Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
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Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Entre la Sainte-Reine, aujourd'hui 7 septembre, et le 2 novembre, anniversaire de la reine, je vous propose une série de dix messages autour d'un portrait de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier, revenu en France suite à une vente aux enchères en 2019.
Deux messages cette semaine, les 7 et 9 septembre et ensuite tous les mardi, jusqu'au 2 novembre!
I - INTRODUCTION
En 2019, Bukowskis mettait en vente à Stockholm un portrait ovale de Marie-Antoinette, lot #363 de son « importante vente de printemps » des 4 et 5 juin. La reine y est représentée en buste, un voile lui couvre la tête et tombe sur les épaules avant de s’enrouler sur le corsage. Ce tableau était connu jusqu’alors par une seule image, déjà diffusée par la même maison Bukowskis à l’occasion d’une première vente en 1993. De définition très médiocre, la photographie permettait néanmoins de reconnaître la jeune reine dans une représentation inédite.
Les nouvelles images mises en ligne en 2019 offraient une qualité bien supérieure, elles laissaient aussi deviner des mérites réels à ce portrait de la reine âgée d’une vingtaine d’années. La notice précisait que la toile, attribuée à Jean-Laurent Mosnier, était datée de 1776 et qu’elle avait appartenu au XIXe siècle à Arsène Houssaye, célèbre littérateur français dont la collection fut dispersée en 1896.
Les deux-cent quarante lots de la vente Houssaye, les 22 et 23 mai 1896 à l’Hôtel Drouot, ont fait l’objet d’un catalogue, mais le portrait de Mosnier (lot #77) ne figure pas parmi les œuvres reproduites. Il ne se distingue pas non plus sur les deux clichés de l’Atelier Nadar, pris dans la Galerie et le Grand Salon de l’hôtel parisien où l’homme de lettres avait rassemblé sa prestigieuse collection.
Le livret de 1896 reste muet sur la provenance de l’œuvre et ne dit rien des précédents propriétaires. Cent vingt-trois ans plus tard, le catalogue Bukowskis ne donne pas plus de précisions sur l’itinéraire du portrait au XXe siècle…
Les photos de 2019 ont fait l’effet d’une véritable découverte. Elles ne pouvaient que susciter la curiosité en raison de l’identité du modèle et du prestige de la signature… Si les représentations de Marie-Antoinette ne font pas défaut, les portraits véritables sont rares, entendons les effigies réalisées du vivant de la reine et pour lesquelles la vraisemblance d’une séance de pose peut raisonnablement être avancée. Le nom de Mosnier apparaît à plusieurs reprises dans l’iconographie de Marie-Antoinette au milieu des années 1770 et l’on sait qu’il prend le titre de « peintre de la reine » en 1776.
L’étude de cette toile permettrait-elle de confirmer une attribution à Mosnier et d’inscrire ce portrait dans la catégorie prestigieuse des œuvres posées ?
De retour en France après la deuxième vente Bukowskis, la toile a été confiée par son nouveau dépositaire aux soins d’un atelier de restauration éminent, à quelques encablures du Château de Versailles. Un travail méticuleux et méthodique allait y être patiemment conduit, appuyé sur des analyses de réflectographie infrarouge et des prises de vues sous fluorescence d’ultraviolets.
Présenté par Bukowskis comme un tableau rentoilé, le portrait avait en fait été transposé, c’est-à-dire séparé de son support d’origine pour être remonté sur une nouvelle toile. Assez courant à diverses époques, ce procédé délicat et très invasif présente des risques d’arrachement pendant le transfert et peut ensuite influencer la stabilité de la couche picturale. Il est rarement effectué sans dommage pour la toile d’origine. De manière assez prévisible, le portrait revenu de Stockholm à Versailles affichait donc des repeints, certains plus récents que d’autres. Aux repeints techniques, inévitables pour combler les pertes de matière suite au changement de support, s’ajoutaient visiblement des repeints de style, obéissant cette fois à des parti-pris purement esthétiques…
Et donc, tout en figurant une Marie-Antoinette très reconnaissable, le tableau attribué à Mosnier en livrait une image altérée, vraisemblablement adoucie et affaiblie par rapport à l’œuvre d’origine que le recours à la science permettrait de retrouver.
Enfin, peut-être… Car, à ce stade, l’espoir du collectionneur de récupérer la couche picturale originale dans son intégrité restait un pari ! Tout au long d’un travail rigoureux et assidu, les restauratrices ont été guidées par la seule recherche de la plus grande authenticité. Le respect de la peinture d’origine et sa valorisation offraient en effet la seule voie possible pour tenter de retrouver l’image, telle que Mosnier – ou tout autre peintre… – avait pu la peindre. C’est à cette condition que l’on pourrait ensuite évaluer la valeur iconographique véritable de ce portrait, peut-être même sa valeur patrimoniale.
La restauration du tableau est aujourd’hui achevée, le portrait prend toute sa place dans l’iconographie de Marie-Antoinette au cours de la seconde moitié des années 1770.
De belle facture, il témoigne de la main très sûre d’un peintre qui fait aussi preuve de discernement psychologique. L’artiste a livré une toile attrayante aux coloris très lumineux, une image sensible, belle sans être mièvre, susceptible de séduire les fervents de la reine et d’intéresser les amateurs de portraits. Nous y voyons des carnations typiquement XVIIIe siècle, avec des ombres vertes bleutées, des teintes fraiches et naturelles. Désormais aussi proche que possible de son état d’origine, le visage retrouve son expressivité et affiche une vraie cohérence morphologique et anatomique qui le rattache d’emblée à de nombreuses représentations de Marie-Antoinette.
C’est l’histoire de cette restauration minutieuse et risquée que je propose d’illustrer en interrogeant le contexte spécifique dans lequel le tableau vient s’inscrire. Car la promenade vaut surtout par les détours qu’elle permet et auxquels elle invite!
Aussi l’enquête ne sera-t-elle pas linéaire...
Tout au long des neuf chapitres qui suivront cette introduction, nous allons prendre le temps de la digression et emprunter quelques chemins de traverse.
Au-delà de la description du tableau et du récit de son sauvetage, il est en effet nécessaire de situer l’œuvre dans l’iconographie de Marie-Antoinette au milieu des années 1770, avant d’en proposer une interprétation raisonnée.
Voici donc le programme des semaines à venir :
2. Les affinités de Marie-Antoinette en matière de peinture ; un rapport complexe à sa propre image
3. La prééminence de Gautier Dagoty dans l’iconographie des premières années du règne
4. Un portrait venu de Suède, issu d’une collection parisienne prestigieuse au XIXe siècle
5. Jean-Laurent Mosnier, miniaturiste de talent et « peintre de la reine »
6. Constat d’état d’une toile transposée
7. Chronique d’une restauration délicate et minutieuse
8. Un portrait restauré en quête de récit
9. Hypothèse de représentation
10. Conclusion - Valeur patrimoniale
Deux messages cette semaine, les 7 et 9 septembre et ensuite tous les mardi, jusqu'au 2 novembre!
I - INTRODUCTION
En 2019, Bukowskis mettait en vente à Stockholm un portrait ovale de Marie-Antoinette, lot #363 de son « importante vente de printemps » des 4 et 5 juin. La reine y est représentée en buste, un voile lui couvre la tête et tombe sur les épaules avant de s’enrouler sur le corsage. Ce tableau était connu jusqu’alors par une seule image, déjà diffusée par la même maison Bukowskis à l’occasion d’une première vente en 1993. De définition très médiocre, la photographie permettait néanmoins de reconnaître la jeune reine dans une représentation inédite.
Les nouvelles images mises en ligne en 2019 offraient une qualité bien supérieure, elles laissaient aussi deviner des mérites réels à ce portrait de la reine âgée d’une vingtaine d’années. La notice précisait que la toile, attribuée à Jean-Laurent Mosnier, était datée de 1776 et qu’elle avait appartenu au XIXe siècle à Arsène Houssaye, célèbre littérateur français dont la collection fut dispersée en 1896.
Vente Bukowskis du 24 novembre 1993 - Vente Bukowskis du 4 juin 2019, lot 363
Marie-Antoinette par Jean-Laurent Mosnier (attr.), huile sur toile, 1776
(source des images : Artnet ; Bukowskis, Stockholm)
Marie-Antoinette par Jean-Laurent Mosnier (attr.), huile sur toile, 1776
(source des images : Artnet ; Bukowskis, Stockholm)
Les deux-cent quarante lots de la vente Houssaye, les 22 et 23 mai 1896 à l’Hôtel Drouot, ont fait l’objet d’un catalogue, mais le portrait de Mosnier (lot #77) ne figure pas parmi les œuvres reproduites. Il ne se distingue pas non plus sur les deux clichés de l’Atelier Nadar, pris dans la Galerie et le Grand Salon de l’hôtel parisien où l’homme de lettres avait rassemblé sa prestigieuse collection.
Le livret de 1896 reste muet sur la provenance de l’œuvre et ne dit rien des précédents propriétaires. Cent vingt-trois ans plus tard, le catalogue Bukowskis ne donne pas plus de précisions sur l’itinéraire du portrait au XXe siècle…
clichés de l’Atelier Nadar à l’hôtel d’Arsène Houssaye, avenue de Friedland (fin du XIXe siècle)
(source des images : Gallica)
(source des images : Gallica)
Les photos de 2019 ont fait l’effet d’une véritable découverte. Elles ne pouvaient que susciter la curiosité en raison de l’identité du modèle et du prestige de la signature… Si les représentations de Marie-Antoinette ne font pas défaut, les portraits véritables sont rares, entendons les effigies réalisées du vivant de la reine et pour lesquelles la vraisemblance d’une séance de pose peut raisonnablement être avancée. Le nom de Mosnier apparaît à plusieurs reprises dans l’iconographie de Marie-Antoinette au milieu des années 1770 et l’on sait qu’il prend le titre de « peintre de la reine » en 1776.
L’étude de cette toile permettrait-elle de confirmer une attribution à Mosnier et d’inscrire ce portrait dans la catégorie prestigieuse des œuvres posées ?
De retour en France après la deuxième vente Bukowskis, la toile a été confiée par son nouveau dépositaire aux soins d’un atelier de restauration éminent, à quelques encablures du Château de Versailles. Un travail méticuleux et méthodique allait y être patiemment conduit, appuyé sur des analyses de réflectographie infrarouge et des prises de vues sous fluorescence d’ultraviolets.
Présenté par Bukowskis comme un tableau rentoilé, le portrait avait en fait été transposé, c’est-à-dire séparé de son support d’origine pour être remonté sur une nouvelle toile. Assez courant à diverses époques, ce procédé délicat et très invasif présente des risques d’arrachement pendant le transfert et peut ensuite influencer la stabilité de la couche picturale. Il est rarement effectué sans dommage pour la toile d’origine. De manière assez prévisible, le portrait revenu de Stockholm à Versailles affichait donc des repeints, certains plus récents que d’autres. Aux repeints techniques, inévitables pour combler les pertes de matière suite au changement de support, s’ajoutaient visiblement des repeints de style, obéissant cette fois à des parti-pris purement esthétiques…
Et donc, tout en figurant une Marie-Antoinette très reconnaissable, le tableau attribué à Mosnier en livrait une image altérée, vraisemblablement adoucie et affaiblie par rapport à l’œuvre d’origine que le recours à la science permettrait de retrouver.
Enfin, peut-être… Car, à ce stade, l’espoir du collectionneur de récupérer la couche picturale originale dans son intégrité restait un pari ! Tout au long d’un travail rigoureux et assidu, les restauratrices ont été guidées par la seule recherche de la plus grande authenticité. Le respect de la peinture d’origine et sa valorisation offraient en effet la seule voie possible pour tenter de retrouver l’image, telle que Mosnier – ou tout autre peintre… – avait pu la peindre. C’est à cette condition que l’on pourrait ensuite évaluer la valeur iconographique véritable de ce portrait, peut-être même sa valeur patrimoniale.
La restauration du tableau est aujourd’hui achevée, le portrait prend toute sa place dans l’iconographie de Marie-Antoinette au cours de la seconde moitié des années 1770.
De belle facture, il témoigne de la main très sûre d’un peintre qui fait aussi preuve de discernement psychologique. L’artiste a livré une toile attrayante aux coloris très lumineux, une image sensible, belle sans être mièvre, susceptible de séduire les fervents de la reine et d’intéresser les amateurs de portraits. Nous y voyons des carnations typiquement XVIIIe siècle, avec des ombres vertes bleutées, des teintes fraiches et naturelles. Désormais aussi proche que possible de son état d’origine, le visage retrouve son expressivité et affiche une vraie cohérence morphologique et anatomique qui le rattache d’emblée à de nombreuses représentations de Marie-Antoinette.
C’est l’histoire de cette restauration minutieuse et risquée que je propose d’illustrer en interrogeant le contexte spécifique dans lequel le tableau vient s’inscrire. Car la promenade vaut surtout par les détours qu’elle permet et auxquels elle invite!
Aussi l’enquête ne sera-t-elle pas linéaire...
Tout au long des neuf chapitres qui suivront cette introduction, nous allons prendre le temps de la digression et emprunter quelques chemins de traverse.
détail du portrait avant restauration, tel que vendu par Bukowskis le 4 juin 2019
(source de l’image : Bukowskis, Stockholm)
(source de l’image : Bukowskis, Stockholm)
Au-delà de la description du tableau et du récit de son sauvetage, il est en effet nécessaire de situer l’œuvre dans l’iconographie de Marie-Antoinette au milieu des années 1770, avant d’en proposer une interprétation raisonnée.
Voici donc le programme des semaines à venir :
2. Les affinités de Marie-Antoinette en matière de peinture ; un rapport complexe à sa propre image
3. La prééminence de Gautier Dagoty dans l’iconographie des premières années du règne
4. Un portrait venu de Suède, issu d’une collection parisienne prestigieuse au XIXe siècle
5. Jean-Laurent Mosnier, miniaturiste de talent et « peintre de la reine »
6. Constat d’état d’une toile transposée
7. Chronique d’une restauration délicate et minutieuse
8. Un portrait restauré en quête de récit
9. Hypothèse de représentation
10. Conclusion - Valeur patrimoniale
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" Ai-je vu dans sa société quelque chose qui ne fût pas marqué au coin de la grâce, de la bonté et du goût? "
(Prince de Ligne, au sujet de "la charmante reine")
Bonnefoy du Plan- Messages : 390
Date d'inscription : 06/08/2018
Localisation : Le Maine
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Bonnefoy du Plan a écrit:
Voici donc le programme des semaines à venir :
... un programme très alléchant et studieux, comme toujours avec vous, mon cher Bonnefoy .
Nous allons nous régaler !
_________________
... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Bonnefoy du Plan a écrit:
Deux messages cette semaine, les 7 et 9 septembre et ensuite tous les mardi, jusqu'au 2 novembre!
Formidable !!
Merci beaucoup de partager ici les résultats de vos passionnantes recherches.
Dans l'attente du cinquième chapitre de votre programme (Jean-Laurent Mosnier, miniaturiste de talent et « peintre de la reine »), je signale notre humble sujet où nous retrouvons quelques miniatures de l'artiste et l'annonce de la vente aux enchères du portrait qui nous intéresse ici.
Portraits de Marie-Antoinette par et attribués à Jean-Laurent Mosnier
Je sens que, d'ici quelques jours, je vais devoir procéder à quelques corrections dans ce vieux sujet.
La nuit, la neige- Messages : 18132
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Merci mon cher Bonnefoy, nous allons suivre pas à pas le cheminement de tes recherches ainsi que les différentes étapes de restauration de ce beau portrait.
La "transposition" est pratiquée depuis longue date. Au XVIIIème siècle, Marie-Jacob Godefroid, qui était installée devant la colonnade du Louvre, pratiquait cette technique : cf. notre sujet : https://marie-antoinette.forumactif.org/t4840-les-godefroid-famille-de-restaurateurs-de-tableaux-et-peintres-aux-xviiie-et-xixe-siecles
Ce que je trouve intéressant dans le portrait de Stockholm est que Marie-Antoinette porte un voile de virginité ou voile de vestale... alors qu'elle est habillée "en civil" semble-t-il ? (si je puis dire )
La "transposition" est pratiquée depuis longue date. Au XVIIIème siècle, Marie-Jacob Godefroid, qui était installée devant la colonnade du Louvre, pratiquait cette technique : cf. notre sujet : https://marie-antoinette.forumactif.org/t4840-les-godefroid-famille-de-restaurateurs-de-tableaux-et-peintres-aux-xviiie-et-xixe-siecles
Ce que je trouve intéressant dans le portrait de Stockholm est que Marie-Antoinette porte un voile de virginité ou voile de vestale... alors qu'elle est habillée "en civil" semble-t-il ? (si je puis dire )
Duc d'Ostrogothie- Messages : 3227
Date d'inscription : 04/11/2017
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Un grand merci, cher Bonnefoy, pour vos recherches et pour les avoir partagées avec nous! J'ai remarqué ce portrait (que j'aime beaucoup ) dans la vente de Bukowskis en 2019, mais il y avait trop de doutes sur sa provenance. Même avec les modifications j'y trouve une Marie-Antoinette très belle et avec beaucoup de caractère.
J'ai hâte de découvrir la reine restaurée des années 1770... Votre programme est passionnant !
J'ai hâte de découvrir la reine restaurée des années 1770... Votre programme est passionnant !
Lady Bess- Messages : 101
Date d'inscription : 14/01/2018
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Lady Bess a écrit:Même avec les modifications j'y trouve une Marie-Antoinette très belle et avec beaucoup de caractère.
J'ai hâte de découvrir la reine restaurée des années 1770...
C’est en effet à une redécouverte qu’il faut s’attendre et à un visage « débarbouillé » . Ce que vous avez vu jusqu’ici, c’est bien elle, mais ce n’est pas tout-à-fait le visage que le peintre a voulu rendre dans la deuxième partie des années 1770...
Nous en approcher "le plus possible" est bien tout l’enjeu de cette véritable aventure !
La nuit, la neige a écrit:Dans l'attente du cinquième chapitre de votre programme (Jean-Laurent Mosnier, miniaturiste de talent et « peintre de la reine »), je signale notre humble sujet où nous retrouvons quelques miniatures de l'artiste et l'annonce de la vente aux enchères du portrait qui nous intéresse ici.
Mais cher LNLN vous ne croyez pas si bien dire et cette page du Forum – votre page ! – est à l’origine de toutes celles qui vont suivre dans ce fil. Car, sans votre vigilance habituelle, l’information n’aurait pas circulé et la vente aurait pu passer inaperçue du principal intéressé. Le tableau serait ainsi resté en Suède pour quelques décennies de plus...
En résumé, vous êtes responsable et coupable ! Soyez-en infiniment remercié !
Le duc d'Ostrogothie a écrit:Ce que je trouve intéressant dans le portrait de Stockholm est que Marie-Antoinette porte un voile de virginité ou voile de vestale... alors qu'elle est habillée "en civil" semble-t-il ? (si je puis dire
Tu fais bien de nous renvoyer à cet excellent post de LNLN au sujet de la famille Godefroid. Le sujet est passionnant en effet et j’ai lu quelques petites choses pour ne pas être trop ignorant avant d’écrire un ou deux paragraphes sur le sujet dans les posts à suivre.
Les restauratrices qui ont travaillé sur le tableau m’ont proposé une petite bibliographie sur le sujet :
Etienne N : La restauration des peintures à paris (1759-1815), pratiques et discours sur la matérialité des œuvres d’art (Ed. Presses Universitaires de Rennes, Rennes 2012)
Nous y retrouvons les Godefroid, bien sûr...
Emile-Male G : Pour une histoire de la restauration des peintures en France (Rd. Somogy édition d’art et INP, Paris 2008)
Rostain E. : Rentoilage et transposition, Ed erec, Puteaux, 1980
Appelbaum B. : Conservation treatment methodology (Ed. Butterworth-Heinemann, Londres, 2007)
Elles m’ont aussi rappelé que la transposition « a été avant tout mise en place pour des raisons souvent de praticité, notamment pour le déplacement des fresques, mosaïques et autres grands formats lors des premières fouilles menées au XVIIIe siècle. C’est ainsi que, par extension, de nombreux bois ont été transposés sur toile, car plus faciles à déplacer. Dans de très rares cas, elle est justifiée pour un support défectueux. Ces interventions étaient souvent des actes de « bravoure », permettant de montrer les savoir-faire techniques des intervenants ».
De ce voile et de ce costume en civil, il sera en effet question, mais one thing at a time, Ta Grâce , ne sois pas trop pressé !
Mme de Sabran a écrit:un programme très alléchant et studieux
Oui, oui, mine de rien j’ai bossé un peu depuis 2 ans...
Soumettre à notre aimable assemblée certaines hypothèses est maintenant un nouveau moment important de cette recherche où je pense avoir répondu à certaines questions, bien conscient du fait que d’autres restent en suspens.
Car, puisque je suis sérieux, je n’élucubre pas et donc ce sera beaucoup moins drôle que la lecture de certains blogs... Vous imaginez ce que des imaginations plus fertiles auraient pu échafauder à partir d’un portrait séduisant de Marie-Antoinette soudain revenu de ... Suède !
Vous serez amusée de savoir que c’est avec les services du Royal Collection Trust que je travaille en ce moment pour aller plus loin sur un point peut-être essentiel que j’aborderai dans le chapitre VII. Comme toujours le personnel du RCT se montre des plus aimables et coopératifs (le Trust fonctionne comme une entreprise commerciale, très ouverte au partage des documents de la Collection royale, il suffit en fait de payer...).
Quoi qu’il en soit, aller chercher confirmation chez la reine Elizabeth d’une hypothèse de recherche concernant un tableau de la reine Marie-Antoinette est le genre de chose qui est bien fait pour me plaire... Et donc, quelle que soit la conclusion, nous aurons un inédit de plus sur ce blog grâce à Sa Majesté !
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Bonnefoy du Plan- Messages : 390
Date d'inscription : 06/08/2018
Localisation : Le Maine
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Hum, voyons voir...Bonnefoy du Plan a écrit:
Car, puisque je suis sérieux, je n’élucubre pas et donc ce sera beaucoup moins drôle que la lecture de certains blogs... Vous imaginez ce que des imaginations plus fertiles auraient pu échafauder à partir d’un portrait séduisant de Marie-Antoinette soudain revenu de ... Suède !
J'ai beau chercher, me creuser les méninges, rassembler mes esprits ...
Non, non, cher Bonnefoy, je n'imagine pas du tout !
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Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
PREMIER CHAPITRE aujourd’hui, dont vous comprendrez sans doute mieux pourquoi j’ai voulu commencer ainsi lorsque nous arriverons à l’hypothèse de représentation et au récit que le tableau nous permet de tenir sur Marie-Antoinette (nous serons alors au chapitre IX).
La lecture de Jeanne-Arnaud Bouteloup il y a bien longtemps (pas aussi loin tout de même que l’édition originale en 1924 !) et - dans les années récentes - celle de plusieurs livres de l’école anglo-saxonne sur le mécénat des femmes sous l’Ancien Régime m’ont conduit à rappeler ici quelques faits pour réfuter certaines idées encore trop souvent répandues sur l'indifférence de Marie-Antoinette en matière artistique.
Si vous m’avez lu précédemment au sujet du mécénat de la princesse de Lamballe et de la passion commune que la reine et elle partageaient pour les estampes anglaises, vous reconnaîtrez alors certains développements en fin de sujet (il se répète Bonnefoy, il se répète !...)
II - LES AFFINITÉS DE MARIE-ANTOINETTE EN MATIÈRE DE PEINTURE,
UN RAPPORT COMPLEXE À SA PROPRE IMAGE
1. la piètre réputation artistique de la reine dans les mémoires de Madame Campan
Les mémoires de Madame Campan fourmillent d’anecdotes où l’ancienne première femme de chambre de Marie-Antoinette donne parfois l’illusion qu’elle seule aurait bénéficié de la confiance sans réserve de la reine et de ses confidences. Généralement laudatrice et bienveillante, Madame Campan étonne lorsqu’elle parle du rapport de Marie-Antoinette à l’art. Qu’il s’agisse de ses goûts propres ou de son activité de mécène, elle laisse entendre que la reine a négligé ses responsabilités, une attitude qu’elle résume dans un passage fameux où elle prétend que Marie-Antoinette n’a aucun goût pour la peinture :
« La reine ne pouvait pas porter sur cet art ce jugement éclairé, ou simplement ce goût qui suffit, dans les princes, pour protéger et faire éclore les plus grands talents ; elle avouait tout bonnement qu’elle ne voyait dans un portrait que le seul mérite de la ressemblance. Lorsqu’elle allait au Louvre, à l’exposition des tableaux, elle parcourait rapidement les petits tableaux de genre, et sortait sans avoir, disait-elle, levé les yeux vers les grandes compositions. » (Tome 1, Chapitre VII).
Jean Chalon définit avec justesse le « ton Campan » dans l’introduction à la réédition des Mémoires au Mercure de France en 1988, « un ton qui est unique et qui reflète parfaitement la personnalité de celle qui écrit : un subtil mélange de bonté et de vitriol … qui porte Madame Campan à la partialité » (p. 9-10).
