne vous en garderai pas moins à mon service pendant ce temps : ce sera comme chez la duchesse de *** ; & par la suite, Mme de Tourvel vous en récompensera de même.
Si vous aviez assez d’adresse & de zèle, cette instruction devrait suffire ; mais pour suppléer à l’un & à l’autre, je vous envoie de l’argent. Le billet ci-joint vous autorise, comme vous verrez, à toucher vingt-cinq louis chez mon homme d’affaires ; car je ne doute pas que vous ne soyez sans le sol. Vous emploierez de cette somme ce qui sera nécessaire pour décider Julie à établir une correspondance avec moi. Le reste servira à faire boire les gens. Ayez soin, autant que cela se pourra, que ce soit chez le Suisse de la maison, afin qu’il aime à vous y voir venir. Mais n’oubliez pas que ce ne sont pas vos plaisirs que je veux payer, mais vos services.
Accoutumez Julie à observer tout et à tout rapporter, même ce qui lui paraîtrait minutieux. Il vaut mieux qu’elle écrive dix phrases inutiles, que d’en omettre une intéressante ; et souvent ce qui paraît indifférent ne l’est pas. Comme il faut que je puisse être instruit sur-le-champ, s’il arrivait quelque chose qui vous parût mériter attention, aussitôt cette lettre reçue, vous enverrez Philippe, sur le cheval de commission, s’établir à *** [1] ; il y restera jusqu’à nouvel ordre ; ce sera un relais en cas de besoin. Pour la correspondance courante, la poste suffira.
Prenez garde de ne pas perdre cette lettre. Relisez-la tous les jours, tant pour vous assurer de ne rien oublier, que pour être sûr de l’avoir encore. Faites enfin tout ce qu’il faut faire quand on est honoré de ma confiance. Vous savez que si je suis content de vous, vous le serez de moi.
Du château de… ce 3 octobre 17…
Lettre CVII
Azolan au Vicomte de Valmont
Monsieur,
Conformément à vos ordres, j’ai été, aussitôt la réception de votre lettre, chez M. Bertrand, qui m’a remis les vingt-cinq louis, comme vous lui aviez ordonné. Je lui en avais demandé deux de plus pour Philippe, à qui j’avais dit de partir sur-le-champ, comme Monsieur me l’avait mandé, & qui n’avait pas d’argent ; mais Monsieur votre homme d’affaires n’a pas voulu, en disant qu’il n’avait pas d’ordre de ça de vous. J’ai donc été obligé de les donner de moi, & Monsieur m’en tiendra compte, si c’est sa bonté.
Philippe est parti hier au soir. Je lui ai bien recommandé de ne pas quitter le cabaret, afin qu’on puisse être sûr de le trouver si on en a besoin.
J’ai été tout de suite après chez Mme la présidente pour voir Mlle Julie : mais elle était sortie & je n’ai parlé qu’à La Fleur, de qui je n’ai pu rien savoir, parce que depuis son arrivée il n’avait été à l’hôtel qu’à l’heure des repas. C’est le second qui a fait tout le service, & Monsieur sait bien que je ne connaissais pas celui-là. Mais j’ai commencé aujourd’hui.
Je suis retourné ce matin chez Mlle Julie, & elle a paru bien aise de me voir. Je l’ai interrogée sur la cause du retour de sa maîtresse ; mais elle m’a dit n’en rien savoir, & je crois qu’elle a dit vrai. Je lui ai reproché de ne m’avoir pas averti de son départ, & elle m’a assuré qu’elle ne l’avait su que le soir même en allant coucher Madame ; si bien qu’elle a passé toute la nuit à ranger, & que la pauvre fille n’a pas dormi deux heures. Elle n’est sortie ce soir-là de la chambre de sa maîtresse qu’à une heure passée, & elle l’a laissée qui se mettait seulement à écrire.
Le matin, Mme de Tourvel, en partant, a remis une lettre au Concierge du Château. Mlle Julie ne sait pas pour qui : elle dit que c’était peut-être pour Monsieur ; mais Monsieur ne m’en parle pas.
Pendant tout le voyage, Madame a eu un grand capuchon sur sa figure, ce qui faisait qu’on ne pouvait la voir : mais Mlle Julie croit être sûre qu’elle a pleuré souvent. Elle n’a pas dit une parole pendant la route, & elle n’a pas voulu s’arrêter à ***, comme elle avait fait en allant ; ce qui n’a pas fait trop de plaisir à Mlle Julie, qui n’avait pas déjeuné. Mais, comme je lui ai dit, les maîtres sont les maîtres.
En arrivant, Madame s’est couchée ; mais elle n’est restée au lit que deux heures. En se levant, elle a fait venir son Suisse, & lui a donné l’ordre de ne laisser entrer personne. Elle n’a point fait de toilette du tout. Elle s’est mise à table pour dîner ; mais elle n’a mangé qu’un peu de potage, & elle en est sortie tout de suite. On lui a porté son café chez elle, & Mlle Julie y est entrée en même temps. Elle a trouvé sa maîtresse qui rangeait des papiers dans son secrétaire, & elle a vu que c’était des lettres. Je parierais bien que ce sont celles de Monsieur ; & des trois qui lui sont arrivées dans l’après-midi, il y en a une qu’elle avait encore devant elle tout au soir ! Je suis bien sûr que c’en est encore une de Monsieur. Mais pourquoi donc est-ce qu’elle s’en est allée comme ça ? ça m’étonne, moi ! au reste, sûrement que Monsieur le sait bien, & ce ne sont pas mes affaires.
