La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
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Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Goguelat a écrit:Une question que je me pose sur le refus de Marie-Antoinette de se séparer du roi pendant les divers projets de fuites, et je suis conscient que tout ceci relève du domaine de l'hypothétique, mais pensez vous que c'est par un sentiment de devoir, une reine ne se sépare pas de son époux? Ou la crainte que cela puisse justifier la cause de ceux qui pensaient forcer un divorce? Ou simplement la peur physique, elle se pensait plus en danger seule se sachant beaucoup plus impopulaire?
La comtesse de Provence écrit dans une lettre à sa maîtresse, Mme de Gourbillon, au mois de juin 1790, que Marie-Antoinette a peur de sortir du château de Saint-Cloud (elle s'en amuse, la gueuse...).
On peut donc penser que Marie-Antoinette a eu très peur pendant la Révolution (c'est pas un scoop ceci dit ).
Cela étant, je ne pense pas que Marie-Antoinette a refusé de se séparer de Louis XVI par peur de se retrouver en danger une fois seule, mais bien plutôt par devoir. Pourquoi ?
Parce-que lorsque Fersen lui propose, au mois de février 1792, de s'enfuir seule avec lui, Marie-Antoinette refuse tout net. Il est hors de question pour elle de se séparer de son mari (et de ses enfants). Elle aurait été en sécurité si elle s'était enfuie seule avec Fersen, mais elle refuse, ce qui provoquera d'ailleurs une tension entre elle et Fersen, puisqu'à partir de ce moment-là :
- Fersen prend une autre maîtresse (Eléonore Sullivan, qu'il avait rencontré lors de la préparation de la fuite de la famille royale et qui apparaît pour la première fois dans son recueil de correspondance à partir de fin 1791/ 1792) ; et
- Fersen surnomme Marie-Antoinette non plus "Joséphine" mais "Rosina" dans ses papiers (le personnage de la pièce de Beaumarchais, qui fait un enfant avec son amant Cherubbini et finit par revenir dans les bras de son mari...) (sur tous ces éléments, v. le livre de Evelyn Farr, "Marie-Antoinette et le comte de Fersen, la correspondance secrète", éd. de l'Archipel).
Je signale à ce propos un très intéressant article sur La naissance illégitime : faute ou innocence maternelles ? qui évoque notamment l'infidélité du personnage de Rosine dans la pièce de Beaumarchais :
(Je crois que suis totalement hors sujet là )
Duc d'Ostrogothie- Messages : 3227
Date d'inscription : 04/11/2017
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Oui, je vous suis cher Duc: d’abord le devoir... Mais la peur aussi, ce n’est pas pour moi incompatible... on aurait eu peur pour moins que ça, n’est-ce pas? Rappelez-vous que j’évoquais cette question à propos du passage par Epernay, où on la menace physiquement de la tuer...
Quant au devoir, il fait partie d’elle même, c’est l’enseignement sa mère...
Son premier devoir, elle le sait, c’est d’être auprès du Roi, et de lui être fidèle. On sait que c’est compliqué pour elle, car ce Roi ne correspond pas à ce qu’elle attend...D’où conflit chez elle: loyauté /transgression... On connaît le reste. Comme elle n’est pas une sainte (et je l’apprécie pour ça), elle fait...ce qu’elle peut avec son Roi de mari que le destin lui a imposé, et bien sûr avec un Fersen qu’elle s’est choisi, certainement pour pouvoir survivre...
Quant au devoir, il fait partie d’elle même, c’est l’enseignement sa mère...
Son premier devoir, elle le sait, c’est d’être auprès du Roi, et de lui être fidèle. On sait que c’est compliqué pour elle, car ce Roi ne correspond pas à ce qu’elle attend...D’où conflit chez elle: loyauté /transgression... On connaît le reste. Comme elle n’est pas une sainte (et je l’apprécie pour ça), elle fait...ce qu’elle peut avec son Roi de mari que le destin lui a imposé, et bien sûr avec un Fersen qu’elle s’est choisi, certainement pour pouvoir survivre...
Vicq d Azir- Messages : 3676
Date d'inscription : 07/11/2014
Age : 76
Localisation : Paris x
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Goguelat a écrit:Une question que je me pose sur le refus de Marie-Antoinette de se séparer du roi pendant les divers projets de fuites, et je suis conscient que tout ceci relève du domaine de l'hypothétique, mais pensez vous que c'est par un sentiment de devoir, une reine ne se sépare pas de son époux? Ou la crainte que cela puisse justifier la cause de ceux qui pensaient forcer un divorce? Ou simplement la peur physique, elle se pensait plus en danger seule se sachant beaucoup plus impopulaire?
Le devoir . C'est par devoir que Marie-Antoinette n'accepte jamais de se séparer du roi . La femme se sacrifie à la reine. Il y a aussi, je crois, un scrupule de solidarité envers " le pauvre homme " qu'elle plaint et pour lequel elle a certainement de l'affection.
Mais, cher Goguelat, vous oubliez ce qui me semble le plus important : les enfants.
Une mère ne part pas sans ses enfants.
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
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Localisation : l'Ouest sauvage
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Oui, c’est très juste, chère Eléonore. Mais je persiste à penser que ce n’est pas si clair pour elle, et que le choix n’est pas toujours simple...
Rappelez-vous, c’est vous qui aviez évoqué un jour pour la Reine la notion de transgression... J’avais trouvé cela très juste.
Il est vrai que c’était en référence à une époque différente de la vie de la Reine... Mais enfin, on peut imaginer des mouvements différents pour une même personne: le devoir, oui, c’est son devoir de Reine , et aussi de mère, vous avez raison de le rappeler, mais aussi la transgression (n’oublions pas qu’elle vit une autre histoire, parallèle, avec Fersen...)
Rappelez-vous, c’est vous qui aviez évoqué un jour pour la Reine la notion de transgression... J’avais trouvé cela très juste.
Il est vrai que c’était en référence à une époque différente de la vie de la Reine... Mais enfin, on peut imaginer des mouvements différents pour une même personne: le devoir, oui, c’est son devoir de Reine , et aussi de mère, vous avez raison de le rappeler, mais aussi la transgression (n’oublions pas qu’elle vit une autre histoire, parallèle, avec Fersen...)
Vicq d Azir- Messages : 3676
Date d'inscription : 07/11/2014
Age : 76
Localisation : Paris x
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Vicq d Azir a écrit:
Rappelez-vous, c’est vous qui aviez évoqué un jour pour la Reine la notion de transgression... J’avais trouvé cela très juste.
Bien sûr ! C'est un trait prégnant de son caractère et qui en dit long sur son tempérament .
Vicq d Azir a écrit:
(n’oublions pas qu’elle vit une autre histoire, parallèle, avec Fersen...)
Comment pourrais-je l'oublier, cher Févicq ?
Je dirais, de manière basique et sommaire, que Fersen et la Révolution concourent à donner sa " substance " à Marie-Antoinette .
Je m'explique :
Fersen donne à Marie-Antoinette sa dimension amoureuse d'héroïne romanesque . ( qui fait rêver )
Le Révolution en fait l'héroïne d'un thriller qui la broie. ( qui tétanise d'horreur )
Si nous ôtions Fersen et la Révolution de l'histoire de sa vie que resterait-t-il de Marie-Antoinette ?
Une reine sans beaucoup plus de relief qu'une Marie-Thérèse ou une Marie Leszczynska.
Je sens que je vais me faire conspuer ... tant pis, j'assume !
_________________
... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Mme de Sabran a écrit:Si nous ôtions Fersen et la Révolution de l'histoire de sa vie que resterait-t-il de Marie-Antoinette ?
Une reine sans beaucoup plus de relief qu'une Marie-Thérèse ou une Marie Leszczynska.
Je sens que je vais me faire conspuer ... tant pis, j'assume !
Pourquoi vous conspuer ? Cela aurait pu être plausible. Mais n'oublions pas, Marie-Antoinette était la fille de l'Impératrice Marie-Thérèse. Bon sang ne saurait mentir. Donc, je ne crois pas que l'on puisse penser à Elle en la comparant aux épouses de Louis XIV et Louis XV, même s'il n'y avait pas eu cette histoire romanesque avec Fersen. La Reine avait du caractère, très souvent refloué, jusqu'aux prémices de la Révolution. On pourrait même dire que déjà en 1787 (avec l'affaire du Collier), Elle commence à montrer un tempérament qu'on ne soupçonnait pas.
Je crois aussi que la Reine avait le sens du devoir, craignait pour sa vie, certes, mais un LIEN puissant s'était forgé entre Elle et le Roi lorsque les tensions de la Révolution ont explosé quelques années avant la fuite à Varennes. Pour toutes ces raisons, Elle ne voulait pas (ou ne pouvait pas) se séparer du Roi. C'était pour Elle vitale d'être avec Louis XVI. Une espèce d'amour fraternel très profond.
Trianon- Messages : 3305
Date d'inscription : 22/12/2013
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Oui, ce sujet est tellement documenté que j'en suis très admiratif . Mais je ne m'explique pas tout.
C'est pourtant ce qu'il fait à Varennes chez Sausse . Il abdique . Je ne comprends pas un comportement aussi peu royal .Vicq d Azir a écrit:
Sortir du Royaume aurait équivalu à abdiquer, et Louis XVI ne le souhaitait pas.
Monsieur de la Pérouse- Messages : 504
Date d'inscription : 31/01/2019
Localisation : Enfin à bon port !
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Légalement, il n'abdique pas.Monsieur de la Pérouse a écrit:
C'est pourtant ce qu'il fait à Varennes chez Sausse . Il abdique .
Au contraire même, peu après Varennes et la suspension de ses pouvoirs (avec maintien de sa fonction) par l'Assemblée Constituante, Louis XVI acceptera la nouvelle constitution une fois celle-ci achevée :
* Louis XVI, Lettre à l'Assemblée nationale en date du 13 septembre 1791 :
Messieurs, j'ai examiné attentivement l'Acte constitutionnel que vous avez présenté à mon acceptation. Je l'accepte, et le ferai exécuter. [...] J'ai pensé, Messieurs, que c'était dans le lieu même où la Constitution a été formée que je devais en prononcer l'acceptation solennelle : je me rendrai, demain à midi, à l'Assemblée nationale.
* Le lendemain, 14 septembre, Louis XVI réitère son acceptation et prête serment à la constitution :
Messieurs, je viens consacrer ici solennellement l'acceptation que j'ai donné à l'Acte constitutionnel. En conséquence, je jure d'être fidèle à la Nation et à la Loi, à maintenir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale constituante, et à faire exécuter les lois. (...)
Constitution française de 1791 : décret de l'Assemblée nationale du 3 septembre 1791, précédé de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Manuscrit sur vélin dans une reliure de maroquin vert et or, estampillée du médaillon de l'Assemblée nationale (...)
Photo : Collection du Musée des Archives nationales
Cet exemplaire manuscrit, collationné sur l'original comporte 46 feuillets.
En marge du premier feuillet figure la mention d'acceptation "J'accepte et ferai exécuter. 14 7bre 1791.", signée : Louis; contre-signé: M. L. F. Duport.
Dernière édition par La nuit, la neige le Mar 12 Fév 2019, 09:55, édité 1 fois
La nuit, la neige- Messages : 18132
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
"Il n'y a plus de roi en France" n'est pas une abdication mais plutôt un constat lucide.
Quant à Marie-Antoinette, peut être gardait-elle en mémoire :
"Ma fille dans l'adversité souvenez vous de moi".
Quant à Marie-Antoinette, peut être gardait-elle en mémoire :
"Ma fille dans l'adversité souvenez vous de moi".
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« La mode est à la France ce que les mines du Pérou sont à l'Espagne » Colbert.
Marie-Jeanne- Messages : 1497
Date d'inscription : 16/09/2018
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Marie-Jeanne a écrit:"Il n'y a plus de roi en France" n'est pas une abdication mais plutôt un constat lucide.
Dans la bouche du roi c'est un comble. Il abdiquait toute volonté d'être roi.
Merci La nuit, la neige, pour ces documents. Cette acceptation, une formalité 24 feuillets tout de même, aurait pu tout sauver si Louis XVI s'y était tenu.
Monsieur de la Pérouse- Messages : 504
Date d'inscription : 31/01/2019
Localisation : Enfin à bon port !
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Sans compter que cette phrase : « il n’y a plus de Roi en France », qui aurait été prononcée par le Roi, est peut-être apocryphe... Je ne dis pas qu’elle l’est, je m’en vais d’ailleurs aller vérifier dès que possible sa source, à moins que vous ayez déjà une idée... Ce que je veux dire simplement, c’est que l’événement Varennes a tellement été commenté par la suite ( et surtout par ceux qui n’y étaient pas...), qu’il est très difficile de faire la part des choses...À ce propos, je veux saluer le travail courageux et rigoureux auquel s’est livré Jacques Hussenet : « Louis XVI, prisonnier de Varennes » ( éditions Terre d’Argonne ). Il n’y retient que les témoignages directs, et fait voler en éclats bien des idées reçues, qu’il relègue au rayon des légendes forgées bien après l’événement.
Quoiqu’il en soit, que le Roi ait ou non prononcé cette phrase, et je rejoins LNLN sur ce point, il n’est non seulement pas destitué à son retour à Paris, mais, après une courte mise aux arrêts dans son palais ( ainsi que son entourage ), très vite réhabilité et confirmé dans ses fonctions de chef de l’Etat par l’Assemblée elle-même.Cette Assemblée Constituante, qu’on étiquetterait aujourd’hui de « centre-droit », a en effet été prise de cours par la défection du Roi. Souvenons-nous qu’elle a besoin de lui pour entériner sa nouvelle Constitution. Cette assemblée n’est pas républicaine, et se méfie comme d’une peste de sa gauche, c à dire des Jacobins. D’où la thèse officielle qui va prévaloir: le Roi a été enlevé... enlevé par qui ? Par les forces réactionnaires, pardi ! Les forces réactionnaires en lien avec l’émigration, bien sûr... Ceci est d’autant plus faux qu’on connaît aujourd’hui les préventions de Louis XVI à l’égard des émigrés, et de ses frères en particulier..
Inutile de rappeler que l’image du Roi, même s’il est « restitué »( passez-moi ce néologisme...), et non « destitué », ne sortira pas grandie de cette équipée ratée : il apparaîtra comme le Roi fantoche,celui qui s’est laissé enlever sans résister, après ( circonstance aggravante..) avoir adressé un brûlot au Président de l’Assemblée, dans lequel il prétendait régler ses comptes avec la Révolution...
Malgré tout cela, on pourrait dire que Louis XVI va bénéficier, à son retour à Paris, d’une « deuxième chance au grattage »: il signera en effet la Constitution en septembre 91, ce qui fera de lui, de manière officielle cette fois, le premier monarque constitutionnel de notre pays. Il jurera solennellement devant les députés d’en être le défenseur, « remontera dans les sondages », dirait-on aujourd’hui, à tel point qu’il sera acclamé sur le trajet du retour d’un Te Deum donné pour la circonstance, car le peuple de Paris, quoiqu’on die, n’est point rancunier...
Mais la suite est une autre histoire...
Quoiqu’il en soit, que le Roi ait ou non prononcé cette phrase, et je rejoins LNLN sur ce point, il n’est non seulement pas destitué à son retour à Paris, mais, après une courte mise aux arrêts dans son palais ( ainsi que son entourage ), très vite réhabilité et confirmé dans ses fonctions de chef de l’Etat par l’Assemblée elle-même.Cette Assemblée Constituante, qu’on étiquetterait aujourd’hui de « centre-droit », a en effet été prise de cours par la défection du Roi. Souvenons-nous qu’elle a besoin de lui pour entériner sa nouvelle Constitution. Cette assemblée n’est pas républicaine, et se méfie comme d’une peste de sa gauche, c à dire des Jacobins. D’où la thèse officielle qui va prévaloir: le Roi a été enlevé... enlevé par qui ? Par les forces réactionnaires, pardi ! Les forces réactionnaires en lien avec l’émigration, bien sûr... Ceci est d’autant plus faux qu’on connaît aujourd’hui les préventions de Louis XVI à l’égard des émigrés, et de ses frères en particulier..
Inutile de rappeler que l’image du Roi, même s’il est « restitué »( passez-moi ce néologisme...), et non « destitué », ne sortira pas grandie de cette équipée ratée : il apparaîtra comme le Roi fantoche,celui qui s’est laissé enlever sans résister, après ( circonstance aggravante..) avoir adressé un brûlot au Président de l’Assemblée, dans lequel il prétendait régler ses comptes avec la Révolution...