Les souvenirs de Madame Campan semblent toujours satisfaire aujourd’hui les auteurs les plus pressés, qui dissertent sur l’esprit dilettante de Marie-Antoinette en matière culturelle pour souligner – dans ce domaine comme dans les autres – son incurable légèreté et son inconséquence.
Légère, forcément légère !...
Il est pourtant bien insuffisant de s’arrêter à la seule Madame Campan si l’on prétend parler des affinités et du rôle de Marie-Antoinette en matière artistique. Après elle, plusieurs auteurs ont étudié cette question dans le détail, notamment Jeanne Arnaud-Bouteloup, dont l’enquête fouillée et les constats mesurés sur le rapport de Marie-Antoinette à tous les arts continue de faire date (Marie-Antoinette et l’art de son temps, Paris, 1924).
Plus près de nous, d’autres historiens, souvent anglo-saxons et auteurs d’études consacrées au rôle joué par les femmes en tant que protectrices des arts et à leur mécénat, ont exploité journaux et correspondances et cité d’autres sources. Ils montrent que Madame Campan est – au mieux – rapide dans ses assertions, que d’autres anecdotes et surtout des faits viennent démentir. C’est vrai pour la peinture ou l’architecture, ça l’est encore plus pour la musique et le théâtre sans oublier les arts décoratifs, l’art des jardins et la mode. Dans chacun de ces domaines, le nom de Marie-Antoinette reste indissociable de réalisations insignes, qui désignent son époque parmi les plus brillantes et les plus distinguées de l’art français.
Faire ce constat ne veut pas dire - à l’évidence ! - que Marie-Antoinette serait à l’origine de cet art ou même qu’elle l’aurait directement inspiré. Mais, par son goût propre et par son discernement, la reine a su distinguer et encourager les meilleurs artistes dans les disciplines qui lui tenaient à cœur. Guidés par son exigence, ils se sont dépassés pour laisser des œuvres qui signent l’éclat du règne et renseignent mieux qu’un discours sur le raffinement extrême de Marie-Antoinette et de sa Cour. En ce sens, loin d’avoir failli, Marie-Antoinette a bien joué le rôle qui lui revenait, celui d’encourager le meilleur de la production de son temps et de créer une véritable émulation dans son entourage.
Excusez du peu !
Constitué sur une période dont on ne souligne jamais assez l’extrême brièveté, cet héritage reste un grand absent des mémoires d’une Madame Campan habituellement très prolixe mais ici bien approximative… Vouloir en rendre compte n’est pas céder à une flatterie d’usage ou un hommage de circonstance, comme pourrait y inviter trop facilement la gravure de Prévost, ici reproduite. C’est avant tout tenter d’éclairer les choix artistiques de Marie-Antoinette et rechercher les influences qui les motivent ainsi que les buts qu’elle poursuit, une démarche d’autant plus nécessaire dès lors qu’il est question de l’image que renvoient d’elle les peintres qu’elle missionne.
L’étude du tableau attribué à Mosnier répond à de telles interrogations. Elle tente de définir la place de cette image dans ce qui subsiste de l’iconographie de Marie-Antoinette dans la deuxième partie des années 1770, et cherche à percer les motifs de la reine lorsqu’elle se fait représenter telle que nous la voyons sur ce portrait pour le moins « atypique ».
2. Marie-Antoinette et la peinture, un rapport complexe à sa propre image
Dès le début du règne, de nombreux peintres cherchent à fixer les traits de la reine, à l’huile ou au pastel, en grand ou en miniature. Certains tentent leur chance avec des portraits de leur propre initiative, mais les plus nombreux sont appelés par Marie-Antoinette elle-même, sans qu’il soit toujours possible d’attester s’ils obtiennent les séances de pose nécessaires pour peindre d’après nature.
Plus encore qu’aux sollicitations extérieures, cette production inégale – aujourd’hui partiellement perdue – répond chez Marie-Antoinette au besoin de trouver l’artiste qui lui renverra une image d’elle-même susceptible de la rassurer. Car, si Marie-Antoinette a – de l’avis unanime – beaucoup d’aisance, elle manque aussi parfois d’assurance dans cette Cour où elle se sait épiée et se sent isolée.
Depuis son arrivée à Versailles, la jeune princesse doit également répondre aux demandes incessantes de sa mère qui, dès 1771, trépigne pour recevoir un portrait en pied qu’elle mettra finalement aussi longtemps à attendre que Marie-Antoinette à devenir mère. Dans l’intervalle, des portraits sont bien expédiés à Vienne, mais seuls les deux premiers y rencontrent l’approbation générale (le buste en marbre de Le Moyne et le pastel de Krantzinger, les deux en 1771). Si Marie-Antoinette attend de Marie-Thérèse qu’elle la réconforte et la rassure sur son aspect physique, elle se trompe… En mai 1771 – Marie-Antoinette est alors âgée de 15 ans et demi, un moment souvent ingrat de l’adolescence, princesse ou pas… – Marie-Thérèse disserte dans sa lettre mensuelle sur le « bonheur d’être aimé », « unique ressource et bonheur de notre état ». D’une manière plutôt abrupte, elle écrit : « Vous l’avez si parfaitement acquis ! Ne le perdez pas, en négligeant ce qui vous l’a procuré : ce n’est ni votre beauté, qui effectivement ne l’est pas telle, ni vos talents, ni savoir (vous savez bien que tout cela n’existe pas) ; c’est votre bonté de cœur, cette franchise, ces attentions, appliquées avec tant de jugement. » Une page de plus à verser au compte de la relation mère-fille, une page bien peu susceptible de donner confiance à la jeune fille…
Pas étonnant que Marie-Antoinette tarde ensuite à expédier les portraits demandés quand ceux qui lui sont présentés ne sont pas à son goût ! Les citations de la correspondance fille-mère sur le sujet sont bien connues : « On me peint actuellement ; il est bien vrai que les peintres n'ont pas encore attrapé ma ressemblance. » (13 août 1773, Marie-Antoinette à Marie-Thérèse) ; « C'est bien à moi de me désoler de n'avoir pu encore trouver un peintre qui attrape ma ressemblance ; si j'en trouvais un, je lui donnerais tout le temps qu'il voudrait, et quand même il ne pourrait en faire qu'une mauvaise copie, j'aurais un grand plaisir de la consacrer à ma chère maman. » (18 octobre 1774, Marie-Antoinette à Marie-Thérèse) ; « Les peintres me tuent et désespèrent ; j'ai retardé le courrier pour laisser finir mon portrait ; on vient de me l'apporter : il est si peu ressemblant que je ne puis l'envoyer. J'espère en avoir un bon pour le mois prochain. » (16 novembre 1774, Marie-Antoinette à Marie-Thérèse). Cette dernière citation montre une Marie-Antoinette opiniâtre, qui appelle alors une grande diversité d’artistes auxquels il est probablement demandé de travailler rapidement. Ces artistes gravitent nécessairement dans des milieux proches de la Cour, sans être pour autant des peintres de premier plan susceptibles d’être sollicités pour les commandes officielles des Bâtiments du Roi. A ces talents inégaux correspondent des résultats mitigés, qui n’ont laissé le souvenir d’aucun chef d’œuvre.
Le 17 décembre 1774, on lit encore cette nouvelle remarque de la reine à l’impératrice : « On vient enfin de m'apporter deux portraits ; ils ne sont pas encore tels que je les désirerais pour ma chère maman, pourtant j'espère qu'elle ne sera pas mécontente, surtout du petit. » Et donc, loin d’être convaincue, Marie-Antoinette laisse expédier de nouveaux portraits dont Vienne n’a pas cultivé la mémoire et qui dorment peut-être quelque part dans les réserves.
La correspondance de Mercy avec le baron de Neny fournit d’autres détails qui soulignent les efforts faits à Versailles pour satisfaire Marie-Thérèse. Et pour que le très placide Florimond laisse pointer son agacement auprès du secrétaire de l’impératrice, il faut que cette dernière l’ait sans doute poussé à bout. « De ma connaissance notre auguste souveraine a huit ou dix portraits de la reine, soit en miniature, soit en bustes ou estampes, le tout parfaitement mauvais, sans nulle ressemblance, comme vous avez été en état d'en juger vous-même. Ce serait en vérité trahir le désir de S. M. que de lui envoyer encore deux portraits qui fussent de la classe des premiers. Il faut donc lui en procurer deux excellents. Or il n'y a pas à Versailles ni à Paris un seul portrait de la reine peint à l'huile par un bon peintre, et cela est si vrai qu'il est dû à la dame d'honneur un portrait de la reine, que S. M. en a promis un au prince de Starhemberg, qu'elle a daigné me faire pareille grâce, et qu'aucun de ces portraits n'a encore été donné, malgré nos réclamations. » (19 janvier 1775, comte de Mercy-Argenteau au baron de Neny). Le portrait promis à Starhemberg lui sera donné en 1777, nous y reviendrons en donnant l’épilogue de ces échanges récurrents au tournant des années 1774 et 1775.
Notons au passage l’opinion très mesurée de Mercy quant aux mérites des peintres français en matière de portrait ! Très amusant, quand on connait les œuvres que produisaient dans le même temps les artistes travaillant à la chaine pour la Cour de Vienne... Mais cet avis tout en nuances de Mercy souligne surtout une vérité très étrange à observer : cinq ans après son arrivée en France, il n’existe pas un tableau de qualité qui fasse référence pour représenter la nouvelle reine de France et en diffuser l’image. Triste et éclairant constat, alors même que le portrait connaît un véritable âge d’or !...
Madame Campan a beau jeu de déplorer que « les plus misérables artistes étaient admis à l’honneur de la peindre », cette quête fébrile de Marie-Antoinette traduit avant tout la carence des voies officielles tout comme elle exprime un rapport complexe de la reine à sa propre image.
Louée pour son éclat et la grâce de ses manières plus que pour la régularité de ses traits, Marie-Antoinette a conscience d’être belle sans être véritablement jolie. Et la jeune femme de vingt ans donnerait beaucoup pour trouver un peintre qui saurait à la fois montrer la dignité de son rang et conserver sa ressemblance, tout en portant sur son visage l’éclairage propre à faire d’elle la jolie femme qu’elle voudrait être.
3. le mécénat discret de la reine pour la peinture et les arts graphiques
Les goûts de la reine en matière de peinture la portent vers des genres alors considérés comme mineurs. C’est un fait, elle préfère les paysages, les natures mortes et les portraits aux grandes compositions de la peinture d’histoire et aux fresques héroïques d’un David, dont l’emphase et l’austérité moralisatrices ont peu pour lui plaire. Le jugement de Madame Campan s’explique peut-être aussi en partie parce qu’elle écrit à une époque où le magistère de ce dernier écrase toujours le domaine de la peinture.
Dans les genres qu’elle affectionne, Marie-Antoinette accorde sa protection à des peintres très différents. Nombre d’entre eux reçoivent le titre de « peintre de la reine » et bénéficient de son mécénat dans des registres en effet divers et parfois inattendus.
De Ducreux à Kucharski, les portraitistes ne la quittent pas tout au long de son séjour en France et ils sont sans conteste les peintres les plus présents auprès d’elle. Nul besoin de revenir ici sur les liens de confiance qu’elle établit avec sa portraitiste préférée, Louise-Elisabeth Vigée Le Brun.
Marie-Antoinette protège aussi des peintres de genre comme l’académicienne Anne Vallayer-Coster, dont elle apprécie les natures mortes et les paysages. En 1779, la reine obtient pour la jeune académicienne un logement au Louvre, non sans avoir fait pression avec insistance sur les ministres d’Angiviller et Vergennes. Plusieurs lettres sont alors échangées, qui montrent l’implication directe de la reine : « Vous avez bien voulu, Monsieur (...) autant céder à votre amour pour les arts qu’avoir égard à la recommandation de la reine en faveur de Mlle Vallayer » (Angiviller à Vergennes, 17 mars 1779) ; ou encore « la reine, qui honore Mlle Vallayer d’une protection particulière, désire que le logement lui soit accordé sans distraction » (23 juin 1779). Début 1780, l’artiste obtient finalement la jouissance d’un logement sous la Grande Galerie. Est-ce pour remercier la reine qu’elle lui offre en 1779 un buste de vestale, ou s’agit-il d’une commande de Marie-Antoinette ? Quoi qu’il en soit, au Salon de 1779, l’œuvre est bien présentée comme « appartenant à la reine ».
Anne Vallayer-Coster (1744-1818)
Buste d’une jeune vestale
huile sur toile (46,0 x 38,4 cm), 1779, collection particulière
autrefois dans la collection de Marie-Antoinette
(source de l’image : catalogue d’exposition Anne Vallayer-Coster, Somogy Editions d’Art, 2003)
L’été suivant, Mlle Vallayer – alors encouragée par d’Angiviller à peindre aussi le portrait pour favoriser une carrière à la Cour – livre un pastel de la reine. Très réussi pour le visage et l’expression générale, ce portrait affiche malheureusement une grande maladresse dans le dessin du bras et de la main.
En 1781, Marie-Antoinette signe l’acte de mariage d’Anne Vallayer avec Jean-Pierre Silvestre Coster et assiste au mariage à Versailles le 21 avril. Nous relevons ici une attitude très caractéristique de Marie-Antoinette qui, lorsqu’elle prend quelqu’un sous sa protection, s’engage véritablement en sa faveur et n’hésite pas à s’afficher. C’est notoirement le cas avec les artistes, et plus encore les femmes artistes pour lesquelles des appuis puissants sont plus nécessaires encore qu’à d’autres pour voir leur talent reconnu.
La faveur de la reine va aussi à Jean Pillement, à qui elle demande plusieurs peintures décoratives au Petit Trianon. Par ses changements de style, ce peintre de genre et ornemaniste brillant illustre parfaitement les évolutions du goût au XVIIIe siècle. Citons aussi – autre exemple – le dessinateur animalier et paysagiste Louis-Auguste Brun, très habile portraitiste à ses heures, qui a laissé d’elle deux tableaux équestres, plus intéressants par l’évocation de courses endiablées que par l’étude du visage.
Il ne faut pas oublier Hubert Robert dont le rôle dans la création des jardins du Petit Trianon est bien connu et documenté. Ce peintre lorrain, proche de la reine, a également conçu les décors de la salle de spectacle aménagée dans l’aile neuve du Château de Versailles pour servir de théâtre ordinaire à la Cour. L’imaginaire poétique et la sensibilité d’Hubert Robert ont tout pour séduire Marie-Antoinette, que l’on associe sans peine à ses évocations du jardin à l'anglaise du Petit Trianon, telle la réception du 6 juin 1782 en l'honneur du futur Paul 1er de Russie et de son épouse dans un parc tout illuminé.
Marie-Antoinette a également favorisé la carrière de Claude-Louis Châtelet, autre peintre paysager de talent, qui – pour reprendre l’expression d’Emmanuel de Waresquiel dans son livre « Juger la reine » – devint plus tard en tant que juré du Tribunal révolutionnaire « un tueur de bonne foi » (page 29). Un tueur d’octobre, en 1793, face à celle qu’il aura successivement « adulée, jugée et condamnée » (page 32), une énigme d’homme comme la période révolutionnaire en révèle tant et qui laisse sans voix...
Si le nom de Pierre-Joseph Redouté reste surtout attaché à celui de l’impératrice Joséphine, dont il fut le peintre officiel, c’est d’abord sous la protection de Marie-Antoinette qu’il commence à peindre ses fameuses aquarelles de fleurs. En 1788, le botaniste Charles-Louis L’Héritier de Brutelle introduit Redouté à la Cour où il montre ses travaux à la reine. Marie-Antoinette le soutient alors immédiatement et il reçoit le titre de dessinateur et peintre du Cabinet de la Reine.
D’un côté, l’intérêt croissant pour les intérieurs habités par la reine est aujourd’hui régulièrement entretenu par les programmes de restaurations qui se succèdent à Versailles et dans les autres résidences royales ; de l’autre, les historiens de l'art lisent le luxe et l'élégance, mais ils interprètent rarement ces espaces soigneusement conçus et minutieusement restitués comme la manifestation d'un goût bien informé et encore moins comme la marque d’une connaissance éclairée. Plus de pages sont noircies pour railler les caprices et l’impatience de Marie-Antoinette à faire exécuter tel ou tel programme ou pour dénigrer son goût tapissier de décoratrice compulsive que de réflexions sont lancées pour chercher à distinguer ce qui donne une vraie cohérence à l’univers esthétique qu’elle définit pour elle-même dans ses différentes demeures.
Les historiens de l’art n’ont que tardivement manifesté un véritable intérêt pour le rôle joué par les femmes en tant que protectrices ou mécènes dans le domaine des beaux-arts. Il est vrai que si Marie-Antoinette ou une autre princesse de la famille royale apportent leur soutien à un artiste ou achètent ses œuvres, « leur démarche ne donne pas systématiquement lieu à la rédaction de documents officiels, ou alors elle s’effectue indirectement, de sorte que notre connaissance est assez lacunaire et que nous en sommes souvent réduits à des conjectures » (Melissa Hyde, dans Anne Vallayer-Coster, page 88).
Les collections dispersées des courtisans français du XVIIIe siècle forment aujourd'hui l'épine dorsale de galeries et de musées parmi les plus célèbres au monde. A quoi donc alors attribuer cette réticence à considérer Marie-Antoinette comme une « vraie » mécène et collectionneuse d'art ? Sans doute en partie au fait que son nom reste avant tout lié aux arts décoratifs, longtemps considérés secondaires et peu valorisés jusqu’à une date récente dans la recherche en histoire de l'art. Des arts décoratifs de plus ternis par leur association avec un régime discrédité, synonyme d’excès et de gabegie... Enfin, quelle que soit la pertinence des propos expéditifs d’Henriette Campan, il faut bien constater que son opinion a porté. Il ne s’agit pas de prétendre tout aussi sottement que Marie-Antoinette était une grande collectionneuse visionnaire mais nous avons suffisamment de faits pour réfuter l’idée selon laquelle elle et ses pairs n'étaient que des "décorateurs" insignifiants et que leur patronage n’allait pas plus loin que « les barbotages insouciants d'une clique ignorante ». Cette dernière expression est très brillamment démontée par l’historienne britannique Sarah Grant dans son livre « Female portraiture and Patronage in Marie-Antoinette’ s Court » (Routledge, 2019), consacré principalement à la princesse de Lamballe et à son mécénat.
Sarah Grant s’est penchée par exemple sur les goûts artistiques et les achats de Marie-Antoinette et de la princesse. Son livre donne des informations inattendues, qui illustrent notamment un goût partagé par les deux amies pour les gravures anglaises, très significatif de l’anglomanie d’alors. Les substantielles collections d'estampes anglaises qu’elles ont constituées sont en grande partie connues, grâce à des archives complètes et précises sur plusieurs années. Elles témoignent d’un intérêt commun pour la culture anglaise, au même titre que les somptueux jardins « anglais » que l’une et l’autre font aménager. La veine sentimentale domine les achats de Marie-Antoinette. Les vertus domestiques, l’amour maternel ou encore des scènes rurales édifiantes s’y distinguent également, avec des sujets souvent inspirés de la littérature contemporaine. C’est dans les pièces les plus intimes, les couloirs et les passages, aujourd’hui vides et nus, qu’il faut imaginer cette profusion d’images.
L’impression qui se dessine est celle d’un véritable tableau visuel, une mise en scène élégante et sensible pour exalter une féminité domestiquée et volontiers moralisatrice, portée par des sentiments élevés.
L’analyse des factures montre aussi que la reine surveille la parution des nouvelles estampes et qu’elle s’empresse de faire acquérir pour sa collection celles qui l’intéressent ! Elle opère un véritable choix et n’achète pas en bloc. Sa consommation de gravures suggère chez elle le désir de connaître et comprendre la sociabilité anglaise, elle montre aussi que Marie-Antoinette était au fait des événements contemporains qui marquaient les esprits et faisaient l’actualité outre-Manche, et qu’elle connaissait les personnalités les plus en vue.
Aux scènes élégiaques et édifiantes s’ajoutent en effet de nombreux portraits, personnages royaux et officiels – pas de vraie surprise ici – mais aussi artistes à la mode, les uns et les autres représentés par des peintres et graveurs qui sont les grandes références de l’école britannique. Des scènes de la vie domestique s’intègrent aussi à cet ensemble très diversifié, dont il faut souligner qu’il est très largement dominé par les représentations féminines.
On trouve ainsi chez la reine les portraits imprimés en couleurs des gloires du théâtre géorgien et autres célébrités du temps, telles Sarah Siddons, Elizabeth Hartley, Elizabeth Sheridan, Frances Abington ou encore Mary Robinson.
Cercle choisi de femmes, pour une femme elle-même éprise de théâtre et soutien actif de femmes artistes !
De telles « trouvailles » autour d’une collection d’estampes ne révolutionnent bien évidemment pas l’histoire de l’art. Elles ne suffisent pas non plus à définir ou résumer le mécénat de Marie-Antoinette ou à faire de celui-ci quelque chose de particulièrement remarquable ou exceptionnel.
En revanche, elles montrent tout l’intérêt d’élargir la conception du mécénat artistique dans les dernières années d’Ancien Régime, en incluant des modèles alternatifs qui tiennent mieux compte du rôle effectif joué par les femmes dans le cadre rigide où elles peuvent véritablement exercer leur propre influence. Elles manifestent aussi qu’il est possible d'être un mécène, un collectionneur enthousiaste et averti (et d'être perçu comme tel), sans qu’il soit obligatoirement question d’œuvres architecturales monumentales ou de vastes collections de tableaux, lesquelles dépendent d’ailleurs tout autant d’un « patrimoine de départ » que des moyens disponibles pour l’augmenter. Marie-Antoinette n’a pas le goût du grand genre, soit ! Cela n’en fait pas pour autant une indifférente et il est possible d’être sensible à la peinture sans faire allégeance à David. Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, elle ne compose pas un personnage pour donner le change, elle laisse parler ses préférences.
Limité sans doute à des domaines bien définis, sans prétention à l’universalité, sans moyens véritables pour imposer par ailleurs de quelconques programmes d’envergure en bousculant au passage les rouages de l’administration royale, le mécénat de la reine a néanmoins bien existé, y compris pour la peinture et les arts graphiques.
Pour le portrait, c’est avec constance que Marie-Antoinette sollicite les peintres, afin qu’ils « attrapent » sa ressemblance et créent pour elle les images qu’elle cherchera ensuite à imposer à l’opinion publique.
Le prochain chapitre la verra faire appel de manière récurrente à un peintre qui est loin de réunir tous les suffrages – et certainement pas ceux de la grincheuse Campan – mais qui, par la faveur qu’il a reçue de la reine pendant les premières années du règne, a fixé des images parmi les plus emblématiques et les plus durables de Marie-Antoinette jusqu’à aujourd’hui.
Ce peintre, c’est bien sûr Jean-Baptiste-André Gautier Dagoty.
La lecture de Jeanne-Arnaud Bouteloup il y a bien longtemps (pas aussi loin tout de même que l’édition originale en 1924 !) et - dans les années récentes - celle de plusieurs livres de l’école anglo-saxonne sur le mécénat des femmes sous l’Ancien Régime m’ont conduit à rappeler ici quelques faits pour réfuter certaines idées encore trop souvent répandues sur l'indifférence de Marie-Antoinette en matière artistique.
Si vous m’avez lu précédemment au sujet du mécénat de la princesse de Lamballe et de la passion commune que la reine et elle partageaient pour les estampes anglaises, vous reconnaîtrez alors certains développements en fin de sujet (il se répète Bonnefoy, il se répète !...)
Détail du portrait restauré (DR)
II - LES AFFINITÉS DE MARIE-ANTOINETTE EN MATIÈRE DE PEINTURE,
UN RAPPORT COMPLEXE À SA PROPRE IMAGE
1. la piètre réputation artistique de la reine dans les mémoires de Madame Campan
Les mémoires de Madame Campan fourmillent d’anecdotes où l’ancienne première femme de chambre de Marie-Antoinette donne parfois l’illusion qu’elle seule aurait bénéficié de la confiance sans réserve de la reine et de ses confidences. Généralement laudatrice et bienveillante, Madame Campan étonne lorsqu’elle parle du rapport de Marie-Antoinette à l’art. Qu’il s’agisse de ses goûts propres ou de son activité de mécène, elle laisse entendre que la reine a négligé ses responsabilités, une attitude qu’elle résume dans un passage fameux où elle prétend que Marie-Antoinette n’a aucun goût pour la peinture :
« La reine ne pouvait pas porter sur cet art ce jugement éclairé, ou simplement ce goût qui suffit, dans les princes, pour protéger et faire éclore les plus grands talents ; elle avouait tout bonnement qu’elle ne voyait dans un portrait que le seul mérite de la ressemblance. Lorsqu’elle allait au Louvre, à l’exposition des tableaux, elle parcourait rapidement les petits tableaux de genre, et sortait sans avoir, disait-elle, levé les yeux vers les grandes compositions. » (Tome 1, Chapitre VII).
Jean Chalon définit avec justesse le « ton Campan » dans l’introduction à la réédition des Mémoires au Mercure de France en 1988, « un ton qui est unique et qui reflète parfaitement la personnalité de celle qui écrit : un subtil mélange de bonté et de vitriol … qui porte Madame Campan à la partialité » (p. 9-10).