Mme la présidente est allée l’après-midi dans la bibliothèque, & elle y a pris deux livres qu’elle a emportés dans son boudoir : mais Mlle Julie assure qu’elle n’a pas lu dedans un quart d’heure dans toute la journée, & qu’elle n’a fait que lire cette lettre, rêver & être appuyée sur sa main. Comme j’ai imaginé que Monsieur serait bien aise de savoir quels sont ces livres-là, & que Mlle Julie ne le savait pas, je me suis fait mener aujourd’hui dans la bibliothèque, sous prétexte de la voir. Il n’y a de vide que pour deux livres : l’un est le second volume des Pensées Chrétiennes ; & l’autre, le premier d’un livre qui a pour titre Clarisse. J’écris bien comme il y a : Monsieur saura peut-être ce que c’est.
Hier au soir, Madame n’a pas soupé : elle n’a pris que du thé.
Elle a sonné de bonne heure ce matin ; elle a demandé ses chevaux tout de suite, & elle a été, avant neuf heures, aux Feuillans, où elle a entendu la messe. Elle a voulu se confesser ; mais son confesseur était absent, & il ne reviendra pas de huit à dix jours. J’ai cru qu’il était bon de mander cela à Monsieur.
Elle est rentrée ensuite, elle a déjeuné, & puis elle s’est mise à écrire, & elle y est restée jusqu’à près d’une heure. J’ai trouvé occasion de faire bientôt ce que Monsieur désirait le plus : car c’est moi qui ai porté les lettres à la poste. Il n’y en avait pas pour Mme de Volanges ; mais j’en envoie une à Monsieur, qui était pour M. le président : il m’a paru que ça devait être la plus intéressante. Il y en avait une aussi pour Mme de Rosemonde ; mais j’ai imaginé que Monsieur la verrait toujours bien quand il voudrait, & je l’ai laissée partir. Au reste, Monsieur saura bien tout, puisque Mme la présidente lui écrit aussi. J’aurai par la suite toutes celles que je voudrai ; car c’est presque toujours Mlle Julie qui les remet aux gens, & elle m’a assuré que, par amitié pour moi, & puis aussi pour Monsieur, elle ferait volontiers ce que je voudrais.
Elle n’a même pas voulu de l’argent que je lui ai offert : mais je pense bien que Monsieur voudra lui faire quelque petit présent ; & si c’est sa volonté & qu’il veuille m’en charger, je saurai aisément ce qui lui fera plaisir.
J’espère que Monsieur ne trouvera pas que j’aie mis de la négligence à le servir, & j’ai bien à cœur de me justifier de reproches qu’il me fait. Si je n’ai pas su le départ de Mme la présidente, c’est au contraire mon zèle pour le service de Monsieur qui en est cause, puisque c’est lui qui m’a fait partir à trois heures du matin ; ce qui fait que je n’ai pas vu Mlle Julie la veille, au soir, comme de coutume, ayant été coucher au Tournebride, pour ne pas réveiller dans le château.
Quant à ce que Monsieur me reproche d’être souvent sans argent, d’abord c’est que j’aime à me tenir proprement, comme Monsieur peut voir ; & puis qu’il faut bien soutenir l’honneur de l’habit qu’on porte : je sais bien que je devrais peut-être un peu épargner pour la suite ; mais je me confie entièrement dans la générosité de Monsieur, qui est si bon maître.
Pour ce qui est d’entrer au service de Mme de Tourvel, en restant à celui de Monsieur, j’espère que Monsieur ne l’exigera pas de moi. C’était bien différent chez Mme la duchesse ; mais assurément je n’irai pas porter la livrée, & encore une livrée de robe, après avoir eu l’honneur d’être chasseur de Monsieur. Pour tout ce qui est du reste, Monsieur peut disposer de celui qui a l’honneur d’être, avec autant de respect que d’affection, son très humble serviteur.
Roux Azolan, chasseur.
Paris, ce 5 octobre 17… onze heures du soir.
Conformément à vos ordres, j’ai été, aussitôt la réception de votre lettre, chez M. Bertrand, qui m’a remis les vingt-cinq louis, comme vous lui aviez ordonné. Je lui en avais demandé deux de plus pour Philippe, à qui j’avais dit de partir sur-le-champ, comme Monsieur me l’avait mandé, & qui n’avait pas d’argent ; mais Monsieur votre homme d’affaires n’a pas voulu, en disant qu’il n’avait pas d’ordre de ça de vous. J’ai donc été obligé de les donner de moi, & Monsieur m’en tiendra compte, si c’est sa bonté.
Philippe est parti hier au soir. Je lui ai bien recommandé de ne pas quitter le cabaret, afin qu’on puisse être sûr de le trouver si on en a besoin.