Malgré tout cela, on pourrait dire que Louis XVI va bénéficier, à son retour à Paris, d’une « deuxième chance au grattage »: il signera en effet la Constitution en septembre 91, ce qui fera de lui, de manière officielle cette fois, le premier monarque constitutionnel de notre pays. Il jurera solennellement devant les députés d’en être le défenseur, « remontera dans les sondages », dirait-on aujourd’hui, à tel point qu’il sera acclamé sur le trajet du retour d’un Te Deum donné pour la circonstance, car le peuple de Paris, quoiqu’on die, n’est point rancunier...
Mais la suite est une autre histoire...
Vicq d Azir- Messages : 3676
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Localisation : Paris x
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Vicq d Azir a écrit:
Malgré tout cela, on pourrait dire que Louis XVI va bénéficier, à son retour à Paris, d’une « deuxième chance au grattage »: il signera en effet la Constitution en septembre 91, ce qui fera de lui, de manière officielle cette fois, le premier monarque constitutionnel de notre pays. Il jurera solennellement devant les députés d’en être le défenseur, « remontera dans les sondages », dirait-on aujourd’hui, à tel point qu’il sera acclamé sur le trajet du retour d’un Te Deum donné pour la circonstance, car le peuple de Paris, quoiqu’on die, n’est point rancunier...
Merci, Vicq d'Azyr . Quel malheur de n'avoir pas su prendre la balle au bond . J'aime bien votre « deuxième chance au grattage » !
Monsieur de la Pérouse- Messages : 504
Date d'inscription : 31/01/2019
Localisation : Enfin à bon port !
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Relation de la fuite des Tuileries par ALBERT VUAFLART.
Quel branle-bas-de-combat ! Bonjour, la discrétion ...
C'est dans la maison d'angle de l'ancienne rue Millet, que Fersen a préparé dans ses moindres détails la fuite vers Montmédy. Pour beaucoup de personnes, l'événement se résume dans la célèbre berline emportant la Famille royale. A la vérité l'entreprise était de bien autre envergure; il s'agissait de faire sortir de Paris 16 personnes, de l'argent, des papiers, des bijoux et des armes. Il est passionnant de suivre pas à pas, dans ces journées du 16 au 21 juin 1791, le metteur en scène qui inspire, commande et dispose, dans le décor qu'il a choisi, premiers rôles, comparses et accessoires.
Et ces accessoires ne sont pas minces, ni faciles à manœuvrer : ce sont 8 voitures et 27 chevaux. Les écuries du faubourg abritaient 12 chevaux au moins et, sans compter la berline royale commandée et payée par une dame russe, 4 voitures appartenaient à Fersen.
Les allées et venues de tous ces véhicules gravitant autour de la rue Matignon, je vais tenter de les expliquer aussi clairement que possible. Je sais que l'erreur me guette, mais n'est-ce pas le meilleur stimulant de mon effort vers un peu plus de vérité? Le sujet est vaste, infini dans ses détails et terriblement embrouillé. Surtout il est étrange de constater combien ont été mal utilisées les dépositions recueillies par la commission d'enquête et publiées par Bimbenet. Cet auteur lui-même se met à chaque instant en contradiction flagrante avec les documents qu'il édite! Ses successeurs n'ont pas toujours été plus clairvoyants. La berline royale, notamment, a fait l'objet d'une méprise extraordinaire, inexplicable, chez le meilleur historien du drame de Varennes.
1. CHARIOT D'ÉQUIPAGE.
— Le 16 juin 1791, le sellier-carrossier Jean Louis, demeurant rue de la Planche, livre au Comte de Fersen un grand chariot d'équipage neuf, les quatre roues et le berceau de coutil peints en rouge, du prix de 440 livres, 10 sols. Le même jour, le valet de chambre de Fersen, nommé Louvet, s'entend avec le voiturier Roulance, domicilié rue de La Ville-L'Évêque n° 34, en face de la Vacherie suisse, pour mener le chariot à Valenciennes.
Le voiturier part le vendredi 17. Aux six chevaux fournis par les écuries de Fersen, il en ajoute deux autres lui appartenant. Le dimanche il est à Péronne. Dans cette ville il est rejoint par une dame Haquin, « laveuse de vaisselle chez M. de Fersen », qui lui remet, pour être chargée sur le chariot, une grande malle du poids de 400 livres, amenée en poste.
Roulance arrive à Valenciennes le mardi 21. Là, des soldats du Royal-Suédois ajoutent au chargement des tentes et leurs piquets, des housses de chevaux garnies d'or et d'argent. Le même jour, le voiturier quitte Valenciennes, passe la frontière et parvient à Quiévrain, ville d'Empire.
Que portait donc le chariot rouge pour exiger un attelage de huit chevaux ? Des effets d'équipage, raconte Louvet. Disons des caisses d'armes pour l'armée de Bouille et nous serons plus près de la vérité.
2. VOITURE POUR PÉRONNE.
- La lourde malle avait été portée à la diligence de Valenciennes le jeudi 16 juin, jour de départ. Pour une raison inconnue, poids ou plein de bagages, elle n'avait pas été enregistrée. Le lendemain, à la demande de Louvet, la dame Roulance fait prendre la malle aux messageries, et elle est transportée chez un carrossier de la rue de la Madeleine, au coin de la rue de Surène. Celui-ci la trouvant trop lourde pour ses voitures, le charretier de la dame Roulance va la rechercher à 7 heures 1/2 du soir, et la ramène rue Matignon.
Alors Fersen fait retenir un véhicule de voyage chez Coron, serrurier en voitures à la Pologne, à côté de l'ancienne caserne, puis deux chevaux de poste chez un loueur, et il désigne la dame Haquin, domestique à son service, pour rattraper le chariot rouge sur la route de Valenciennes. Et le samedi matin, à 9 heures, la voiture part emportant la dame Haquin et la malle. Elles arrivent le lendemain à Péronne où le voiturier Roulance prend possession du précieux colis. La dame Haquin retourne aussitôt à Paris et le sieur Coron, venu rechercher sa voiture rue Matignon, reçoit dix écus.
Cette malle si pesante amenée de Paris à grands frais, que pouvait-elle contenir? Des effets oubliés, dit la dame Haquin. C'est possible, mais il est plus vraisemblable d'y voir de l'argent et les papiers de Fersen.
3. BERLINE ROYALE.
— Le Comte de Fersen comptait beaucoup d'amis dans la colonie étrangère de Paris, des femmes surtout, car il cachait « une âme brûlante sous une écorce de glace ». C'est une de ses amies qui le juge ainsi, la Baronne Anna-Christine de Korff, veuve d'un colonel russe tué en 1770 à la bataille de Bender.
Cette dame vivait à Paris avec sa mère, madame de Stegleman, veuve d'un banquier de Pétersbourg. L'Almanach de Paris. pour 1787, publié par Lesclapart, les fait habiter toutes deux l'hôtel du Comte de Parabère, sis quai Malaquais, au n° 5 actuel. Très dévouées à la Famille royale, elles n'hésitèrent pas d'avancer 296000 livres à Fersen, quand celui-ci organisa la fuite vers Montmédy.
La Baronne de Korff avait une sœur, Mme Sullivan, qui vivait à Paris avec Quintin Craufurd, Écossais possesseur d'une grande fortune gagnée au service de la Compagnie des Indes Orientales.
Craufurd et sa maîtresse — que d'ailleurs il épousa par la suite — aidèrent beaucoup Fersen avant et après le voyage de Varennes. Ils habitaient un bel hôtel de la rue de Clichy appartenant à Antoine-Louis Rouillé d'Orfeuil, Maître des Requêtes, et fils de l'Intendant de Champagne.
Le 20 juin 1791, l'hôtel Craufurd abrita la berline royale. Une discussion s'est élevée entre M. Lenotre et M. Gustave Bord au sujet de son emplacement, mais j'ai le regret de n'être d'accord ni avec l'un, qui a mal interprété le guide de Watin, ni avec l'autre, qui place la maison du bon côté mais beaucoup trop bas. Situé à droite, en montant la rue de Clichy, cet hôtel offrait une superficie de 2072 toises et une façade de 17 toises. La lisière méridionale se trouvait à 255 toises de l'angle des rues de Clichy et Saint-Lazare.
Il occupait donc l'emplacement des maisons portant aujourd'hui les nos 54 bis et 56 et d'une partie de la rue Nouvelle. La célèbre Prison de la Dette s'élevait naguère en cet endroit même, la rue Nouvelle en marque le milieu.
La Baronne de Korff quitta Paris le 17 juin 1791. Je trouve Craufurd à Londres le 18 juin, à Bruxelles le 28, et Mme Sullivan à Mons le 22 juin. Les collaborateurs de Fersen n'étaient donc plus à Paris lors du départ de la Famille royale.
Le mercredi 22 décembre 1790, la Baronne de Korff fait venir chez elle, à l'hôtel de Parabère, le carrossier Jean Louis; elle lui commande « par commission » une berline de voyage à six places pour aller en Russie. Le surlendemain, Fersen se rend rue de la Planche. Il remet au carrossier l'échantillon choisi pour la doublure de la voiture et consent à ce qu'il utilise une caisse de berline, fabriquée avant la Révolution pour Mme de Polastron, et laissée pour compte. Jean Louis mobilise ses ouvriers et ses fournisseurs. Kenelle, maître-charron, faubourg Montmartre, construit le train ; Deslandes, serrurier, rue de Bourbon-Villeneuve, forge les ressorts et les ferrures; Duchesne, bourrelier, rue des Saints-Pères, confectionne les soupentes; Tonnellier, faubourg Montmartre, est chargé de la peinture.
Fersen surveille et active le travail. Le 12 mars 1791, la voiture est finie, Mme de Korff vient la voir, exprime sa satisfaction, et le 26 mars elle paye le mémoire s'élevant à 5044 livres.
Deux mois se passent. Enfin le départ du Roi est fixé aux premiers jours de juin. Le 4, à la demande de sa cliente, Jean Louis essaye la berline, lourdement chargée, sur la route de Châtillon. Le même jour, la baronne de Korff fait demander deux passeports pour Francfort par M. de Simolin, Ambassadeur de Russie, l'un pour elle, l'autre pour Mme de Stegleman, au total pour 6 personnes, 2 enfants et 5 laquais. Ces deux passeports sont destinés à la Famille royale, à Mmes de Tourzel, Brunier et Neuville, et aux trois gardes du corps. A deux laquais près, et cette latitude pourra servir, c'est bien le nombre des fugitifs qu'emporteront la berline royale et la chaise de poste des femmes de chambre.
La berline affectait la forme dite en gondole, avec sièges devant et derrière, suspension à ressorts et soupentes sur un train à quatre roues peint en jaune. Spacieuse, confortable et solidement construite, elle était cossue d'aspect mais nullement somptueuse. Elle pouvait contenir six personnes, huit au besoin, en utilisant le strapontin placé au milieu. Au dire de Choiseul, la caisse était « de couleur brune », alors qu'un témoin assure avoir vu le « fonds entre le gris et le noir ». L'intérieur de la voiture « renfermait tout ce qui pouvait dispenser d'en descendre » ; il était garni de coussins de maroquin vert, d'un filet, et de poches pour contenir les paquets. Sur l'impériale, deux grandes vaches abritaient les bagages. Au dos de la caisse se trouvaient deux cuisinières de tôle et une cantine de cuir à huit bouteilles. Enfin sous le siège du cocher, un coffre de secours contenait des outils et des pièces de rechange.
Le 18 juin, dans l'après-midi, le carrossier reçoit la visite de Fersen qui lui demande de livrer la berline et d'y joindre deux selles de poste à l'anglaise et deux fouets de courrier. Selles et fouets sont destinés à son cocher, qui sera le postillon jusqu'à Bondy, et au garde du corps Valory. Le lendemain dimanche, vers 9 heures du matin, Jean Louis conduit la berline rue Matignon par la rue du Bac et le Pont Royal. Choiseul est présent, et Fersen verse devant lui au carrossier une somme de 2 600 livres à valoir, non sur le mémoire de la berline réglé depuis longtemps par Mme de Korff, mais sur son compte personnel, plus le prix des selles et des fouets. Puis la voiture est menée aux remises du faubourg Saint-Honoré.
Le grand jour est arrivé, celui du départ, fixé au lundi 20 juin 1791. Entre 5 et 6 heures de l'après-midi, Balthazar Sapel, le cocher de Fersen, attelle deux chevaux à la berline et, par les rues Miromesnil et de la Pépinière, il la conduit à l'hôtel Craufurd, rue de Clichy. Il retourne ensuite avec ses deux chevaux au faubourg Saint-Honoré. Fersen était lui-même venu à l'hôtel Craufurd vers 5 heures i/4 pour vérifier la présence de la voiture, mais elle n'était pas encore là, elle était en route. Il revient rue Matignon. A 7 heures il envoie Louvet, son valet de chambre, porter rue de Clichy, outre divers paquets et des victuailles, la selle de poste et un bridon à l'anglaise à l'usage du postillon. Aidé par Pierre Le Comte, le cocher de la voiture de louage qui l'a conduit, Louvet procède au chargement de la berline. Son maître n'était certainement pas présent, comme l'assure M. Lenotre. La voiture avait l'air fortement chargée, mais ce n'était qu'une apparence, raconte Choiseul, malles et cartons étaient vides. La vache ne contenait que le chapeau à bord d'or du roi.
Quelques minutes avant 8 heures, Fersen sort de chez lui accompagné de son chasseur portant un bridon. Il va retrouver Balthazar posté rue Marigny avec un vieux carrosse qu'il vient d'amener de chez le carrossier Jean Louis. Son maître lui remet le bridon et l'envoie prévenir un marchand de chevaux de la Petite rue Verte de tenir prêt le cheval de selle acheté par lui. La commission faite, Balthazar regagne les écuries du faubourg, car il a l'ordre de conduire quatre chevaux à Valenciennes.
Peu après 9 heures 1/2, Fersen arrive aux écuries avec les gardes du corps Moustier et Valory. Les instructions données il les laisse avec Balthazar. Les trois hommes prennent en mains les quatre chevaux et se rendent chez le marchand de chevaux de la Petite rue Verte. Le cheval acheté par Fersen est prêt et Valory le monte; il est harnaché avec l'une des selles fournies par Jean Louis et le bridon qu'a déposé Balthazar. Ce dernier et Moustier montent à cru deux des chevaux pris à l'écurie, puis, dans le Paris qui s'endort, la petite troupe gagne l'hôtel Craufurd.
Là, les quatre chevaux sont attelés à la berline; Balthazar harnache l'un d'eux avec la selle et le bridon apportés par Louvet et l'on part : Balthazar en postillon, Moustier sur le siège, Valory escorte la voiture. La rue de Clichy montée, le mur d'enceinte franchi, la berline se dirige par le boulevard extérieur vers la Barrière SaintMartin. à l'entrée de la route de Meaux, où elle arrive à minuit 1/2.
Dix minutes après, Valory s'éloigne vers Bondy pour faire préparer le relais.
Longue attente pendant laquelle les deux hommes ne se disent pas une parole : l'un est sur son cheval, l'autre sur le siège. Enfin, à 2 heures du matin, arrive grand train le vieux carrosse transportant la Famille royale et que conduit Fersen transformé en cocher. Vite les voyageurs s'installent dans la berline, le garde du corps Maldent monte derrière, Fersen s'installe sur le siège à côté de Moustier.
Devant eux, vers l'est, le ciel blanchit déjà. Un grand fouet à la main Fersen excite les chevaux et encourage Balthazar.
En une demi-heure on est à Bondy où six postiers et deux bidets sont préparés. « A Dieu, Madame Korff, » dit Fersen d'une voix qu'altère l'émotion. Il monte le cheval laissé par Valory et gagne Le Bourget. A la maison de poste de Claye, la berline retrouve la voiture des femmes de chambre. Il est 4 heures, le soleil est levé, et les fugitifs ne sont encore qu'à six lieues de la Barrière Saint-Martin !
Pour connaître le sort de la berline après le voyage de Varennes, le Comte de Reiset s'est adressé à M. de Klinckowstrom, l'éditeur des papiers de Fersen. Réponse : lors de la vente de son mobilier elle a été achetée par M. de Staël-Holstein, Ambassadeur de Suède à Paris.