Les souvenirs de Madame Campan semblent toujours satisfaire aujourd’hui les auteurs les plus pressés, qui dissertent sur l’esprit dilettante de Marie-Antoinette en matière culturelle pour souligner – dans ce domaine comme dans les autres – son incurable légèreté et son inconséquence.
Légère, forcément légère !...
Il est pourtant bien insuffisant de s’arrêter à la seule Madame Campan si l’on prétend parler des affinités et du rôle de Marie-Antoinette en matière artistique. Après elle, plusieurs auteurs ont étudié cette question dans le détail, notamment Jeanne Arnaud-Bouteloup, dont l’enquête fouillée et les constats mesurés sur le rapport de Marie-Antoinette à tous les arts continue de faire date (Marie-Antoinette et l’art de son temps, Paris, 1924).
Jeanne-Louise-Henriette Campan, née Genest (1752-1822)
à g. Joseph Boze, pastel, 1786 (81,2x64,4cm), à l’époque où elle est auprès de Marie-Antoinette
à d. Julie Hugo, huile sur toile, 1856 (73x59cm), surintendante de la maison impériale de la Légion d’honneur
Musées de Versailles et de Trianon
(source des images : site internet des Musées de Versailles et Trianon)
à g. Joseph Boze, pastel, 1786 (81,2x64,4cm), à l’époque où elle est auprès de Marie-Antoinette
à d. Julie Hugo, huile sur toile, 1856 (73x59cm), surintendante de la maison impériale de la Légion d’honneur
Musées de Versailles et de Trianon
(source des images : site internet des Musées de Versailles et Trianon)
Plus près de nous, d’autres historiens, souvent anglo-saxons et auteurs d’études consacrées au rôle joué par les femmes en tant que protectrices des arts et à leur mécénat, ont exploité journaux et correspondances et cité d’autres sources. Ils montrent que Madame Campan est – au mieux – rapide dans ses assertions, que d’autres anecdotes et surtout des faits viennent démentir. C’est vrai pour la peinture ou l’architecture, ça l’est encore plus pour la musique et le théâtre sans oublier les arts décoratifs, l’art des jardins et la mode. Dans chacun de ces domaines, le nom de Marie-Antoinette reste indissociable de réalisations insignes, qui désignent son époque parmi les plus brillantes et les plus distinguées de l’art français.
Faire ce constat ne veut pas dire - à l’évidence ! - que Marie-Antoinette serait à l’origine de cet art ou même qu’elle l’aurait directement inspiré. Mais, par son goût propre et par son discernement, la reine a su distinguer et encourager les meilleurs artistes dans les disciplines qui lui tenaient à cœur. Guidés par son exigence, ils se sont dépassés pour laisser des œuvres qui signent l’éclat du règne et renseignent mieux qu’un discours sur le raffinement extrême de Marie-Antoinette et de sa Cour. En ce sens, loin d’avoir failli, Marie-Antoinette a bien joué le rôle qui lui revenait, celui d’encourager le meilleur de la production de son temps et de créer une véritable émulation dans son entourage.
Excusez du peu !
Constitué sur une période dont on ne souligne jamais assez l’extrême brièveté, cet héritage reste un grand absent des mémoires d’une Madame Campan habituellement très prolixe mais ici bien approximative… Vouloir en rendre compte n’est pas céder à une flatterie d’usage ou un hommage de circonstance, comme pourrait y inviter trop facilement la gravure de Prévost, ici reproduite. C’est avant tout tenter d’éclairer les choix artistiques de Marie-Antoinette et rechercher les influences qui les motivent ainsi que les buts qu’elle poursuit, une démarche d’autant plus nécessaire dès lors qu’il est question de l’image que renvoient d’elle les peintres qu’elle missionne.
L’étude du tableau attribué à Mosnier répond à de telles interrogations. Elle tente de définir la place de cette image dans ce qui subsiste de l’iconographie de Marie-Antoinette dans la deuxième partie des années 1770, et cherche à percer les motifs de la reine lorsqu’elle se fait représenter telle que nous la voyons sur ce portrait pour le moins « atypique ».
Hommage des Arts à Marie-Antoinette
eau-forte de Benoît-Louis Prévost d’après Charles-Nicolas Cochin, 1776 (35,7x24,8cm)
Bibliothèque nationale de France, Collection Hennin, N° 9588
(source de l’image : Gallica)
eau-forte de Benoît-Louis Prévost d’après Charles-Nicolas Cochin, 1776 (35,7x24,8cm)
Bibliothèque nationale de France, Collection Hennin, N° 9588
(source de l’image : Gallica)
2. Marie-Antoinette et la peinture, un rapport complexe à sa propre image
Dès le début du règne, de nombreux peintres cherchent à fixer les traits de la reine, à l’huile ou au pastel, en grand ou en miniature. Certains tentent leur chance avec des portraits de leur propre initiative, mais les plus nombreux sont appelés par Marie-Antoinette elle-même, sans qu’il soit toujours possible d’attester s’ils obtiennent les séances de pose nécessaires pour peindre d’après nature.
Plus encore qu’aux sollicitations extérieures, cette production inégale – aujourd’hui partiellement perdue – répond chez Marie-Antoinette au besoin de trouver l’artiste qui lui renverra une image d’elle-même susceptible de la rassurer. Car, si Marie-Antoinette a – de l’avis unanime – beaucoup d’aisance, elle manque aussi parfois d’assurance dans cette Cour où elle se sait épiée et se sent isolée.
Depuis son arrivée à Versailles, la jeune princesse doit également répondre aux demandes incessantes de sa mère qui, dès 1771, trépigne pour recevoir un portrait en pied qu’elle mettra finalement aussi longtemps à attendre que Marie-Antoinette à devenir mère. Dans l’intervalle, des portraits sont bien expédiés à Vienne, mais seuls les deux premiers y rencontrent l’approbation générale (le buste en marbre de Le Moyne et le pastel de Krantzinger, les deux en 1771). Si Marie-Antoinette attend de Marie-Thérèse qu’elle la réconforte et la rassure sur son aspect physique, elle se trompe… En mai 1771 – Marie-Antoinette est alors âgée de 15 ans et demi, un moment souvent ingrat de l’adolescence, princesse ou pas… – Marie-Thérèse disserte dans sa lettre mensuelle sur le « bonheur d’être aimé », « unique ressource et bonheur de notre état ». D’une manière plutôt abrupte, elle écrit : « Vous l’avez si parfaitement acquis ! Ne le perdez pas, en négligeant ce qui vous l’a procuré : ce n’est ni votre beauté, qui effectivement ne l’est pas telle, ni vos talents, ni savoir (vous savez bien que tout cela n’existe pas) ; c’est votre bonté de cœur, cette franchise, ces attentions, appliquées avec tant de jugement. » Une page de plus à verser au compte de la relation mère-fille, une page bien peu susceptible de donner confiance à la jeune fille…
Pas étonnant que Marie-Antoinette tarde ensuite à expédier les portraits demandés quand ceux qui lui sont présentés ne sont pas à son goût ! Les citations de la correspondance fille-mère sur le sujet sont bien connues : « On me peint actuellement ; il est bien vrai que les peintres n'ont pas encore attrapé ma ressemblance. » (13 août 1773, Marie-Antoinette à Marie-Thérèse) ; « C'est bien à moi de me désoler de n'avoir pu encore trouver un peintre qui attrape ma ressemblance ; si j'en trouvais un, je lui donnerais tout le temps qu'il voudrait, et quand même il ne pourrait en faire qu'une mauvaise copie, j'aurais un grand plaisir de la consacrer à ma chère maman. » (18 octobre 1774, Marie-Antoinette à Marie-Thérèse) ; « Les peintres me tuent et désespèrent ; j'ai retardé le courrier pour laisser finir mon portrait ; on vient de me l'apporter : il est si peu ressemblant que je ne puis l'envoyer. J'espère en avoir un bon pour le mois prochain. » (16 novembre 1774, Marie-Antoinette à Marie-Thérèse). Cette dernière citation montre une Marie-Antoinette opiniâtre, qui appelle alors une grande diversité d’artistes auxquels il est probablement demandé de travailler rapidement. Ces artistes gravitent nécessairement dans des milieux proches de la Cour, sans être pour autant des peintres de premier plan susceptibles d’être sollicités pour les commandes officielles des Bâtiments du Roi. A ces talents inégaux correspondent des résultats mitigés, qui n’ont laissé le souvenir d’aucun chef d’œuvre.
Le 17 décembre 1774, on lit encore cette nouvelle remarque de la reine à l’impératrice : « On vient enfin de m'apporter deux portraits ; ils ne sont pas encore tels que je les désirerais pour ma chère maman, pourtant j'espère qu'elle ne sera pas mécontente, surtout du petit. » Et donc, loin d’être convaincue, Marie-Antoinette laisse expédier de nouveaux portraits dont Vienne n’a pas cultivé la mémoire et qui dorment peut-être quelque part dans les réserves.
Joseph Ducreux (1735-1802)
portrait de la reine au pastel (72 x 61 cm), vers 1775-1777, Turin, Museo di Palazzo Reale
« les peintres me tuent et désespèrent... » (Marie-Antoinette à Marie-Thérèse, le 16 novembre 1774)
(source de l’image : Museo di Palazzo Reale, DR)
portrait de la reine au pastel (72 x 61 cm), vers 1775-1777, Turin, Museo di Palazzo Reale
« les peintres me tuent et désespèrent... » (Marie-Antoinette à Marie-Thérèse, le 16 novembre 1774)
(source de l’image : Museo di Palazzo Reale, DR)
La correspondance de Mercy avec le baron de Neny fournit d’autres détails qui soulignent les efforts faits à Versailles pour satisfaire Marie-Thérèse. Et pour que le très placide Florimond laisse pointer son agacement auprès du secrétaire de l’impératrice, il faut que cette dernière l’ait sans doute poussé à bout. « De ma connaissance notre auguste souveraine a huit ou dix portraits de la reine, soit en miniature, soit en bustes ou estampes, le tout parfaitement mauvais, sans nulle ressemblance, comme vous avez été en état d'en juger vous-même. Ce serait en vérité trahir le désir de S. M. que de lui envoyer encore deux portraits qui fussent de la classe des premiers. Il faut donc lui en procurer deux excellents. Or il n'y a pas à Versailles ni à Paris un seul portrait de la reine peint à l'huile par un bon peintre, et cela est si vrai qu'il est dû à la dame d'honneur un portrait de la reine, que S. M. en a promis un au prince de Starhemberg, qu'elle a daigné me faire pareille grâce, et qu'aucun de ces portraits n'a encore été donné, malgré nos réclamations. » (19 janvier 1775, comte de Mercy-Argenteau au baron de Neny). Le portrait promis à Starhemberg lui sera donné en 1777, nous y reviendrons en donnant l’épilogue de ces échanges récurrents au tournant des années 1774 et 1775.
Notons au passage l’opinion très mesurée de Mercy quant aux mérites des peintres français en matière de portrait ! Très amusant, quand on connait les œuvres que produisaient dans le même temps les artistes travaillant à la chaine pour la Cour de Vienne... Mais cet avis tout en nuances de Mercy souligne surtout une vérité très étrange à observer : cinq ans après son arrivée en France, il n’existe pas un tableau de qualité qui fasse référence pour représenter la nouvelle reine de France et en diffuser l’image. Triste et éclairant constat, alors même que le portrait connaît un véritable âge d’or !...
Madame Campan a beau jeu de déplorer que « les plus misérables artistes étaient admis à l’honneur de la peindre », cette quête fébrile de Marie-Antoinette traduit avant tout la carence des voies officielles tout comme elle exprime un rapport complexe de la reine à sa propre image.
Louée pour son éclat et la grâce de ses manières plus que pour la régularité de ses traits, Marie-Antoinette a conscience d’être belle sans être véritablement jolie. Et la jeune femme de vingt ans donnerait beaucoup pour trouver un peintre qui saurait à la fois montrer la dignité de son rang et conserver sa ressemblance, tout en portant sur son visage l’éclairage propre à faire d’elle la jolie femme qu’elle voudrait être.
3. le mécénat discret de la reine pour la peinture et les arts graphiques
Les goûts de la reine en matière de peinture la portent vers des genres alors considérés comme mineurs. C’est un fait, elle préfère les paysages, les natures mortes et les portraits aux grandes compositions de la peinture d’histoire et aux fresques héroïques d’un David, dont l’emphase et l’austérité moralisatrices ont peu pour lui plaire. Le jugement de Madame Campan s’explique peut-être aussi en partie parce qu’elle écrit à une époque où le magistère de ce dernier écrase toujours le domaine de la peinture.
Dans les genres qu’elle affectionne, Marie-Antoinette accorde sa protection à des peintres très différents. Nombre d’entre eux reçoivent le titre de « peintre de la reine » et bénéficient de son mécénat dans des registres en effet divers et parfois inattendus.
De Ducreux à Kucharski, les portraitistes ne la quittent pas tout au long de son séjour en France et ils sont sans conteste les peintres les plus présents auprès d’elle. Nul besoin de revenir ici sur les liens de confiance qu’elle établit avec sa portraitiste préférée, Louise-Elisabeth Vigée Le Brun.
Marie-Antoinette protège aussi des peintres de genre comme l’académicienne Anne Vallayer-Coster, dont elle apprécie les natures mortes et les paysages. En 1779, la reine obtient pour la jeune académicienne un logement au Louvre, non sans avoir fait pression avec insistance sur les ministres d’Angiviller et Vergennes. Plusieurs lettres sont alors échangées, qui montrent l’implication directe de la reine : « Vous avez bien voulu, Monsieur (...) autant céder à votre amour pour les arts qu’avoir égard à la recommandation de la reine en faveur de Mlle Vallayer » (Angiviller à Vergennes, 17 mars 1779) ; ou encore « la reine, qui honore Mlle Vallayer d’une protection particulière, désire que le logement lui soit accordé sans distraction » (23 juin 1779). Début 1780, l’artiste obtient finalement la jouissance d’un logement sous la Grande Galerie. Est-ce pour remercier la reine qu’elle lui offre en 1779 un buste de vestale, ou s’agit-il d’une commande de Marie-Antoinette ? Quoi qu’il en soit, au Salon de 1779, l’œuvre est bien présentée comme « appartenant à la reine ».
Anne Vallayer-Coster (1744-1818)
Buste d’une jeune vestale
huile sur toile (46,0 x 38,4 cm), 1779, collection particulière
autrefois dans la collection de Marie-Antoinette
(source de l’image : catalogue d’exposition Anne Vallayer-Coster, Somogy Editions d’Art, 2003)
L’été suivant, Mlle Vallayer – alors encouragée par d’Angiviller à peindre aussi le portrait pour favoriser une carrière à la Cour – livre un pastel de la reine. Très réussi pour le visage et l’expression générale, ce portrait affiche malheureusement une grande maladresse dans le dessin du bras et de la main.
En 1781, Marie-Antoinette signe l’acte de mariage d’Anne Vallayer avec Jean-Pierre Silvestre Coster et assiste au mariage à Versailles le 21 avril. Nous relevons ici une attitude très caractéristique de Marie-Antoinette qui, lorsqu’elle prend quelqu’un sous sa protection, s’engage véritablement en sa faveur et n’hésite pas à s’afficher. C’est notoirement le cas avec les artistes, et plus encore les femmes artistes pour lesquelles des appuis puissants sont plus nécessaires encore qu’à d’autres pour voir leur talent reconnu.
La faveur de la reine va aussi à Jean Pillement, à qui elle demande plusieurs peintures décoratives au Petit Trianon. Par ses changements de style, ce peintre de genre et ornemaniste brillant illustre parfaitement les évolutions du goût au XVIIIe siècle. Citons aussi – autre exemple – le dessinateur animalier et paysagiste Louis-Auguste Brun, très habile portraitiste à ses heures, qui a laissé d’elle deux tableaux équestres, plus intéressants par l’évocation de courses endiablées que par l’étude du visage.
Il ne faut pas oublier Hubert Robert dont le rôle dans la création des jardins du Petit Trianon est bien connu et documenté. Ce peintre lorrain, proche de la reine, a également conçu les décors de la salle de spectacle aménagée dans l’aile neuve du Château de Versailles pour servir de théâtre ordinaire à la Cour. L’imaginaire poétique et la sensibilité d’Hubert Robert ont tout pour séduire Marie-Antoinette, que l’on associe sans peine à ses évocations du jardin à l'anglaise du Petit Trianon, telle la réception du 6 juin 1782 en l'honneur du futur Paul 1er de Russie et de son épouse dans un parc tout illuminé.
Hubert Robert (1733-1808)
Fête de nuit, donnée par la reine au comte du Nord à Trianon
huile sur bois (60 x 75 cm), 1782-1783, Quimper, Musée des Beaux-Arts
(source de l’image : site du Musée de Quimper)
Fête de nuit, donnée par la reine au comte du Nord à Trianon
huile sur bois (60 x 75 cm), 1782-1783, Quimper, Musée des Beaux-Arts
(source de l’image : site du Musée de Quimper)
Marie-Antoinette a également favorisé la carrière de Claude-Louis Châtelet, autre peintre paysager de talent, qui – pour reprendre l’expression d’Emmanuel de Waresquiel dans son livre « Juger la reine » – devint plus tard en tant que juré du Tribunal révolutionnaire « un tueur de bonne foi » (page 29). Un tueur d’octobre, en 1793, face à celle qu’il aura successivement « adulée, jugée et condamnée » (page 32), une énigme d’homme comme la période révolutionnaire en révèle tant et qui laisse sans voix...
Si le nom de Pierre-Joseph Redouté reste surtout attaché à celui de l’impératrice Joséphine, dont il fut le peintre officiel, c’est d’abord sous la protection de Marie-Antoinette qu’il commence à peindre ses fameuses aquarelles de fleurs. En 1788, le botaniste Charles-Louis L’Héritier de Brutelle introduit Redouté à la Cour où il montre ses travaux à la reine. Marie-Antoinette le soutient alors immédiatement et il reçoit le titre de dessinateur et peintre du Cabinet de la Reine.
D’un côté, l’intérêt croissant pour les intérieurs habités par la reine est aujourd’hui régulièrement entretenu par les programmes de restaurations qui se succèdent à Versailles et dans les autres résidences royales ; de l’autre, les historiens de l'art lisent le luxe et l'élégance, mais ils interprètent rarement ces espaces soigneusement conçus et minutieusement restitués comme la manifestation d'un goût bien informé et encore moins comme la marque d’une connaissance éclairée. Plus de pages sont noircies pour railler les caprices et l’impatience de Marie-Antoinette à faire exécuter tel ou tel programme ou pour dénigrer son goût tapissier de décoratrice compulsive que de réflexions sont lancées pour chercher à distinguer ce qui donne une vraie cohérence à l’univers esthétique qu’elle définit pour elle-même dans ses différentes demeures.
Les historiens de l’art n’ont que tardivement manifesté un véritable intérêt pour le rôle joué par les femmes en tant que protectrices ou mécènes dans le domaine des beaux-arts. Il est vrai que si Marie-Antoinette ou une autre princesse de la famille royale apportent leur soutien à un artiste ou achètent ses œuvres, « leur démarche ne donne pas systématiquement lieu à la rédaction de documents officiels, ou alors elle s’effectue indirectement, de sorte que notre connaissance est assez lacunaire et que nous en sommes souvent réduits à des conjectures » (Melissa Hyde, dans Anne Vallayer-Coster, page 88).
Les collections dispersées des courtisans français du XVIIIe siècle forment aujourd'hui l'épine dorsale de galeries et de musées parmi les plus célèbres au monde. A quoi donc alors attribuer cette réticence à considérer Marie-Antoinette comme une « vraie » mécène et collectionneuse d'art ? Sans doute en partie au fait que son nom reste avant tout lié aux arts décoratifs, longtemps considérés secondaires et peu valorisés jusqu’à une date récente dans la recherche en histoire de l'art. Des arts décoratifs de plus ternis par leur association avec un régime discrédité, synonyme d’excès et de gabegie... Enfin, quelle que soit la pertinence des propos expéditifs d’Henriette Campan, il faut bien constater que son opinion a porté. Il ne s’agit pas de prétendre tout aussi sottement que Marie-Antoinette était une grande collectionneuse visionnaire mais nous avons suffisamment de faits pour réfuter l’idée selon laquelle elle et ses pairs n'étaient que des "décorateurs" insignifiants et que leur patronage n’allait pas plus loin que « les barbotages insouciants d'une clique ignorante ». Cette dernière expression est très brillamment démontée par l’historienne britannique Sarah Grant dans son livre « Female portraiture and Patronage in Marie-Antoinette’ s Court » (Routledge, 2019), consacré principalement à la princesse de Lamballe et à son mécénat.
Sarah Grant s’est penchée par exemple sur les goûts artistiques et les achats de Marie-Antoinette et de la princesse. Son livre donne des informations inattendues, qui illustrent notamment un goût partagé par les deux amies pour les gravures anglaises, très significatif de l’anglomanie d’alors. Les substantielles collections d'estampes anglaises qu’elles ont constituées sont en grande partie connues, grâce à des archives complètes et précises sur plusieurs années. Elles témoignent d’un intérêt commun pour la culture anglaise, au même titre que les somptueux jardins « anglais » que l’une et l’autre font aménager. La veine sentimentale domine les achats de Marie-Antoinette. Les vertus domestiques, l’amour maternel ou encore des scènes rurales édifiantes s’y distinguent également, avec des sujets souvent inspirés de la littérature contemporaine. C’est dans les pièces les plus intimes, les couloirs et les passages, aujourd’hui vides et nus, qu’il faut imaginer cette profusion d’images.
L’impression qui se dessine est celle d’un véritable tableau visuel, une mise en scène élégante et sensible pour exalter une féminité domestiquée et volontiers moralisatrice, portée par des sentiments élevés.
L’affection et l’innocence
Peltro William Tomkins, d’après Francesco Bartolozzi, 1785
Gravure au pointillé (306x372mm), inscrite dans les collections d’estampes anglaises de Marie-Antoinette
Musée d’Art et d’Histoire de Genève
(source de l’image, site du Musée d’Art et d’Histoire, Genève)
Peltro William Tomkins, d’après Francesco Bartolozzi, 1785
Gravure au pointillé (306x372mm), inscrite dans les collections d’estampes anglaises de Marie-Antoinette
Musée d’Art et d’Histoire de Genève
(source de l’image, site du Musée d’Art et d’Histoire, Genève)
L’analyse des factures montre aussi que la reine surveille la parution des nouvelles estampes et qu’elle s’empresse de faire acquérir pour sa collection celles qui l’intéressent ! Elle opère un véritable choix et n’achète pas en bloc. Sa consommation de gravures suggère chez elle le désir de connaître et comprendre la sociabilité anglaise, elle montre aussi que Marie-Antoinette était au fait des événements contemporains qui marquaient les esprits et faisaient l’actualité outre-Manche, et qu’elle connaissait les personnalités les plus en vue.
Aux scènes élégiaques et édifiantes s’ajoutent en effet de nombreux portraits, personnages royaux et officiels – pas de vraie surprise ici – mais aussi artistes à la mode, les uns et les autres représentés par des peintres et graveurs qui sont les grandes références de l’école britannique. Des scènes de la vie domestique s’intègrent aussi à cet ensemble très diversifié, dont il faut souligner qu’il est très largement dominé par les représentations féminines.
On trouve ainsi chez la reine les portraits imprimés en couleurs des gloires du théâtre géorgien et autres célébrités du temps, telles Sarah Siddons, Elizabeth Hartley, Elizabeth Sheridan, Frances Abington ou encore Mary Robinson.
Cercle choisi de femmes, pour une femme elle-même éprise de théâtre et soutien actif de femmes artistes !
De telles « trouvailles » autour d’une collection d’estampes ne révolutionnent bien évidemment pas l’histoire de l’art. Elles ne suffisent pas non plus à définir ou résumer le mécénat de Marie-Antoinette ou à faire de celui-ci quelque chose de particulièrement remarquable ou exceptionnel.
En revanche, elles montrent tout l’intérêt d’élargir la conception du mécénat artistique dans les dernières années d’Ancien Régime, en incluant des modèles alternatifs qui tiennent mieux compte du rôle effectif joué par les femmes dans le cadre rigide où elles peuvent véritablement exercer leur propre influence. Elles manifestent aussi qu’il est possible d'être un mécène, un collectionneur enthousiaste et averti (et d'être perçu comme tel), sans qu’il soit obligatoirement question d’œuvres architecturales monumentales ou de vastes collections de tableaux, lesquelles dépendent d’ailleurs tout autant d’un « patrimoine de départ » que des moyens disponibles pour l’augmenter. Marie-Antoinette n’a pas le goût du grand genre, soit ! Cela n’en fait pas pour autant une indifférente et il est possible d’être sensible à la peinture sans faire allégeance à David. Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, elle ne compose pas un personnage pour donner le change, elle laisse parler ses préférences.