J’ai été tout de suite après chez Mme la présidente pour voir Mlle Julie : mais elle était sortie & je n’ai parlé qu’à La Fleur, de qui je n’ai pu rien savoir, parce que depuis son arrivée il n’avait été à l’hôtel qu’à l’heure des repas. C’est le second qui a fait tout le service, & Monsieur sait bien que je ne connaissais pas celui-là. Mais j’ai commencé aujourd’hui.
Je suis retourné ce matin chez Mlle Julie, & elle a paru bien aise de me voir. Je l’ai interrogée sur la cause du retour de sa maîtresse ; mais elle m’a dit n’en rien savoir, & je crois qu’elle a dit vrai. Je lui ai reproché de ne m’avoir pas averti de son départ, & elle m’a assuré qu’elle ne l’avait su que le soir même en allant coucher Madame ; si bien qu’elle a passé toute la nuit à ranger, & que la pauvre fille n’a pas dormi deux heures. Elle n’est sortie ce soir-là de la chambre de sa maîtresse qu’à une heure passée, & elle l’a laissée qui se mettait seulement à écrire.
Le matin, Mme de Tourvel, en partant, a remis une lettre au Concierge du Château. Mlle Julie ne sait pas pour qui : elle dit que c’était peut-être pour Monsieur ; mais Monsieur ne m’en parle pas.
Pendant tout le voyage, Madame a eu un grand capuchon sur sa figure, ce qui faisait qu’on ne pouvait la voir : mais Mlle Julie croit être sûre qu’elle a pleuré souvent. Elle n’a pas dit une parole pendant la route, & elle n’a pas voulu s’arrêter à ***, comme elle avait fait en allant ; ce qui n’a pas fait trop de plaisir à Mlle Julie, qui n’avait pas déjeuné. Mais, comme je lui ai dit, les maîtres sont les maîtres.
En arrivant, Madame s’est couchée ; mais elle n’est restée au lit que deux heures. En se levant, elle a fait venir son Suisse, & lui a donné l’ordre de ne laisser entrer personne. Elle n’a point fait de toilette du tout. Elle s’est mise à table pour dîner ; mais elle n’a mangé qu’un peu de potage, & elle en est sortie tout de suite. On lui a porté son café chez elle, & Mlle Julie y est entrée en même temps. Elle a trouvé sa maîtresse qui rangeait des papiers dans son secrétaire, & elle a vu que c’était des lettres. Je parierais bien que ce sont celles de Monsieur ; & des trois qui lui sont arrivées dans l’après-midi, il y en a une qu’elle avait encore devant elle tout au soir ! Je suis bien sûr que c’en est encore une de Monsieur. Mais pourquoi donc est-ce qu’elle s’en est allée comme ça ? ça m’étonne, moi ! au reste, sûrement que Monsieur le sait bien, & ce ne sont pas mes affaires.
Mme la présidente est allée l’après-midi dans la bibliothèque, & elle y a pris deux livres qu’elle a emportés dans son boudoir : mais Mlle Julie assure qu’elle n’a pas lu dedans un quart d’heure dans toute la journée, & qu’elle n’a fait que lire cette lettre, rêver & être appuyée sur sa main. Comme j’ai imaginé que Monsieur serait bien aise de savoir quels sont ces livres-là, & que Mlle Julie ne le savait pas, je me suis fait mener aujourd’hui dans la bibliothèque, sous prétexte de la voir. Il n’y a de vide que pour deux livres : l’un est le second volume des Pensées Chrétiennes ; & l’autre, le premier d’un livre qui a pour titre Clarisse. J’écris bien comme il y a : Monsieur saura peut-être ce que c’est.
Hier au soir, Madame n’a pas soupé : elle n’a pris que du thé.
Elle a sonné de bonne heure ce matin ; elle a demandé ses chevaux tout de suite, & elle a été, avant neuf heures, aux Feuillans, où elle a entendu la messe. Elle a voulu se confesser ; mais son confesseur était absent, & il ne reviendra pas de huit à dix jours. J’ai cru qu’il était bon de mander cela à Monsieur.
Elle est rentrée ensuite, elle a déjeuné, & puis elle s’est mise à écrire, & elle y est restée jusqu’à près d’une heure. J’ai trouvé occasion de faire bientôt ce que Monsieur désirait le plus : car c’est moi qui ai porté les lettres à la poste. Il n’y en avait pas pour Mme de Volanges ; mais j’en envoie une à Monsieur, qui était pour M. le président : il m’a paru que ça devait être la plus intéressante. Il y en avait une aussi pour Mme de Rosemonde ; mais j’ai imaginé que Monsieur la verrait toujours bien quand il voudrait, & je l’ai laissée partir. Au reste, Monsieur saura bien tout, puisque Mme la présidente lui écrit aussi. J’aurai par la suite toutes celles que je voudrai ; car c’est presque toujours Mlle Julie qui les remet aux gens, & elle m’a assuré que, par amitié pour moi, & puis aussi pour Monsieur, elle ferait volontiers ce que je voudrais.
Elle n’a même pas voulu de l’argent que je lui ai offert : mais je pense bien que Monsieur voudra lui faire quelque petit présent ; & si c’est sa volonté & qu’il veuille m’en charger, je saurai aisément ce qui lui fera plaisir.