Avec la Duchesse de Fitz-James, c'est une autre histoire : La berline est conservée, croit-elle, chez le Comte Charles-Émile Piper, descendant d'une sœur de Fersen, au château de Loïvester en Suède. Enfin, suivant une note de 1795, publiée dans l'Annuaire de l'Aube et citée par M. Lenotre, la berline serait tout bonnement devenue la diligence de Dijon. La première version témoigne d'une méconnaissance absolue du sujet, la seconde n'est pas plus vraisemblable, la dernière doit être vraie puisque simple et logique.
Bimbenet a édité parmi les pièces justificatives de son livre le Mémoire du chariot de poste de M. le Comte de Fersen, livré le 16 juin 1791, par Louis, sellier à Paris, successeur du sieur Warin.
Ce mémoire se monte à 4370 livres 10 sols; il est suivi d'un autre concernant le chariot d'équipage et des réparations faites à une chaise de poste. A la fin, Jean Louis reconnaît avoir reçu de Fersen, le 19 juin, un acompte de 2 600 livres sur l'ensemble. Le digne greffier n'a pas un instant d'hésitation ; pour lui c'est bien là le mémoire détaillé de la berline royale, et il utilise ce document précis pour décrire la voiture. Il déplore même que le carrossier n'ait reçu qu'un acompte : « Mme de Korff, la Famille royale et M. de Fersen partirent sans que le mémoire fût entièrement acquitté. »
Or Bimbenet a publié dans le même ouvrage la déposition très claire de Jean Louis devant la commission d'enquête. Le carrossier est muet touchant les nombreuses fournitures faites à Fersen - et le fait est extrêmement curieux car elles avaient un rapport essentiel avec le voyage de Varennes — mais il est disert à l'égard de la Baronne de Korff. Que dit Jean Louis? C'est une berline de voyage qu'il a construite pour sa cliente; c'est un paiement intégral de 5944 livres qu'il a reçu le 26 mars; c'est le 19 juin qu'il a livré cette berline chez M. de Fersen. Il n'y a donc aucune analogie dans la nature du véhicule, le prix, l'époque et le montant du paiement, la date de la livraison. Les détails fournis par le document ne concordent pas davantage avec les renseignements connus. Et je puis conclure : le mémoire est étranger à la berline royale; il concerne la chaise de poste commandée directement par Fersen et destinée aux femmes de chambre.
Comment le greffier de la Cour d'Orléans, habile à manier les textes, a-t-il pu se mettre en contradiction aussi flagrante avec les documents qu'il publie? Pourquoi en 1868, lors de la seconde édition de son livre paru dès 1844, n'a-t-il pas redressé de lui-même, ou par autrui, cette défaillance de sens critique? J'avoue ne pouvoir proposer aucune explication.
Le Comte de Reiset s'est appuyé sur le même document pour la reconstitution graphique qu'il a tentée de la voiture royale ! Les planches de L'Art du Menuisier-Carrossier de Roubo fils, et les six Cahiers de diligences, berlines et cabriolets de Janel et Choffard, en apprennent bien davantage sur l'architecture des véhicules en usage à cette époque. Chaises de poste et berlines de voyage n'y sont pas confondues.
Enfin M. Lenotre lui-même voit dans le mémoire de Jean Louis « une description détaillée jusqu'à la minutie » de la fameuse berline.
Non, la caisse n'était pas peinte en vert foncé; non, l'intérieur n'était pas tendu de velours d'Utrecht blanc; tous ces précisions sont entachées de nullité. J'ose espérer que M. Lenotre voudra bien se rendre à mes raisons : de telles verrues terniraient l'éclat de la trentième édition du Drame de Varennes.
4. DILIGENCE EN LOCATION.
— Pour faire ses courses, Fersen fait retenir de bon matin, le 20 juin, une voiture de ville à deux chevaux, appelée diligence, chez François Le Bas, loueur de carrosses, rue des Champs-Elysées. A 8 heures, la voiture est à sa porte et le cocher Pierre Le Comte le conduit rue du Sentier, n° 19, aux bureaux du célèbre banquier Perregaux. Il y séjourne une heure et ce long temps donne à supposer qu'il ne fit pas qu'y prendre de l'argent, mais encore établir des lettres de change et s'entendre au sujet des sommes déposées à l'étranger. Puis il rentre rue Matignon et renvoie la voiture.
Dans l'après-midi. Fersen fait trois courses avec la même diligence, revenant rue Matignon après chacune d'elles. Dans les intervalles, l'équipage stationne à la porte.
A 1 heure, il se fait conduire rue du Bac, n° 96, à la Légation de Suède. Il n'y reste qu'un quart d'heure, juste le temps de prendre son passeport pour la Suède, demandé l'avant-veille par le Baron de Staël-Holstein à M. de Montmorin, Ministre des Affaires étrangères.
A 3 heures, c'est au château des Tuileries qu'il revient pour convenir avec le Roi et Marie-Antoinette des derniers préparatifs.
« La Reine pleura beaucoup », note Fersen dans son Journal, au cours de ce suprême et dernier entretien qui dura près de trois quarts d'heure;
A 5 heures, il se rend rue de Clichy, n° 25, à l'hôtel de son ami Craufurd, pour s'assurer de la présence de la berline. Course inutile; elle ne devait y arriver qu'une heure plus tard.
A 7 heures, c'est le valet de chambre Louvet qui prend la voiture pour porter différents paquets à l'hôtel Craufurd, notamment une selle de poste et des bridons à l'anglaise qu'il descend de l'appartement. Après avoir mis la dernière main au chargement de la berline, Louvet rentre rue Matignon, à 9 heures, et le cocher regagne la maison de son patron, heureux d'un petit écu pour boire.
Pour la journée du 20 juin, le Journal de Fersen consiste en des notes hâtives, écrites au crayon sur des feuillets volants et malheureusement incomplets. Il note qu'il a quitté la Reine à -6 heures et place à 7 heures sa visite rue de Clichy. Une confusion s'est produite dans son esprit surmené, car la déposition de Pierre Le Comte est formelle : c'est à 4 heures que Fersen sortit des Tuileries, c'est à 5 heures qu'il alla chez Craufurd.
5. CHAISE DE POSTE CHOISEUL-LÉONARD.
— Le Duc de ChoiseulStainville, colonel du Royal-Dragons, vint secrètement de Metz à Paris, le 11 juin 1791, envoyé par le Marquis de Rouillé, pour convenir avec la Famille royale des derniers détails du voyage. Mais ce fut surtout avec Fersen qu'il eut à s'entendre, à combiner les opérations militaires de Bouillé avec les préparatifs faits à Paris.
A plusieurs reprises il se rencontra avec lui rue Matignon et dans le plus grand mystère.
On décida que Choiseul partirait en chaise, quelques heures avant la berline, pour observer la route et rejoindre le premier détachement de hussards de Lauzun posté à Pont-de-Somme- Vesle. Il devait emporter trois choses : d'abord le linge et les effets du Roi, notamment le bel habit rouge brodé d'or qu'il portait à Cherbourg; ensuite le bâton de maréchal de France que Louis XVI destinait à Rouillé, et Choiseul prêta celui du défunt maréchal de Stainville, son beau-père; enfin les diamants de Madame Elisabeth.
Dans le cabriolet de Choiseul une place était disponible. La prévoyance conseillait d'emmener Brunier, médecin des Enfants de France et mari de l'une des femmes de chambre ; la coquetterie proposait Léonard, valet de chambre-coiffeur de la reine. Ce fut la coquetterie qui l'emporta, et Léonard fit l'objet d'un véritable enlèvement.
Dans la matinée du 20 juin, Choiseul dépêche à Bondy un domestique à cheval pour retenir le relais de poste. A deux heures, Léonard se présente à l'hôtel Choiseul, sis rue d'Artois, aujourd'hui rue Laffitte, à l'angle gauche du boulevard. Il est porteur d'une lettre que la Reine vient de lui remettre; sur ses indications il a pris un chapeau rond couvrant les yeux, et passé une longue redingote pardessus son habit; il promet d'obéir aveuglément à ses ordres. La chaise de poste est dans la cour, prête à partir. Choiseul y fait monter Léonard stupéfait, le valet de chambre Boucher accompagne le colonel et l'équipage gagne Bondy où le relais s'effectue. On dépasse Meaux à l'immense étonnement de Léonard, on couche à Montmirail sans qu'il sache encore toute la vérité. Les voyageurs sont à Châlons le 21 juin à 10 heures, à Pont-de-Somme-Vesle une heure après. Peu d'instants avant d'arriver Léonard éprouve une grande joie : il sait enfin le secret de sa randonnée.
Choiseul prend le commandement des 40 hussards amenés par Goguelat et le lieutenant Boudet. Mais la berline tarde, l'horaire est bouleversé, la population s'agite; à 4 heures le « trésor » n'est pas encore signalé. Alors Choiseul décide d'envoyer sa chaise en avant; Léonard et Boucher préviendront du retard les détachements placés sur la route et iront l'attendre à Stenay. Passé Varennes ils s'égarent, rebroussent chemin, et ils apprennent à Stenay l'arrestation du Roi et l'emprisonnement de Choiseul.
Après un séjour de trois mois à l'étranger où son frère aîné vint le rejoindre et le tirer d'embarras — c'est ce dernier qui l'affirme dans une pétition de 1817 — Léonard retourne à Paris. Jusqu'au 10 août il continue son service auprès de la reine, ensuite il vit à Versailles embusqué dans un emploi de l'armée. Cependant l'aventure de Varennes lui fut fatale : dénoncé, il périt sur l'échafaud le 7 thermidor an II (25 juillet 1794).
Les diamants de Madame Élisabeth avaient été remis par le Roi à Choiseul; il les garda avec lui à Pont-de-Somme-Vesle quand il dépêcha Léonard à Stenay. Mais lorsqu'avec les hussards de Lauzun il entra à Varennes, qu'il vit la Famille royale arrêtée, toute la ville ameutée, il jugea prudent de confier le précieux dépôt au lieutenant Boudet pour le remettre à Monsieur. La commission fut fidèlement remplie et Monsieur à son tour remit les joyaux au prince de Saxe, oncle de Madame Elisabeth, qui résidait à Coblentz. Léonard n'est pour rien dans cette affaire.
Quant aux diamants personnels de la Reine, l'honneur périlleux de les avoir portés à l'étranger ne revient pas davantage à Léonard, non plus qu'à l'abbé Louis, comme l'a avancé Bacourt. A une date et par une voie que j'ignore, ils parvinrent à Mercy-Argenteau, à Bruxelles, par l'entremise de Fersen. Celui-ci le dit expressément dans son Journal à la date du 7 novembre 1792. A mon sens il faut placer cet acte de prudence en 1791, peu de temps avant le voyage de Varennes, non au début de 1792 comme l'a écrit Mme Campan.
Je ne puis donc me ranger à l'opinion de M. Lenotre qui fait transporter à Léonard, dans le cabriolet de Choiseul, les diamants de la Reine, alors qu'il le montre au départ ignorant tout de sa prétendue mission. Et j'accepte moins encore l'insinuation abominable qu'il a peut-être disposé du dépôt pour échapper à l'échafaud.
Sur ces points, et sur d'autres, c'est donner à son rôle de coiffeur précédant sa maîtresse sur la route de Montmédy, et de messager maladroit de Choiseul, une importance dramatique que l'étude attentive des textes ne justifie pas.
Une polémique très vive s'est engagée entre M. Lenotre et M. Gustave Bord, au sujet de l'identité du Léonard qui fit, bien malgré lui, le voyage de Varennes. Reprenant à son compte une affirmation romanesque d'Alfred Bégis, M. Lenotre prétend que le coiffeur de Marie-Antoinette — qu'il appelle d'abord Jean-François Autié, dit Léonard (Le Drame de Varennes), puis Léonard Autié (Vieilles maisons, Vieux papiers, 4e série) -. n'est pas mort sur l'échafaud le 7 thermidor an II, comme le dit l'acte de décès. Il soutient que Léonard a échappé au trépas, par un moyen « qu'il serait prodigieusement intéressant de connaître » ; qu'il est passé en Russie, pour revenir à Paris en 1814 et y mourir « définitivement » le 24 mars 1820. La preuve, c'est que les Souvenirs de ce Léonard guillotiné, apocryphes il est vrai et publiés en 1838, ont provoqué la réclamation d'un neveu qui déclare n'avoir pas quitté son oncle depuis son retour de Russie. Pour M. Lenotre, la survivance ne fait point de doute.
Et M. Gustave Bord de répliquer : Jean-François Autié, dit Léonard, coiffeur de la Reine et acteur involontaire du drame de Varennes est bien mort guillotiné, l'acte de décès correspond à la réalité. C'est son frère aîné, Léonard-Alexis Autié, dit Léonard, le coiffeur de génie, celui dont le prénom devenu célèbre a fait des Léonards des trois frères Autié, qui a émigré en Russie jusqu'en 1814, qui est mort à Paris en 1820.
Quant aux Souvenirs de Léonard, ils ont la prétention de retracer la vie galante et mouvementée de Léonard Autié, et non pas celle parfaitement obscure, à part l'événement de Varennes, de François Autié. Ainsi la protestation du neveu — fils de Pierre Autié qui fut coiffeur de Madame Élisabeth — ne concerne plus un revenant. Selon M. Gustave Bord, la vérité consistait à dédoubler en deux frères le personnage unique inventé par Alfred Bégis et accepté sans contrôle par M. Lenotre.
Les trésors d'érudition prodigués par M. Gustave Bord, loin de concilier les deux adversaires, ont amené au contraire une réponse motivée où M. Lenotre maintient obstinément sa thèse du guillotiné bien portant. ( ) Cependant M. Gustave Bord a certainement raison, mais comme il est parvenu à la vérité par des voies indirectes, qu'on me permette d'exposer mon argument.
Quel titre, quelles fonctions reconnaissent à Léonard ceux qui l'ont vu sur la route de .Varennes? Celui de valet de chambre-coiffeur de la Reine; le Duc de Choiseul, le sous-officier Aubriot, le Chevalier de Bouillé, le piqueur James Brisack sont d'accord pour le qualifier ainsi. Et Marie-Antoinette elle-même, dans la Relation de Choiseul, lui donne ce titre.
Or la Maison de la Reine, selon l'Almanach de Versailles, comprenait trois coiffeurs. Le premier avait seul rang de valet de chambre, il résidait à la Cour et portait le titre officiel et archaïque de perruquier-baigneur-étuviste. Cet emploi était tenu par M. François Léonard. Les deux autres étaient coiffeurs par commission, c'est-à-dire fournisseurs brevetés, mais non pas attachés au service exclusif de Marie-Antoinette et de son entourage. Ils se nommaient : M. Hautier dit Léonard l'aîné, et M. Villanoué.
Dès 1779, MM. Hautier dit Léonard frères étaient déjà tous deux coiffeurs par commission de la Reine. Léonard-Alexis Autié, dit Léonard l'aîné, se contenta de ce titre, qu'indique l'Almanach de Versailles de 1780 à 1790. C'est lui le coiffeur à la mode du boulevard d'An tin, le créateur du Théâtre de Monsieur aux Tuileries, l'associé du Duc de Montmorency-Laval et de Viotti pour la salle de spectacle de la rue Feydeau. Dans la curieuse pétition qu'il adressa à Louis XVIII en 1817, il explique que pour tirer son frère d'embarras, après Varennes, il dut le rejoindre à l'étranger. Il ajoute que lui-même s'enfuit de Paris après la journée du 20 juin 1792, non sans avoir été contraint de céder son privilège théâtral. Le fait est exact, car Fersen consigne son arrivée à Bruxelles, porteur d'une lettre de la Reine, le 9 juillet 1792. Revenu à Paris en 1814, il mourut le 24 mars 1820 et devint en 1838 le héros des Souvenirs de Léonard, coiffeur de la reine Marie-Antoinette.
Quant à Jean-François Autié, dit François Léonard, il monta en grade à la Cour, soutenu par la réputation de son aîné à la Ville.
Coiffeur par commission depuis 1779, il finança en 1783 la survivance de Jean-Remy Le Guay, valet de chambre de la reine et son perruquier-baigneur-étuviste. A la mort de Le Guay, en 1788, il devint seul titulaire de la charge.
Ainsi je puis conclure que le valet de chambre-coiffeur de Marie-Antoinette qui demeurait aux Tuileries en 1791, que Choiseul enleva le 20 juin, qui participa au voyage de Varennes, que son frère aîné lui-même désigne comme ayant péri sur l'échafaud, s'appelait Jean-François Autié dit Léonard. C'est bien lui qui est mort en 1794, légalement et effectivement, par son acte de décès et de la main du bourreau.