Limité sans doute à des domaines bien définis, sans prétention à l’universalité, sans moyens véritables pour imposer par ailleurs de quelconques programmes d’envergure en bousculant au passage les rouages de l’administration royale, le mécénat de la reine a néanmoins bien existé, y compris pour la peinture et les arts graphiques.
Pour le portrait, c’est avec constance que Marie-Antoinette sollicite les peintres, afin qu’ils « attrapent » sa ressemblance et créent pour elle les images qu’elle cherchera ensuite à imposer à l’opinion publique.
Le prochain chapitre la verra faire appel de manière récurrente à un peintre qui est loin de réunir tous les suffrages – et certainement pas ceux de la grincheuse Campan – mais qui, par la faveur qu’il a reçue de la reine pendant les premières années du règne, a fixé des images parmi les plus emblématiques et les plus durables de Marie-Antoinette jusqu’à aujourd’hui.
Ce peintre, c’est bien sûr Jean-Baptiste-André Gautier Dagoty.
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" Ai-je vu dans sa société quelque chose qui ne fût pas marqué au coin de la grâce, de la bonté et du goût? "
(Prince de Ligne, au sujet de "la charmante reine")
Bonnefoy du Plan- Messages : 390
Date d'inscription : 06/08/2018
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Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
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« La mode est à la France ce que les mines du Pérou sont à l'Espagne » Colbert.
Marie-Jeanne- Messages : 1497
Date d'inscription : 16/09/2018
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Bonnefoy du Plan a écrit:
( il se répète Bonnefoy, il se répète !...)
... et nous en redemandons !
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Passionnant !
Merci, cher Bonnefoy.
Merci, cher Bonnefoy.
La nuit, la neige- Messages : 18132
Date d'inscription : 21/12/2013
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Sublime. Merci très cher ami, pour ce reportage sur cette discipline artistique trop méconnue. L'on connaît Son goût pour la musique mais peu pour la peinture.
Moi qui admire Anne Vallayer Coster et qui ne cesse de copier ses œuvres suis aux anges.
Révérence de Cour
Moi qui admire Anne Vallayer Coster et qui ne cesse de copier ses œuvres suis aux anges.
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Un verre d'eau pour la Reine.
Mr de Talaru- Messages : 3193
Date d'inscription : 02/01/2014
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Localisation : près des Cordeliers...
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Magnifique exposé cher Bonnefoy ! Nous attendons avec impatience la suite
Vous devriez en écrire un livre ; je suis sûr qu'il aurait du succès !
Magnifique pastel de la reine Je ne l'ai jamais vu auparavant. Je connais pourtant bien les autres portraits qu'il a effectué de Marie-Antoinette dauphine.
Est-ce qu'on parle bien du portrait qu'on trouve sur wikipedia ?
J'ai du mal à croire que c'est bien un portrait de Vallayer-Coster. On dirait presque un portrait posthume du 19ème siècle... Je n'y reconnais guère les traits si caractéristiques de la reine.
Vous devriez en écrire un livre ; je suis sûr qu'il aurait du succès !
Bonnefoy du Plan a écrit:Joseph Ducreux (1735-1802)
portrait de la reine au pastel (72 x 61 cm), vers 1775-1777, Turin, Museo di Palazzo Reale
« les peintres me tuent et désespèrent... » (Marie-Antoinette à Marie-Thérèse, le 16 novembre 1774)
(source de l’image : Museo di Palazzo Reale, DR)
Magnifique pastel de la reine Je ne l'ai jamais vu auparavant. Je connais pourtant bien les autres portraits qu'il a effectué de Marie-Antoinette dauphine.
Bonnefoy du Plan a écrit:
L’été suivant, Mlle Vallayer – alors encouragée par d’Angiviller à peindre aussi le portrait pour favoriser une carrière à la Cour – livre un pastel de la reine. Très réussi pour le visage et l’expression générale, ce portrait affiche malheureusement une grande maladresse dans le dessin du bras et de la main.
Est-ce qu'on parle bien du portrait qu'on trouve sur wikipedia ?
J'ai du mal à croire que c'est bien un portrait de Vallayer-Coster. On dirait presque un portrait posthume du 19ème siècle... Je n'y reconnais guère les traits si caractéristiques de la reine.
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« elle dominait de la tête toutes les dames de sa cour, comme un grand chêne, dans une forêt, s'élève au-dessus des arbres qui l'environnent. »
Comte d'Hézècques- Messages : 4390
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Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
DEUXIEME CHAPITRE (3ème post) : Que l’on aime ou non Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty, que l’on soit sensible ou non à cette manière bien particulière qu’il a de styliser le visage de la reine en accentuant les traits, il est impossible de faire l’impasse sur cet artiste. Il donne en effet de Marie-Antoinette le plus grand nombre de représentations dans les premières années du règne, secondé par deux de ses frères qui traduisent presque dans le même temps ses portraits par la gravure, quand il ne le fait pas lui-même.
Tout comme Ducreux crée un portrait type de la dauphine, Gautier-Dagoty donne de la jeune reine une représentation qui fait date. Copiée par les peintres, gravée par les plus grands maîtres de la discipline, source d’inspiration pour les miniaturistes, l’image de la reine que fixe Gautier-Dagoty en 1775 est très largement diffusée et devient vite iconique. Si Vigée Le Brun est le peintre de la maturité et Kucharski celui de la Révolution, Gautier-Dagoty est le portraitiste des jeunes années. En dépit des critiques que ses portraits suscitent, il est important de constater qu’il continue à bénéficier de la faveur de Marie-Antoinette.
Il m’apparaît difficile de parler d’un portrait de la reine entre les années 1775 à 1780 sans étudier en quoi il se rapporte au « modèle » Gautier-Dagoty ou de quelle manière il s’en écarte. Je vous propose donc de faire aujourd’hui le point sur les portraits de la reine par Gautier-Dagoty et d’étudier leur influence immédiate, y compris sur un certain Jean-Laurent Mosnier, lequel livre de la reine en 1776 une miniature qui reprend très précisément le buste du tableau en pied de 1775.
En évoquant longuement Jean-Baptiste André et les autres membres du clan Dagoty, nous ne sommes pas tout-à-fait hors-sujet, vous comprendrez bientôt pourquoi.
A nos amis modérateurs de reprendre comme ils le souhaitent certains extraits du long post qui suit pour les intégrer au sujet adéquat sur les Gautier-Dagoty.
III – LA PRÉÉMINENCE DE GAUTIER-DAGOTY
DANS L’ICONOGRAPHIE DES PREMIÈRES ANNÉES DU RÈGNE
1. la carence des institutions officielles pour faire peindre le tableau de la reine en grand apparat
Dès juin 1770, au nom de Louis XV, le marquis de Marigny passe commande d’un grand portrait en pied de la dauphine à Louis-Michel Van Loo. Ce projet n’aboutit pas en raison de la mort du peintre l’année suivante. Les Bâtiments du Roi ne montrent ensuite aucun empressement pour désigner un nouvel artiste, alors même que l’impératrice s’impatiente à Vienne et réclame avec insistance le portrait de sa fille « en grand ». Marie-Thérèse devra attendre ; elle attendra longtemps !
Le défaut des instances officielles (Bâtiments du Roi et Menus Plaisirs) étonne pour le moins... Au règne précédent, l’image officielle de Marie Leszczynska est fixée dès l’époque de son mariage en 1725, avant donc sa première maternité, par des portraits en pied commandés par Louis XV lui-même (à Steimart, sur le modèle du portrait de sa mère, la duchesse de Bourgogne par Santerre) et par les Bâtiments du Roi (à Gobert). Pour Marie-Antoinette, Louis XVI ne prend aucune initiative... et les Bâtiments attendront la seconde décennie du règne pour passer commande de deux tableaux. Deux tableaux seulement ! Le premier, en 1785, sert de cadeau diplomatique pour le roi de Suède, il n’est pas même destiné à être copié ou gravé. Quant au second, en 1787, c’est avant tout la tentative presque désespérée pour restaurer l’image publique de Marie-Antoinette après l’Affaire du Collier. Dans l’un et l’autre cas, la reine n’est pas seule, elle apparaît en compagnie de ses enfants.
Certes, au début du règne, Joseph-Siffred Duplessis reçoit bien la commande d’un portrait en pied de Louis XVI en grand manteau royal, auquel doit s’ajouter celui de la reine en pendant. Le portrait du roi sera bien livré, avec beaucoup de retard, mais celui de la reine ne sera semble-t-il jamais commencé.
Marie-Antoinette décide alors elle-même de faire peindre le portrait d’apparat qui n’existe toujours pas, cinq années après son arrivée à Versailles. En 1775, elle fait appel à Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty (1740-1786), fils et frère d’artistes graveurs, tous curieux et passionnés par les techniques nouvelles, notamment celle de la gravure en couleur où ils se sont fait un nom. Gautier-Dagoty est un peintre en dehors du premier cercle officiel de la Cour, il est néanmoins plutôt bien introduit à Versailles et s’y fait remarquer depuis la fin des années 1760.
En 1776, époque où Jean-Laurent Mosnier est sensé peindre le tableau de la reine qui nous intéresse, nous sommes au cœur d’un moment Gautier-Dagoty dans la longue quête de Marie-Antoinette pour trouver un peintre à son goût. C’est Gautier-Dagoty en effet qui laisse alors le plus grand nombre d’images de la reine dans ses jeunes années, portraits pour lesquels il est avéré que Marie-Antoinette a obligeamment accordé des séances de pose.
Et, n’en déplaise à Henriette Campan, le clan Gautier-Dagoty n’est pas sans intérêt…
Supplique de Jean-Baptiste André-Gautier-Dagoty à Marie-Antoinette
« A la Reine. Madame, J.B.A. G Dagoty ayant eu l’honneur de peindre Votre Majesté
et de lui faire plusieurs portraits, la supplie humblement
de vouloir bien lui permettre de porter le titre de son peintre »
gouache sur papier (détail), 1775 (67,5x54,5cm), Musées de Versailles et de Trianon
(source de l’image : site des Musées de Versailles et de Trianon)
2. Gautier-Dagoty et l’échec d’un premier tableau en buste envoyé à Vienne en mai 1775
En mai 1775, Mercy envoie à Vienne le portrait de Marie-Antoinette en buste que l’impératrice réclame avec insistance depuis plusieurs mois. Le baron de Neny, son secrétaire, écrit à l’ambassadeur dès le 1er juin pour témoigner de la déception de la souveraine, qui trouve le tableau « mauvais, tant pour la ressemblance que pour l’exécution », le visage « trop raccourci » et la parure « peu avantageuse ». Le 23 juin, Mercy-Argenteau répond à Neny : « J’avais bien prévenu que Sa Majesté ne serait pas trop contente du portrait de la reine. Cependant il a été travaillé par le meilleur peintre, le seul au moins qui ait le plus approché de la ressemblance de la reine, et tel qu’est ce portrait il est inutile de penser à en avoir un meilleur de la main des peintres de ce pays-ci. »
La plupart de ceux qui ont écrit sur Marie-Antoinette et ses peintres ont cru voir en Joseph-Siffred Duplessis l’auteur de ce portrait envoyé à Vienne. Son nom apparaît en effet dans une lettre du 19 janvier 1775 de Mercy-Argenteau au baron de Neny, où l’ambassadeur rend compte de ses efforts pour obtenir les copies des portraits en pied du roi et de la reine, dont Duplessis doit livrer les originaux. Le portrait du roi est alors bien commencé, mais le projet traine en longueur car Louis XVI ne met aucune bonne volonté pour poser. Le 18 mars, Mercy doit reconnaître dans sa lettre mensuelle à Marie-Thérèse que « Rien n’est plus vrai que ce que Breteuil a dit sur la non-existence du portrait du roi ; c’est la raison qui m’a mis hors d’état d’exécuter l’ordre que V.M. m’a fait donner depuis longtemps de lui envoyer les portraits du roi et de la reine. » Mais l’ambassadeur montre aussitôt tout son zèle et ajoute avoir obtenu l’aveu de Marie-Antoinette « pour lui envoyer un peintre au commencement de la semaine prochaine. » Charge à cet artiste de faire un portrait en buste « pour patienter », en attendant que Duplessis ait peint ceux en pied.
A la toute fin du XIXe siècle, Jules Flammermont est le premier auteur à publier une étude solide et détaillée sur les portraits de Marie-Antoinette. Quatre articles dans la Gazette des Beaux-Arts présentent un large panorama de l’iconographie de l’archiduchesse, de la dauphine puis de la jeune reine (« Les Portraits de Marie-Antoinette », La Gazette des Beaux-Arts ; livraisons 481, 484, 489 et 491, respectivement juillet et octobre 1897, puis mars et mai 1898). Ils précèdent d’une dizaine d’années les deux volumes d’Albert Vuaflart et Henri Bourin, travaux autrement plus savants et documentés, qui restent la base de toute approche sérieuse de l’iconographie de la reine au temps de sa jeunesse. La première guerre mondiale a hélas interrompu la parution de cette somme prévue à l’origine pour constituer cinq volumes (« Les Portraits de Marie-Antoinette » : l’archiduchesse (1909), la dauphine (1910), Paris, André Marty éditeur). Si la découverte de nouvelles sources a parfois rendu caduques certains développements et infirmé plusieurs hypothèses, les recherches rigoureuses de ces deux grands érudits ne peuvent en aucun cas être négligées.
Flammermont reprend bien l’information donnée par Mercy à l’impératrice en mars, mais à un détail près… Il écrit en effet « Le 18 mars 1775, l’ambassadeur devait avouer qu’on n’en était pas encore au premier coup de pinceau ; toutefois, il avait obtenu d’envoyer la semaine suivante le peintre près de la reine, qui avait promis de lui donner cette séance. » (Troisième article, Gazette des Beaux-Arts du 1er mars 1898, pp. 189-190). Nous lisons chez Mercy « un peintre » là où Flammermont écrit « le peintre »... , ce qui change évidemment le sens ! « Le » peintre serait celui dont il vient d’être question dans la lettre, à savoir Duplessis. Mais « un» peintre renvoie à l’évidence à un autre artiste, auquel Mercy fait appel dans l’urgence pour un portrait en buste, le temps que Duplessis se mette au travail...
Méprise volontaire ou simple étourderie, l’attribution de Flammermont à Duplessis est ensuite reprise par tous les historiens, de Marguerite Jallut à Olivier Blanc. Vuaflart et Bourin ont laissé des notes pour la suite de leur étude. Ils ont mieux lu Mercy et désignent sans ambiguïté le peintre appelé en renfort comme étant Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty. Conservés à l’INHA, leurs manuscrits ont été étudiés par Jérôme Delatour et Lucie Fléjou, qui ont rétabli les circonstances ayant conduit le peintre en présence de la reine. Dans le numéro 22 de la revue Versalia (2019), ils écrivent que Dagoty avait d’abord été pressenti pour exécuter des copies des portraits qui étaient attendus de Duplessis. « Mais, en 1775, Duplessis n’avait pas achevé le portrait du roi, ni commencé celui de la reine. (…) Devant l’impatience de l’impératrice, son ambassadeur à Paris, Mercy-Argenteau, commanda un portrait à Dagoty. Dans le même temps, Dagoty obtint la commande de son portrait en pied. Saisissant sa chance, Dagoty travailla avec diligence. En à peine plus de deux mois, le portrait en buste fut peint et envoyé à Vienne, le 18 mai 1775. » (Versalia, N°22, 2019, « Henri IV, Marie-Antoinette, Louis XVI », p.60). Les travaux de Lucile Paraponaris sur Jean-Baptiste Gautier-Dagoty en 2018 vont dans le même sens. L’auteure y mentionne un article du Journal de Paris en date du 11 janvier 1777, lequel cite une lettre de Dagoty père dont la conclusion est des plus claires au sujet des portraits de la reine peints par son fils aîné : « … de l’ordre de Sa Majesté les tableaux de mon fils ont été envoyés, le premier en buste, à l’impératrice-reine d’Hongrie ; le deuxième, après avoir été exposé au Salon du Colisée, où il a réuni les applaudissements des amateurs, a été remis à M. l’ambassadeur de Vienne, pour être envoyé à Bruxelles. »
Le tableau en pied du roi sera présenté au Salon de 1777, sans pendant pour la reine. Duplessis avait auparavant exposé une version en buste de Louis XVI en 1775, une fois le Salon déjà commencé...
Dans leur article, Jérôme Delatour et Lycie Fléjou avancent l’hypothèse qu’une estampe de grande qualité, conservée à l’INHA, pourrait être la version gravée du portrait de 1775 aujourd’hui disparu. C’est une manière noire, avec utilisation de quatre planches colorées, gravée par Jean-Baptiste André lui-même, d’après sa propre composition.
Cette estampe, si précieuse, est semble-t-il un exemplaire unique. Elle est issue de la collection de Lord Ronald Gower, artiste anglais et collectionneur de gravures, qui vouait à Marie-Antoinette une véritable passion. Sa fameuse « Iconographie de la reine Marie-Antoinette », en 1883, est une pièce rare pour bibliophile, plus qu’une véritable étude, au sens où Flammermont et surtout Vuaflart et Bourin l’ont envisagé ensuite. A côté de la collection d’estampes du baron de Vinck – plus considérable encore et cette fois minutieusement documentée – elle fait néanmoins référence et constitue comme un point de départ à l’étude du vaste catalogue des représentations gravées de Marie-Antoinette.
Une anecdote curieuse reste liée à ce malheureux portrait, celle d’un renvoi à Versailles par une impératrice contrariée. Mais est-ce un fait véritable ou s’agit-il d’une légende ? Les Mémoires secrets du 19 août 1775 (T.8, pp. 172-173) semblent les seuls à s’en faire l’écho. A les suivre, l’impératrice aurait renvoyé le tableau sous prétexte qu’elle y avait trouvé l’image d’une actrice et non celui d’une reine de France. Il faudrait donc imaginer Marie-Thérèse infliger à sa fille un affront public aussi cinglant, alors même que les cérémonies du Couronnement battent leur plein ? Il est difficilement concevable de l’envisager prendre le risque d’affaiblir publiquement sa fille dans un moment aussi sensible ! Ce prétendu incident ne trouve aucune résonance dans la correspondance entre Mercy et Marie-Thérèse, pas plus en juin que les mois suivants, que ce soit les lettres ostensibles ou les Tibi soli réservés à la seule impératrice. Il fait pourtant peu de doute qu’un désaveu aussi marqué aurait donné l’occasion au très courtisan diplomate de se surpasser au registre des excuses et des justifications. Marie-Antoinette n’y fait pas allusion non plus dans les lettres à sa mère, qui toutes ont été conservées pour l’année 1775. Il est décidément bien difficile de donner crédit à cette histoire, qui serait alors une des toutes premières calomnies à s’attacher au nom de la reine… Quoi qu’il en soit, l’été-même du couronnement de Louis XVI, les lecteurs des Mémoires secrets sont invités à y croire, et certains doivent bien ricaner de ce camouflet impérial infligé à cette jeune reine peut-être un peu trop brillante.
Marie-Antoinette n’a pas encore vingt ans et son image – celle que Gautier-Dagoty vient de fixer pour Vienne et qu’il a ensuite développée à Versailles dans un audacieux portrait en pied – apparait déjà ternie. Les hautes coiffures avec leur harnachement de plumes que le peintre a immortalisées ne durent qu’un moment dans l’histoire de la mode, mais ce moment est inscrit à jamais dans la légende de Marie-Antoinette et dans l’histoire de ses représentations visuelles.
3. un grand tableau en pied qui fait date dans l’iconographie de Marie-Antoinette
En 1775, il n’existe donc aucun portrait d’apparat de la reine de France pour servir de modèle pour les présents diplomatiques. Après le portrait en buste destiné à Vienne et en dépit de l’échec rencontré auprès de l’impératrice, Marie-Antoinette conserve sa confiance à Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty auquel elle a également passé commande du portrait en pied qui fait défaut. Un format intermédiaire est choisi (162x130cm), il est probable que Gautier-Dagoty y travaille avant même que le verdict de Vienne ne soit connu.
Ce grand portrait sitôt achevé est présenté dans la galerie des Glaces, le 27 juillet 1775, où il est –semble-t-il – assez largement désavoué par la Cour et une partie des commentateurs. Marie-Antoinette choisit alors la prudence et conserve le tableau qu’elle offrira finalement en 1777 au prince Georg Adam von Starhemberg, ancien ambassadeur d’Autriche en France, en poste à Paris au moment du Renversement des Alliances et alors à Bruxelles (c’est bien ce que nous a dit Jacques Dagoty dans la lettre citée plus haut). Le portrait reviendra à Versailles en 1954, donné au Musée national par le commandant Paul-Louis Weiller.
Pour Marguerite Jallut, le tableau original datait de décembre 1774 et sa présentation officielle avait été différée. Il aurait également été copié et celui de Versailles ne serait qu’une copie parmi celles qui ont été faites pour être distribuées comme cadeaux royaux... Il serait ici utile de pouvoir consulter la thèse que Marguerite Jallut a présentée à l’Ecole du Louvre en 1936, pour découvrir quels étaient ses arguments. Mais le travail de la grande conservatrice reste inexplicablement confidentiel et inaccessible aux chercheurs et il faut se contenter de la lacunaire brochure de 1955.
En dépit des réactions mitigées et bien qu’elle ait jugé prudent de ne pas envoyer à Vienne une image aussi « chargée », Marie-Antoinette semble avoir trouvé dans le grand portrait par Gautier-Dagoty une image plutôt conforme à ce qu’elle recherchait car elle va très vite en favoriser la diffusion par la gravure. Honoré-Louis Gautier-Dagoty, frère de Jean-Baptiste-André et quatrième fils de la fratrie, reçoit ainsi l’autorisation de graver le portrait de son aîné, tâche qu’il exécute en 1776.
La presse se fait l’écho de cette gravure « d’un nouveau genre, imitant le dessin aux deux crayons » et des annonces sont faites dans la Gazette de France, le Mercure de France ou encore le Journal de Paris. La première épreuve est remise à la reine elle-même, le 5 octobre 1776 à Versailles. L’accueil des critiques est cinglant et le Journal de Paris du 5 janvier 1777 ironise sur cette « manière noire et très noire (...). Tous les français connaisseurs regardent cet ouvrage comme un crime de lèse-majesté. Ils demandent, que comme il n’était permis qu’au seul Appelle de peindre Alexandre, il soit défendu à l’ignorance de défigurer si maussadement les grâces et la beauté de leur aimable souveraine. »
Dès le 11 janvier, Jacques Dagoty prend la défense de son jeune fils et répond à l’attaque dans le même journal. Dans cette lettre que nous avons déjà citée, il indique que l’estampe a été très bien reçue « du grand nombre d’amateurs qui en ont fait l’acquisition. (...) Je ne dis pas qu’elle ait la perfection que ce nouveau genre peut acquérir par la suite, car l’artiste qui a imaginé et gravé ce morceau est mon quatrième fils, d’un âge qui mérite quelques égards. »
L’entreprise Dagoty, Père et Fils, compte à l’évidence sur la notoriété des portraits de la reine, peints par Jean-Baptiste André ou gravé par Louis (1776) ou – nous le verrons – Fabien (1775), pour promouvoir l’ensemble des activités de la famille et attirer l’attention sur ces gravures d’un « nouveau genre », auquel leur nom reste effectivement lié. Leurs annonces régulières dans le Mercure de France pendant les années 1770 révèlent aussi un sens de la communication et un vrai talent pour susciter intérêt et curiosité autour de leurs travaux. Il n’est pas anodin de voir le nom de Marie-Antoinette associé à une telle famille, non pas de peintres « misérables » mais au contraire d’esprits curieux, à la pointe des techniques de leur temps. C’est à cette famille – presqu’à ce clan – que la souveraine accorde sa confiance pour créer le modèle susceptible d’être diffusé pour fixer dans l’opinion publique sa nouvelle image de reine de France.
Il n’est pas impossible que le caractère maladroit du travail de son fils Louis ait conduit Jacques Dagoty à choisir très vite Jean-François Janinet pour donner une version de meilleure qualité du portrait de Jean-Baptiste André et contribuer ainsi au renom de la famille Dagoty. D’ailleurs, la rareté des matériaux et du procédé mis en œuvre par Janinet en 1777 pour son estampe en couleur atteste bien du caractère précieux de sa gravure et de l’importance de l’enjeu. Nous reviendrons sur ce jalon majeur dans l’iconographie royale au paragraphe suivant et constaterons l’abondante postérité du tableau de juillet 1775 chez les graveurs. Signe parmi d’autres que tous n’ont pas vu en Gautier-Dagoty le peintre sans mérite étrillé par Madame Campan...
En ce mi-temps des années 1770, les Gautier-Dagoty semblent ainsi assurés d’un bel avenir à Versailles où ils recueillent aussi les faveurs d’autres mécènes. Certains projets ne manquent pas d’ambition, à l’image de l’impressionnant portrait de groupe autour du duc de Penthièvre (v. 1775-1776) conservé au Musée Nissim de Camondo, où Jean-Baptiste André livre son œuvre la plus aboutie.