J’espère que Monsieur ne trouvera pas que j’aie mis de la négligence à le servir, & j’ai bien à cœur de me justifier de reproches qu’il me fait. Si je n’ai pas su le départ de Mme la présidente, c’est au contraire mon zèle pour le service de Monsieur qui en est cause, puisque c’est lui qui m’a fait partir à trois heures du matin ; ce qui fait que je n’ai pas vu Mlle Julie la veille, au soir, comme de coutume, ayant été coucher au Tournebride, pour ne pas réveiller dans le château.
Quant à ce que Monsieur me reproche d’être souvent sans argent, d’abord c’est que j’aime à me tenir proprement, comme Monsieur peut voir ; & puis qu’il faut bien soutenir l’honneur de l’habit qu’on porte : je sais bien que je devrais peut-être un peu épargner pour la suite ; mais je me confie entièrement dans la générosité de Monsieur, qui est si bon maître.
Pour ce qui est d’entrer au service de Mme de Tourvel, en restant à celui de Monsieur, j’espère que Monsieur ne l’exigera pas de moi. C’était bien différent chez Mme la duchesse ; mais assurément je n’irai pas porter la livrée, & encore une livrée de robe, après avoir eu l’honneur d’être chasseur de Monsieur. Pour tout ce qui est du reste, Monsieur peut disposer de celui qui a l’honneur d’être, avec autant de respect que d’affection, son très humble serviteur.
Roux Azolan, chasseur.
Paris, ce 5 octobre 17… onze heures du soir.
Dernière édition par Julia le Mer 24 Aoû 2016, 12:22, édité 2 fois
Julia- Messages : 247
Date d'inscription : 08/04/2015
Age : 26
Localisation : Issy-les-Moulineaux
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Bien sûr Valmont a la morgue du grand seigneur qui commande au menu fretin ...
... et Azolan se garderait bien de moufter !
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Mme de Sabran- Messages : 55500
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
L'ouvrage est consultable en ligne, soit sur wikipédia, soit sur gallica :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206716t/f3.image
La version de gallica comporte les illustrations et une introduction.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206716t/f3.image
La version de gallica comporte les illustrations et une introduction.
Julia- Messages : 247
Date d'inscription : 08/04/2015
Age : 26
Localisation : Issy-les-Moulineaux
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Ah, très bien ! Merci, chère Julia !!!
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Mme de Sabran- Messages : 55500
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
" Les Liaisons dangereuses " de Laclos, que Tilly appelle " l'un des plus dangereux météores qui soient apparus dans un ciel en colère " ( notre jeu de l'automne il y a deux jours ) avaient déjà enflammé les esprits de la bourgeoisie contre la classe qu'elle haïssait, et il ne manquait pas d'auteurs désireux de saisir l'occasion pour se faire une popularité. Il suffisait au premier venu de " décrire un courtisan comme toujours vil dans toutes les circonstances de la vie, et un plébéien comme sublime " ( 1 ) pour être acclamé comme un génie littéraire .
Joseph Callewaert
( 1 ) : Mme de Genlis, Mémoires
Joseph Callewaert
( 1 ) : Mme de Genlis, Mémoires
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Mme de Sabran- Messages : 55500
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Mme de Sabran a écrit:" Les Liaisons dangereuses " de Laclos, que Tilly appelle " l'un des plus dangereux météores qui soient apparus dans un ciel en colère " ( notre jeu de l'automne il y a deux jours ) avaient déjà enflammé les esprits de la bourgeoisie contre la classe qu'elle haïssait, et il ne manquait pas d'auteurs désireux de saisir l'occasion pour se faire une popularité. Il suffisait au premier venu de " décrire un courtisan comme toujours vil dans toutes les circonstances de la vie, et un plébéien comme sublime " ( 1 ) pour être acclamé comme un génie littéraire .
Joseph Callewaert
( 1 ) : Mme de Genlis, Mémoires
Le thème fit florès, même dans la peinture populaire ....
Lucius- Messages : 11656
Date d'inscription : 21/12/2013
Age : 33
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Julia a écrit:Quelles éditions de ce livre conseillez-vous?
Quant à moi, j'ai deux éditions de ce fameux livre. La première édition que j'ai n'est pas complète, j'ai juste le premier tome, trouvé il y a quelques années en furetant dans une des bouquineries à Bruxelles. Il s'agit d'une édition de Genève, datée de 1792.
J'en ai trouvé une autre, beaucoup plus récente, de 1946, aux Edtions Colbert, avec de jolies illustrations charmantes par Chéri Hérouard (1881-1961) :
Ces illustrations font penser à une vaudeville ou comédie, et correspondent peu à la teneur sombre et cynique du roman épistolaire. En revanche, les illustrations de la main de Fragonard fils dans l'édition de Londres de 1796 reflètent mieux le côté noir du roman.
Il en va de même pour les deux films parus presque simultanément, Dangerous Liaisons de 1988, accentuant la noirceur des personnages, et Valmont de 1989, qu'on regarde plutôt comme une vaudeville amusante.