6. VIEUX CARROSSE FERSEN.
— Après avoir conduit la berline rue de Clichy, Balthazar Sapel revient avec les deux chevaux aux écuries du faubourg Saint-Honoré, vers 6 heures et demie; ensuite, les harnais enlevés, il les mène rue de la Planche chez le carrossier Jean-Louis. Là se trouvait remisé un vieux carrosse, assez grand pour contenir six personnes et pourvu de harnais et de brides. C'était une « vieille et antique voiture ressemblant à un fiacre », écrira plus tard la Duchesse de Tourzel; « elle avait l'air d'un remise », dira-t-elle aux commissaires, et même « d'un remise assez mauvais » déposera Maldent, le garde du corps.
Cette guimbarde appartenait à Fersen, le fait est certain. Mais faut-il y voir l'une de ses anciennes voitures, ou bien un carrosse démodé acquis en vue de la fuite? Pour plusieurs raisons, vétusté, dimensions et présence du harnachement complet, j'estime plus vraisemblable la seconde hypothèse. Quoi qu'il en soit Balthazar attelle ses deux chevaux, mène le véhicule rue de Marigny, et le range contre l'hôtel de la Duchesse de Bourbon, aujourd'hui Palais de l'Elysée. Il est 8 heures moins un quart, il fait encore grand jour.
Peu après arrive Fersen, accompagné de son chasseur. Il remet un bridon à Balthazar et l'envoie chez un marchand de chevaux de la Petite rue Verte. Le chasseur remplace le cocher et conduit son maître au château des Tuileries, où celui-ci dépose une lettre qu'il vient d'écrire à la Reine pour changer le rendez-vous des femmes de chambre. La voiture revient sur le quai , proche le Pont-Royal, et Fersen attend, appuyé au parapet, l'arrivée de Moustier et de Valory ; Maldent est resté chez le roi. A 8 heures trois quarts ils arrivent, portant des sacs de voyage et les trois hommes gagnent la rue Matignon. Le carrosse est laissé à proximité, à un endroit que je ne puis préciser.
Après avoir instruit les gardes du corps, Fersen les fait partir avec l'attelage de la berline, puis il veille au départ de la chaise de poste des femmes de chambre. Il est 10 heures et quart, lui-même s'éloigne pour aller retrouver le vieux carrosse. Jamais plus il ne reverra son logis de la rue Matignon ! L'équipage, toujours conduit par le chasseur, retourne aux Tuileries, entre dans la Cour des Princes et s'arrête devant la porte de l'appartement vacant du Duc de Villequier où nul factionnaire ne veille.
Fersen pénètre dans le château. Il reparaît à 11 heures et quart conduisant par la main le Dauphin habillé en petite fille; Mme de Tourzel suit, tenant Madame Royale aussi par la main. Aidés par le cocher, tous quatre montent dans le carrosse qui, par le quai, gagne la place Louis XV, tourne par la rue Saint-Honoré , s'engage à droite dans la rue de l'Échelle et s'arrête sur la place du Petit Carrousel non loin d'une maison meublée, l'hôtel de Gaillarbois.
Pour tromper l'attente - une attente de trois quarts d'heure — le cocher descend de son siège, fait les cent pas, examine ses chevaux. Ce cocher, c'est Fersen lui-même, jouant parfaitement son rôle. C'est donc qu'en cours de route, en un coin désert de la place Louis XV, il a troqué avec son domestique, redingote, chapeau et fouet. Le défaut de place lui commandait cette transformation : trois personnes sont déjà dans la voiture, et quatre autres sont attendues.
Madame Élisabeth arrive la première au rendez-vous; elle est seule, mais l'un de ses écuyers, M. de Saint-Pardoux, l'a fait sortir des Tuileries. Le Roi se présente à son tour, suivi de Maldent, le garde du corps, qui monte derrière la voiture. Enfin voici la Reine, guidée par un inconnu — M. de ***, dit Fersen dans son Journal et guidée de façon bien maladroite, puisqu'il a dû demander son chemin à une sentinelle. Il est minuit passé , le retard est grand déjà sur l'horaire prévu, le cocher improvisé enlève son attelage.
Par les rues Sainte-Anne et Grammont, le Boulevard et la Chaussée d'Antin, Fersen gagne la rue de Clichy. Devant l'hôtel Craufurd il s'arrête un instant pour s'informer si la berline est bien partie, ce qui permet aux chevaux de souffler dans la rude montée. Puis il sort de Paris par la Barrière de Clichy, refaisant à dessein le parcours qu'il avait indiqué pour conduire la berline au rendez-vous. Prenant à droite le boulevard extérieur au mur d'enceinte, il roule à bonne allure vers la Barrière Saint-Martin, contourne la rotonde de la Ferme et amorce à gauche la route de Meaux. La berline est là, qui attend, gardée par Balthazar et Moustier, silencieux. Les voyageurs passent d'une voiture dans l'autre. Quant au vieux carrosse, après l'avoir tourné vers Paris, on le fait verser à demi dans le fossé et abattre un cheval, pour faire croire à un accident et justifier son abandon. Il est 2 heures du matin et l'aube s'annonce.
Bimbenet raconte que le vieux carrosse fut loué et qu'il demeura chez Fersen durant toute la journée du 20 juin. Il prétend aussi que ce dernier conduisant la famille royale à la Barrière Saint-Martin, passa rue Matignon avant de s'arrêter rue de Clichy. Ces trois affirmations sont gratuites.
Au cours de sa Relation, Madame Royale assure que le carrosse attendait au milieu de la Cour des Princes, et que sa mère la conduisit jusque-là, « ce qui était beaucoup s'exposer ». Il est naturel que le sentiment du danger couru s'amplifie dans les souvenirs d'une enfant de douze ans. A la vérité, la voiture n'était pas placée au centre de la cour, mais au milieu de la façade, devant les marches donnant accès à l'appartement Villequier. Si la reine accompagna ses enfants, ce fut seulement jusqu'au perron et sans danger pour elle.
Sur plusieurs autres points, je suis étonné de n'être pas d'accord avec M. Lenotre, puisque nous avons puisé aux mêmes documents.
Pourquoi la « vieille voiture appartenant à M. le Comte de Fersen », ainsi que la désigne le cocher Balthazar, devient-elle sous sa plume une « citadine de louage » ? Pourquoi fait-il arriver cette citadine aux Tuileries dès 9 heures, alors qu'un peu plus loin il montre Fersen chez lui à 10 heures, occupé à faire partir la chaise de poste des femmes de chambre?
M. Lenotre a-t-il eu raison d'adopter l'opinion des auteurs qui l'ont précédé et de transformer Fersen en cocher dès la rue Matignon ? Il le fait pénétrer dans le château, et ramener le Dauphin, en costume d'automédon. Qui donc alors gardait la voiture et surveillait les chevaux dans la Cour des Princes ? Pourtant la déposition de Mme de Tourzel est positive, elle parle de deux personnes : le guide soi-disant inconnu, qui était Fersen, et le cocher, qui était son chasseur.
Enfin pourquoi le carrosse ne serait-il pas sorti de Paris par la Barrière de Clichy, tout comme la berline, comme le veut la raison et comme le disent Balthazar Sapel, la Duchesse de Tourzel et le Duc de Choiseul?
7. CHAISE DE POSTE DES FEMMES DE CHAMBRE.
— Fersen avait commandé à Jean Louis, le carrossier de la rue de la Planche, une chaise de poste à laquelle il fit ajouter de nombreuses commodités. Elle fut livrée le jeudi 16 juin. Cette chaise était à quatre roues, train à flèche et ressorts à l'anglaise; la caisse, en forme de cabriolet, était doublée de velours d'Utrecht blanc. Le haut de la caisse était noir, les panneaux verts avec rechampis noirs, et le train couleur citron. Elle comportait un siège devant et derrière, deux lanternes à réverbère, une vache sur l'impériale et une cantine pour six bouteilles. Le mémoire s'élevait à 4 300 livres, 10 sols et, le 19 juin, Fersen verse à Jean Louis un à-compte de 2600 livres.
Il est probable que cette voiture fut remisée dans les écuries du faubourg, mais, dans la soirée du 20 juin, elle était préparée dans la cour de la rue Matignon. Ce jour-là, vers 2 heures, Fersen fait commander chez François Le Bas, loueur de carrosses rue des ChampsElysées, trois chevaux et un postillon pour aller à Claye dans la soirée. Le prix est fait à 24 livres avec les harnais. Pierre Le Bas, postillon et neveu du loueur, conduit les chevaux à 9 heures un quart rue Matignon. Un « particulier », bientôt rejoint par deux autres avec lesquels il converse dans la cour, le prie d'attendre. Fersen arrive à 10 heures venant de ses écuries, il fait atteler les chevaux à la chaise et donne l'ordre de la mener sur le quai, vis-à-vis les bains Poitevin, proche le Pont Royal. Deux des particuliers montent dedans, le troisième derrière et Pierre Le Bas la conduit au quai d'Orsay. Les trois hommes s'éloignent vers la rue du Bac, disant qu'ils vont boire le rogomme; le postillon attend.
A la descente du Pont Royal, le quai d'Orsay n'était pas à l'époque une berge comme le prétend M. Lenotre, et comme le dément le plan qu'il publie, mais un beau quai de pierre de taille garni d'escaliers pour descendre au rivage. L'endroit où stationnait la chaise se trouvait au pied de la terrasse de l'hôtel Choiseul-Praslin, à deux pas du Bureau des voitures de la Cour, et en face d'un établissement de bains chauds installés sur la rivière. Ces bains étaient réservés aux pauvres gens et ne doivent pas être confondus avec d'autres, mieux achalandés, appartenant également à Guignard successeur de Poitevin, et situés en aval et du même côté près du pont Louis XVI. L'emplacement où le postillon faisait les cent pas se trouve aujourd'hui au droit de la Caisse des Dépôts et Consignations.
Vers II heures et demie, deux dames arrivent à pied conduites par l'inconnu qui les a fait sortir des Tuileries. L'une est Mme de Neuville, première femme de chambre du Dauphin, l'autre Mme de Brunier, première femme de chambre de Madame. Elles montent dans la chaise, indiquent Claye comme lieu de destination et l'inconnu disparaît. Le rendez-vous assigné à ces dames avait été modifié au dernier moment ; le fait est révélé par le Journal de Fersen : « A 8 heures j'écrivis à la Reine pour changer le rendez-vous des femmes de chambre et les bien instruire pour me faire dire l'heure exacte par les gardes du corps. »
La voiture arrive à Claye vers 2 heures et demie du matin, le mardi 21 juin, la berline royale la rejoint une heure et demie après.
A partir de ce moment la chaise des femmes de chambre voyage de conserve avec la berline, la précédant à l'aller, la suivant au retour de Varennes. - Bimbenet, qui a eu toutes les pièces de l'enquête entre les mains, raconte que le matin du 20 juin, à 7 heures et demie, Fersen « alla chez le carrossier chercher la voiture qui devait emmener Mmes Brunier et Neuville. » Il invente de toutes pièces, le digne greffier de la Cour d'Orléans. Pourtant il a édité parmi les pièces justificatives de son livre, le Mémoire du chariot de poste de M. le Comte de Fersen livré le 16 juin 1791 par Louis, sellier à Paris; mais il ne s'est pas aperçu que cette voiture était précisément celle destinée aux femmes de chambre. Par suite d'une confusion inexplicable il y reconnaît la berline royale; j'ai fait état de cette grave erreur en traitant de la berline, erreur acceptée par M. Lenotre lui-même.
Cependant il est un point obscur dans l'équipée de la chaise de poste des femmes de chambre. Qui sont ces trois personnages qui y montent rue Matignon, à 10 heures du soir, puis disparaissent vers la rue du Bac ? Ce ne sont certainement pas les trois gardes du corps qui, au même temps, jouaient leur rôle en d'autres lieux. Mais à coup sûr ce sont aussi des acteurs de l'évasion. Tout bien pesé, je crois qu'il faut y reconnaître les trois personnes qui guidèrent hors les Tuileries les dames Brunier et Neuville, Madame Élisabeth et la Reine.
Voici comment je reconstitue la scène, dans la soirée du 20 juin, rue Matignon. A 9 heures, Fersen rentre avec les deux gardes du corps, laissant la vieille voiture à proximité. Il retrouve chez lui les trois inconnus auxquels il donne les dernières instructions pour la nuit. A l'arrivée des chevaux, l'un descend dans la cour et fait patienter le postillon. Les deux autres le rejoignent peu après et disent que « Monsieur » n'est pas rentré. En effet il vient de sortir, conduisant les gardes du corps à ses écuries. Fersen revient à 10 heures, fait atteler, et la chaise part emportant les trois hommes.
Plusieurs indices me portent à croire que l'un d'eux doit être Louvet, le propre valet de chambre de Fersen, celui que nous avons vu présider au départ du chariot rouge et de la malle pesante, et charger la berline rue de Clichy. Il avait la confiance de son maître qui lui faisait recopier parfois ses lettres confidentielles; il avait aussi ses entrées aux Tuileries, puisque celui-ci note dans son Journal, à la date du 20 octobre 1791 : « M. Louvet a vu la Reine qui l'a fait venir pour lui parler de mes affaires. » L'inconnu qui descend le premier dans la cour, monte derrière la chaise, puis conduit les dames Brunier et Neuville au quai d'Orsay n'est autre, à mon avis, que le dévoué valet de chambre de Fersen.
Les deux autres « particuliers » seraient alors M. de Saint-Pardoux et M. de ***, guides respectifs de Madame Élisabeth et de la Reine.
8. CHAISE DE POSTE FERSEN.
— Le vendredi 17 juin, Fersen était allé à Bondy et au Bourget, premiers relais de poste sur les routes de Metz et de Maubeuge, évidemment pour reconnaître les lieux en vue du départ. De son côté, le carrossier Jean Louis ajoutait au mémoire de son client le détail de la mise en état d'une « chaise sur quatre roues, doublée en allemande verte ». Le charron a fourni une note de 22 livres, lui-même a réparé les trois glaces, huilé tous les cuirs, ajusté les soupentes, fait des raccords de peinture au train et aux roues; l'ensemble de ces réparations s'élève à 36 livres, sols.
Cette voiture, c'est la chaise de poste habituelle de Fersen, celle qui fit si souvent le voyage de Valenciennes et avec laquelle il rejoindra la famille royale. Le 14 juin, il a prié Bouillé de lui trouver une chambre à Montmédy. J'ignore quand et comment cette voiture est sortie de Paris. Fersen dit bien dans son Journal sous la date du 20 juin : « rentré, faire partir ma chaise », et le fait se place entre 9 et 10 heures du soir, mais la mention peut s'appliquer également au départ de sa chaise neuve, destinée aux femmes de chambre, et qu'il utilisera plus tard. Quoi qu'il en soit, sa vieille voiture se trouvait certainement à la maison du maître de poste du Bourget dans la nuit du 20 au 21 juin.
A 2 heures et demie, la berline arrive à Bondy où le relais s'effectue. Fersen descend du siège, échange un bref adieu, et abandonne les voyageurs à leur destinée. Il enfourche le cheval que montait Valory et se dirige vers Le Bourget, à 5 kilomètres de là, par le chemin de traverse passant à Drancy. En une demi-heure il est au Bourget, trouve sa chaise et prend la poste. Par Le Cateau, Le Quesnoy, Mons et Namur il gagne Arlon, où il arrive le 23 à 11 heures du soir. « Trouvé Bouillé; su que le Roi était pris », a-t-il écrit sur son carnet. Zèle, espoir, amour, tout s'effondrait dans ces huit mots, terrifiants de laconisme.
* * *
A bien étudier le drame de Varennes, deux convictions s'imposent : la cause principale de l'échec réside dans l'indolence de Louis XVI, engourdi par ses illusions sur l'esprit des populations; de plus, et à n'en pas douter, la présence d'un homme tel que Fersen, audacieux et clairvoyant, eût amené la réussite. Avec lui, malgré les maladresses, malgré les retards, malgré les incidents, la berline eût passé. Il était opposé au choix des gardes du corps, qui se montrèrent en effet parfaitement inutiles et encombrants, ainsi qu'aux précautions militaires : « Tout doit dépendre de la célérité et du secret », écrivait-il au Marquis de Bouillé le 26 mai 1791. Mais les deux raisons de l'échec se confondent en une seule, attendu que Fersen eût été du voyage si le Roi ne s'y était pas opposé au dernier moment. La responsabilité de Louis XVI demeure entière, éclatante.