Dans un tel contexte, il apparait doublement révélateur que Jean-Laurent Mosnier reprenne à son propre compte cette image référentielle due à Gautier-Dagoty dans une miniature de 1776 (collection privée) dont nous reparlerons. D’une part, c’est un signe de plus de la prééminence du nouveau modèle de représentation royale, depuis que la reine l’a approuvé. De l’autre, c’est l’occasion pour lui de se distinguer avantageusement des graveurs avec une miniature dont le tour aimable et la qualité supérieure l’emporteront vraisemblablement sur leurs diverses estampes.
4. la protection affichée de la reine pour la fratrie Gautier-Dagoty
Gautier-Dagoty est si odieux à Madame Campan qu’elle ne mentionne pas même son nom dans ses Mémoires ! La citation est restée célèbre : « … on exposa dans la galerie de Versailles un tableau en pied représentant Marie-Antoinette dans toute sa pompe royale. Ce tableau destiné à la cour de Vienne et peint par un homme qui ne mérite pas d’être nommé révolta tous les gens de goût » (Tome 1, Chapitre VII ; suite du paragraphe qui débute par la phrase restée fameuse elle-aussi et déjà citée : « Les plus misérables artistes étaient admis à l’honneur de la peindre »).
C’est donc certainement au plus grand déplaisir d’Henriette Campan que Gautier Dagoty produisit ensuite toute une série d’effigies royales en l’espace d’environ cinq ans.
et, comme la cinquième image est moins connue, la voici pour le Forum dans une définition inédite (petit bonus pour celles et ceux qui aiment les représentations de la reine à l'antique)... :
Aux portraits en buste et en pied de 1775, s’ajoutent la même année une gouache montrant le peintre à l’ouvrage dans la chambre de la reine (scène célèbre, de pure imagination…) ; puis une scène de bienfaisance exposée au Salon du Colisée en 1776 (ce tableau du fameux « incident d’Achères » a disparu mais il a été gravé ; le dessin préparatoire – attribué à Jean-Fabien – est présenté ci-dessus en (2) ; une esquisse d’après nature présentée au salon de la Correspondance de 1779 (le Catalogue de la Collection de Vinck suggère que la sublime manière noire ci-dessus en (3) pourrait en être la traduction gravée) ; et enfin un petit portrait à l’huile montrant la reine à Trianon avec le Temple de l’Amour en arrière-plan (portrait à dater donc au plus tôt en 1778).
Une vente publique à Paris en 2006 accorde aussi à Jean-Baptiste André une représentation de Marie-Antoinette en Minerve, toujours à situer dans la seconde moitié des années 1770. Autant de signes tangibles qui montrent que Gautier-Dagoty a continué à bénéficier de la faveur de la reine et d’un accès direct auprès de Marie-Antoinette après l’échec relatif de ses premières commandes.
Il faut en outre citer deux gravures en couleurs, en application du procédé de la manière noire avec quatre planches colorées. La première est sortie de l’atelier de Jean-Fabien Gautier Dagoty, le cadet des frères Dagoty ; la seconde est réalisée par Jean-Baptiste André lui-même, nous avons vu qu’elle pourrait être la gravure du portrait envoyé à Vienne en mai 1775.
La gravure de Jean-Fabien fut présentée à la reine à Fontainebleau, en novembre 1775, « ouvrage dont Sa Majesté a bien voulu témoigner sa satisfaction à cet artiste » (Gazette de France, 13 novembre 1775). Aux quatre planches tirées en rouge, jaune, bleu et noir (impression en tétrachromie), le graveur a ajouté une planche en blanc, tirage plus rarement employé et utilisé ici pour la dentelle de la guimpe et de la manche, et pour les plumes du toquet.
Quant à la gravure due à Jean-Baptiste, si elle correspond bien au portrait de mai 1775, il est vraiment difficile – face à une représentation aussi sage – de comprendre la sévérité de Marie-Thérèse, telle que les Mémoires secrets s’en sont fait l’écho…
5. un premier modèle durable pour les copistes et les graveurs
Le tableau en pied a inspiré bien des peintres et les variantes sur toile ou en miniature, contemporaines ou posthumes, sont très nombreuses et plus ou moins oubliables.
Il a surtout servi de modèle à quantité de graveurs (Patas, Le Beau, Dupin, Smith…) dont les estampes seront diffusées jusqu’à la Révolution. La gravure coloriée de Patas, d’après Le Clerc, est une des plus fameuses et constitue la planche 80 de la « Galerie des modes et costumes français » éditée chez Esnauts et Rapilly en 1778 (Vinck 337). L’habit de Cour est en satin cerise recouvert de dentelles, il diffère du tableau à l’huile mais le visage et la coiffure restent en tous points conformes au portrait. Il est pour le moins inattendu de retrouver ainsi la reine de France dans un catalogue de mode, où parfois elle partage même une page avec d’autres, comme sur la célèbre planche reproduite en (3), toujours chez Esnauts et Rapilly. Marie-Antoinette y occupe un des quatre compartiments pour y présenter la « Coeffure de la Reine », celle de son portrait par Gautier-Dagoty (Vinck N° 344).
Une mention particulière revient à Jean-François Janinet pour son aquatinte fameuse, évoquée précédemment. C’est une estampe en couleurs en deux feuilles, la première pour le portrait en buste et la seconde pour l’encadrement.
Tout comme les Gautier-Dagoty, Janinet est un spécialiste de la gravure. Il a mis au point la technique de l’aquatinte dont il fait sa spécialité et qui conjugue les travaux de Le Prince (pour la gravure « en manière de lavis ») et l’impression de couleurs au repérage (développée par Leblond et les Gautier-Dagoty).
« Janinet utilise sa technique de la « manière de lavis » pour le portrait ; l’ovale est fixé dans un encadrement imprimé sur une autre feuille en bleu et orange au repérage, puis rehaussé d’une dernière impression à l’or. Cette impression à l’or fait toute la rareté et l’éclat de cette estampe ; peu de temps après la publication de ce portrait, l’utilisation de la feuille d’or dans l’estampe cessa. (…) Les épreuves avec l’encadrement imprimé en bleu, orange et or sont très rares, et ne figurent que dans quelques collections publiques (British Museum, Getty). » (Cité de Versalia 2017, n°20, Elisabeth Maisonnier, p.43, Enrichissement des collections de l’année 2015).
Des pastiches de cette composition prestigieuse étaient toujours gravés au XIXe siècle, ils se rencontrent de temps à autre sur le marché de l’art…
Jean-Laurent Mosnier fait donc partie des artistes qui ont étudié et repris, en l’interprétant, l’effigie de Marie-Antoinette popularisée par le portrait en pied de Gautier-Dagoty. Dans son cas, la copie du modèle se double de l’avantage d’avoir peint la reine d’après nature l’année précédente, suite à la commande des Menus Plaisirs que Mosnier avait honorée avec succès.
Les observations de Mosnier pendant la (ou les) séance(s) de pose viendront tempérer les traits copiés chez Dagoty, ils en donneront une interprétation toute personnelle, plus réaliste et moins stylisée. Connue uniquement par une photographie ancienne, la miniature de Mosnier se distingue en effet parmi les nombreuses reprises contemporaines du célèbre tableau.
Stylistiquement, en dépit des différences de technique et d’échelle, et sans que ce constat ne précipite de conclusions hâtives, les traits du visage et l’expression générale sur la miniature apparaissent étonnamment proches du tableau à l’huile revenu de Suède, que nous allons retrouver dans le prochain chapitre chez ses deux principaux collectionneurs en France et en Suède, aux XIXe et XXe siècles.
Tout comme Ducreux crée un portrait type de la dauphine, Gautier-Dagoty donne de la jeune reine une représentation qui fait date. Copiée par les peintres, gravée par les plus grands maîtres de la discipline, source d’inspiration pour les miniaturistes, l’image de la reine que fixe Gautier-Dagoty en 1775 est très largement diffusée et devient vite iconique. Si Vigée Le Brun est le peintre de la maturité et Kucharski celui de la Révolution, Gautier-Dagoty est le portraitiste des jeunes années. En dépit des critiques que ses portraits suscitent, il est important de constater qu’il continue à bénéficier de la faveur de Marie-Antoinette.
Il m’apparaît difficile de parler d’un portrait de la reine entre les années 1775 à 1780 sans étudier en quoi il se rapporte au « modèle » Gautier-Dagoty ou de quelle manière il s’en écarte. Je vous propose donc de faire aujourd’hui le point sur les portraits de la reine par Gautier-Dagoty et d’étudier leur influence immédiate, y compris sur un certain Jean-Laurent Mosnier, lequel livre de la reine en 1776 une miniature qui reprend très précisément le buste du tableau en pied de 1775.
En évoquant longuement Jean-Baptiste André et les autres membres du clan Dagoty, nous ne sommes pas tout-à-fait hors-sujet, vous comprendrez bientôt pourquoi.
A nos amis modérateurs de reprendre comme ils le souhaitent certains extraits du long post qui suit pour les intégrer au sujet adéquat sur les Gautier-Dagoty.
Détail du portrait restauré (DR)
III – LA PRÉÉMINENCE DE GAUTIER-DAGOTY
DANS L’ICONOGRAPHIE DES PREMIÈRES ANNÉES DU RÈGNE
1. la carence des institutions officielles pour faire peindre le tableau de la reine en grand apparat
Dès juin 1770, au nom de Louis XV, le marquis de Marigny passe commande d’un grand portrait en pied de la dauphine à Louis-Michel Van Loo. Ce projet n’aboutit pas en raison de la mort du peintre l’année suivante. Les Bâtiments du Roi ne montrent ensuite aucun empressement pour désigner un nouvel artiste, alors même que l’impératrice s’impatiente à Vienne et réclame avec insistance le portrait de sa fille « en grand ». Marie-Thérèse devra attendre ; elle attendra longtemps !
Le défaut des instances officielles (Bâtiments du Roi et Menus Plaisirs) étonne pour le moins... Au règne précédent, l’image officielle de Marie Leszczynska est fixée dès l’époque de son mariage en 1725, avant donc sa première maternité, par des portraits en pied commandés par Louis XV lui-même (à Steimart, sur le modèle du portrait de sa mère, la duchesse de Bourgogne par Santerre) et par les Bâtiments du Roi (à Gobert). Pour Marie-Antoinette, Louis XVI ne prend aucune initiative... et les Bâtiments attendront la seconde décennie du règne pour passer commande de deux tableaux. Deux tableaux seulement ! Le premier, en 1785, sert de cadeau diplomatique pour le roi de Suède, il n’est pas même destiné à être copié ou gravé. Quant au second, en 1787, c’est avant tout la tentative presque désespérée pour restaurer l’image publique de Marie-Antoinette après l’Affaire du Collier. Dans l’un et l’autre cas, la reine n’est pas seule, elle apparaît en compagnie de ses enfants.
Certes, au début du règne, Joseph-Siffred Duplessis reçoit bien la commande d’un portrait en pied de Louis XVI en grand manteau royal, auquel doit s’ajouter celui de la reine en pendant. Le portrait du roi sera bien livré, avec beaucoup de retard, mais celui de la reine ne sera semble-t-il jamais commencé.
Marie-Antoinette décide alors elle-même de faire peindre le portrait d’apparat qui n’existe toujours pas, cinq années après son arrivée à Versailles. En 1775, elle fait appel à Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty (1740-1786), fils et frère d’artistes graveurs, tous curieux et passionnés par les techniques nouvelles, notamment celle de la gravure en couleur où ils se sont fait un nom. Gautier-Dagoty est un peintre en dehors du premier cercle officiel de la Cour, il est néanmoins plutôt bien introduit à Versailles et s’y fait remarquer depuis la fin des années 1760.
En 1776, époque où Jean-Laurent Mosnier est sensé peindre le tableau de la reine qui nous intéresse, nous sommes au cœur d’un moment Gautier-Dagoty dans la longue quête de Marie-Antoinette pour trouver un peintre à son goût. C’est Gautier-Dagoty en effet qui laisse alors le plus grand nombre d’images de la reine dans ses jeunes années, portraits pour lesquels il est avéré que Marie-Antoinette a obligeamment accordé des séances de pose.
Et, n’en déplaise à Henriette Campan, le clan Gautier-Dagoty n’est pas sans intérêt…
Supplique de Jean-Baptiste André-Gautier-Dagoty à Marie-Antoinette
« A la Reine. Madame, J.B.A. G Dagoty ayant eu l’honneur de peindre Votre Majesté
et de lui faire plusieurs portraits, la supplie humblement
de vouloir bien lui permettre de porter le titre de son peintre »
gouache sur papier (détail), 1775 (67,5x54,5cm), Musées de Versailles et de Trianon
(source de l’image : site des Musées de Versailles et de Trianon)
2. Gautier-Dagoty et l’échec d’un premier tableau en buste envoyé à Vienne en mai 1775
En mai 1775, Mercy envoie à Vienne le portrait de Marie-Antoinette en buste que l’impératrice réclame avec insistance depuis plusieurs mois. Le baron de Neny, son secrétaire, écrit à l’ambassadeur dès le 1er juin pour témoigner de la déception de la souveraine, qui trouve le tableau « mauvais, tant pour la ressemblance que pour l’exécution », le visage « trop raccourci » et la parure « peu avantageuse ». Le 23 juin, Mercy-Argenteau répond à Neny : « J’avais bien prévenu que Sa Majesté ne serait pas trop contente du portrait de la reine. Cependant il a été travaillé par le meilleur peintre, le seul au moins qui ait le plus approché de la ressemblance de la reine, et tel qu’est ce portrait il est inutile de penser à en avoir un meilleur de la main des peintres de ce pays-ci. »
La plupart de ceux qui ont écrit sur Marie-Antoinette et ses peintres ont cru voir en Joseph-Siffred Duplessis l’auteur de ce portrait envoyé à Vienne. Son nom apparaît en effet dans une lettre du 19 janvier 1775 de Mercy-Argenteau au baron de Neny, où l’ambassadeur rend compte de ses efforts pour obtenir les copies des portraits en pied du roi et de la reine, dont Duplessis doit livrer les originaux. Le portrait du roi est alors bien commencé, mais le projet traine en longueur car Louis XVI ne met aucune bonne volonté pour poser. Le 18 mars, Mercy doit reconnaître dans sa lettre mensuelle à Marie-Thérèse que « Rien n’est plus vrai que ce que Breteuil a dit sur la non-existence du portrait du roi ; c’est la raison qui m’a mis hors d’état d’exécuter l’ordre que V.M. m’a fait donner depuis longtemps de lui envoyer les portraits du roi et de la reine. » Mais l’ambassadeur montre aussitôt tout son zèle et ajoute avoir obtenu l’aveu de Marie-Antoinette « pour lui envoyer un peintre au commencement de la semaine prochaine. » Charge à cet artiste de faire un portrait en buste « pour patienter », en attendant que Duplessis ait peint ceux en pied.
A la toute fin du XIXe siècle, Jules Flammermont est le premier auteur à publier une étude solide et détaillée sur les portraits de Marie-Antoinette. Quatre articles dans la Gazette des Beaux-Arts présentent un large panorama de l’iconographie de l’archiduchesse, de la dauphine puis de la jeune reine (« Les Portraits de Marie-Antoinette », La Gazette des Beaux-Arts ; livraisons 481, 484, 489 et 491, respectivement juillet et octobre 1897, puis mars et mai 1898). Ils précèdent d’une dizaine d’années les deux volumes d’Albert Vuaflart et Henri Bourin, travaux autrement plus savants et documentés, qui restent la base de toute approche sérieuse de l’iconographie de la reine au temps de sa jeunesse. La première guerre mondiale a hélas interrompu la parution de cette somme prévue à l’origine pour constituer cinq volumes (« Les Portraits de Marie-Antoinette » : l’archiduchesse (1909), la dauphine (1910), Paris, André Marty éditeur). Si la découverte de nouvelles sources a parfois rendu caduques certains développements et infirmé plusieurs hypothèses, les recherches rigoureuses de ces deux grands érudits ne peuvent en aucun cas être négligées.
Flammermont reprend bien l’information donnée par Mercy à l’impératrice en mars, mais à un détail près… Il écrit en effet « Le 18 mars 1775, l’ambassadeur devait avouer qu’on n’en était pas encore au premier coup de pinceau ; toutefois, il avait obtenu d’envoyer la semaine suivante le peintre près de la reine, qui avait promis de lui donner cette séance. » (Troisième article, Gazette des Beaux-Arts du 1er mars 1898, pp. 189-190). Nous lisons chez Mercy « un peintre » là où Flammermont écrit « le peintre »... , ce qui change évidemment le sens ! « Le » peintre serait celui dont il vient d’être question dans la lettre, à savoir Duplessis. Mais « un» peintre renvoie à l’évidence à un autre artiste, auquel Mercy fait appel dans l’urgence pour un portrait en buste, le temps que Duplessis se mette au travail...
Méprise volontaire ou simple étourderie, l’attribution de Flammermont à Duplessis est ensuite reprise par tous les historiens, de Marguerite Jallut à Olivier Blanc. Vuaflart et Bourin ont laissé des notes pour la suite de leur étude. Ils ont mieux lu Mercy et désignent sans ambiguïté le peintre appelé en renfort comme étant Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty. Conservés à l’INHA, leurs manuscrits ont été étudiés par Jérôme Delatour et Lucie Fléjou, qui ont rétabli les circonstances ayant conduit le peintre en présence de la reine. Dans le numéro 22 de la revue Versalia (2019), ils écrivent que Dagoty avait d’abord été pressenti pour exécuter des copies des portraits qui étaient attendus de Duplessis. « Mais, en 1775, Duplessis n’avait pas achevé le portrait du roi, ni commencé celui de la reine. (…) Devant l’impatience de l’impératrice, son ambassadeur à Paris, Mercy-Argenteau, commanda un portrait à Dagoty. Dans le même temps, Dagoty obtint la commande de son portrait en pied. Saisissant sa chance, Dagoty travailla avec diligence. En à peine plus de deux mois, le portrait en buste fut peint et envoyé à Vienne, le 18 mai 1775. » (Versalia, N°22, 2019, « Henri IV, Marie-Antoinette, Louis XVI », p.60). Les travaux de Lucile Paraponaris sur Jean-Baptiste Gautier-Dagoty en 2018 vont dans le même sens. L’auteure y mentionne un article du Journal de Paris en date du 11 janvier 1777, lequel cite une lettre de Dagoty père dont la conclusion est des plus claires au sujet des portraits de la reine peints par son fils aîné : « … de l’ordre de Sa Majesté les tableaux de mon fils ont été envoyés, le premier en buste, à l’impératrice-reine d’Hongrie ; le deuxième, après avoir été exposé au Salon du Colisée, où il a réuni les applaudissements des amateurs, a été remis à M. l’ambassadeur de Vienne, pour être envoyé à Bruxelles. »
Le tableau en pied du roi sera présenté au Salon de 1777, sans pendant pour la reine. Duplessis avait auparavant exposé une version en buste de Louis XVI en 1775, une fois le Salon déjà commencé...
Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty (1740-1786)
manière noire, tirage en couleurs, vers 1775 (58,5x52,0cm), Paris INHA
Il pourrait s’agir de la version gravée du portrait envoyé à Vienne en mai 1775
(source de l’image : site de l’INHA)
manière noire, tirage en couleurs, vers 1775 (58,5x52,0cm), Paris INHA
Il pourrait s’agir de la version gravée du portrait envoyé à Vienne en mai 1775
(source de l’image : site de l’INHA)
Dans leur article, Jérôme Delatour et Lycie Fléjou avancent l’hypothèse qu’une estampe de grande qualité, conservée à l’INHA, pourrait être la version gravée du portrait de 1775 aujourd’hui disparu. C’est une manière noire, avec utilisation de quatre planches colorées, gravée par Jean-Baptiste André lui-même, d’après sa propre composition.
Cette estampe, si précieuse, est semble-t-il un exemplaire unique. Elle est issue de la collection de Lord Ronald Gower, artiste anglais et collectionneur de gravures, qui vouait à Marie-Antoinette une véritable passion. Sa fameuse « Iconographie de la reine Marie-Antoinette », en 1883, est une pièce rare pour bibliophile, plus qu’une véritable étude, au sens où Flammermont et surtout Vuaflart et Bourin l’ont envisagé ensuite. A côté de la collection d’estampes du baron de Vinck – plus considérable encore et cette fois minutieusement documentée – elle fait néanmoins référence et constitue comme un point de départ à l’étude du vaste catalogue des représentations gravées de Marie-Antoinette.
Une anecdote curieuse reste liée à ce malheureux portrait, celle d’un renvoi à Versailles par une impératrice contrariée. Mais est-ce un fait véritable ou s’agit-il d’une légende ? Les Mémoires secrets du 19 août 1775 (T.8, pp. 172-173) semblent les seuls à s’en faire l’écho. A les suivre, l’impératrice aurait renvoyé le tableau sous prétexte qu’elle y avait trouvé l’image d’une actrice et non celui d’une reine de France. Il faudrait donc imaginer Marie-Thérèse infliger à sa fille un affront public aussi cinglant, alors même que les cérémonies du Couronnement battent leur plein ? Il est difficilement concevable de l’envisager prendre le risque d’affaiblir publiquement sa fille dans un moment aussi sensible ! Ce prétendu incident ne trouve aucune résonance dans la correspondance entre Mercy et Marie-Thérèse, pas plus en juin que les mois suivants, que ce soit les lettres ostensibles ou les Tibi soli réservés à la seule impératrice. Il fait pourtant peu de doute qu’un désaveu aussi marqué aurait donné l’occasion au très courtisan diplomate de se surpasser au registre des excuses et des justifications. Marie-Antoinette n’y fait pas allusion non plus dans les lettres à sa mère, qui toutes ont été conservées pour l’année 1775. Il est décidément bien difficile de donner crédit à cette histoire, qui serait alors une des toutes premières calomnies à s’attacher au nom de la reine… Quoi qu’il en soit, l’été-même du couronnement de Louis XVI, les lecteurs des Mémoires secrets sont invités à y croire, et certains doivent bien ricaner de ce camouflet impérial infligé à cette jeune reine peut-être un peu trop brillante.
Marie-Antoinette n’a pas encore vingt ans et son image – celle que Gautier-Dagoty vient de fixer pour Vienne et qu’il a ensuite développée à Versailles dans un audacieux portrait en pied – apparait déjà ternie. Les hautes coiffures avec leur harnachement de plumes que le peintre a immortalisées ne durent qu’un moment dans l’histoire de la mode, mais ce moment est inscrit à jamais dans la légende de Marie-Antoinette et dans l’histoire de ses représentations visuelles.
3. un grand tableau en pied qui fait date dans l’iconographie de Marie-Antoinette
En 1775, il n’existe donc aucun portrait d’apparat de la reine de France pour servir de modèle pour les présents diplomatiques. Après le portrait en buste destiné à Vienne et en dépit de l’échec rencontré auprès de l’impératrice, Marie-Antoinette conserve sa confiance à Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty auquel elle a également passé commande du portrait en pied qui fait défaut. Un format intermédiaire est choisi (162x130cm), il est probable que Gautier-Dagoty y travaille avant même que le verdict de Vienne ne soit connu.
Ce grand portrait sitôt achevé est présenté dans la galerie des Glaces, le 27 juillet 1775, où il est –semble-t-il – assez largement désavoué par la Cour et une partie des commentateurs. Marie-Antoinette choisit alors la prudence et conserve le tableau qu’elle offrira finalement en 1777 au prince Georg Adam von Starhemberg, ancien ambassadeur d’Autriche en France, en poste à Paris au moment du Renversement des Alliances et alors à Bruxelles (c’est bien ce que nous a dit Jacques Dagoty dans la lettre citée plus haut). Le portrait reviendra à Versailles en 1954, donné au Musée national par le commandant Paul-Louis Weiller.
Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty (1740-1786)
Marie-Antoinette, reine de France, huile sur toile, 1775 (162x130cm), Musées de Versailles et de Trianon
(source de l’image : Leemage, DR)
Marie-Antoinette, reine de France, huile sur toile, 1775 (162x130cm), Musées de Versailles et de Trianon
(source de l’image : Leemage, DR)
Louis-Honoré Gautier-Dagoty (1746-18..)
aquatinte avec eau-forte et coloriage à la main, (72,2 x 54,2 cm), v. 1776, collections royales anglaises
(source de l’image : Royal Collection Trust, Her Majesty Queen Elizabeth II)
aquatinte avec eau-forte et coloriage à la main, (72,2 x 54,2 cm), v. 1776, collections royales anglaises
(source de l’image : Royal Collection Trust, Her Majesty Queen Elizabeth II)
Modèle du genre, la notice du Catalogue de Vinck pour cette estampe vaut d’être citée dans son intégralité. Numéro 334 de la Collection, la manière noire de la BNF est conservée au premier tome des estampes de grand format : « Marie-Antoinette, en pied, de trois quarts à gauche, coiffure en hérisson entremêlée de perles, avec rouleaux retombant sur les épaules, ornée de plumes fixées sur le côté gauche par une attache de pierreries ; corsage décolleté et robe à paniers garnis de bouillonnés de gaze à lignes, et de lys brodés attachés par des nœuds de gaze ; grand manteau fleurdelysé doublé d’hermine jeté sur l’épaule droite et que la reine tient de la main gauche. A droite, dossier du fauteuil royal et draperie formant dais au-dessus de la Reine. A gauche, sur une table, une mappemonde où vient s’appuyer la main droite de Marie-Antoinette, et, sur un coussin, la couronne royale, des roses et des lys ; à côté une harpe, un album ouvert sur un siège en X ; au-dessus, dans un clair-obscur, deux colonnes d’un temple et une statue de la France en Minerve tenant le portrait-médaillon de Louis XVI de profil à droite. »
Pour Marguerite Jallut, le tableau original datait de décembre 1774 et sa présentation officielle avait été différée. Il aurait également été copié et celui de Versailles ne serait qu’une copie parmi celles qui ont été faites pour être distribuées comme cadeaux royaux... Il serait ici utile de pouvoir consulter la thèse que Marguerite Jallut a présentée à l’Ecole du Louvre en 1936, pour découvrir quels étaient ses arguments. Mais le travail de la grande conservatrice reste inexplicablement confidentiel et inaccessible aux chercheurs et il faut se contenter de la lacunaire brochure de 1955.