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« elle dominait de la tête toutes les dames de sa cour, comme un grand chêne, dans une forêt, s'élève au-dessus des arbres qui l'environnent. »
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Félix a écrit:avec de jolies illustrations charmantes par Chéri Hérouard (1881-1961)
... le bien nommé !
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Mme de Sabran- Messages : 55500
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
À la fin des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, l'auteur fait prendre la fuite à la marquise de Merteuil, accablée de dettes et exécrée par le beau monde parisien.
Selon la narratrice de la dernière lettre du roman de Laclos (Mme de Volanges, mère de Cécile), la terrible marquise, atteinte de la petite-vérole et défigurée, aurait pris la direction de la Hollande.
Et c'est là où l'auteure hollandaise Hella Haasse (1918 - 2011) reprend le fil de l'histoire, dans un mélange fascinant de fiction et essai historique.
Dans son livre, Haasse s'imagine la marquise ayant pris refuge dans une modeste propriété appelée Daal-en-Berg (Valmont en français), près des dunes à La Haye, capitale administrative des Pays-Bas et résidence du Stathouder.
Dans un échange de lettres fictif, Haasse essaie de comprendre les motifs qui ont amenés la marquise à prendre une si terrible vengeance sur son entourage et s'interroge en même temps sur la position de la femme au dix-huitième siècle.
La première édition de ce livre date de 1976. Une traduction française est parue en 1995 aux éditions Seuil, reprise plus tard dans la collection Points.
Selon la narratrice de la dernière lettre du roman de Laclos (Mme de Volanges, mère de Cécile), la terrible marquise, atteinte de la petite-vérole et défigurée, aurait pris la direction de la Hollande.
Et c'est là où l'auteure hollandaise Hella Haasse (1918 - 2011) reprend le fil de l'histoire, dans un mélange fascinant de fiction et essai historique.
Dans son livre, Haasse s'imagine la marquise ayant pris refuge dans une modeste propriété appelée Daal-en-Berg (Valmont en français), près des dunes à La Haye, capitale administrative des Pays-Bas et résidence du Stathouder.
Dans un échange de lettres fictif, Haasse essaie de comprendre les motifs qui ont amenés la marquise à prendre une si terrible vengeance sur son entourage et s'interroge en même temps sur la position de la femme au dix-huitième siècle.
La première édition de ce livre date de 1976. Une traduction française est parue en 1995 aux éditions Seuil, reprise plus tard dans la collection Points.
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Comte d'Hézècques- Messages : 4390
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
J'ignorais totalement qu'il y eût une suite aux Liaisons !
L'as-tu lue ?
Je n'approuve pas forcément l'idée, non plus qu'une suite à Autant en emporte le vent ... etc ... etc ...
Les oeuvres originales sont si captivantes que des suites éventuelles ( et improbables ) ne me paraissent pouvoir n'être que de pâlichonnes resucées .
La reprise et suite par exemple de Sanditon, dont l'écriture s'était trouvée interrompue par la mort de Jane Austen, ne m'a pas vraiment emballée .
L'as-tu lue ?
Je n'approuve pas forcément l'idée, non plus qu'une suite à Autant en emporte le vent ... etc ... etc ...
Les oeuvres originales sont si captivantes que des suites éventuelles ( et improbables ) ne me paraissent pouvoir n'être que de pâlichonnes resucées .
La reprise et suite par exemple de Sanditon, dont l'écriture s'était trouvée interrompue par la mort de Jane Austen, ne m'a pas vraiment emballée .
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Mme de Sabran- Messages : 55500
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
L'œuvre est magistrale, l'auteur beaucoup moins.
Mr ventier- Messages : 1133
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
... cependant bon époux, bon père !
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Mme de Sabran- Messages : 55500
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Mme de Sabran a écrit:J'ignorais totalement qu'il y eût une suite aux Liaisons !
L'as-tu lue ?
Je n'approuve pas forcément l'idée, non plus qu'une suite à Autant en emporte le vent ... etc ... etc ...
Les oeuvres originales sont si captivantes que des suites éventuelles ( et improbables ) ne me paraissent pouvoir n'être que de pâlichonnes resucées .
Oh oui, je recommande ce livre absolument !
Je l'ai lu plusieurs fois.
Ce livre est écrit par LA grande dame de la littérature néerlandaise. Je suis fan de son oeuvre depuis l'école secondaire
Je me rappelle qu'une amie m'avait invitée à venir avec elle à une session de dédicace de Hella Haasse. Je tremblais comme une paille, tellement j'étais nerveux à l'idée de rencontrer en vrai cette Grande Dame de la littérature néerlandaise. Je lui avais remis un poème que j'avais écrit pour elle ; elle en était très charmée et m'avait écrit une carte quelques semaines après.
Ici il ne s'agit pas d'une suite ordinaire du roman, mais plutôt d'une belle tour de force littéraire pour sonder le personnage de la marquise, et d'aborder le thème de la femme vue par les hommes et par elle-même au 18ème siècle.
Voici ce qu'on peut lire sur le site web des éditions du Seuil :
« Peut-être quelque jour nous sera-t-il permis de compléter cet ouvrage : mais nous ne pouvons prendre aucun engagement à ce sujet : et quand nous le pourrions, nous croirions encore devoir auparavant consulter le goût du public qui n’a pas les mêmes raisons que nous de s’intéresser à cette lecture. »
C’est sur cette note que nous refermons « Les liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos.