Sur ce point capital la vérité est connue, grâce au document qu'a publié Geffroy et qui montre, par surcroît, le rôle important qui revient à Gustave III dans l'évasion de la Famille royale. C'est un billet officiel, que Fersen adressa, dès le 4 avril 1791, à son ami le Baron de Taube :
« Il serait à propos que, pour accompagner le Roi de France, je prisse l'uniforme suédois. Demandez à Sa Majesté si elle permet que je porte en cette circonstance l'uniforme de ses dragons, que j'ai depuis longtemps ici. Je n'ai pas avec moi d'uniforme de la Garde, et je n'ose en commander un dans ce moment; mais je le ferai faire et le porterai dès que je serai sorti de la ville. »
On sait que le départ de Paris avait été d'abord fixé aux premiers jours de juin. Or, que lit-on dans une lettre du 29 mai, écrite au dernier moment par Fersen au Marquis de Bouillé : « Je n'accompagnerai pas le Roi, il n'a pas voulu. »
ALBERT VUAFLART.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6488472q/texteBrut
Quel branle-bas-de-combat ! Bonjour, la discrétion ...
C'est dans la maison d'angle de l'ancienne rue Millet, que Fersen a préparé dans ses moindres détails la fuite vers Montmédy. Pour beaucoup de personnes, l'événement se résume dans la célèbre berline emportant la Famille royale. A la vérité l'entreprise était de bien autre envergure; il s'agissait de faire sortir de Paris 16 personnes, de l'argent, des papiers, des bijoux et des armes. Il est passionnant de suivre pas à pas, dans ces journées du 16 au 21 juin 1791, le metteur en scène qui inspire, commande et dispose, dans le décor qu'il a choisi, premiers rôles, comparses et accessoires.
Et ces accessoires ne sont pas minces, ni faciles à manœuvrer : ce sont 8 voitures et 27 chevaux. Les écuries du faubourg abritaient 12 chevaux au moins et, sans compter la berline royale commandée et payée par une dame russe, 4 voitures appartenaient à Fersen.
Les allées et venues de tous ces véhicules gravitant autour de la rue Matignon, je vais tenter de les expliquer aussi clairement que possible. Je sais que l'erreur me guette, mais n'est-ce pas le meilleur stimulant de mon effort vers un peu plus de vérité? Le sujet est vaste, infini dans ses détails et terriblement embrouillé. Surtout il est étrange de constater combien ont été mal utilisées les dépositions recueillies par la commission d'enquête et publiées par Bimbenet. Cet auteur lui-même se met à chaque instant en contradiction flagrante avec les documents qu'il édite! Ses successeurs n'ont pas toujours été plus clairvoyants. La berline royale, notamment, a fait l'objet d'une méprise extraordinaire, inexplicable, chez le meilleur historien du drame de Varennes.
1. CHARIOT D'ÉQUIPAGE.
— Le 16 juin 1791, le sellier-carrossier Jean Louis, demeurant rue de la Planche, livre au Comte de Fersen un grand chariot d'équipage neuf, les quatre roues et le berceau de coutil peints en rouge, du prix de 440 livres, 10 sols. Le même jour, le valet de chambre de Fersen, nommé Louvet, s'entend avec le voiturier Roulance, domicilié rue de La Ville-L'Évêque n° 34, en face de la Vacherie suisse, pour mener le chariot à Valenciennes.
Le voiturier part le vendredi 17. Aux six chevaux fournis par les écuries de Fersen, il en ajoute deux autres lui appartenant. Le dimanche il est à Péronne. Dans cette ville il est rejoint par une dame Haquin, « laveuse de vaisselle chez M. de Fersen », qui lui remet, pour être chargée sur le chariot, une grande malle du poids de 400 livres, amenée en poste.
Roulance arrive à Valenciennes le mardi 21. Là, des soldats du Royal-Suédois ajoutent au chargement des tentes et leurs piquets, des housses de chevaux garnies d'or et d'argent. Le même jour, le voiturier quitte Valenciennes, passe la frontière et parvient à Quiévrain, ville d'Empire.
Que portait donc le chariot rouge pour exiger un attelage de huit chevaux ? Des effets d'équipage, raconte Louvet. Disons des caisses d'armes pour l'armée de Bouille et nous serons plus près de la vérité.
2. VOITURE POUR PÉRONNE.
- La lourde malle avait été portée à la diligence de Valenciennes le jeudi 16 juin, jour de départ. Pour une raison inconnue, poids ou plein de bagages, elle n'avait pas été enregistrée. Le lendemain, à la demande de Louvet, la dame Roulance fait prendre la malle aux messageries, et elle est transportée chez un carrossier de la rue de la Madeleine, au coin de la rue de Surène. Celui-ci la trouvant trop lourde pour ses voitures, le charretier de la dame Roulance va la rechercher à 7 heures 1/2 du soir, et la ramène rue Matignon.
Alors Fersen fait retenir un véhicule de voyage chez Coron, serrurier en voitures à la Pologne, à côté de l'ancienne caserne, puis deux chevaux de poste chez un loueur, et il désigne la dame Haquin, domestique à son service, pour rattraper le chariot rouge sur la route de Valenciennes. Et le samedi matin, à 9 heures, la voiture part emportant la dame Haquin et la malle. Elles arrivent le lendemain à Péronne où le voiturier Roulance prend possession du précieux colis. La dame Haquin retourne aussitôt à Paris et le sieur Coron, venu rechercher sa voiture rue Matignon, reçoit dix écus.
Cette malle si pesante amenée de Paris à grands frais, que pouvait-elle contenir? Des effets oubliés, dit la dame Haquin. C'est possible, mais il est plus vraisemblable d'y voir de l'argent et les papiers de Fersen.
3. BERLINE ROYALE.
— Le Comte de Fersen comptait beaucoup d'amis dans la colonie étrangère de Paris, des femmes surtout, car il cachait « une âme brûlante sous une écorce de glace ». C'est une de ses amies qui le juge ainsi, la Baronne Anna-Christine de Korff, veuve d'un colonel russe tué en 1770 à la bataille de Bender.
Cette dame vivait à Paris avec sa mère, madame de Stegleman, veuve d'un banquier de Pétersbourg. L'Almanach de Paris. pour 1787, publié par Lesclapart, les fait habiter toutes deux l'hôtel du Comte de Parabère, sis quai Malaquais, au n° 5 actuel. Très dévouées à la Famille royale, elles n'hésitèrent pas d'avancer 296000 livres à Fersen, quand celui-ci organisa la fuite vers Montmédy.
La Baronne de Korff avait une sœur, Mme Sullivan, qui vivait à Paris avec Quintin Craufurd, Écossais possesseur d'une grande fortune gagnée au service de la Compagnie des Indes Orientales.
Craufurd et sa maîtresse — que d'ailleurs il épousa par la suite — aidèrent beaucoup Fersen avant et après le voyage de Varennes. Ils habitaient un bel hôtel de la rue de Clichy appartenant à Antoine-Louis Rouillé d'Orfeuil, Maître des Requêtes, et fils de l'Intendant de Champagne.
Le 20 juin 1791, l'hôtel Craufurd abrita la berline royale. Une discussion s'est élevée entre M. Lenotre et M. Gustave Bord au sujet de son emplacement, mais j'ai le regret de n'être d'accord ni avec l'un, qui a mal interprété le guide de Watin, ni avec l'autre, qui place la maison du bon côté mais beaucoup trop bas. Situé à droite, en montant la rue de Clichy, cet hôtel offrait une superficie de 2072 toises et une façade de 17 toises. La lisière méridionale se trouvait à 255 toises de l'angle des rues de Clichy et Saint-Lazare.
Il occupait donc l'emplacement des maisons portant aujourd'hui les nos 54 bis et 56 et d'une partie de la rue Nouvelle. La célèbre Prison de la Dette s'élevait naguère en cet endroit même, la rue Nouvelle en marque le milieu.
La Baronne de Korff quitta Paris le 17 juin 1791. Je trouve Craufurd à Londres le 18 juin, à Bruxelles le 28, et Mme Sullivan à Mons le 22 juin. Les collaborateurs de Fersen n'étaient donc plus à Paris lors du départ de la Famille royale.
Le mercredi 22 décembre 1790, la Baronne de Korff fait venir chez elle, à l'hôtel de Parabère, le carrossier Jean Louis; elle lui commande « par commission » une berline de voyage à six places pour aller en Russie. Le surlendemain, Fersen se rend rue de la Planche. Il remet au carrossier l'échantillon choisi pour la doublure de la voiture et consent à ce qu'il utilise une caisse de berline, fabriquée avant la Révolution pour Mme de Polastron, et laissée pour compte. Jean Louis mobilise ses ouvriers et ses fournisseurs. Kenelle, maître-charron, faubourg Montmartre, construit le train ; Deslandes, serrurier, rue de Bourbon-Villeneuve, forge les ressorts et les ferrures; Duchesne, bourrelier, rue des Saints-Pères, confectionne les soupentes; Tonnellier, faubourg Montmartre, est chargé de la peinture.
Fersen surveille et active le travail. Le 12 mars 1791, la voiture est finie, Mme de Korff vient la voir, exprime sa satisfaction, et le 26 mars elle paye le mémoire s'élevant à 5044 livres.
Deux mois se passent. Enfin le départ du Roi est fixé aux premiers jours de juin. Le 4, à la demande de sa cliente, Jean Louis essaye la berline, lourdement chargée, sur la route de Châtillon. Le même jour, la baronne de Korff fait demander deux passeports pour Francfort par M. de Simolin, Ambassadeur de Russie, l'un pour elle, l'autre pour Mme de Stegleman, au total pour 6 personnes, 2 enfants et 5 laquais. Ces deux passeports sont destinés à la Famille royale, à Mmes de Tourzel, Brunier et Neuville, et aux trois gardes du corps. A deux laquais près, et cette latitude pourra servir, c'est bien le nombre des fugitifs qu'emporteront la berline royale et la chaise de poste des femmes de chambre.
La berline affectait la forme dite en gondole, avec sièges devant et derrière, suspension à ressorts et soupentes sur un train à quatre roues peint en jaune. Spacieuse, confortable et solidement construite, elle était cossue d'aspect mais nullement somptueuse. Elle pouvait contenir six personnes, huit au besoin, en utilisant le strapontin placé au milieu. Au dire de Choiseul, la caisse était « de couleur brune », alors qu'un témoin assure avoir vu le « fonds entre le gris et le noir ». L'intérieur de la voiture « renfermait tout ce qui pouvait dispenser d'en descendre » ; il était garni de coussins de maroquin vert, d'un filet, et de poches pour contenir les paquets. Sur l'impériale, deux grandes vaches abritaient les bagages. Au dos de la caisse se trouvaient deux cuisinières de tôle et une cantine de cuir à huit bouteilles. Enfin sous le siège du cocher, un coffre de secours contenait des outils et des pièces de rechange.
Le 18 juin, dans l'après-midi, le carrossier reçoit la visite de Fersen qui lui demande de livrer la berline et d'y joindre deux selles de poste à l'anglaise et deux fouets de courrier. Selles et fouets sont destinés à son cocher, qui sera le postillon jusqu'à Bondy, et au garde du corps Valory. Le lendemain dimanche, vers 9 heures du matin, Jean Louis conduit la berline rue Matignon par la rue du Bac et le Pont Royal. Choiseul est présent, et Fersen verse devant lui au carrossier une somme de 2 600 livres à valoir, non sur le mémoire de la berline réglé depuis longtemps par Mme de Korff, mais sur son compte personnel, plus le prix des selles et des fouets. Puis la voiture est menée aux remises du faubourg Saint-Honoré.
Le grand jour est arrivé, celui du départ, fixé au lundi 20 juin 1791. Entre 5 et 6 heures de l'après-midi, Balthazar Sapel, le cocher de Fersen, attelle deux chevaux à la berline et, par les rues Miromesnil et de la Pépinière, il la conduit à l'hôtel Craufurd, rue de Clichy. Il retourne ensuite avec ses deux chevaux au faubourg Saint-Honoré. Fersen était lui-même venu à l'hôtel Craufurd vers 5 heures i/4 pour vérifier la présence de la voiture, mais elle n'était pas encore là, elle était en route. Il revient rue Matignon. A 7 heures il envoie Louvet, son valet de chambre, porter rue de Clichy, outre divers paquets et des victuailles, la selle de poste et un bridon à l'anglaise à l'usage du postillon. Aidé par Pierre Le Comte, le cocher de la voiture de louage qui l'a conduit, Louvet procède au chargement de la berline. Son maître n'était certainement pas présent, comme l'assure M. Lenotre. La voiture avait l'air fortement chargée, mais ce n'était qu'une apparence, raconte Choiseul, malles et cartons étaient vides. La vache ne contenait que le chapeau à bord d'or du roi.
Quelques minutes avant 8 heures, Fersen sort de chez lui accompagné de son chasseur portant un bridon. Il va retrouver Balthazar posté rue Marigny avec un vieux carrosse qu'il vient d'amener de chez le carrossier Jean Louis. Son maître lui remet le bridon et l'envoie prévenir un marchand de chevaux de la Petite rue Verte de tenir prêt le cheval de selle acheté par lui. La commission faite, Balthazar regagne les écuries du faubourg, car il a l'ordre de conduire quatre chevaux à Valenciennes.
Peu après 9 heures 1/2, Fersen arrive aux écuries avec les gardes du corps Moustier et Valory. Les instructions données il les laisse avec Balthazar. Les trois hommes prennent en mains les quatre chevaux et se rendent chez le marchand de chevaux de la Petite rue Verte. Le cheval acheté par Fersen est prêt et Valory le monte; il est harnaché avec l'une des selles fournies par Jean Louis et le bridon qu'a déposé Balthazar. Ce dernier et Moustier montent à cru deux des chevaux pris à l'écurie, puis, dans le Paris qui s'endort, la petite troupe gagne l'hôtel Craufurd.
Là, les quatre chevaux sont attelés à la berline; Balthazar harnache l'un d'eux avec la selle et le bridon apportés par Louvet et l'on part : Balthazar en postillon, Moustier sur le siège, Valory escorte la voiture. La rue de Clichy montée, le mur d'enceinte franchi, la berline se dirige par le boulevard extérieur vers la Barrière SaintMartin. à l'entrée de la route de Meaux, où elle arrive à minuit 1/2.
Dix minutes après, Valory s'éloigne vers Bondy pour faire préparer le relais.
Longue attente pendant laquelle les deux hommes ne se disent pas une parole : l'un est sur son cheval, l'autre sur le siège. Enfin, à 2 heures du matin, arrive grand train le vieux carrosse transportant la Famille royale et que conduit Fersen transformé en cocher. Vite les voyageurs s'installent dans la berline, le garde du corps Maldent monte derrière, Fersen s'installe sur le siège à côté de Moustier.
Devant eux, vers l'est, le ciel blanchit déjà. Un grand fouet à la main Fersen excite les chevaux et encourage Balthazar.
En une demi-heure on est à Bondy où six postiers et deux bidets sont préparés. « A Dieu, Madame Korff, » dit Fersen d'une voix qu'altère l'émotion. Il monte le cheval laissé par Valory et gagne Le Bourget. A la maison de poste de Claye, la berline retrouve la voiture des femmes de chambre. Il est 4 heures, le soleil est levé, et les fugitifs ne sont encore qu'à six lieues de la Barrière Saint-Martin !
Pour connaître le sort de la berline après le voyage de Varennes, le Comte de Reiset s'est adressé à M. de Klinckowstrom, l'éditeur des papiers de Fersen. Réponse : lors de la vente de son mobilier elle a été achetée par M. de Staël-Holstein, Ambassadeur de Suède à Paris.
Avec la Duchesse de Fitz-James, c'est une autre histoire : La berline est conservée, croit-elle, chez le Comte Charles-Émile Piper, descendant d'une sœur de Fersen, au château de Loïvester en Suède. Enfin, suivant une note de 1795, publiée dans l'Annuaire de l'Aube et citée par M. Lenotre, la berline serait tout bonnement devenue la diligence de Dijon. La première version témoigne d'une méconnaissance absolue du sujet, la seconde n'est pas plus vraisemblable, la dernière doit être vraie puisque simple et logique.
Bimbenet a édité parmi les pièces justificatives de son livre le Mémoire du chariot de poste de M. le Comte de Fersen, livré le 16 juin 1791, par Louis, sellier à Paris, successeur du sieur Warin.