En dépit des réactions mitigées et bien qu’elle ait jugé prudent de ne pas envoyer à Vienne une image aussi « chargée », Marie-Antoinette semble avoir trouvé dans le grand portrait par Gautier-Dagoty une image plutôt conforme à ce qu’elle recherchait car elle va très vite en favoriser la diffusion par la gravure. Honoré-Louis Gautier-Dagoty, frère de Jean-Baptiste-André et quatrième fils de la fratrie, reçoit ainsi l’autorisation de graver le portrait de son aîné, tâche qu’il exécute en 1776.
La presse se fait l’écho de cette gravure « d’un nouveau genre, imitant le dessin aux deux crayons » et des annonces sont faites dans la Gazette de France, le Mercure de France ou encore le Journal de Paris. La première épreuve est remise à la reine elle-même, le 5 octobre 1776 à Versailles. L’accueil des critiques est cinglant et le Journal de Paris du 5 janvier 1777 ironise sur cette « manière noire et très noire (...). Tous les français connaisseurs regardent cet ouvrage comme un crime de lèse-majesté. Ils demandent, que comme il n’était permis qu’au seul Appelle de peindre Alexandre, il soit défendu à l’ignorance de défigurer si maussadement les grâces et la beauté de leur aimable souveraine. »
Dès le 11 janvier, Jacques Dagoty prend la défense de son jeune fils et répond à l’attaque dans le même journal. Dans cette lettre que nous avons déjà citée, il indique que l’estampe a été très bien reçue « du grand nombre d’amateurs qui en ont fait l’acquisition. (...) Je ne dis pas qu’elle ait la perfection que ce nouveau genre peut acquérir par la suite, car l’artiste qui a imaginé et gravé ce morceau est mon quatrième fils, d’un âge qui mérite quelques égards. »
L’entreprise Dagoty, Père et Fils, compte à l’évidence sur la notoriété des portraits de la reine, peints par Jean-Baptiste André ou gravé par Louis (1776) ou – nous le verrons – Fabien (1775), pour promouvoir l’ensemble des activités de la famille et attirer l’attention sur ces gravures d’un « nouveau genre », auquel leur nom reste effectivement lié. Leurs annonces régulières dans le Mercure de France pendant les années 1770 révèlent aussi un sens de la communication et un vrai talent pour susciter intérêt et curiosité autour de leurs travaux. Il n’est pas anodin de voir le nom de Marie-Antoinette associé à une telle famille, non pas de peintres « misérables » mais au contraire d’esprits curieux, à la pointe des techniques de leur temps. C’est à cette famille – presqu’à ce clan – que la souveraine accorde sa confiance pour créer le modèle susceptible d’être diffusé pour fixer dans l’opinion publique sa nouvelle image de reine de France.
Il n’est pas impossible que le caractère maladroit du travail de son fils Louis ait conduit Jacques Dagoty à choisir très vite Jean-François Janinet pour donner une version de meilleure qualité du portrait de Jean-Baptiste André et contribuer ainsi au renom de la famille Dagoty. D’ailleurs, la rareté des matériaux et du procédé mis en œuvre par Janinet en 1777 pour son estampe en couleur atteste bien du caractère précieux de sa gravure et de l’importance de l’enjeu. Nous reviendrons sur ce jalon majeur dans l’iconographie royale au paragraphe suivant et constaterons l’abondante postérité du tableau de juillet 1775 chez les graveurs. Signe parmi d’autres que tous n’ont pas vu en Gautier-Dagoty le peintre sans mérite étrillé par Madame Campan...
En ce mi-temps des années 1770, les Gautier-Dagoty semblent ainsi assurés d’un bel avenir à Versailles où ils recueillent aussi les faveurs d’autres mécènes. Certains projets ne manquent pas d’ambition, à l’image de l’impressionnant portrait de groupe autour du duc de Penthièvre (v. 1775-1776) conservé au Musée Nissim de Camondo, où Jean-Baptiste André livre son œuvre la plus aboutie.
Dans un tel contexte, il apparait doublement révélateur que Jean-Laurent Mosnier reprenne à son propre compte cette image référentielle due à Gautier-Dagoty dans une miniature de 1776 (collection privée) dont nous reparlerons. D’une part, c’est un signe de plus de la prééminence du nouveau modèle de représentation royale, depuis que la reine l’a approuvé. De l’autre, c’est l’occasion pour lui de se distinguer avantageusement des graveurs avec une miniature dont le tour aimable et la qualité supérieure l’emporteront vraisemblablement sur leurs diverses estampes.
Louis-Honoré Gautier-Dagoty 1746-18..)
manière noire, impression à la poupée en deux tons, épreuve sans lettre
gravure au mezzotinto complétée de teinte aux outils (66,3 x 53,7 cm), 1776 ; Paris, Musée du Louvre
(source de l’image : site du Louvre)
manière noire, impression à la poupée en deux tons, épreuve sans lettre
gravure au mezzotinto complétée de teinte aux outils (66,3 x 53,7 cm), 1776 ; Paris, Musée du Louvre
(source de l’image : site du Louvre)
« Sa Majesté a la main posée sur la France, ce qui donne de l’action au sujet », selon le descriptif écrit par Louis
4. la protection affichée de la reine pour la fratrie Gautier-Dagoty
Gautier-Dagoty est si odieux à Madame Campan qu’elle ne mentionne pas même son nom dans ses Mémoires ! La citation est restée célèbre : « … on exposa dans la galerie de Versailles un tableau en pied représentant Marie-Antoinette dans toute sa pompe royale. Ce tableau destiné à la cour de Vienne et peint par un homme qui ne mérite pas d’être nommé révolta tous les gens de goût » (Tome 1, Chapitre VII ; suite du paragraphe qui débute par la phrase restée fameuse elle-aussi et déjà citée : « Les plus misérables artistes étaient admis à l’honneur de la peindre »).
C’est donc certainement au plus grand déplaisir d’Henriette Campan que Gautier Dagoty produisit ensuite toute une série d’effigies royales en l’espace d’environ cinq ans.
Jean-Baptiste André (1740-1786) pour (1), (3), (4) et (5) et Jean-Fabien Gautier-Dagoty (1747-1781) pour (2)
1.gouache sur papier, 1775 (67,5x54,5cm), Musée de Versailles et de Trianon, source site du Musée
2.plume et encre noire, lavis gris, 1776 (49x60cm), vente Christie’s Paris, 3 novembre 2015, lot #55
3.manière noire, seul exemplaire connu, vers 1779 (45,3x28,2cm), Paris, BNF (Vinck N° 335)
4.huile sur toile, vers 1780 (41x33cm), Musées de Versailles et de Trianon, source site du Musée
5.huile sur toile, fin années 1770 (134,6x73,7cm), vente Artcurial Paris, 20 juin 2006, lot #35
(source des images : 1 et 4 : site des Musées de Versailles et de Trianon; 3 : Gallica ; 2 : Christie’s ; 5 : Artcurial)
1.gouache sur papier, 1775 (67,5x54,5cm), Musée de Versailles et de Trianon, source site du Musée
2.plume et encre noire, lavis gris, 1776 (49x60cm), vente Christie’s Paris, 3 novembre 2015, lot #55
3.manière noire, seul exemplaire connu, vers 1779 (45,3x28,2cm), Paris, BNF (Vinck N° 335)
4.huile sur toile, vers 1780 (41x33cm), Musées de Versailles et de Trianon, source site du Musée
5.huile sur toile, fin années 1770 (134,6x73,7cm), vente Artcurial Paris, 20 juin 2006, lot #35
(source des images : 1 et 4 : site des Musées de Versailles et de Trianon; 3 : Gallica ; 2 : Christie’s ; 5 : Artcurial)
et, comme la cinquième image est moins connue, la voici pour le Forum dans une définition inédite (petit bonus pour celles et ceux qui aiment les représentations de la reine à l'antique)... :
Aux portraits en buste et en pied de 1775, s’ajoutent la même année une gouache montrant le peintre à l’ouvrage dans la chambre de la reine (scène célèbre, de pure imagination…) ; puis une scène de bienfaisance exposée au Salon du Colisée en 1776 (ce tableau du fameux « incident d’Achères » a disparu mais il a été gravé ; le dessin préparatoire – attribué à Jean-Fabien – est présenté ci-dessus en (2) ; une esquisse d’après nature présentée au salon de la Correspondance de 1779 (le Catalogue de la Collection de Vinck suggère que la sublime manière noire ci-dessus en (3) pourrait en être la traduction gravée) ; et enfin un petit portrait à l’huile montrant la reine à Trianon avec le Temple de l’Amour en arrière-plan (portrait à dater donc au plus tôt en 1778).
Une vente publique à Paris en 2006 accorde aussi à Jean-Baptiste André une représentation de Marie-Antoinette en Minerve, toujours à situer dans la seconde moitié des années 1770. Autant de signes tangibles qui montrent que Gautier-Dagoty a continué à bénéficier de la faveur de la reine et d’un accès direct auprès de Marie-Antoinette après l’échec relatif de ses premières commandes.
Jean-Fabien 1747-1781) pour (1) et (2) et Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty (1740-1786) pour (3)
1.manière noire, tirage en couleurs, 1775 (39,5x29,8cm), Paris, BNF (Vinck, N° 333)
2.reproduction en frontispice de l’Iconographie de la reine Marie-Antoinette de Lord Gower, 1883 (N°101)
3.dans le même ouvrage, reproduction de la manière noire conservée à l’INHA présentée plus haut (N°100)
(source des images : Gallica ; Iconographie de Marie-Antoinette, Lord Gower, collection particulière, DR)
1.manière noire, tirage en couleurs, 1775 (39,5x29,8cm), Paris, BNF (Vinck, N° 333)
2.reproduction en frontispice de l’Iconographie de la reine Marie-Antoinette de Lord Gower, 1883 (N°101)
3.dans le même ouvrage, reproduction de la manière noire conservée à l’INHA présentée plus haut (N°100)
(source des images : Gallica ; Iconographie de Marie-Antoinette, Lord Gower, collection particulière, DR)
Il faut en outre citer deux gravures en couleurs, en application du procédé de la manière noire avec quatre planches colorées. La première est sortie de l’atelier de Jean-Fabien Gautier Dagoty, le cadet des frères Dagoty ; la seconde est réalisée par Jean-Baptiste André lui-même, nous avons vu qu’elle pourrait être la gravure du portrait envoyé à Vienne en mai 1775.
La gravure de Jean-Fabien fut présentée à la reine à Fontainebleau, en novembre 1775, « ouvrage dont Sa Majesté a bien voulu témoigner sa satisfaction à cet artiste » (Gazette de France, 13 novembre 1775). Aux quatre planches tirées en rouge, jaune, bleu et noir (impression en tétrachromie), le graveur a ajouté une planche en blanc, tirage plus rarement employé et utilisé ici pour la dentelle de la guimpe et de la manche, et pour les plumes du toquet.
Quant à la gravure due à Jean-Baptiste, si elle correspond bien au portrait de mai 1775, il est vraiment difficile – face à une représentation aussi sage – de comprendre la sévérité de Marie-Thérèse, telle que les Mémoires secrets s’en sont fait l’écho…
5. un premier modèle durable pour les copistes et les graveurs
Le tableau en pied a inspiré bien des peintres et les variantes sur toile ou en miniature, contemporaines ou posthumes, sont très nombreuses et plus ou moins oubliables.
Il a surtout servi de modèle à quantité de graveurs (Patas, Le Beau, Dupin, Smith…) dont les estampes seront diffusées jusqu’à la Révolution. La gravure coloriée de Patas, d’après Le Clerc, est une des plus fameuses et constitue la planche 80 de la « Galerie des modes et costumes français » éditée chez Esnauts et Rapilly en 1778 (Vinck 337). L’habit de Cour est en satin cerise recouvert de dentelles, il diffère du tableau à l’huile mais le visage et la coiffure restent en tous points conformes au portrait. Il est pour le moins inattendu de retrouver ainsi la reine de France dans un catalogue de mode, où parfois elle partage même une page avec d’autres, comme sur la célèbre planche reproduite en (3), toujours chez Esnauts et Rapilly. Marie-Antoinette y occupe un des quatre compartiments pour y présenter la « Coeffure de la Reine », celle de son portrait par Gautier-Dagoty (Vinck N° 344).
Une mention particulière revient à Jean-François Janinet pour son aquatinte fameuse, évoquée précédemment. C’est une estampe en couleurs en deux feuilles, la première pour le portrait en buste et la seconde pour l’encadrement.
Tout comme les Gautier-Dagoty, Janinet est un spécialiste de la gravure. Il a mis au point la technique de l’aquatinte dont il fait sa spécialité et qui conjugue les travaux de Le Prince (pour la gravure « en manière de lavis ») et l’impression de couleurs au repérage (développée par Leblond et les Gautier-Dagoty).
« Janinet utilise sa technique de la « manière de lavis » pour le portrait ; l’ovale est fixé dans un encadrement imprimé sur une autre feuille en bleu et orange au repérage, puis rehaussé d’une dernière impression à l’or. Cette impression à l’or fait toute la rareté et l’éclat de cette estampe ; peu de temps après la publication de ce portrait, l’utilisation de la feuille d’or dans l’estampe cessa. (…) Les épreuves avec l’encadrement imprimé en bleu, orange et or sont très rares, et ne figurent que dans quelques collections publiques (British Museum, Getty). » (Cité de Versalia 2017, n°20, Elisabeth Maisonnier, p.43, Enrichissement des collections de l’année 2015).
Des pastiches de cette composition prestigieuse étaient toujours gravés au XIXe siècle, ils se rencontrent de temps à autre sur le marché de l’art…
parmi les gravures inspirées de Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty
1.Jean-François Janinet, aquatinte en couleur, 1777 (42,2x31,7cm), Londres, British Museum (Vinck N° 336)
2.Pierre-Adrien Le Beau, gravure à l’eau-forte et au burin, s.d. (15,5x10,3cm), Paris, BNF (Vinck N° 339)
3.anonyme (chez Esnauts et Rapilly), eau-forte coloriée, 1778 (24,0x19,5cm), Paris, BNF (Vinck N° 344)
4.Jean-Baptiste Patas, eau-forte colorié, v. 1779 (23,6x17,5cm), Amsterdam, Rijksmuseum (Vinck N° 337)
(source des images : 1 : British Museum ; 2 et 3 : Gallica ; 4 : Rijksmuseum)
1.Jean-François Janinet, aquatinte en couleur, 1777 (42,2x31,7cm), Londres, British Museum (Vinck N° 336)
2.Pierre-Adrien Le Beau, gravure à l’eau-forte et au burin, s.d. (15,5x10,3cm), Paris, BNF (Vinck N° 339)
3.anonyme (chez Esnauts et Rapilly), eau-forte coloriée, 1778 (24,0x19,5cm), Paris, BNF (Vinck N° 344)
4.Jean-Baptiste Patas, eau-forte colorié, v. 1779 (23,6x17,5cm), Amsterdam, Rijksmuseum (Vinck N° 337)
(source des images : 1 : British Museum ; 2 et 3 : Gallica ; 4 : Rijksmuseum)
Jean-Laurent Mosnier fait donc partie des artistes qui ont étudié et repris, en l’interprétant, l’effigie de Marie-Antoinette popularisée par le portrait en pied de Gautier-Dagoty. Dans son cas, la copie du modèle se double de l’avantage d’avoir peint la reine d’après nature l’année précédente, suite à la commande des Menus Plaisirs que Mosnier avait honorée avec succès.
Les observations de Mosnier pendant la (ou les) séance(s) de pose viendront tempérer les traits copiés chez Dagoty, ils en donneront une interprétation toute personnelle, plus réaliste et moins stylisée. Connue uniquement par une photographie ancienne, la miniature de Mosnier se distingue en effet parmi les nombreuses reprises contemporaines du célèbre tableau.
Jean-Laurent Mosnier (1743-1808)
miniature sur ivoire, 1776 (6,4x4,8cm), réalisée sur le modèle du grand portrait de J.-B. A. Gautier-Dagoty
elle figurait autrefois dans la célèbre collection Pierpont-Morgan
Christie’s, Londres, 24-27 juin 1935, lot #615
localisation actuelle inconnue
(source de l’image : Gallica, Vinck N° 5623)
miniature sur ivoire, 1776 (6,4x4,8cm), réalisée sur le modèle du grand portrait de J.-B. A. Gautier-Dagoty
elle figurait autrefois dans la célèbre collection Pierpont-Morgan
Christie’s, Londres, 24-27 juin 1935, lot #615
localisation actuelle inconnue
(source de l’image : Gallica, Vinck N° 5623)
Stylistiquement, en dépit des différences de technique et d’échelle, et sans que ce constat ne précipite de conclusions hâtives, les traits du visage et l’expression générale sur la miniature apparaissent étonnamment proches du tableau à l’huile revenu de Suède, que nous allons retrouver dans le prochain chapitre chez ses deux principaux collectionneurs en France et en Suède, aux XIXe et XXe siècles.
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" Ai-je vu dans sa société quelque chose qui ne fût pas marqué au coin de la grâce, de la bonté et du goût? "
(Prince de Ligne, au sujet de "la charmante reine")
Bonnefoy du Plan- Messages : 390
Date d'inscription : 06/08/2018
Localisation : Le Maine
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Quelle étude ! Un régal pour les amoureux de l'Histoire.
Mr ventier- Messages : 1133
Date d'inscription : 18/11/2020
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Localisation : Rouen normandie
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Mr Ventier a écrit:Un régal pour les amoureux de l'Histoire.
Merci Mr Ventier, content de voir que cela vous intéresse! Continuez à rester fidèle à ce fil, il se pourrait bien qu'un prochain épisode nous conduise sur un terrain assez proche de ceux que vous semblez fréquenter avec toujours plus de gourmandise...
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Bonnefoy du Plan- Messages : 390
Date d'inscription : 06/08/2018
Localisation : Le Maine
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Je me joins à Mr Ventier !
Merci pour tous ces beaux articles que vous nous livrez, digne d'un magnifique opus sur la reine et les arts
Merci pour tous ces beaux articles que vous nous livrez, digne d'un magnifique opus sur la reine et les arts
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Comte d'Hézècques- Messages : 4390
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Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
J'entends déjà la musique.... Lol
Mr ventier- Messages : 1133
Date d'inscription : 18/11/2020
Age : 58
Localisation : Rouen normandie
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Cher Bonnefoy, encore bravo pour cette passionnante étude qui bouscule les idées reçues. En particuliers celle basée sur les mémoires de Mme Campan comme parole d"évangile, sans jamais l'ombre d'un doute ni de réflexion.
Merci aussi de revenir sur les trop fameux Mémoires Secrets prétendant que Marie-Thérèse tança si vertement sa fille sur sa coiffure, et dont en effet il n'existe aucune autre source authentique.
À ce propos, j'ajoute qu'en se montrant enchantée du grand portrait en blanc de Vigée Le Brun, l'impératrice ne manifesta aucune réserve sur la chevelure qui, bien que légèrement plus basse, était néanmoins fort empanachée. Le grand habit pourtant très novateur de Marie-Antoinette ne la perturba d'ailleurs pas davantage.
Merci aussi de revenir sur les trop fameux Mémoires Secrets prétendant que Marie-Thérèse tança si vertement sa fille sur sa coiffure, et dont en effet il n'existe aucune autre source authentique.
À ce propos, j'ajoute qu'en se montrant enchantée du grand portrait en blanc de Vigée Le Brun, l'impératrice ne manifesta aucune réserve sur la chevelure qui, bien que légèrement plus basse, était néanmoins fort empanachée. Le grand habit pourtant très novateur de Marie-Antoinette ne la perturba d'ailleurs pas davantage.
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« La mode est à la France ce que les mines du Pérou sont à l'Espagne » Colbert.
Marie-Jeanne- Messages : 1497
Date d'inscription : 16/09/2018
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Marie-Jeanne a écrit:
À ce propos, j'ajoute qu'en se montrant enchantée du grand portrait en blanc de Vigée Le Brun, l'impératrice ne manifesta aucune réserve sur la chevelure qui, bien que légèrement plus basse, était néanmoins fort empanachée. Le grand habit pourtant très novateur de Marie-Antoinette ne la perturba d'ailleurs pas davantage.
C'est vrai. Il faut en déduire que Marie-Thérèse est dans une phase d'indulgence et de tendresse. Car enfin, elle est comme tout le monde : parfois bien ou parfois mal lunée. J'ajoute, passez-moi l'expression, que Mercy en mouchardant avec délectation dans ses rapports circonstanciés fait la pluie et le beau temps dans l'humeur de sa Sacrée Majesté. Marie-Antoinette en fait les frais...
Nous ne pouvons discerner justement dans quelle mesure Mme Le Brun a ou non " attrapé " la ressemblance avec la reine, mais c'est le rayonnement de majesté qui émane indubitablement de sa fille qui séduit et flatte l'impératrice. Il est accentué par l'absence d'accessoires et de couleurs vives. Rien ne distrait l'oeil uniquement rivé sur le modèle.
La gravure de ce portrait, au caractère particulièrement officiel, figure en bonne place dans toutes les maisons royalistes.
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Mme de Sabran- Messages : 55497
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Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Marie-Jeanne a écrit:Merci aussi de revenir sur les trop fameux Mémoires Secrets prétendant que Marie-Thérèse tança si vertement sa fille sur sa coiffure, et dont en effet il n'existe aucune autre source authentique.
Très bien, Marie-Jeanne, je suis content de savoir que vos recherches ne vous ont pas fait identifier d'autres sources allant dans le même sens que les Mémoires secrets, décidément très inventifs à leur heure (nous l'avons vu ces jours-ci avec d'autres posts au sujet de prétendus achats de girandoles en 1779 et d'une rivière de diamant en 1781).
achat de girandoles et d'une rivière de diamants selon les Mémoires secrets
Marie-Jeanne a écrit:j'ajoute qu'en se montrant enchantée du grand portrait en blanc de Vigée Le Brun, l'impératrice ne manifesta aucune réserve sur la chevelure qui, bien que légèrement plus basse, était néanmoins fort empanachée.
Mme de Sabran a écrit:C'est vrai. Il faut en déduire que Marie-Thérèse est dans une phase d'indulgence et de tendresse.
La chère impératrice aurait vraiment eu mauvaise grâce à tancer la plus jeune de ses filles, alors que son aînée – et dit-on sa préférée – arborait dans le même temps des coiffures tout aussi hautes (quoique moins gracieuses ...) et des plumes tout aussi conquérantes. En voici la preuve par Zoffany d'abord (en 1776) puis par Bartolozzi, copiant Roslin (en 1782)...
Un petit tour d'Europe suffit d'ailleurs à constater que le même genre d'extravagance semble avoir frappé la plupart des cours royales et princières à la même époque...
Marie-Christine d'Autriche, duchesse de Saxe-Teschen, par Zoffany (1776)
Marie-Christine d'Autriche, duchesse de Saxe-Teschen, par Bartolozzi (1782), d'après Roslin
Et, puisque nous aimons tant les Mémoires secrets et que nous sommes ici très sensibles à leur leur grande objectivité, quelques extraits pêle-mêle où il est question de coiffure, avec ou sans plumes...
24 avril 1776 (Tome IX, pages 90 et 91) – Louis XVI et son « amabilité »
(…)
Cette Majesté revenait de l'Opéra de Paris. Le Roi lui demanda comment elle l'avait trouvé ? Elle répondit froid. Il voulut s'informer si elle avait été bien reçue des Parisiens, si elle avait eu les acclamations ordinaires ? Elle ne répondit point à cette question, et le Roi comprenant ce que cela voulait dire, répliqua : « c'est qu'apparemment, Madame, vous n'aviez pas assez de plumes. » « Je voudrais vous y voir, Sire, vous avez votre Saint Germain et votre Turgot, je crois que vous y seriez rudement hué », répliqua la Reine avec une aimable vivacité qui fit rire le monarque.