Et c’est là que Hella Haasse reprend habilement le fil de l’histoire. La marquise de Merteuil, cette femme qui jouait avec l’amour d’une manière exclusivement réservée aux hommes, est bannie à la suite de ses turpitudes. « On croit, écrit Laclos, qu’elle a pris la route de la Hollande. »
Réfugiée dans un domaine, aujourd’hui disparu, qu’elle a rebaptisé Valmont (traduction littérale du nom néerlandais de l’allée Daal-en-Berg), la marquise écrit des lettres, comme dans le roman dont elle est issue. La destinataire en est une femme néerlandaise sans nom en qui nous devinons Hella Haasse. Ainsi naît le plus surprenant des échanges épistolaires entre deux femmes que tout sépare – le physique, le mode de vie, l’époque – hormis la qualité de l’intelligence.
Deux femmes, à deux siècles de distance, inspirées par un même besoin, passionnées par une problématique identique à la base, développent des idées parallèles sur la condition féminine et la lutte des sexes. Deux femmes débattent de l’image de la femme en littérature qui, selon la marquise, est à rechercher parmi les amorales et les mauvaises. De cette manière se déploie, dans une perspective, à l’intérieur du roman un essai d’une sagacité et d’une émotion remarquables sur la femme malfaisante dans la littérature universelle.
Et voici un autre article qui aborde le livre de Hella Haasse http://textespretextes.blogspirit.com/tag/une+liaison+dangereuse
Mme de Sabran a écrit:
La reprise et suite par exemple de Sanditon, dont l'écriture s'était trouvée interrompue par la mort de Jane Austen, ne m'a pas vraiment emballée .
En effet, la suite de Sanditon est déplorable. Après la première épisode, j'ai abandonné
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Comte d'Hézècques- Messages : 4390
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Comte d'Hézècques a écrit:Je me rappelle qu'une amie m'avait invitée à venir avec elle à une session de dédicace de Hella Haasse. Je tremblais comme une paille, tellement j'étais nerveux à l'idée de rencontrer en vrai cette Grande Dame de la littérature néerlandaise. Je lui avais remis un poème que j'avais écrit pour elle ; elle en était très charmée et m'avait écrit une carte quelques semaines après.
Quel joli souvenir ! Et quel âge avais-tu donc à ce moment-là ?
La voici elle, toute jeune, ravissante :
Hélène Serafia Haasse, dite Hella S. Haasse
(née le 2 février 1918 à Batavia (aujourd'hui Jakarta), Indonésie, et morte le 29 septembre 2011 à Amsterdam)
Ce n'est donc pas à proprement parler une suite des Liaisons, même si Hella Haas redonne vie à Merteuil , mais plutôt une réflexion en miroir sur la condition féminine à deux siècles de distance, certainement très passionnante, en effet.Comte d'Hézècques a écrit:Deux femmes, à deux siècles de distance, inspirées par un même besoin, passionnées par une problématique identique à la base, développent des idées parallèles sur la condition féminine et la lutte des sexes. Deux femmes débattent de l’image de la femme en littérature qui, selon la marquise, est à rechercher parmi les amorales et les mauvaises. De cette manière se déploie, dans une perspective, à l’intérieur du roman un essai d’une sagacité et d’une émotion remarquables sur la femme malfaisante dans la littérature universelle.
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Mme de Sabran- Messages : 55500
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Elle était très jolie en effet.
Je l'aime beaucoup sur cette photo aussi, où elle est en train de dédicacer la première édition de son premier roman Oeroeg (1948) :
Lors de la dédicace de son roman Sleuteloog (2002) j'avais 21 ans, et Hella Haasse en avait 84.
Elle m'a envoyé cette carte début 2003 :
Traduction : "Cher Jelger Bakker,
Merci pour votre lettre et votre poème, dans lequel s'avère que ce que j'essaie de faire, résonne vraiment auprès de vous comme lecteur ! Ainsi la sculpture sur cette carte a été conçue suite aux impressions d'une lectrice créatrice. Ce sont pour moi des expériences très spéciales. Que de bonnes choses pour 2003 ! Cordialement, Hella Haasse."
Mme de Sabran a écrit:
Ce n'est donc pas à proprement parler une suite des Liaisons, même si Hella Haas redonne vie à Merteuil , mais plutôt une réflexion en miroir sur la condition féminine à deux siècles de distance, certainement très passionnante, en effet.
Oui c'est tout à fait cela. Une lecture très passionnante que je peux recommander à tous ceux et toutes celles qui s'intéressent à la littérature du 18ème siècle.