Ce mémoire se monte à 4370 livres 10 sols; il est suivi d'un autre concernant le chariot d'équipage et des réparations faites à une chaise de poste. A la fin, Jean Louis reconnaît avoir reçu de Fersen, le 19 juin, un acompte de 2 600 livres sur l'ensemble. Le digne greffier n'a pas un instant d'hésitation ; pour lui c'est bien là le mémoire détaillé de la berline royale, et il utilise ce document précis pour décrire la voiture. Il déplore même que le carrossier n'ait reçu qu'un acompte : « Mme de Korff, la Famille royale et M. de Fersen partirent sans que le mémoire fût entièrement acquitté. »
Or Bimbenet a publié dans le même ouvrage la déposition très claire de Jean Louis devant la commission d'enquête. Le carrossier est muet touchant les nombreuses fournitures faites à Fersen - et le fait est extrêmement curieux car elles avaient un rapport essentiel avec le voyage de Varennes — mais il est disert à l'égard de la Baronne de Korff. Que dit Jean Louis? C'est une berline de voyage qu'il a construite pour sa cliente; c'est un paiement intégral de 5944 livres qu'il a reçu le 26 mars; c'est le 19 juin qu'il a livré cette berline chez M. de Fersen. Il n'y a donc aucune analogie dans la nature du véhicule, le prix, l'époque et le montant du paiement, la date de la livraison. Les détails fournis par le document ne concordent pas davantage avec les renseignements connus. Et je puis conclure : le mémoire est étranger à la berline royale; il concerne la chaise de poste commandée directement par Fersen et destinée aux femmes de chambre.
Comment le greffier de la Cour d'Orléans, habile à manier les textes, a-t-il pu se mettre en contradiction aussi flagrante avec les documents qu'il publie? Pourquoi en 1868, lors de la seconde édition de son livre paru dès 1844, n'a-t-il pas redressé de lui-même, ou par autrui, cette défaillance de sens critique? J'avoue ne pouvoir proposer aucune explication.
Le Comte de Reiset s'est appuyé sur le même document pour la reconstitution graphique qu'il a tentée de la voiture royale ! Les planches de L'Art du Menuisier-Carrossier de Roubo fils, et les six Cahiers de diligences, berlines et cabriolets de Janel et Choffard, en apprennent bien davantage sur l'architecture des véhicules en usage à cette époque. Chaises de poste et berlines de voyage n'y sont pas confondues.
Enfin M. Lenotre lui-même voit dans le mémoire de Jean Louis « une description détaillée jusqu'à la minutie » de la fameuse berline.
Non, la caisse n'était pas peinte en vert foncé; non, l'intérieur n'était pas tendu de velours d'Utrecht blanc; tous ces précisions sont entachées de nullité. J'ose espérer que M. Lenotre voudra bien se rendre à mes raisons : de telles verrues terniraient l'éclat de la trentième édition du Drame de Varennes.
4. DILIGENCE EN LOCATION.
— Pour faire ses courses, Fersen fait retenir de bon matin, le 20 juin, une voiture de ville à deux chevaux, appelée diligence, chez François Le Bas, loueur de carrosses, rue des Champs-Elysées. A 8 heures, la voiture est à sa porte et le cocher Pierre Le Comte le conduit rue du Sentier, n° 19, aux bureaux du célèbre banquier Perregaux. Il y séjourne une heure et ce long temps donne à supposer qu'il ne fit pas qu'y prendre de l'argent, mais encore établir des lettres de change et s'entendre au sujet des sommes déposées à l'étranger. Puis il rentre rue Matignon et renvoie la voiture.
Dans l'après-midi. Fersen fait trois courses avec la même diligence, revenant rue Matignon après chacune d'elles. Dans les intervalles, l'équipage stationne à la porte.
A 1 heure, il se fait conduire rue du Bac, n° 96, à la Légation de Suède. Il n'y reste qu'un quart d'heure, juste le temps de prendre son passeport pour la Suède, demandé l'avant-veille par le Baron de Staël-Holstein à M. de Montmorin, Ministre des Affaires étrangères.
A 3 heures, c'est au château des Tuileries qu'il revient pour convenir avec le Roi et Marie-Antoinette des derniers préparatifs.
« La Reine pleura beaucoup », note Fersen dans son Journal, au cours de ce suprême et dernier entretien qui dura près de trois quarts d'heure;
A 5 heures, il se rend rue de Clichy, n° 25, à l'hôtel de son ami Craufurd, pour s'assurer de la présence de la berline. Course inutile; elle ne devait y arriver qu'une heure plus tard.
A 7 heures, c'est le valet de chambre Louvet qui prend la voiture pour porter différents paquets à l'hôtel Craufurd, notamment une selle de poste et des bridons à l'anglaise qu'il descend de l'appartement. Après avoir mis la dernière main au chargement de la berline, Louvet rentre rue Matignon, à 9 heures, et le cocher regagne la maison de son patron, heureux d'un petit écu pour boire.
Pour la journée du 20 juin, le Journal de Fersen consiste en des notes hâtives, écrites au crayon sur des feuillets volants et malheureusement incomplets. Il note qu'il a quitté la Reine à -6 heures et place à 7 heures sa visite rue de Clichy. Une confusion s'est produite dans son esprit surmené, car la déposition de Pierre Le Comte est formelle : c'est à 4 heures que Fersen sortit des Tuileries, c'est à 5 heures qu'il alla chez Craufurd.
5. CHAISE DE POSTE CHOISEUL-LÉONARD.
— Le Duc de ChoiseulStainville, colonel du Royal-Dragons, vint secrètement de Metz à Paris, le 11 juin 1791, envoyé par le Marquis de Rouillé, pour convenir avec la Famille royale des derniers détails du voyage. Mais ce fut surtout avec Fersen qu'il eut à s'entendre, à combiner les opérations militaires de Bouillé avec les préparatifs faits à Paris.
A plusieurs reprises il se rencontra avec lui rue Matignon et dans le plus grand mystère.
On décida que Choiseul partirait en chaise, quelques heures avant la berline, pour observer la route et rejoindre le premier détachement de hussards de Lauzun posté à Pont-de-Somme- Vesle. Il devait emporter trois choses : d'abord le linge et les effets du Roi, notamment le bel habit rouge brodé d'or qu'il portait à Cherbourg; ensuite le bâton de maréchal de France que Louis XVI destinait à Rouillé, et Choiseul prêta celui du défunt maréchal de Stainville, son beau-père; enfin les diamants de Madame Elisabeth.
Dans le cabriolet de Choiseul une place était disponible. La prévoyance conseillait d'emmener Brunier, médecin des Enfants de France et mari de l'une des femmes de chambre ; la coquetterie proposait Léonard, valet de chambre-coiffeur de la reine. Ce fut la coquetterie qui l'emporta, et Léonard fit l'objet d'un véritable enlèvement.
Dans la matinée du 20 juin, Choiseul dépêche à Bondy un domestique à cheval pour retenir le relais de poste. A deux heures, Léonard se présente à l'hôtel Choiseul, sis rue d'Artois, aujourd'hui rue Laffitte, à l'angle gauche du boulevard. Il est porteur d'une lettre que la Reine vient de lui remettre; sur ses indications il a pris un chapeau rond couvrant les yeux, et passé une longue redingote pardessus son habit; il promet d'obéir aveuglément à ses ordres. La chaise de poste est dans la cour, prête à partir. Choiseul y fait monter Léonard stupéfait, le valet de chambre Boucher accompagne le colonel et l'équipage gagne Bondy où le relais s'effectue. On dépasse Meaux à l'immense étonnement de Léonard, on couche à Montmirail sans qu'il sache encore toute la vérité. Les voyageurs sont à Châlons le 21 juin à 10 heures, à Pont-de-Somme-Vesle une heure après. Peu d'instants avant d'arriver Léonard éprouve une grande joie : il sait enfin le secret de sa randonnée.
Choiseul prend le commandement des 40 hussards amenés par Goguelat et le lieutenant Boudet. Mais la berline tarde, l'horaire est bouleversé, la population s'agite; à 4 heures le « trésor » n'est pas encore signalé. Alors Choiseul décide d'envoyer sa chaise en avant; Léonard et Boucher préviendront du retard les détachements placés sur la route et iront l'attendre à Stenay. Passé Varennes ils s'égarent, rebroussent chemin, et ils apprennent à Stenay l'arrestation du Roi et l'emprisonnement de Choiseul.
Après un séjour de trois mois à l'étranger où son frère aîné vint le rejoindre et le tirer d'embarras — c'est ce dernier qui l'affirme dans une pétition de 1817 — Léonard retourne à Paris. Jusqu'au 10 août il continue son service auprès de la reine, ensuite il vit à Versailles embusqué dans un emploi de l'armée. Cependant l'aventure de Varennes lui fut fatale : dénoncé, il périt sur l'échafaud le 7 thermidor an II (25 juillet 1794).
Les diamants de Madame Élisabeth avaient été remis par le Roi à Choiseul; il les garda avec lui à Pont-de-Somme-Vesle quand il dépêcha Léonard à Stenay. Mais lorsqu'avec les hussards de Lauzun il entra à Varennes, qu'il vit la Famille royale arrêtée, toute la ville ameutée, il jugea prudent de confier le précieux dépôt au lieutenant Boudet pour le remettre à Monsieur. La commission fut fidèlement remplie et Monsieur à son tour remit les joyaux au prince de Saxe, oncle de Madame Elisabeth, qui résidait à Coblentz. Léonard n'est pour rien dans cette affaire.
Quant aux diamants personnels de la Reine, l'honneur périlleux de les avoir portés à l'étranger ne revient pas davantage à Léonard, non plus qu'à l'abbé Louis, comme l'a avancé Bacourt. A une date et par une voie que j'ignore, ils parvinrent à Mercy-Argenteau, à Bruxelles, par l'entremise de Fersen. Celui-ci le dit expressément dans son Journal à la date du 7 novembre 1792. A mon sens il faut placer cet acte de prudence en 1791, peu de temps avant le voyage de Varennes, non au début de 1792 comme l'a écrit Mme Campan.
Je ne puis donc me ranger à l'opinion de M. Lenotre qui fait transporter à Léonard, dans le cabriolet de Choiseul, les diamants de la Reine, alors qu'il le montre au départ ignorant tout de sa prétendue mission. Et j'accepte moins encore l'insinuation abominable qu'il a peut-être disposé du dépôt pour échapper à l'échafaud.
Sur ces points, et sur d'autres, c'est donner à son rôle de coiffeur précédant sa maîtresse sur la route de Montmédy, et de messager maladroit de Choiseul, une importance dramatique que l'étude attentive des textes ne justifie pas.
Une polémique très vive s'est engagée entre M. Lenotre et M. Gustave Bord, au sujet de l'identité du Léonard qui fit, bien malgré lui, le voyage de Varennes. Reprenant à son compte une affirmation romanesque d'Alfred Bégis, M. Lenotre prétend que le coiffeur de Marie-Antoinette — qu'il appelle d'abord Jean-François Autié, dit Léonard (Le Drame de Varennes), puis Léonard Autié (Vieilles maisons, Vieux papiers, 4e série) -. n'est pas mort sur l'échafaud le 7 thermidor an II, comme le dit l'acte de décès. Il soutient que Léonard a échappé au trépas, par un moyen « qu'il serait prodigieusement intéressant de connaître » ; qu'il est passé en Russie, pour revenir à Paris en 1814 et y mourir « définitivement » le 24 mars 1820. La preuve, c'est que les Souvenirs de ce Léonard guillotiné, apocryphes il est vrai et publiés en 1838, ont provoqué la réclamation d'un neveu qui déclare n'avoir pas quitté son oncle depuis son retour de Russie. Pour M. Lenotre, la survivance ne fait point de doute.
Et M. Gustave Bord de répliquer : Jean-François Autié, dit Léonard, coiffeur de la Reine et acteur involontaire du drame de Varennes est bien mort guillotiné, l'acte de décès correspond à la réalité. C'est son frère aîné, Léonard-Alexis Autié, dit Léonard, le coiffeur de génie, celui dont le prénom devenu célèbre a fait des Léonards des trois frères Autié, qui a émigré en Russie jusqu'en 1814, qui est mort à Paris en 1820.
Quant aux Souvenirs de Léonard, ils ont la prétention de retracer la vie galante et mouvementée de Léonard Autié, et non pas celle parfaitement obscure, à part l'événement de Varennes, de François Autié. Ainsi la protestation du neveu — fils de Pierre Autié qui fut coiffeur de Madame Élisabeth — ne concerne plus un revenant. Selon M. Gustave Bord, la vérité consistait à dédoubler en deux frères le personnage unique inventé par Alfred Bégis et accepté sans contrôle par M. Lenotre.
Les trésors d'érudition prodigués par M. Gustave Bord, loin de concilier les deux adversaires, ont amené au contraire une réponse motivée où M. Lenotre maintient obstinément sa thèse du guillotiné bien portant. ( ) Cependant M. Gustave Bord a certainement raison, mais comme il est parvenu à la vérité par des voies indirectes, qu'on me permette d'exposer mon argument.
Quel titre, quelles fonctions reconnaissent à Léonard ceux qui l'ont vu sur la route de .Varennes? Celui de valet de chambre-coiffeur de la Reine; le Duc de Choiseul, le sous-officier Aubriot, le Chevalier de Bouillé, le piqueur James Brisack sont d'accord pour le qualifier ainsi. Et Marie-Antoinette elle-même, dans la Relation de Choiseul, lui donne ce titre.
Or la Maison de la Reine, selon l'Almanach de Versailles, comprenait trois coiffeurs. Le premier avait seul rang de valet de chambre, il résidait à la Cour et portait le titre officiel et archaïque de perruquier-baigneur-étuviste. Cet emploi était tenu par M. François Léonard. Les deux autres étaient coiffeurs par commission, c'est-à-dire fournisseurs brevetés, mais non pas attachés au service exclusif de Marie-Antoinette et de son entourage. Ils se nommaient : M. Hautier dit Léonard l'aîné, et M. Villanoué.
Dès 1779, MM. Hautier dit Léonard frères étaient déjà tous deux coiffeurs par commission de la Reine. Léonard-Alexis Autié, dit Léonard l'aîné, se contenta de ce titre, qu'indique l'Almanach de Versailles de 1780 à 1790. C'est lui le coiffeur à la mode du boulevard d'An tin, le créateur du Théâtre de Monsieur aux Tuileries, l'associé du Duc de Montmorency-Laval et de Viotti pour la salle de spectacle de la rue Feydeau. Dans la curieuse pétition qu'il adressa à Louis XVIII en 1817, il explique que pour tirer son frère d'embarras, après Varennes, il dut le rejoindre à l'étranger. Il ajoute que lui-même s'enfuit de Paris après la journée du 20 juin 1792, non sans avoir été contraint de céder son privilège théâtral. Le fait est exact, car Fersen consigne son arrivée à Bruxelles, porteur d'une lettre de la Reine, le 9 juillet 1792. Revenu à Paris en 1814, il mourut le 24 mars 1820 et devint en 1838 le héros des Souvenirs de Léonard, coiffeur de la reine Marie-Antoinette.
Quant à Jean-François Autié, dit François Léonard, il monta en grade à la Cour, soutenu par la réputation de son aîné à la Ville.
Coiffeur par commission depuis 1779, il finança en 1783 la survivance de Jean-Remy Le Guay, valet de chambre de la reine et son perruquier-baigneur-étuviste. A la mort de Le Guay, en 1788, il devint seul titulaire de la charge.
Ainsi je puis conclure que le valet de chambre-coiffeur de Marie-Antoinette qui demeurait aux Tuileries en 1791, que Choiseul enleva le 20 juin, qui participa au voyage de Varennes, que son frère aîné lui-même désigne comme ayant péri sur l'échafaud, s'appelait Jean-François Autié dit Léonard. C'est bien lui qui est mort en 1794, légalement et effectivement, par son acte de décès et de la main du bourreau.
6. VIEUX CARROSSE FERSEN.
— Après avoir conduit la berline rue de Clichy, Balthazar Sapel revient avec les deux chevaux aux écuries du faubourg Saint-Honoré, vers 6 heures et demie; ensuite, les harnais enlevés, il les mène rue de la Planche chez le carrossier Jean-Louis. Là se trouvait remisé un vieux carrosse, assez grand pour contenir six personnes et pourvu de harnais et de brides. C'était une « vieille et antique voiture ressemblant à un fiacre », écrira plus tard la Duchesse de Tourzel; « elle avait l'air d'un remise », dira-t-elle aux commissaires, et même « d'un remise assez mauvais » déposera Maldent, le garde du corps.