1 août 1776 (Tome IX, page 177) – visite au Salon de peinture du Colisée
La Reine et Monsieur sont venus hier au spectacle et se sont de-là rendus au Colysée* dans l'appareil le plus simple. ( ) S.M. n'avait ni diamants, ni plumes, ni coiffure haute ; elle était mise bourgeoisement, sa robe dans ses poches, et donnait le bras au prince, se laissant approcher de tout le monde : cette popularité a enchanté le public et rendu cette princesse encore plus adorable. Malheureusement il y avait très peu de monde. On avait annoncé S.M. depuis plusieurs ouvertures, on lui avait préparé un dais, et comme l'on n'était pas prévenu, on ne s'y est pas porté en foule, ainsi qu'on avait fait quelques jours auparavant.
* l’éphémère Salon du Colisée, exposition de tableaux qui devait être interdite par un arrêt du Conseil d’Etat du Roi du 30 août 1777
8 octobre 1777 (Tome X, page 317) – attrait de la reine pour la parure
Quoique la Reine par son rang et par les grâces de sa personne semble n'avoir besoin, d'aucune décoration extérieure, elle n'en aime pas moins la parure excessivement, comme c'est assez l'usage dans la jeunesse. Dernièrement à Choisy, où il y avait spectacle, elle a vu une danseuse la tête ornée de plumes qui lui ont fait envie. L'actrice s'en étant aperçue, s'empressait de s'en décoiffer en entier pour en faire hommage à S.M. ; mais elle n'en a point voulu, elle a dit qu'elle la trouvait trop bien, que ce serait dommage et s'est contentée d'en prendre une. Les Catons* de la Cour ont trouvé indécente cette familiarité de S.M., que les Aristippes admirent, au contraire, comme un trait de bonté.
* Caton l’Ancien, dit Caton le Censeur (2ème siècle avant JC), défenseur très conservateur des traditions romaines
** Aristippe de Cyrène, philosophe grec (4ème siècle avant JC), qui s’illustre par un manque de respect des conventions et dont l’orientation principale est l’hédonisme
26 juin 1780 (Tome XV, page 204) – changement de coiffure de la reine
Depuis la couche de la Reine, les cheveux de S.M. tombent, et l'art est continuellement occupé à réparer les vides qui se forment sur cette tête auguste. Cette princesse lasse de contrarier la nature, semble vouloir s'y abandonner entièrement. Elle n'a plus qu'un chignon plat, terminé par une boucle en boudin, à-peu-près comme les perruques d'abbé, et déjà différentes femmes de la cour, empressées de se conformer au goût de leur souveraine, ont sacrifié leur superbe chevelure. On appelle cette coiffure à l’enfant.
18 mai 1783 (Tome XXII, pages 285) – le chignon du roi, les catogans des femmes…
Ces jours derniers, le roi en revenant de la chasse s'est fait faire un chignon à la manière des femmes, et est allé ainsi chez la Reine. Sa Majesté s'est mise beaucoup à rire, et lui a demandé ce que signifiait cette mascarade, si l'on était revenu en carnaval ? Est-ce que vous trouvez cela vilain, lui a dit son auguste époux ? C'est une mode que j'ai envie d'amener ; je n'en ai encore institué aucune. Ah ! Sire, gardez-vous bien de celle-là, elle est affreuse, a répliqué Sa Majesté. Cependant, Madame, a repris le monarque, il faut bien que les hommes aient quelque manière de se coiffer distinguée de celles du sexe ; vous nous avez enlevé le plumet, le chapeau, la cadenette, la queue ; aujourd'hui c'est le catogan qui nous restait et que je trouve fort vilain aux femmes. La Reine a senti ce que cela voulait dire, et n'ayant rien de plus à cœur que de plaire au Roi, a donné ordre qu'on lui défit sur le champ les catogans, et a repris le chignon.
Il y a apparence que cette mode adoptée avec fureur à Paris, et fort ridicule effectivement, va tomber au moyen de la plaisanterie du Roi.
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" Ai-je vu dans sa société quelque chose qui ne fût pas marqué au coin de la grâce, de la bonté et du goût? "
(Prince de Ligne, au sujet de "la charmante reine")
Bonnefoy du Plan- Messages : 390
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Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Merci cher Bonnefoy pour cet article. Vivement le prochain numéro !!!!
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Un verre d'eau pour la Reine.
Mr de Talaru- Messages : 3193
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Localisation : près des Cordeliers...
Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Bonnefoy du Plan a écrit: 1 août 1776 (Tome IX, page 177) – visite au Salon de peinture du Colisée
La Reine et Monsieur sont venus hier au spectacle et se sont de-là rendus au Colysée* dans l'appareil le plus simple. ( ) S.M. n'avait ni diamants, ni plumes, ni coiffure haute ; elle était mise bourgeoisement, sa robe dans ses poches,
« sa robe » = robe à la française retroussée dans les poches
Le bal paré, A. de Saint-Aubin, 1774., MET.
Le 26 juin 1780, coiffure à l'enfant : Les Mémoires secrets donnent cette fois une information exacte.
Contrairement à ce qui est le plus souvent avancé, la coiffure à l'enfant ne date pas de la naissance du dauphin mais bien de la première maternité de Marie-Antoinette qui coupa ses cheveux durant et après sa grossesse. En 1780, elle se répand déjà largement comme l'indique aussi la Galerie des Modes.
Les hautes coiffures si excessivement emblématiques de la reine ne perdurèrent que quatre ans tout au plus, alors qu'elle conserva la coupe à l'enfant jusqu'à la toute fin de sa vie.
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« La mode est à la France ce que les mines du Pérou sont à l'Espagne » Colbert.
Marie-Jeanne- Messages : 1497
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Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
TROISIEME CHAPITRE (4ème post) : Peint dans la deuxième partie des années 1770, le portrait de Marie-Antoinette attribué à Mosnier aura connu bien des collectionneurs avant de refaire apparition à Versailles en 2019...
Dans ce chapitre, je vous emmène à la rencontre de deux personnalités chez qui le tableau a été accroché pendant une très grande partie du XIXe siècle (en France) puis du XXe (en Suède). Vous parler d’Arsène Houssaye et d’Astri Nordgren n’ajoute rien au tableau en tant que matière picturale à décrire, analyser et évaluer. Mais la seule matérialité d’une œuvre ne borne pas – beaucoup s’en faut, nous le savons bien – tout ce que cette œuvre peut avoir à nous dire.
"Les choses ont leurs secrets, les choses ont leurs légendes
Mais les choses nous parlent si nous savons entendre..." chante avec justesse Barbara.
Barbara, Drouot (1970)
Il ne m’est pas indifférent de savoir aujourd’hui que, pendant des dizaines d’années, le portrait de la reine fut accroché dans des demeures où primaient l’amour des lettres, du théâtre et celui des Beaux-Arts, et où – ceci n'est sans doute pas pour déplaire au Forum ! – les échanges culturels entre la Suède et la France ont été activement favorisés et très concrètement développés.
Le portrait que nous cherchons à découvrir est chargé de ces énergies-là, comme aussi d’autres, qui – elles – continueront sans doute très longtemps à se dérober...
C'est très bien ainsi!
IV – UN PORTRAIT VENU DE SUÈDE,
ISSU D’UNE COLLECTION PARISIENNE PRESTIGIEUSE AU XIXe SIÈCLE
1. Arsène Houssaye, homme de lettres …
Polygraphe original, Arsène Houssaye (1814-1896) est un auteur incontournable de la deuxième moitié du XIXe siècle. Originaire de la région de Laon, il s’installe à Paris en plein cœur du Romantisme et décide très tôt de se consacrer aux belles lettres. Il partage alors la vie de bohême de Théophile Gautier, Gérard de Nerval et quelques autres dans le fameux quartier du Doyenné, à deux pas des Tuileries. Le jeune auteur n’oublie pas pour autant de parfaire son éducation, il suit les cours du Collège de France et noue de solides et utiles amitiés dans les milieux bien en vue de la capitale.
Ses débuts littéraires s’appuient sur une activité assez régulière de critique d’art et la publication d’articles sur la peinture ancienne – surtout française, flamande et hollandaise – dans la Revue de Paris et la Revue des deux mondes. Cette prédilection pour la peinture ne quittera pas Arsène Houssaye qui, fortune faite, consacrera d’importants moyens à la constitution d’une vaste collection.
Homme de lettres prolifique, Arsène Houssaye a laissé un nom dans le journalisme, la littérature, le théâtre et les Beaux-Arts. Il n’a pas encore trente ans quand il rachète la revue culturelle illustrée l’Artiste, à laquelle il collabore depuis déjà plusieurs années. Sous sa direction, la revue multiplie les gravures pour conduire ses lecteurs au cœur des musées publics et des collections privées. Les plus grands romanciers et poètes prêtent leur concours à l’Artiste et lorsqu’ Houssaye revend la revue en 1881, c’est une publication reconnue pour son contenu résolument littéraire.
Grâce à l’entregent de la grande tragédienne Rachel, Arsène Houssaye devient Administrateur général de la Comédie Française en 1849, responsabilité qu’il exerce jusqu’en 1856. Il fait entrer au répertoire les pièces de Victor Hugo, Alexandre Dumas (père) ou encore Alfred de Musset. Il est ensuite Inspecteur General des Musées de province avant de prendre, à soixante-dix ans, la présidence de la Société des Gens de Lettres.
Une belle et longue carrière, faite de succès littéraires, administratifs et mondains !
L’un des principaux titres de gloire d’Arsène Houssaye est d’avoir contribué, dès la fin des années 1830 – avant donc les Goncourt – et dans la décennie suivante, au renouveau du goût pour l’art du XVIIIe siècle. C’est au sein de la Revue de Paris qu’il commence à publier des articles sur les artistes au temps des Lumières, des textes qui accordent une large part à la biographie, genre dans lequel il sacrifie largement au goût de l’anecdote (souvent galante) et du dialogue, sans toujours s’embarrasser des scrupules de l’historien. Une certaine flexibilité quant aux sources et une propension à faire des emprunts récurrents chez d’autres lui collent parfois une réputation de plagiaire, voire de faussaire.
2. … et collectionneur d’exception
Aussi doué pour les affaires que pour prospérer au sommet de la société culturelle du temps, Arsène Houssaye fait fortune grâce à de judicieuses opérations immobilières. Acquéreur d’un vaste terrain situé Avenue de Friedland à Paris, il y fait construire successivement plusieurs demeures de prestige. C’est là qu’il faut imaginer la collection de peinture d’où provient le tableau qui représente Marie-Antoinette « par Mosnier ». Dispersée chez Drouot en mai 1896, trois mois seulement après sa mort, cette collection de près de 250 tableaux se composait essentiellement de portraits, presque tous de l’école française.
L’académicien Jules Claretie a écrit une brève introduction au catalogue de la vente, dans lequel seules quelques lignes présentent succinctement chacun des 240 lots. Claretie précise qu’Arsène Houssaye « avait commencé sa collection presque dès son arrivée à Paris, vers 1835. (…) Arsène Houssaye est le premier avec Lacaze qui ait pensé à ces [peintres] oubliés du XVIIIe siècle. Il avait l’œil et il avait le goût – le flair d’un cousin Pons avec l’esthétique d’un Diderot. Il a continué à acheter des tableaux jusqu’en 1870. Sa galerie, sa chambre, son cabinet de toilette, son escalier en étaient pleins. Il s’est arrêté faute de place. »
Où Arsène Houssaye a-t-il accroché le portrait de Marie-Antoinette dans cet hôtel particulier prestigieux qu’il a transformé en musée ? La toile n’apparaît sur aucun des deux clichés de Nadar (nous l’avons dit en introduction, en reproduisant les deux images), pas plus qu’elle ne figure sur le dessin anonyme de la galerie, destiné à être gravé pour paraître dans l’Artiste.
Arsène Houssaye avait le projet utile de faire rédiger un catalogue raisonné de sa collection à Jules Claretie : « (…) il m’avait demandé de faire avec lui le catalogue raisonné de tous ses tableaux qu’il aimait et dont, ensemble, nous eussions conté l’histoire, donné l’origine et le prix d’achat, comme on le fait au South Kensington Museum, à Londres » (introduction au catalogue de la vente chez Drouot, mai 1896). Sans cette étude, nous manquons de précisions sur les circonstances exactes de l’acquisition par Houssaye du portrait de Marie-Antoinette signé « Mosnier, 1776 », qu’une archive oubliée conserve peut-être…
A quelle date ce tableau est-il arrivé Avenue de Friedland ?
Quelle en était la provenance ?
Existait-t-il des informations précises qui permettaient effectivement de remonter jusqu’à Jean-Laurent Mosnier ?
Les catalogues au XXIe siècle sont volontiers prolixes et fournissent des détails nombreux, souvent passionnants sur les œuvres mises en vente. Le format du catalogue de la vente Houssaye est conforme aux usages de l’époque, il est très laconique… Outre l’information sur la signature et la date, la description du lot 77, « portrait de la reine Marie-Antoinette », précise que le tableau a une hauteur de 58cm pour une largeur de 45cm :
Dans sa version 2019, le portrait mesure 61 par 49 cm. Quant aux perles de la description de 1896, nous les cherchons en vain, et les roses du corsage ne s’observent qu’au singulier. Autant de détails sur lesquels il nous faudra revenir.
Si elle renseigne peu sur les œuvres, la lecture du catalogue de la vente Houssaye permet cependant de faire quelques statistiques intéressantes : parmi les 211 toiles, pastels et dessins anciens, seuls 75 se voient formellement signifier un nom d’auteur, et parmi ces 75 lots, seuls 10 sont signés, dont seulement 4 toiles. Une attribution est proposée pour 51 lots et les 65 lots restants sont simplement rattachés à telle ou telle école (ou encore désignés comme « dans le genre de … », ou « à la manière de… »). En conclusion, plus de 6 lots sur 10 étaient donc « attribués à » ou stylistiquement liés à une école. Pour les toiles « attribuées à », la foi en la compétence de l’expert devait – ou non – emporter l’adhésion des acquéreurs. Et là, rien n’a vraiment changé…
Nous nous bornerons à noter à ce stade que le portrait de Marie-Antoinette se distinguait donc parmi les quatre peintures à l’huile dûment signées (et même ici datée). Les trois autres signatures étaient celles de Charles de La Fosse, Alexandre Roslin et Anne Vallayer.
3. Marie-Antoinette, héroïne au pays d'Arsène...
Marie-Antoinette est une figure historique qui revient régulièrement dans les écrits d’Arsène Houssaye. Sa « Mascarade à Trianon » dans le quatrième des cinq volumes de La Galerie du XVIIIe siècle (« Les hommes et femmes de cour ») a été reprise par Catriona Seth dans « Marie-Antoinette, anthologie et dictionnaire » (Robert Laffont, Collection Bouquins, 2006). Elle cite Houssaye à côté d’autres textes de la même époque par les frères Goncourt, Barbey d’Aurevilly et Léon Bloy. Elle écrit (page 348) : « De ces réfractions diverses surgissent des visions dont on peine à trouver l’unité. Le regard individuel de ces hommes de talent fait de Marie-Antoinette, à bien des égards, le porteur de leurs idéaux et de leurs fantasmes, un personnage plus encore qu’une personne. »
La « Mascarade » met en scène la reine avec différents familiers, mais aussi et surtout avec Jean-Jacques Rousseau… Le philosophe est venu herboriser à Trianon (!) où il s’entretient avec une Marie-Antoinette qu’il n’a pas reconnue... Dans cette courte pièce en une douzaine de petites scènes, la reine – comme le philosophe – aspire à retrouver la nature et à fuir un quotidien délétère. Extrait de ce dialogue, où Marie-Antoinette feint de découvrir le domaine de la reine (pages 355-356) :
La reine : N’y a-t-il pas un théâtre ?
Jean-Jacques Rousseau : Oui, comme si la comédie n’était pas assez curieuse sur le théâtre de la Cour ! On est si ennuyé de son rôle, quand on a le malheur d’être reine, qu’on veut se déguiser sans cesse, tantôt en bergère, tantôt en comédienne ; mais on a beau faire, c’est toujours le même cœur qui s’ennuie et qui cherche.
La reine : Qui cherche ?
Jean-Jacques Rousseau : Qui cherche ce qui n’est pas à la Cour : la liberté, l’amour, la solitude, tout ce qui est l’image du bonheur ici-bas, ou plutôt l’ombre du bonheur.
La reine : Le bonheur n’est-il pas à la Cour, comme ailleurs ?
Jean-Jacques Rousseau : A la Cour, on ne trouve que le plaisir ; or, comme l’a dit le sage, si le bonheur est un diamant, le plaisir n’est qu’une goutte d’eau. (…)
Et Catriona Seth de conclure (page 349) : « La vérité de la reine ne semble pouvoir être dite que par le recours volontaire à une scène fictionnelle, son retrait de ses fonctions officielles, son désir, en celant sa propre identité, de reconnaître et d’honorer un grand seigneur de l’esprit. »
Prenons encore dans les « Confessions » (celles de Houssaye, toujours, pas celles de Jean-Jacques…) l’épisode où le célèbre avocat républicain Jules Favre rencontre la fille du prétendant Naundorff. Favre est frappé par la ressemblance entre la jeune femme et Marie-Antoinette, et Houssaye lui prête ces mots au sujet de la reine : « Il n’y a pas de femmes qui aient été si bien peintes ; tous ses portraits, qu’ils soient de Mosnier, de Greuze, de Vestier, de Mme Lebrun, témoignent que les peintres ont bien vu, puisque c’est toujours la même figure. » (Tome VI, 1891, p. 111). Nul doute qu’en écrivant ces lignes Houssaye ait pensé à « son » tableau, qu’il intégrait sans difficulté au corpus des portraits connus de Marie-Antoinette. Si le Vestier d’alors est probablement la petite toile peinte devant le Temple de l’Amour au Petit Trianon, réattribuée à Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty après son acquisition par le Château de Versailles, il est moins clair d’identifier à quel portrait Favre / Houssaye fait référence en évoquant Greuze. Les attributions parfois hasardeuses sont un des grands classiques de l’époque et un vague rapport stylistique suffit souvent pour distribuer les pinceaux…
D’autres références à Marie-Antoinette traversent l’œuvre, elles sont autant de marqueurs d’un style et d’une sociabilité qui plaisent à Houssaye et s’accordent à l’univers mental et esthétique qu’il s’est construit autour d’un XVIIIe siècle réinventé.
Il n’est donc pas étonnant de trouver dans sa collection un portrait de la reine, une femme parmi beaucoup d’autres dans cette galerie où elle côtoie son amie la duchesse de Polignac, mais surtout des femmes de spectacle, comme Madame Favart, Sophie Arnould ou Mlle Duthé, ou encore la salonnière Mme Tallien (pour ne citer que ses contemporaines).
4. un destin suédois, en partie documenté
Après 1896, le portrait reste vraisemblablement en France où il semble avoir ensuite été revendu au moins deux fois.
Nous verrons au chapitre suivant que le tableau a été transposé au début du XXe siècle, ce qui revient à dire qu’il a été transféré sur une nouvelle toile et remonté sur un autre châssis que celui d’origine. Or, ce « nouveau » châssis sur lequel a également été reporté l’étiquette de la vente Houssaye comporte deux étiquettes supplémentaires écrites en français.
Ces étiquettes sont les indicateurs des pérégrinations géographiques et historiques du tableau au XXe siècle et même si les ventes auxquelles elles se rapportent n’ont pas (encore) été identifiées, elles permettent d’avancer des hypothèses. Elles suggèrent deux ventes entre celles de 1896 et 1993, la deuxième correspondant par déduction à l’achat d’un collectionneur suédois, dont la succession aura lieu en 1993. Ces ventes ont eu lieu vraisemblablement en France, car les deux étiquettes sont en français. Pour les experts consultés, les étiquettes correspondent bien à des ventes dans la première partie du XXe siècle, elles semblent en effet assez caractéristiques du type de celles utilisées entre les années 1930 et 1970 (information Bukowskis).
La plus récente des deux étiquettes marque donc la vente qui voit le tableau partir en Suède. Si la date exacte reste à déterminer, il est déjà possible d’affirmer qu’elle est antérieure à 1965, année où la présence du portrait de Marie-Antoinette est en effet attestée par le musée national de Stockholm.
Le tableau appartient alors à l’auteure Astri Nordgren et, avec d’autres portraits de sa collection, il est photographié cette année-là par les services du Nationalmuseum, lequel conserve dans le fonds SPA (Swedish Portraits Archives) plus de 100 000 photos de portraits. Ce vaste ensemble est actuellement en cours de numérisation. Il réunit non seulement les portraits des musées suédois mais aussi ceux des collections privées du pays pour constituer une base de données la plus exhaustive possible.
Selon toute vraisemblance, Astri Nordgren fut la propriétaire du portrait pendant la période la plus longue au XXe siècle. Ses liens avec la France étaient alors déjà anciens et nombreux, ils se sont encore approfondis à la génération suivante avec son fils.
5. un environnement des plus francophiles
Astri Nordgren fut la première épouse du célèbre sculpteur et plasticien suédois Eric Grate, dont les œuvres – souvent monumentales – ornent de nombreux espaces publics en Suède. Mariés en 1922, ils ont vécu à Paris le meilleur de leur jeunesse, entre 1924 et 1933, et l’essentiel de leurs années en couple.
Auraient-ils acheté dans leur jeune âge un tel tableau, alors qu’ils baignaient plutôt dans l’avant-garde artistique des Années Folles ? Il est probable que l’achat soit postérieur aux années 30 et qu’Astri Nordgren en ait fait l’acquisition alors qu’elle ne partageait plus la vie d’Eric Grate.
Des années plus tard, leur fils Pontus a joué un rôle de premier plan pour l’approfondissement des relations culturelles entre la France et la Suède. Historien de l’art de formation, conservateur au Nationalmuseum dès le milieu des années 1950, c’est à lui que le gouvernement suédois confie en 1969 la mission de préparer l’ouverture du nouveau Centre culturel suédois dans le quartier historique du Marais à Paris. Il y assure ensuite la fonction de directeur, parallèlement à celle de conseiller culturel près l’Ambassade de Suède, de 1971 à 1977.
De retour à Stockholm, il retrouve le Nationalmuseum où il est nommé directeur des collections de peintures avant de devenir le directeur-adjoint du musée, de 1982 à sa retraite en 1988.
En 1993 et 1994, ses compétences le désignent pour rejoindre Pierre Lemoine au Commissariat général de l’exposition événement sur les échanges artistiques entre la Suède et la France au Siècle des Lumières. « Le Soleil et l’Étoile du Nord » devait connaître un grand succès critique et public, aussi bien à Stockholm au Nationalmuseum qu’à Paris au Grand Palais. Pontus Grate a également très largement contribué au catalogue et c’est sous sa plume que l’on peut lire la (très brève) présentation du fameux portrait de Marie-Antoinette avec ses enfants, commandé en 1784 à Adolf Wertmüller pour Gustave III. A cette occasion, le tableau controversé faisait un deuxième retour en France en l’espace de quarante ans, après avoir été exposé à Versailles en 1955 pour l’exposition Marie-Antoinette.
Pontus Grate a écrit des articles et des livres, entres autres sur la reine Christine (il a ainsi participé à l’émission Secrets d’Histoire consacré à cette souveraine...), Toulouse-Lautrec, son père Eric Grate, et surtout l’art français du XVIIIe siècle, dans lequel il s’est spécialisé.
Il a également traduit un certain nombre de textes littéraires et d’articles du français vers le suédois, notamment des ouvrages d’Anatole France, Jean Giono, Michèle Desbordes, Noëlle Châtelet et le lauréat du prix Nobel 2014 Patrick Modiano. Ce dernier est édité par son épouse Elisabeth, à la tête d’une maison d’édition familiale spécialisée dans la « littérature française de qualité » en traduction suédoise. Parmi bien des auteurs, elle édite ainsi Jean-Marie Gustave Le Clézio, autre prix Nobel de littérature en 2008.
Grand spécialiste de la peinture française au XVIIIe siècle, Pontus Grate a peut-être conseillé sa mère dans ses acquisitions. Même sans cela, il ne pouvait que bien connaître le portrait de Marie-Antoinette conservé au domicile maternel.
Qu’en pensait-il ? Rien de suffisant – apparemment – pour en proposer l’acquisition en l’état par le Nationalmuseum lors de la succession d’Astri Nordgren en 1993…
Il serait cependant intéressant de savoir s’il a exprimé un avis sur le tableau et donné son opinion quant à la signature. Tout comme il serait utile d’interroger les archives familiales pour remonter jusqu’à la date et aux circonstances de l’acquisition, ou pour retrouver la trace des restaurations éventuellement engagées par Astri Nordgren.
En 1993, à la vente de la succession d’Astri Nordgren, le tableau reste dans une collection privée suédoise.
En 2019, c’est à nouveau la maison Bukowskis qui présente le portrait lors d’une seconde vente à Stockholm. Mais cette fois, l’escapade au pays d’Axel se termine et c’est un destin français qui est à nouveau scellé pour le portrait attribué à Mosnier. Nous allons le suivre pas à pas, tout au long de la longue année et demie de restauration qui va s’engager au bien nommé Atelier du Soleil à Versailles...
Mais il faudra d’abord parler du grand peintre que fut Jean-Laurent Mosnier.
Une carrière nomade entre France et Russie, en passant par Londres et Hambourg, a eu pour conséquence de laisser le talent supérieur de cet artiste dans l’ombre de ses contemporains mieux connus, à commencer par Louise-Elisabeth Vigée Le Brun et Adélaïde Labille-Guiard, académiciennes comme lui et ses rivales dans l’art du portrait.