Extrait du livre de Haasse (c'est la marquise de Merteuil qui écrit) :
« Je pourrais scruter assez longtemps les taillis qui entourent mon jardin pour y découvrir, dans le tourbillon des feuilles et des rameaux, entre les taches mouvantes d’ombre et de lumière et dans les trouées toujours changeantes du feuillage, une silhouette à l’aise dans des vêtements lâches dégageant le pied, une femme aux cheveux courts, flottants, qui marche à pas rapides lorsqu’elle en a envie, et qui peut parcourir seule, librement, tous les sentiers ; une femme qui existe dans une autre réalité et pour qui je suis – telle que me voici – aussi étrange qu’une découverte archéologique. »
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Comte d'Hézècques- Messages : 4390
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Après la publication des Liaisons dangereuses (1782), Aimée de Coigny ferma sa porte à Laclos qu’elle recevait auparavant, et dit à son suisse : « vous connaissez bien ce grand monsieur maigre et jaune, en habit noir, qui vient souvent chez moi ? Je n’y suis plus pour lui ; si j’étais seule avec lui, j’aurais peur. »
https://fr.wikisource.org/wiki/Un_Amour_platonique_au_XVIIIe_si%C3%A8cle_-_Madame_de_Coigny_et_Lauzun
https://fr.wikisource.org/wiki/Un_Amour_platonique_au_XVIIIe_si%C3%A8cle_-_Madame_de_Coigny_et_Lauzun
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Mme de Sabran- Messages : 55500
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Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Et elle a bien fait, cette Aimée de Coigny. Et elle a bien eu raison. J'aime pas ce monsieur en noir
Mr ventier- Messages : 1133
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Localisation : Rouen normandie
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Aimée de Coigny a écrit:: « vous connaissez bien ce grand monsieur maigre et jaune, en habit noir, qui vient souvent chez moi ? Je n’y suis plus pour lui ; si j’étais seule avec lui, j’aurais peur. »
Encore une qui ne sait pas démêler l'auteur de son oeuvre !
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Comte d'Hézècques- Messages : 4390
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Localisation : Pays-Bas autrichiens
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Si le sujet vous intéresse, à voir en vidéo sur le site d'Arte, le documentaire :
Les liaisons scandaleuses
Réalisation : Priscilla Pizzato
France (2020)
Durée : 52 mn
C'est à la veille de la Révolution, en 1782, que paraît "Les liaisons dangereuses" de Choderlos de Laclos : ce volet de la série documentaire "Les grands romans du scandale" propose une éclairante anatomie de ce chef-d’oeuvre, à la fois manuel libertin et satire sociale.
Avec la romancière Cécile Guilbert et les professeurs de littérature Catriona Seth et Michel Delon, une plongée savante dans un roman d’une noirceur féroce, miroir de la dimension conflictuelle de l’amour et des perversités d’une humanité gangrenée par les inégalités.
"Le vice monstrueux s’y fait voir dans toute sa difformité." À sa publication en 1782, Les liaisons dangereuses scandalise et déchaîne les passions. On le lit sous le manteau et dans les alcôves pour mieux s’offusquer de son parfum de soufre et de ses allusions sexuelles.
Composé de 175 lettres d’un duo machiavélique d’aristocrates − partenaires puis ennemis −, le roman, brillant traité de libertinage, entremêle dans une langue raffinée amour, vengeance et manigances. Jugé immoral, le livre est surtout voué aux gémonies comme corrupteur d’âmes, celle des jeunes filles en particulier.
Plus encore que le vicomte de Valmont, séducteur débauché, la diabolique marquise de Merteuil sidère et dérange. Manipulatrice à l’intelligence redoutable, cette veuve et amante blessée, qui aspire au pouvoir des hommes, se bat pour le conquérir dans une guerre des sexes sans merci, menant le jeu au fil d’intrigues sophistiquées.
À travers cette héroïne du XVIIIe siècle, jusque-là sans équivalent en littérature, Choderlos de Laclos dénonce la domination masculine − qu’illustre aussi cruellement le viol par Valmont de la jeune Cécile de Volanges, pour laquelle Mme de Merteuil exprime, à son tour, un désir à peine voilé. Car en homme des Lumières et lecteur de Rousseau, l’auteur dresse, dans ce roman épistolaire virtuose, le portrait d’une société hiérarchisée délétère que seule une révolution serait en mesure de réformer.
Féroce noirceur
"Je résolus de faire un ouvrage qui sortît de la route de l’ordinaire, qui fît du bruit et qui retentit encore sur la terre, quand j’y aurais passé…", confiait Laclos, à l’origine officier de carrière.
Anatomie d’"un livre qui brûle comme de la glace…", selon Baudelaire, ce documentaire éclaire les tiroirs gigognes d’un chef-d’œuvre censuré puis encensé, dont les adaptations au cinéma, de Roger Vadim au Coréen Lee Jae-yong en passant par Milos Forman ou Stephen Frears, ont contribué à forger l’immense popularité.
Documentaire à découvrir, ici : Arte TV - Les liaisons scandaleuses
Les liaisons scandaleuses
Réalisation : Priscilla Pizzato
France (2020)
Durée : 52 mn
C'est à la veille de la Révolution, en 1782, que paraît "Les liaisons dangereuses" de Choderlos de Laclos : ce volet de la série documentaire "Les grands romans du scandale" propose une éclairante anatomie de ce chef-d’oeuvre, à la fois manuel libertin et satire sociale.