Cette guimbarde appartenait à Fersen, le fait est certain. Mais faut-il y voir l'une de ses anciennes voitures, ou bien un carrosse démodé acquis en vue de la fuite? Pour plusieurs raisons, vétusté, dimensions et présence du harnachement complet, j'estime plus vraisemblable la seconde hypothèse. Quoi qu'il en soit Balthazar attelle ses deux chevaux, mène le véhicule rue de Marigny, et le range contre l'hôtel de la Duchesse de Bourbon, aujourd'hui Palais de l'Elysée. Il est 8 heures moins un quart, il fait encore grand jour.
Peu après arrive Fersen, accompagné de son chasseur. Il remet un bridon à Balthazar et l'envoie chez un marchand de chevaux de la Petite rue Verte. Le chasseur remplace le cocher et conduit son maître au château des Tuileries, où celui-ci dépose une lettre qu'il vient d'écrire à la Reine pour changer le rendez-vous des femmes de chambre. La voiture revient sur le quai , proche le Pont-Royal, et Fersen attend, appuyé au parapet, l'arrivée de Moustier et de Valory ; Maldent est resté chez le roi. A 8 heures trois quarts ils arrivent, portant des sacs de voyage et les trois hommes gagnent la rue Matignon. Le carrosse est laissé à proximité, à un endroit que je ne puis préciser.
Après avoir instruit les gardes du corps, Fersen les fait partir avec l'attelage de la berline, puis il veille au départ de la chaise de poste des femmes de chambre. Il est 10 heures et quart, lui-même s'éloigne pour aller retrouver le vieux carrosse. Jamais plus il ne reverra son logis de la rue Matignon ! L'équipage, toujours conduit par le chasseur, retourne aux Tuileries, entre dans la Cour des Princes et s'arrête devant la porte de l'appartement vacant du Duc de Villequier où nul factionnaire ne veille.
Fersen pénètre dans le château. Il reparaît à 11 heures et quart conduisant par la main le Dauphin habillé en petite fille; Mme de Tourzel suit, tenant Madame Royale aussi par la main. Aidés par le cocher, tous quatre montent dans le carrosse qui, par le quai, gagne la place Louis XV, tourne par la rue Saint-Honoré , s'engage à droite dans la rue de l'Échelle et s'arrête sur la place du Petit Carrousel non loin d'une maison meublée, l'hôtel de Gaillarbois.
Pour tromper l'attente - une attente de trois quarts d'heure — le cocher descend de son siège, fait les cent pas, examine ses chevaux. Ce cocher, c'est Fersen lui-même, jouant parfaitement son rôle. C'est donc qu'en cours de route, en un coin désert de la place Louis XV, il a troqué avec son domestique, redingote, chapeau et fouet. Le défaut de place lui commandait cette transformation : trois personnes sont déjà dans la voiture, et quatre autres sont attendues.
Madame Élisabeth arrive la première au rendez-vous; elle est seule, mais l'un de ses écuyers, M. de Saint-Pardoux, l'a fait sortir des Tuileries. Le Roi se présente à son tour, suivi de Maldent, le garde du corps, qui monte derrière la voiture. Enfin voici la Reine, guidée par un inconnu — M. de ***, dit Fersen dans son Journal et guidée de façon bien maladroite, puisqu'il a dû demander son chemin à une sentinelle. Il est minuit passé , le retard est grand déjà sur l'horaire prévu, le cocher improvisé enlève son attelage.
Par les rues Sainte-Anne et Grammont, le Boulevard et la Chaussée d'Antin, Fersen gagne la rue de Clichy. Devant l'hôtel Craufurd il s'arrête un instant pour s'informer si la berline est bien partie, ce qui permet aux chevaux de souffler dans la rude montée. Puis il sort de Paris par la Barrière de Clichy, refaisant à dessein le parcours qu'il avait indiqué pour conduire la berline au rendez-vous. Prenant à droite le boulevard extérieur au mur d'enceinte, il roule à bonne allure vers la Barrière Saint-Martin, contourne la rotonde de la Ferme et amorce à gauche la route de Meaux. La berline est là, qui attend, gardée par Balthazar et Moustier, silencieux. Les voyageurs passent d'une voiture dans l'autre. Quant au vieux carrosse, après l'avoir tourné vers Paris, on le fait verser à demi dans le fossé et abattre un cheval, pour faire croire à un accident et justifier son abandon. Il est 2 heures du matin et l'aube s'annonce.
Bimbenet raconte que le vieux carrosse fut loué et qu'il demeura chez Fersen durant toute la journée du 20 juin. Il prétend aussi que ce dernier conduisant la famille royale à la Barrière Saint-Martin, passa rue Matignon avant de s'arrêter rue de Clichy. Ces trois affirmations sont gratuites.
Au cours de sa Relation, Madame Royale assure que le carrosse attendait au milieu de la Cour des Princes, et que sa mère la conduisit jusque-là, « ce qui était beaucoup s'exposer ». Il est naturel que le sentiment du danger couru s'amplifie dans les souvenirs d'une enfant de douze ans. A la vérité, la voiture n'était pas placée au centre de la cour, mais au milieu de la façade, devant les marches donnant accès à l'appartement Villequier. Si la reine accompagna ses enfants, ce fut seulement jusqu'au perron et sans danger pour elle.
Sur plusieurs autres points, je suis étonné de n'être pas d'accord avec M. Lenotre, puisque nous avons puisé aux mêmes documents.
Pourquoi la « vieille voiture appartenant à M. le Comte de Fersen », ainsi que la désigne le cocher Balthazar, devient-elle sous sa plume une « citadine de louage » ? Pourquoi fait-il arriver cette citadine aux Tuileries dès 9 heures, alors qu'un peu plus loin il montre Fersen chez lui à 10 heures, occupé à faire partir la chaise de poste des femmes de chambre?
M. Lenotre a-t-il eu raison d'adopter l'opinion des auteurs qui l'ont précédé et de transformer Fersen en cocher dès la rue Matignon ? Il le fait pénétrer dans le château, et ramener le Dauphin, en costume d'automédon. Qui donc alors gardait la voiture et surveillait les chevaux dans la Cour des Princes ? Pourtant la déposition de Mme de Tourzel est positive, elle parle de deux personnes : le guide soi-disant inconnu, qui était Fersen, et le cocher, qui était son chasseur.
Enfin pourquoi le carrosse ne serait-il pas sorti de Paris par la Barrière de Clichy, tout comme la berline, comme le veut la raison et comme le disent Balthazar Sapel, la Duchesse de Tourzel et le Duc de Choiseul?
7. CHAISE DE POSTE DES FEMMES DE CHAMBRE.
— Fersen avait commandé à Jean Louis, le carrossier de la rue de la Planche, une chaise de poste à laquelle il fit ajouter de nombreuses commodités. Elle fut livrée le jeudi 16 juin. Cette chaise était à quatre roues, train à flèche et ressorts à l'anglaise; la caisse, en forme de cabriolet, était doublée de velours d'Utrecht blanc. Le haut de la caisse était noir, les panneaux verts avec rechampis noirs, et le train couleur citron. Elle comportait un siège devant et derrière, deux lanternes à réverbère, une vache sur l'impériale et une cantine pour six bouteilles. Le mémoire s'élevait à 4 300 livres, 10 sols et, le 19 juin, Fersen verse à Jean Louis un à-compte de 2600 livres.
Il est probable que cette voiture fut remisée dans les écuries du faubourg, mais, dans la soirée du 20 juin, elle était préparée dans la cour de la rue Matignon. Ce jour-là, vers 2 heures, Fersen fait commander chez François Le Bas, loueur de carrosses rue des ChampsElysées, trois chevaux et un postillon pour aller à Claye dans la soirée. Le prix est fait à 24 livres avec les harnais. Pierre Le Bas, postillon et neveu du loueur, conduit les chevaux à 9 heures un quart rue Matignon. Un « particulier », bientôt rejoint par deux autres avec lesquels il converse dans la cour, le prie d'attendre. Fersen arrive à 10 heures venant de ses écuries, il fait atteler les chevaux à la chaise et donne l'ordre de la mener sur le quai, vis-à-vis les bains Poitevin, proche le Pont Royal. Deux des particuliers montent dedans, le troisième derrière et Pierre Le Bas la conduit au quai d'Orsay. Les trois hommes s'éloignent vers la rue du Bac, disant qu'ils vont boire le rogomme; le postillon attend.
A la descente du Pont Royal, le quai d'Orsay n'était pas à l'époque une berge comme le prétend M. Lenotre, et comme le dément le plan qu'il publie, mais un beau quai de pierre de taille garni d'escaliers pour descendre au rivage. L'endroit où stationnait la chaise se trouvait au pied de la terrasse de l'hôtel Choiseul-Praslin, à deux pas du Bureau des voitures de la Cour, et en face d'un établissement de bains chauds installés sur la rivière. Ces bains étaient réservés aux pauvres gens et ne doivent pas être confondus avec d'autres, mieux achalandés, appartenant également à Guignard successeur de Poitevin, et situés en aval et du même côté près du pont Louis XVI. L'emplacement où le postillon faisait les cent pas se trouve aujourd'hui au droit de la Caisse des Dépôts et Consignations.
Vers II heures et demie, deux dames arrivent à pied conduites par l'inconnu qui les a fait sortir des Tuileries. L'une est Mme de Neuville, première femme de chambre du Dauphin, l'autre Mme de Brunier, première femme de chambre de Madame. Elles montent dans la chaise, indiquent Claye comme lieu de destination et l'inconnu disparaît. Le rendez-vous assigné à ces dames avait été modifié au dernier moment ; le fait est révélé par le Journal de Fersen : « A 8 heures j'écrivis à la Reine pour changer le rendez-vous des femmes de chambre et les bien instruire pour me faire dire l'heure exacte par les gardes du corps. »
La voiture arrive à Claye vers 2 heures et demie du matin, le mardi 21 juin, la berline royale la rejoint une heure et demie après.
A partir de ce moment la chaise des femmes de chambre voyage de conserve avec la berline, la précédant à l'aller, la suivant au retour de Varennes. - Bimbenet, qui a eu toutes les pièces de l'enquête entre les mains, raconte que le matin du 20 juin, à 7 heures et demie, Fersen « alla chez le carrossier chercher la voiture qui devait emmener Mmes Brunier et Neuville. » Il invente de toutes pièces, le digne greffier de la Cour d'Orléans. Pourtant il a édité parmi les pièces justificatives de son livre, le Mémoire du chariot de poste de M. le Comte de Fersen livré le 16 juin 1791 par Louis, sellier à Paris; mais il ne s'est pas aperçu que cette voiture était précisément celle destinée aux femmes de chambre. Par suite d'une confusion inexplicable il y reconnaît la berline royale; j'ai fait état de cette grave erreur en traitant de la berline, erreur acceptée par M. Lenotre lui-même.
Cependant il est un point obscur dans l'équipée de la chaise de poste des femmes de chambre. Qui sont ces trois personnages qui y montent rue Matignon, à 10 heures du soir, puis disparaissent vers la rue du Bac ? Ce ne sont certainement pas les trois gardes du corps qui, au même temps, jouaient leur rôle en d'autres lieux. Mais à coup sûr ce sont aussi des acteurs de l'évasion. Tout bien pesé, je crois qu'il faut y reconnaître les trois personnes qui guidèrent hors les Tuileries les dames Brunier et Neuville, Madame Élisabeth et la Reine.
Voici comment je reconstitue la scène, dans la soirée du 20 juin, rue Matignon. A 9 heures, Fersen rentre avec les deux gardes du corps, laissant la vieille voiture à proximité. Il retrouve chez lui les trois inconnus auxquels il donne les dernières instructions pour la nuit. A l'arrivée des chevaux, l'un descend dans la cour et fait patienter le postillon. Les deux autres le rejoignent peu après et disent que « Monsieur » n'est pas rentré. En effet il vient de sortir, conduisant les gardes du corps à ses écuries. Fersen revient à 10 heures, fait atteler, et la chaise part emportant les trois hommes.
Plusieurs indices me portent à croire que l'un d'eux doit être Louvet, le propre valet de chambre de Fersen, celui que nous avons vu présider au départ du chariot rouge et de la malle pesante, et charger la berline rue de Clichy. Il avait la confiance de son maître qui lui faisait recopier parfois ses lettres confidentielles; il avait aussi ses entrées aux Tuileries, puisque celui-ci note dans son Journal, à la date du 20 octobre 1791 : « M. Louvet a vu la Reine qui l'a fait venir pour lui parler de mes affaires. » L'inconnu qui descend le premier dans la cour, monte derrière la chaise, puis conduit les dames Brunier et Neuville au quai d'Orsay n'est autre, à mon avis, que le dévoué valet de chambre de Fersen.
Les deux autres « particuliers » seraient alors M. de Saint-Pardoux et M. de ***, guides respectifs de Madame Élisabeth et de la Reine.
8. CHAISE DE POSTE FERSEN.
— Le vendredi 17 juin, Fersen était allé à Bondy et au Bourget, premiers relais de poste sur les routes de Metz et de Maubeuge, évidemment pour reconnaître les lieux en vue du départ. De son côté, le carrossier Jean Louis ajoutait au mémoire de son client le détail de la mise en état d'une « chaise sur quatre roues, doublée en allemande verte ». Le charron a fourni une note de 22 livres, lui-même a réparé les trois glaces, huilé tous les cuirs, ajusté les soupentes, fait des raccords de peinture au train et aux roues; l'ensemble de ces réparations s'élève à 36 livres, sols.
Cette voiture, c'est la chaise de poste habituelle de Fersen, celle qui fit si souvent le voyage de Valenciennes et avec laquelle il rejoindra la famille royale. Le 14 juin, il a prié Bouillé de lui trouver une chambre à Montmédy. J'ignore quand et comment cette voiture est sortie de Paris. Fersen dit bien dans son Journal sous la date du 20 juin : « rentré, faire partir ma chaise », et le fait se place entre 9 et 10 heures du soir, mais la mention peut s'appliquer également au départ de sa chaise neuve, destinée aux femmes de chambre, et qu'il utilisera plus tard. Quoi qu'il en soit, sa vieille voiture se trouvait certainement à la maison du maître de poste du Bourget dans la nuit du 20 au 21 juin.
A 2 heures et demie, la berline arrive à Bondy où le relais s'effectue. Fersen descend du siège, échange un bref adieu, et abandonne les voyageurs à leur destinée. Il enfourche le cheval que montait Valory et se dirige vers Le Bourget, à 5 kilomètres de là, par le chemin de traverse passant à Drancy. En une demi-heure il est au Bourget, trouve sa chaise et prend la poste. Par Le Cateau, Le Quesnoy, Mons et Namur il gagne Arlon, où il arrive le 23 à 11 heures du soir. « Trouvé Bouillé; su que le Roi était pris », a-t-il écrit sur son carnet. Zèle, espoir, amour, tout s'effondrait dans ces huit mots, terrifiants de laconisme.
* * *
A bien étudier le drame de Varennes, deux convictions s'imposent : la cause principale de l'échec réside dans l'indolence de Louis XVI, engourdi par ses illusions sur l'esprit des populations; de plus, et à n'en pas douter, la présence d'un homme tel que Fersen, audacieux et clairvoyant, eût amené la réussite. Avec lui, malgré les maladresses, malgré les retards, malgré les incidents, la berline eût passé. Il était opposé au choix des gardes du corps, qui se montrèrent en effet parfaitement inutiles et encombrants, ainsi qu'aux précautions militaires : « Tout doit dépendre de la célérité et du secret », écrivait-il au Marquis de Bouillé le 26 mai 1791. Mais les deux raisons de l'échec se confondent en une seule, attendu que Fersen eût été du voyage si le Roi ne s'y était pas opposé au dernier moment. La responsabilité de Louis XVI demeure entière, éclatante.
Sur ce point capital la vérité est connue, grâce au document qu'a publié Geffroy et qui montre, par surcroît, le rôle important qui revient à Gustave III dans l'évasion de la Famille royale. C'est un billet officiel, que Fersen adressa, dès le 4 avril 1791, à son ami le Baron de Taube :
« Il serait à propos que, pour accompagner le Roi de France, je prisse l'uniforme suédois. Demandez à Sa Majesté si elle permet que je porte en cette circonstance l'uniforme de ses dragons, que j'ai depuis longtemps ici. Je n'ai pas avec moi d'uniforme de la Garde, et je n'ose en commander un dans ce moment; mais je le ferai faire et le porterai dès que je serai sorti de la ville. »
On sait que le départ de Paris avait été d'abord fixé aux premiers jours de juin. Or, que lit-on dans une lettre du 29 mai, écrite au dernier moment par Fersen au Marquis de Bouillé : « Je n'accompagnerai pas le Roi, il n'a pas voulu. »
ALBERT VUAFLART.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6488472q/texteBrut
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Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Mme de Sabran a écrit:
Enfin, suivant une note de 1795, publiée dans l'Annuaire de l'Aube et citée par M. Lenotre, la berline serait tout bonnement devenue la diligence de Dijon.