Dans ce chapitre, je vous emmène à la rencontre de deux personnalités chez qui le tableau a été accroché pendant une très grande partie du XIXe siècle (en France) puis du XXe (en Suède). Vous parler d’Arsène Houssaye et d’Astri Nordgren n’ajoute rien au tableau en tant que matière picturale à décrire, analyser et évaluer. Mais la seule matérialité d’une œuvre ne borne pas – beaucoup s’en faut, nous le savons bien – tout ce que cette œuvre peut avoir à nous dire.
"Les choses ont leurs secrets, les choses ont leurs légendes
Mais les choses nous parlent si nous savons entendre..." chante avec justesse Barbara.
Barbara, Drouot (1970)
- Spoiler:
Il ne m’est pas indifférent de savoir aujourd’hui que, pendant des dizaines d’années, le portrait de la reine fut accroché dans des demeures où primaient l’amour des lettres, du théâtre et celui des Beaux-Arts, et où – ceci n'est sans doute pas pour déplaire au Forum ! – les échanges culturels entre la Suède et la France ont été activement favorisés et très concrètement développés.
Le portrait que nous cherchons à découvrir est chargé de ces énergies-là, comme aussi d’autres, qui – elles – continueront sans doute très longtemps à se dérober...
C'est très bien ainsi!
Détail du portrait restauré (DR)
IV – UN PORTRAIT VENU DE SUÈDE,
ISSU D’UNE COLLECTION PARISIENNE PRESTIGIEUSE AU XIXe SIÈCLE
1. Arsène Houssaye, homme de lettres …
Polygraphe original, Arsène Houssaye (1814-1896) est un auteur incontournable de la deuxième moitié du XIXe siècle. Originaire de la région de Laon, il s’installe à Paris en plein cœur du Romantisme et décide très tôt de se consacrer aux belles lettres. Il partage alors la vie de bohême de Théophile Gautier, Gérard de Nerval et quelques autres dans le fameux quartier du Doyenné, à deux pas des Tuileries. Le jeune auteur n’oublie pas pour autant de parfaire son éducation, il suit les cours du Collège de France et noue de solides et utiles amitiés dans les milieux bien en vue de la capitale.
Ses débuts littéraires s’appuient sur une activité assez régulière de critique d’art et la publication d’articles sur la peinture ancienne – surtout française, flamande et hollandaise – dans la Revue de Paris et la Revue des deux mondes. Cette prédilection pour la peinture ne quittera pas Arsène Houssaye qui, fortune faite, consacrera d’importants moyens à la constitution d’une vaste collection.
Homme de lettres prolifique, Arsène Houssaye a laissé un nom dans le journalisme, la littérature, le théâtre et les Beaux-Arts. Il n’a pas encore trente ans quand il rachète la revue culturelle illustrée l’Artiste, à laquelle il collabore depuis déjà plusieurs années. Sous sa direction, la revue multiplie les gravures pour conduire ses lecteurs au cœur des musées publics et des collections privées. Les plus grands romanciers et poètes prêtent leur concours à l’Artiste et lorsqu’ Houssaye revend la revue en 1881, c’est une publication reconnue pour son contenu résolument littéraire.
Grâce à l’entregent de la grande tragédienne Rachel, Arsène Houssaye devient Administrateur général de la Comédie Française en 1849, responsabilité qu’il exerce jusqu’en 1856. Il fait entrer au répertoire les pièces de Victor Hugo, Alexandre Dumas (père) ou encore Alfred de Musset. Il est ensuite Inspecteur General des Musées de province avant de prendre, à soixante-dix ans, la présidence de la Société des Gens de Lettres.
Une belle et longue carrière, faite de succès littéraires, administratifs et mondains !
L’un des principaux titres de gloire d’Arsène Houssaye est d’avoir contribué, dès la fin des années 1830 – avant donc les Goncourt – et dans la décennie suivante, au renouveau du goût pour l’art du XVIIIe siècle. C’est au sein de la Revue de Paris qu’il commence à publier des articles sur les artistes au temps des Lumières, des textes qui accordent une large part à la biographie, genre dans lequel il sacrifie largement au goût de l’anecdote (souvent galante) et du dialogue, sans toujours s’embarrasser des scrupules de l’historien. Une certaine flexibilité quant aux sources et une propension à faire des emprunts récurrents chez d’autres lui collent parfois une réputation de plagiaire, voire de faussaire.
Jules Varnier (1826-1873)
Portrait d’Arsène Houssaye (1814-1896), huile sur toile, 1840 (150x121cm), Musée de Valence
(source de l’image : site internet du Musée de Valence, photographie Philippe Petiot)
Portrait d’Arsène Houssaye (1814-1896), huile sur toile, 1840 (150x121cm), Musée de Valence
(source de l’image : site internet du Musée de Valence, photographie Philippe Petiot)
2. … et collectionneur d’exception
Aussi doué pour les affaires que pour prospérer au sommet de la société culturelle du temps, Arsène Houssaye fait fortune grâce à de judicieuses opérations immobilières. Acquéreur d’un vaste terrain situé Avenue de Friedland à Paris, il y fait construire successivement plusieurs demeures de prestige. C’est là qu’il faut imaginer la collection de peinture d’où provient le tableau qui représente Marie-Antoinette « par Mosnier ». Dispersée chez Drouot en mai 1896, trois mois seulement après sa mort, cette collection de près de 250 tableaux se composait essentiellement de portraits, presque tous de l’école française.
L’académicien Jules Claretie a écrit une brève introduction au catalogue de la vente, dans lequel seules quelques lignes présentent succinctement chacun des 240 lots. Claretie précise qu’Arsène Houssaye « avait commencé sa collection presque dès son arrivée à Paris, vers 1835. (…) Arsène Houssaye est le premier avec Lacaze qui ait pensé à ces [peintres] oubliés du XVIIIe siècle. Il avait l’œil et il avait le goût – le flair d’un cousin Pons avec l’esthétique d’un Diderot. Il a continué à acheter des tableaux jusqu’en 1870. Sa galerie, sa chambre, son cabinet de toilette, son escalier en étaient pleins. Il s’est arrêté faute de place. »
Anonyme
Salon galerie chez Arsène Houssaye, avenue de Friedland à Paris
dessin sur papier beige : crayon, plume et encre, lavis d’encre (23,8 x 34,0 cm)
dessin gravé dans la revue l’Artiste
Bibliothèque nationale de France, Collection Chauvet. Dessins sur Paris et ses environs
(source de l’image : Gallica)
Salon galerie chez Arsène Houssaye, avenue de Friedland à Paris
dessin sur papier beige : crayon, plume et encre, lavis d’encre (23,8 x 34,0 cm)
dessin gravé dans la revue l’Artiste
Bibliothèque nationale de France, Collection Chauvet. Dessins sur Paris et ses environs
(source de l’image : Gallica)
Où Arsène Houssaye a-t-il accroché le portrait de Marie-Antoinette dans cet hôtel particulier prestigieux qu’il a transformé en musée ? La toile n’apparaît sur aucun des deux clichés de Nadar (nous l’avons dit en introduction, en reproduisant les deux images), pas plus qu’elle ne figure sur le dessin anonyme de la galerie, destiné à être gravé pour paraître dans l’Artiste.
Arsène Houssaye avait le projet utile de faire rédiger un catalogue raisonné de sa collection à Jules Claretie : « (…) il m’avait demandé de faire avec lui le catalogue raisonné de tous ses tableaux qu’il aimait et dont, ensemble, nous eussions conté l’histoire, donné l’origine et le prix d’achat, comme on le fait au South Kensington Museum, à Londres » (introduction au catalogue de la vente chez Drouot, mai 1896). Sans cette étude, nous manquons de précisions sur les circonstances exactes de l’acquisition par Houssaye du portrait de Marie-Antoinette signé « Mosnier, 1776 », qu’une archive oubliée conserve peut-être…
A quelle date ce tableau est-il arrivé Avenue de Friedland ?
Quelle en était la provenance ?
Existait-t-il des informations précises qui permettaient effectivement de remonter jusqu’à Jean-Laurent Mosnier ?
Les catalogues au XXIe siècle sont volontiers prolixes et fournissent des détails nombreux, souvent passionnants sur les œuvres mises en vente. Le format du catalogue de la vente Houssaye est conforme aux usages de l’époque, il est très laconique… Outre l’information sur la signature et la date, la description du lot 77, « portrait de la reine Marie-Antoinette », précise que le tableau a une hauteur de 58cm pour une largeur de 45cm :
catalogue de la vente Houssaye en mai 1896
description du lot #77, portrait de Marie-Antoinette par Jean-Laurent Mosnier
étiquette de la vente de 1896, sur le châssis du tableau
(source des images : collection particulière, DR)
description du lot #77, portrait de Marie-Antoinette par Jean-Laurent Mosnier
étiquette de la vente de 1896, sur le châssis du tableau
(source des images : collection particulière, DR)
Dans sa version 2019, le portrait mesure 61 par 49 cm. Quant aux perles de la description de 1896, nous les cherchons en vain, et les roses du corsage ne s’observent qu’au singulier. Autant de détails sur lesquels il nous faudra revenir.
Si elle renseigne peu sur les œuvres, la lecture du catalogue de la vente Houssaye permet cependant de faire quelques statistiques intéressantes : parmi les 211 toiles, pastels et dessins anciens, seuls 75 se voient formellement signifier un nom d’auteur, et parmi ces 75 lots, seuls 10 sont signés, dont seulement 4 toiles. Une attribution est proposée pour 51 lots et les 65 lots restants sont simplement rattachés à telle ou telle école (ou encore désignés comme « dans le genre de … », ou « à la manière de… »). En conclusion, plus de 6 lots sur 10 étaient donc « attribués à » ou stylistiquement liés à une école. Pour les toiles « attribuées à », la foi en la compétence de l’expert devait – ou non – emporter l’adhésion des acquéreurs. Et là, rien n’a vraiment changé…
Nous nous bornerons à noter à ce stade que le portrait de Marie-Antoinette se distinguait donc parmi les quatre peintures à l’huile dûment signées (et même ici datée). Les trois autres signatures étaient celles de Charles de La Fosse, Alexandre Roslin et Anne Vallayer.
3. Marie-Antoinette, héroïne au pays d'Arsène...
Marie-Antoinette est une figure historique qui revient régulièrement dans les écrits d’Arsène Houssaye. Sa « Mascarade à Trianon » dans le quatrième des cinq volumes de La Galerie du XVIIIe siècle (« Les hommes et femmes de cour ») a été reprise par Catriona Seth dans « Marie-Antoinette, anthologie et dictionnaire » (Robert Laffont, Collection Bouquins, 2006). Elle cite Houssaye à côté d’autres textes de la même époque par les frères Goncourt, Barbey d’Aurevilly et Léon Bloy. Elle écrit (page 348) : « De ces réfractions diverses surgissent des visions dont on peine à trouver l’unité. Le regard individuel de ces hommes de talent fait de Marie-Antoinette, à bien des égards, le porteur de leurs idéaux et de leurs fantasmes, un personnage plus encore qu’une personne. »
La « Mascarade » met en scène la reine avec différents familiers, mais aussi et surtout avec Jean-Jacques Rousseau… Le philosophe est venu herboriser à Trianon (!) où il s’entretient avec une Marie-Antoinette qu’il n’a pas reconnue... Dans cette courte pièce en une douzaine de petites scènes, la reine – comme le philosophe – aspire à retrouver la nature et à fuir un quotidien délétère. Extrait de ce dialogue, où Marie-Antoinette feint de découvrir le domaine de la reine (pages 355-356) :
La reine : N’y a-t-il pas un théâtre ?
Jean-Jacques Rousseau : Oui, comme si la comédie n’était pas assez curieuse sur le théâtre de la Cour ! On est si ennuyé de son rôle, quand on a le malheur d’être reine, qu’on veut se déguiser sans cesse, tantôt en bergère, tantôt en comédienne ; mais on a beau faire, c’est toujours le même cœur qui s’ennuie et qui cherche.
La reine : Qui cherche ?
Jean-Jacques Rousseau : Qui cherche ce qui n’est pas à la Cour : la liberté, l’amour, la solitude, tout ce qui est l’image du bonheur ici-bas, ou plutôt l’ombre du bonheur.
La reine : Le bonheur n’est-il pas à la Cour, comme ailleurs ?
Jean-Jacques Rousseau : A la Cour, on ne trouve que le plaisir ; or, comme l’a dit le sage, si le bonheur est un diamant, le plaisir n’est qu’une goutte d’eau. (…)
Et Catriona Seth de conclure (page 349) : « La vérité de la reine ne semble pouvoir être dite que par le recours volontaire à une scène fictionnelle, son retrait de ses fonctions officielles, son désir, en celant sa propre identité, de reconnaître et d’honorer un grand seigneur de l’esprit. »
Prenons encore dans les « Confessions » (celles de Houssaye, toujours, pas celles de Jean-Jacques…) l’épisode où le célèbre avocat républicain Jules Favre rencontre la fille du prétendant Naundorff. Favre est frappé par la ressemblance entre la jeune femme et Marie-Antoinette, et Houssaye lui prête ces mots au sujet de la reine : « Il n’y a pas de femmes qui aient été si bien peintes ; tous ses portraits, qu’ils soient de Mosnier, de Greuze, de Vestier, de Mme Lebrun, témoignent que les peintres ont bien vu, puisque c’est toujours la même figure. » (Tome VI, 1891, p. 111). Nul doute qu’en écrivant ces lignes Houssaye ait pensé à « son » tableau, qu’il intégrait sans difficulté au corpus des portraits connus de Marie-Antoinette. Si le Vestier d’alors est probablement la petite toile peinte devant le Temple de l’Amour au Petit Trianon, réattribuée à Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty après son acquisition par le Château de Versailles, il est moins clair d’identifier à quel portrait Favre / Houssaye fait référence en évoquant Greuze. Les attributions parfois hasardeuses sont un des grands classiques de l’époque et un vague rapport stylistique suffit souvent pour distribuer les pinceaux…
D’autres références à Marie-Antoinette traversent l’œuvre, elles sont autant de marqueurs d’un style et d’une sociabilité qui plaisent à Houssaye et s’accordent à l’univers mental et esthétique qu’il s’est construit autour d’un XVIIIe siècle réinventé.
Il n’est donc pas étonnant de trouver dans sa collection un portrait de la reine, une femme parmi beaucoup d’autres dans cette galerie où elle côtoie son amie la duchesse de Polignac, mais surtout des femmes de spectacle, comme Madame Favart, Sophie Arnould ou Mlle Duthé, ou encore la salonnière Mme Tallien (pour ne citer que ses contemporaines).
Arsène Houssaye (1814-1896)
par Adrien Tournachon (à gauche, années 1850) et par Prudent Dragon (à droite, en 1875)
(source des images : Gallica ; Bits of our Past. Ltd)
par Adrien Tournachon (à gauche, années 1850) et par Prudent Dragon (à droite, en 1875)
(source des images : Gallica ; Bits of our Past. Ltd)
4. un destin suédois, en partie documenté
Après 1896, le portrait reste vraisemblablement en France où il semble avoir ensuite été revendu au moins deux fois.
Nous verrons au chapitre suivant que le tableau a été transposé au début du XXe siècle, ce qui revient à dire qu’il a été transféré sur une nouvelle toile et remonté sur un autre châssis que celui d’origine. Or, ce « nouveau » châssis sur lequel a également été reporté l’étiquette de la vente Houssaye comporte deux étiquettes supplémentaires écrites en français.
les étiquettes présentes sur le châssis, en dehors de celles des ventes de 1896, 1993 et 2019
elles suggèrent deux ventes successives, en France, vraisemblablement dans la 1ère moitié du XXe siècle ;
le tableau est acquis par Astri Nordgren à l’occasion de la seconde vente, au plus tard en 1965,
date à laquelle le tableau est photographié par le Nationalmuseum de Stockholm (à droite)
(source des images : Bukowskis, Stockholm)
elles suggèrent deux ventes successives, en France, vraisemblablement dans la 1ère moitié du XXe siècle ;
le tableau est acquis par Astri Nordgren à l’occasion de la seconde vente, au plus tard en 1965,
date à laquelle le tableau est photographié par le Nationalmuseum de Stockholm (à droite)
(source des images : Bukowskis, Stockholm)
Ces étiquettes sont les indicateurs des pérégrinations géographiques et historiques du tableau au XXe siècle et même si les ventes auxquelles elles se rapportent n’ont pas (encore) été identifiées, elles permettent d’avancer des hypothèses. Elles suggèrent deux ventes entre celles de 1896 et 1993, la deuxième correspondant par déduction à l’achat d’un collectionneur suédois, dont la succession aura lieu en 1993. Ces ventes ont eu lieu vraisemblablement en France, car les deux étiquettes sont en français. Pour les experts consultés, les étiquettes correspondent bien à des ventes dans la première partie du XXe siècle, elles semblent en effet assez caractéristiques du type de celles utilisées entre les années 1930 et 1970 (information Bukowskis).
La plus récente des deux étiquettes marque donc la vente qui voit le tableau partir en Suède. Si la date exacte reste à déterminer, il est déjà possible d’affirmer qu’elle est antérieure à 1965, année où la présence du portrait de Marie-Antoinette est en effet attestée par le musée national de Stockholm.
Le tableau appartient alors à l’auteure Astri Nordgren et, avec d’autres portraits de sa collection, il est photographié cette année-là par les services du Nationalmuseum, lequel conserve dans le fonds SPA (Swedish Portraits Archives) plus de 100 000 photos de portraits. Ce vaste ensemble est actuellement en cours de numérisation. Il réunit non seulement les portraits des musées suédois mais aussi ceux des collections privées du pays pour constituer une base de données la plus exhaustive possible.
Selon toute vraisemblance, Astri Nordgren fut la propriétaire du portrait pendant la période la plus longue au XXe siècle. Ses liens avec la France étaient alors déjà anciens et nombreux, ils se sont encore approfondis à la génération suivante avec son fils.
5. un environnement des plus francophiles
Astri Nordgren fut la première épouse du célèbre sculpteur et plasticien suédois Eric Grate, dont les œuvres – souvent monumentales – ornent de nombreux espaces publics en Suède. Mariés en 1922, ils ont vécu à Paris le meilleur de leur jeunesse, entre 1924 et 1933, et l’essentiel de leurs années en couple.
Auraient-ils acheté dans leur jeune âge un tel tableau, alors qu’ils baignaient plutôt dans l’avant-garde artistique des Années Folles ? Il est probable que l’achat soit postérieur aux années 30 et qu’Astri Nordgren en ait fait l’acquisition alors qu’elle ne partageait plus la vie d’Eric Grate.
trois tableaux de la collection d’Astri Nordgren, photographiés en 1965 par le Musée national de Stockholm
de gauche à droite, Marie-Antoinette, reine de France par Jean-Laurent Mosnier
Louise de Mecklembourg, reine du Danemark, par Jacques d’Agar
Elizabeth 1ère, reine d’Angleterre (attribution modifiée depuis), par Marc Gheeraerts
(source des images : Nationalmuseum Stockholm)
de gauche à droite, Marie-Antoinette, reine de France par Jean-Laurent Mosnier
Louise de Mecklembourg, reine du Danemark, par Jacques d’Agar
Elizabeth 1ère, reine d’Angleterre (attribution modifiée depuis), par Marc Gheeraerts
(source des images : Nationalmuseum Stockholm)
Des années plus tard, leur fils Pontus a joué un rôle de premier plan pour l’approfondissement des relations culturelles entre la France et la Suède. Historien de l’art de formation, conservateur au Nationalmuseum dès le milieu des années 1950, c’est à lui que le gouvernement suédois confie en 1969 la mission de préparer l’ouverture du nouveau Centre culturel suédois dans le quartier historique du Marais à Paris. Il y assure ensuite la fonction de directeur, parallèlement à celle de conseiller culturel près l’Ambassade de Suède, de 1971 à 1977.
De retour à Stockholm, il retrouve le Nationalmuseum où il est nommé directeur des collections de peintures avant de devenir le directeur-adjoint du musée, de 1982 à sa retraite en 1988.
En 1993 et 1994, ses compétences le désignent pour rejoindre Pierre Lemoine au Commissariat général de l’exposition événement sur les échanges artistiques entre la Suède et la France au Siècle des Lumières. « Le Soleil et l’Étoile du Nord » devait connaître un grand succès critique et public, aussi bien à Stockholm au Nationalmuseum qu’à Paris au Grand Palais. Pontus Grate a également très largement contribué au catalogue et c’est sous sa plume que l’on peut lire la (très brève) présentation du fameux portrait de Marie-Antoinette avec ses enfants, commandé en 1784 à Adolf Wertmüller pour Gustave III. A cette occasion, le tableau controversé faisait un deuxième retour en France en l’espace de quarante ans, après avoir été exposé à Versailles en 1955 pour l’exposition Marie-Antoinette.
Eric Grate (1896-1983)
ci-dessus, buste en bronze d’Astri Nordgren réalisé en 1928, à Paris
par Eric Grate, dont elle fut la première épouse
(source des images : Bukowskis, Stockholm)
ci-dessus, buste en bronze d’Astri Nordgren réalisé en 1928, à Paris
par Eric Grate, dont elle fut la première épouse
(source des images : Bukowskis, Stockholm)
Pontus Grate a écrit des articles et des livres, entres autres sur la reine Christine (il a ainsi participé à l’émission Secrets d’Histoire consacré à cette souveraine...), Toulouse-Lautrec, son père Eric Grate, et surtout l’art français du XVIIIe siècle, dans lequel il s’est spécialisé.
Il a également traduit un certain nombre de textes littéraires et d’articles du français vers le suédois, notamment des ouvrages d’Anatole France, Jean Giono, Michèle Desbordes, Noëlle Châtelet et le lauréat du prix Nobel 2014 Patrick Modiano. Ce dernier est édité par son épouse Elisabeth, à la tête d’une maison d’édition familiale spécialisée dans la « littérature française de qualité » en traduction suédoise. Parmi bien des auteurs, elle édite ainsi Jean-Marie Gustave Le Clézio, autre prix Nobel de littérature en 2008.
Grand spécialiste de la peinture française au XVIIIe siècle, Pontus Grate a peut-être conseillé sa mère dans ses acquisitions. Même sans cela, il ne pouvait que bien connaître le portrait de Marie-Antoinette conservé au domicile maternel.
Qu’en pensait-il ? Rien de suffisant – apparemment – pour en proposer l’acquisition en l’état par le Nationalmuseum lors de la succession d’Astri Nordgren en 1993…
Il serait cependant intéressant de savoir s’il a exprimé un avis sur le tableau et donné son opinion quant à la signature. Tout comme il serait utile d’interroger les archives familiales pour remonter jusqu’à la date et aux circonstances de l’acquisition, ou pour retrouver la trace des restaurations éventuellement engagées par Astri Nordgren.
Astri Nordgren et Pontus Grate
à gauche, Astri Nordgren lors d’une interview télévisée le 7 août 1988
(Då flyger timmarna ; « puis les heures s’envolent »)
à droite, Pontus Grate, fils d’Astri Nordgren et Eric Grate,
fondateur et premier directeur du Centre culturel suédois à Paris
(source des images : IMS Vintage Photo / Wikipédia, DR)
à gauche, Astri Nordgren lors d’une interview télévisée le 7 août 1988
(Då flyger timmarna ; « puis les heures s’envolent »)
à droite, Pontus Grate, fils d’Astri Nordgren et Eric Grate,
fondateur et premier directeur du Centre culturel suédois à Paris
(source des images : IMS Vintage Photo / Wikipédia, DR)
En 1993, à la vente de la succession d’Astri Nordgren, le tableau reste dans une collection privée suédoise.
En 2019, c’est à nouveau la maison Bukowskis qui présente le portrait lors d’une seconde vente à Stockholm. Mais cette fois, l’escapade au pays d’Axel se termine et c’est un destin français qui est à nouveau scellé pour le portrait attribué à Mosnier. Nous allons le suivre pas à pas, tout au long de la longue année et demie de restauration qui va s’engager au bien nommé Atelier du Soleil à Versailles...
Mais il faudra d’abord parler du grand peintre que fut Jean-Laurent Mosnier.
Une carrière nomade entre France et Russie, en passant par Londres et Hambourg, a eu pour conséquence de laisser le talent supérieur de cet artiste dans l’ombre de ses contemporains mieux connus, à commencer par Louise-Elisabeth Vigée Le Brun et Adélaïde Labille-Guiard, académiciennes comme lui et ses rivales dans l’art du portrait.
Dernière édition par Bonnefoy du Plan le Lun 08 Nov 2021, 00:27, édité 1 fois
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(Prince de Ligne, au sujet de "la charmante reine")
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Re: Enquête sur un tableau retrouvé de Marie-Antoinette attribué à Jean-Laurent Mosnier (vers 1776)
Merci, mon cher Bonnefoy, vous me faites mieux connaître Arsène Houssaye.
Et le feuilleton est toujours aussi passionnant !
Et le feuilleton est toujours aussi passionnant !
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55497
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