Avec la romancière Cécile Guilbert et les professeurs de littérature Catriona Seth et Michel Delon, une plongée savante dans un roman d’une noirceur féroce, miroir de la dimension conflictuelle de l’amour et des perversités d’une humanité gangrenée par les inégalités.
"Le vice monstrueux s’y fait voir dans toute sa difformité." À sa publication en 1782, Les liaisons dangereuses scandalise et déchaîne les passions. On le lit sous le manteau et dans les alcôves pour mieux s’offusquer de son parfum de soufre et de ses allusions sexuelles.
Composé de 175 lettres d’un duo machiavélique d’aristocrates − partenaires puis ennemis −, le roman, brillant traité de libertinage, entremêle dans une langue raffinée amour, vengeance et manigances. Jugé immoral, le livre est surtout voué aux gémonies comme corrupteur d’âmes, celle des jeunes filles en particulier.
Plus encore que le vicomte de Valmont, séducteur débauché, la diabolique marquise de Merteuil sidère et dérange. Manipulatrice à l’intelligence redoutable, cette veuve et amante blessée, qui aspire au pouvoir des hommes, se bat pour le conquérir dans une guerre des sexes sans merci, menant le jeu au fil d’intrigues sophistiquées.
À travers cette héroïne du XVIIIe siècle, jusque-là sans équivalent en littérature, Choderlos de Laclos dénonce la domination masculine − qu’illustre aussi cruellement le viol par Valmont de la jeune Cécile de Volanges, pour laquelle Mme de Merteuil exprime, à son tour, un désir à peine voilé. Car en homme des Lumières et lecteur de Rousseau, l’auteur dresse, dans ce roman épistolaire virtuose, le portrait d’une société hiérarchisée délétère que seule une révolution serait en mesure de réformer.
Féroce noirceur
"Je résolus de faire un ouvrage qui sortît de la route de l’ordinaire, qui fît du bruit et qui retentit encore sur la terre, quand j’y aurais passé…", confiait Laclos, à l’origine officier de carrière.
Anatomie d’"un livre qui brûle comme de la glace…", selon Baudelaire, ce documentaire éclaire les tiroirs gigognes d’un chef-d’œuvre censuré puis encensé, dont les adaptations au cinéma, de Roger Vadim au Coréen Lee Jae-yong en passant par Milos Forman ou Stephen Frears, ont contribué à forger l’immense popularité.
Documentaire à découvrir, ici : Arte TV - Les liaisons scandaleuses
La nuit, la neige- Messages : 18133
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Merci beaucoup LNLN, ce roman me passionne, j'irai donc certainement voir ce documentaire
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Comte d'Hézècques- Messages : 4390
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Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Excellente occasion de retrouver notre amie Catriona Seth, qui a supervisé la nouvelle édition du roman à la Pléiade il y a quelques années!
Merci pour l'annonce!
Merci pour l'annonce!
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" Ai-je vu dans sa société quelque chose qui ne fût pas marqué au coin de la grâce, de la bonté et du goût? "
(Prince de Ligne, au sujet de "la charmante reine")
Bonnefoy du Plan- Messages : 390
Date d'inscription : 06/08/2018
Localisation : Le Maine
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Je viens de voir ce documentaire à l'instant, je vous le recommande chaudement. Les ressorts psychologiques et sociétaux de l'intrigue sont parfaitement analysés : le libertin qui tel un seigneur estime pouvoir user comme bon lui semble de l'autre et en particulier de la femme (le viol de Cécile par Valmont comme illustration de la violence exercée, dans la société, par la caste des puissants sur celle des plus faibles), la femme rabaissée au rang d'esclave de l'homme, la revanche du sexe dit faible via la séduction utilisée comme arme de domination de la femme sur l'homme, la prétention de Mme de Merteuil de vouloir "venger son sexe" (or qu'en réalité elle ne cherche qu'à exercer le même type de domination que les hommes, n'ayant que faire du sort de Mme de Tourvel ou de Cécile : elle n'agit pas au nom des femmes, ce n'est pas une féministe au sens moderne du terme), le contrôle de soi-même et de ses émotions comme moyen de rester "souverain" dans une telle société où le paraître compte autant si ce n'est plus que l'être, la fin tragique de tous les personnages (Cécile destinée au couvent, variole de Mme de Merteuil etc...) et les implications politiques du roman (une société pourrie de l'intérieur qu'il faut faire exploser par la révolution) etc etc....
Excellent documentaire, bravo.
A voir ici : https://www.arte.tv/fr/videos/098428-000-A/les-liaisons-scandaleuses/
Duc d'Ostrogothie- Messages : 3227
Date d'inscription : 04/11/2017
Re: Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos
Merci pour le compte-rendu mon cher Ostro !
J'irai voir ce documentaire.
Récemment j'ai lu dans les soi-disant Mémoires de Léonard que Marie-Antoinette aurait lu, elle aussi, les Liaisons Dangereuses, mais cela me semble improbable. Qu'en pensez-vous ?
J'irai voir ce documentaire.
Récemment j'ai lu dans les soi-disant Mémoires de Léonard que Marie-Antoinette aurait lu, elle aussi, les Liaisons Dangereuses, mais cela me semble improbable. Qu'en pensez-vous ?
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Comte d'Hézècques- Messages : 4390
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