"Mercredi 28 janvier 1795. On apprend que dans la nuit du 5 au 6 pluviôse, le feu a pris dans la diligence de Dijon;
on soupçonne que quelques charbons du couvet ( chaufferette) d'une voyageuse en sont la cause; c'est la
même voiture dont le dernier roi s'était servi pour se sauver et dans laquelle il a été arrêté à Varennes."
Ephémerides de Comparot de Longsols publiées en extraits dans l'Annuaire de l'Aube (1898) par l'abbé Etienne Georges.
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Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Mme Sullivan sœur de la baronne de Korff ?
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Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Calonne a écrit:Mme Sullivan sœur de la baronne de Korff ?
L'une est italienne, l'autre russe .
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Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
C'est quoi ce truc, l'aventurière/courtisane italienne sœur de la noble dame russe ? Et le dauphin était l'enfant caché de Fersen et Crawfurd ?
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Calonne- Messages : 1123
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Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Comme tu dis ... un grand écart géographique .
Et une bourde énorme pour un historien tellement au fait de tous ces détails.
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Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Vicq d Azir a écrit:
Il subsiste des zones d’ombre: la Fayette a -t-il laissé faire Varennes ? Etc...
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Big question ...
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Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Bonjour, j'aimerais me procurer une carte détaillée et grande de l'itinéraire PARIS à VARENNES.
Celles trouvées sur internet son trop petites.
Merci d'avance!!!
Celles trouvées sur internet son trop petites.
Merci d'avance!!!
Comte Valentin Esterhazy- Messages : 153
Date d'inscription : 29/07/2018
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
il vous suffit de prendre les cartes modernes en vente en librairie pour reconstituer le voyage qui n'a pas changé depuis l'époque.
J'ai les cartes d'époque et j'ai pu comparer avec les modernes - c'est identique........ pour preuve on refait le voyage en carrosse XIX° siècle sans soucis, il suffit aux étapes de ralentir et de trouver les relais qui existent encore.... très amusant..... voir le dernier reportage photos de l'ami VICQ.
MARIE ANTOINETTE
J'ai les cartes d'époque et j'ai pu comparer avec les modernes - c'est identique........ pour preuve on refait le voyage en carrosse XIX° siècle sans soucis, il suffit aux étapes de ralentir et de trouver les relais qui existent encore.... très amusant..... voir le dernier reportage photos de l'ami VICQ.
MARIE ANTOINETTE
MARIE ANTOINETTE- Messages : 3729
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Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
A la bonne heure ! Voyez comme c'est tout simple, cher Esterhazy .
... un bien étonnant son de cloche
puisque nous voici à nouveau sur la route de Varennes .
Je vous laisse juges :
Elisabeth est trop femme pour n'avoir point saisi qu'elle exerce une attraction plus intellectuelle mais tout aussi réelle sur Barnave que sur Pétion . Elle s'en sert . (...) (ils parlent politique) Marie-Antoinette, beaucoup plus au fait que sa belle-soeur de l'art de la séduction et des mille moyens dont une femme dispose pour amener un homme à ses vues, mais vieillie et fanée par les épreuves, de sorte qu'à présent elle émeut au lieu de plaire, s'étonne de la maîtrise d'Elisabeth dans cet exercice ...
J'ai toujours lu ( et pensé ) que, lors de ce retour de Varennes, le charme de Marie-Antoinette opère comme toujours et agit sur Barnave comme un talisman, lui gagnant le coeur du député. Or nous voyons là Barnave presque flasher sur Elisabeth .
... un bien étonnant son de cloche
puisque nous voici à nouveau sur la route de Varennes .
Je vous laisse juges :
Elisabeth est trop femme pour n'avoir point saisi qu'elle exerce une attraction plus intellectuelle mais tout aussi réelle sur Barnave que sur Pétion . Elle s'en sert . (...) (ils parlent politique) Marie-Antoinette, beaucoup plus au fait que sa belle-soeur de l'art de la séduction et des mille moyens dont une femme dispose pour amener un homme à ses vues, mais vieillie et fanée par les épreuves, de sorte qu'à présent elle émeut au lieu de plaire, s'étonne de la maîtrise d'Elisabeth dans cet exercice ...
J'ai toujours lu ( et pensé ) que, lors de ce retour de Varennes, le charme de Marie-Antoinette opère comme toujours et agit sur Barnave comme un talisman, lui gagnant le coeur du député. Or nous voyons là Barnave presque flasher sur Elisabeth .
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Du calme les amis...
Au retour de Varennes :
-La Reine a 35 ans.
- Barnave en a 30 ,
- Mme. Elisabeth, 27.
Le formidable dialogue qui s’instaure entre la Reine et le tribun, et qui dépasse bien sûr tous les autres voyageurs ( y compris le Roi ), est une ultime tentative de rapprochement de la Monarchie avec la Révolution, un peu comme avec Mirabeau.
Il est évident pour moi que Barnave choisit de s’adresser à la Reine ( et réciproquement ). Celle-ci a d’ailleurs plus d’expérience et de souplesse que sa belle-sœur, plus de connaissance des hommes aussi, pourrait - on dire. Si Barnave choisit « la vieille » ( 35 ans! ) c’est qu’il sait à qui il s’adresse, vous ne pensez pas ?
J’ajouterai, au cours de ce terrible huis-clos, que Mme. Elisabeth, qui prenait pourtant sa part lors de la conversation, était plutôt accaparée par ... Pétion, qui se persuade que la princesse lui fait des avances... ( on pourrait mettre en doute cette histoire s’il ne l’avait relatée lui-même dans ses mémoires...) On s’est évidemment gaussé de cette histoire, et traité Petion d’imbécile... Pétion n’était pas un imbécile, et la princesse est bien sûr hors de tout soupçon... Mon hypothèse, c’est que, dans ce bocal roulant, avec la chaleur et la promiscuité, sur ce fond de joute entre un homme et une femme de force égale, où politique et séduction se répondent, la tension « érotique » monte progressivement. Se déclenche alors chez ce pauvre Pétion ( celui qui est, de fait, le laissé pour compte ) un très beau délire érotomane, qui pourrait être qualifié de « cas d’école »... ( possibilité de développer, si vous le souhaitez... )
Au retour de Varennes :
-La Reine a 35 ans.
- Barnave en a 30 ,
- Mme. Elisabeth, 27.
Le formidable dialogue qui s’instaure entre la Reine et le tribun, et qui dépasse bien sûr tous les autres voyageurs ( y compris le Roi ), est une ultime tentative de rapprochement de la Monarchie avec la Révolution, un peu comme avec Mirabeau.
Il est évident pour moi que Barnave choisit de s’adresser à la Reine ( et réciproquement ). Celle-ci a d’ailleurs plus d’expérience et de souplesse que sa belle-sœur, plus de connaissance des hommes aussi, pourrait - on dire. Si Barnave choisit « la vieille » ( 35 ans! ) c’est qu’il sait à qui il s’adresse, vous ne pensez pas ?
J’ajouterai, au cours de ce terrible huis-clos, que Mme. Elisabeth, qui prenait pourtant sa part lors de la conversation, était plutôt accaparée par ... Pétion, qui se persuade que la princesse lui fait des avances... ( on pourrait mettre en doute cette histoire s’il ne l’avait relatée lui-même dans ses mémoires...) On s’est évidemment gaussé de cette histoire, et traité Petion d’imbécile... Pétion n’était pas un imbécile, et la princesse est bien sûr hors de tout soupçon... Mon hypothèse, c’est que, dans ce bocal roulant, avec la chaleur et la promiscuité, sur ce fond de joute entre un homme et une femme de force égale, où politique et séduction se répondent, la tension « érotique » monte progressivement. Se déclenche alors chez ce pauvre Pétion ( celui qui est, de fait, le laissé pour compte ) un très beau délire érotomane, qui pourrait être qualifié de « cas d’école »... ( possibilité de développer, si vous le souhaitez... )
Vicq d Azir- Messages : 3676
Date d'inscription : 07/11/2014
Age : 76
Localisation : Paris x
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Tout à fait d'accord avec toi, cher Févicq : Pétion marche sur la tête et nous fait un délire qui confine au grotesque .
Or donc, nous voyons Barnave et Madame Elisabeth en grande conversation politique avec, sur le 14 juillet 1790, le fameux " Ah ! Madame, nous étions perdus si vous aviez su en profiter " de Barnave . Mais Marie-Antoinette est étrangement absente et muette (dans cet ouvrage, hein, bien-sûr ) . Nous dirions, de manière triviale, qu'Elisabeth tient le crachoir .
Marie-Antoinette, ajoute l'auteur, s'étonne de la maturité et de l'intelligence de son argumentation : il devient inutile que le roi et elle tentent de s'expliquer avec ces Messieurs et de les convaincre : la princesse s'y prend infiniment mieux qu'eux .
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Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: La fuite vers Montmédy et l'arrestation à Varennes, les 20 et 21 juin 1791
Les sources, les sources, chère Eléonore... rien que les sources...
Il faudrait ainsi se replonger dans les témoignages de première main : Tourzel, Pétion, Barnave peut-être ?( je ne sais plus s’il a laissé un témoignage ?) Et n’oublions pas la petite Marie-Thérèse...
Il serait important de savoir la place qu’a pu prendre Elisabeth dans ce huis-clos. Y compris lors du fameux repas de midi chez le maire de la Ferté s Jouarre , avec sa terrasse sur la Marne, où je me suis rendu, non sans émotion. Je crois me souvenir que les deux « sœurs » s’étaient réparti la tâche: Pétion pour l’une, Barnave pour l’autre...
Quant à l’argumentaire supposé d’Elisabeth, nul doute qu’il ne pouvait être que pertinent, mais enfin, sa position en politique était, on le sait, bien plus réactionnaire que celle de la Reine, sans parler du Roi. Ce fut la cause de moultes disputes entre eux. Alors ? aurait -elle réussi à être plus convaincante que la Reine, face à un Barnave ?
Surtout, vous avez raison, Barnave « veut » la Reine. Tout le monde « veut » la Reine, pour la séduire ou la détruire, ou bien les deux. J’aime votre idée de talisman : la Reine est fetichisée , bien plus que le Roi, qui apparaît, lors de ce retour, dans toute sa nudité: oui, le Roi est nu, c’est un gros homme somnolent qui s’en revient, et sur lequel on peut cracher sans être arrêté par la garde ...
Alors , j’aime bien imaginer ( mais les sources, les sources...) un combat très animal entre Marie-Antoinette et Barnave, un combat entre une tigresse et un loup ... C’est tellement « too much », que Pétion , qui n’a sans doute jamais vu ça ... pète les plombs...
On pourrait donc supposer que, dans cette affaire, la Reine ( et le Roi ) laissent la petite sœur développer son argumentaire. Mais la Reine se réserve de rectifier, argumenter, dans le sens que l’on connaît bien : « le Roi est parti parce que sa personne était attaquée. Il aime son peuple, il a compris, en traversant ses province que celui-ci était attaché à la constitution. Il ne souhaitait pas quitter le royaume... La Reine et lui savent reconnaître les hommes de bonne volonté, y compris parmi les révolutionnaires, et Barnave fait partie de ceux -ci, etc. »
La prose d’Elisabeth est différente, probablement plus factuelle, plus passionnée aussi. Les paroles qui s’échappent des lèvres de la Reine sont (comment dire?), plus graves, plus « royales », même pour ce tribun qui estimait que « le sang des aristocrates n’etaIt pas si pur » Il est né dans une famille monarchiste. Il se retrouve, par le plus grand des hasards, dans une berline avec... la famille royale. ( vous imaginez, vous, prendre le metro avec la Reine d’Angleterre?...) Le Roi l’emeut en papa-poule. Il prend le Dauphin sur ses genoux ( incroyable, quand on y pense...) Mais la Reine PARLE. Ses propos sur les événements sont fermes, mais conciliants. Elle entrouvre une porte du côté de la Monarchie Constitutionnelle, et, le comble, laisse entrevoir que Barnave pourrait être son héraut pour y parvenir...
La Reine a démarré son trajet pour Montmedy avec Fersen. Elle revient, lors de ce retour forcé, avec un autre chevalier servant ( du moins le sera-t-il devenu en arrivant à Paris...). Deux hommes intelligents, très séduisants aussi, et pourtant tellement différents...
NB C’est bien Mme de Tourzel qui insiste sur le fait que Mme Elisabeth était pratiquement la seule à parler , et que la Reine ne faisait que reprendre ses arguments, ce qui affaiblissait son propos.... cf post page 1 de « retour de Montmedy à Paris », Ct d’Hezecques.
Il faudrait ainsi se replonger dans les témoignages de première main : Tourzel, Pétion, Barnave peut-être ?( je ne sais plus s’il a laissé un témoignage ?) Et n’oublions pas la petite Marie-Thérèse...
Il serait important de savoir la place qu’a pu prendre Elisabeth dans ce huis-clos. Y compris lors du fameux repas de midi chez le maire de la Ferté s Jouarre , avec sa terrasse sur la Marne, où je me suis rendu, non sans émotion. Je crois me souvenir que les deux « sœurs » s’étaient réparti la tâche: Pétion pour l’une, Barnave pour l’autre...
Quant à l’argumentaire supposé d’Elisabeth, nul doute qu’il ne pouvait être que pertinent, mais enfin, sa position en politique était, on le sait, bien plus réactionnaire que celle de la Reine, sans parler du Roi. Ce fut la cause de moultes disputes entre eux. Alors ? aurait -elle réussi à être plus convaincante que la Reine, face à un Barnave ?
Surtout, vous avez raison, Barnave « veut » la Reine. Tout le monde « veut » la Reine, pour la séduire ou la détruire, ou bien les deux. J’aime votre idée de talisman : la Reine est fetichisée , bien plus que le Roi, qui apparaît, lors de ce retour, dans toute sa nudité: oui, le Roi est nu, c’est un gros homme somnolent qui s’en revient, et sur lequel on peut cracher sans être arrêté par la garde ...
Alors , j’aime bien imaginer ( mais les sources, les sources...) un combat très animal entre Marie-Antoinette et Barnave, un combat entre une tigresse et un loup ... C’est tellement « too much », que Pétion , qui n’a sans doute jamais vu ça ... pète les plombs...
On pourrait donc supposer que, dans cette affaire, la Reine ( et le Roi ) laissent la petite sœur développer son argumentaire. Mais la Reine se réserve de rectifier, argumenter, dans le sens que l’on connaît bien : « le Roi est parti parce que sa personne était attaquée. Il aime son peuple, il a compris, en traversant ses province que celui-ci était attaché à la constitution. Il ne souhaitait pas quitter le royaume... La Reine et lui savent reconnaître les hommes de bonne volonté, y compris parmi les révolutionnaires, et Barnave fait partie de ceux -ci, etc. »
La prose d’Elisabeth est différente, probablement plus factuelle, plus passionnée aussi. Les paroles qui s’échappent des lèvres de la Reine sont (comment dire?), plus graves, plus « royales », même pour ce tribun qui estimait que « le sang des aristocrates n’etaIt pas si pur » Il est né dans une famille monarchiste. Il se retrouve, par le plus grand des hasards, dans une berline avec... la famille royale. ( vous imaginez, vous, prendre le metro avec la Reine d’Angleterre?...) Le Roi l’emeut en papa-poule. Il prend le Dauphin sur ses genoux ( incroyable, quand on y pense...) Mais la Reine PARLE. Ses propos sur les événements sont fermes, mais conciliants. Elle entrouvre une porte du côté de la Monarchie Constitutionnelle, et, le comble, laisse entrevoir que Barnave pourrait être son héraut pour y parvenir...
La Reine a démarré son trajet pour Montmedy avec Fersen. Elle revient, lors de ce retour forcé, avec un autre chevalier servant ( du moins le sera-t-il devenu en arrivant à Paris...). Deux hommes intelligents, très séduisants aussi, et pourtant tellement différents...
NB C’est bien Mme de Tourzel qui insiste sur le fait que Mme Elisabeth était pratiquement la seule à parler , et que la Reine ne faisait que reprendre ses arguments, ce qui affaiblissait son propos.... cf post page 1 de « retour de Montmedy à Paris », Ct d’Hezecques.
Vicq d Azir- Messages : 3676
Date d'inscription : 07/11/2014
Age : 76
Localisation : Paris x
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