Ailleurs dans le monde en 1789
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Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Toujours passionnant merci Calonne. Les gens de couleur libres, voilà un autre sujet de préoccupation. Vous nous en parlerez?
Monsieur de la Pérouse- Messages : 511
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Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Bien volontiers.
Cette appellation désignait donc, dans les colonies françaises, les non-blancs libres. On distinguait principalement trois origines, européenne, africaine et indienne.
C'est après la Guerre de Sept ans que cette distinction apparaît officiellement dans les registres d'état civil et paroissiaux. Mais on la trouve dès 1720 à Saint Domingue pour différencier ces personnes des "affranchis", c'est à dire des anciens esclaves redevenus libres. La dénomination "gens de couleur libres" se référait donc aux non-blancs nés libres, pour les différencier des non-blancs esclaves devenus libres.
Pour autant, ces non-blancs nés libres étaient, comme on l'a vu, privés de certains droits : pas d'accès aux postes à responsabilités, interdiction d'exercer la médecine ou un commandement militaire, interdiction de se faire appeler Monsieur ou Madame... On leur interdisait également de porter des bijoux en or et de s'habiller comme les colons blancs. Des gens libres certes, mais toujours des citoyens de seconde zone. Notons qu'étant libres, ils pouvaient posséder des esclaves.
A partir de 1791, on intègre les mulâtres dans cette catégorie. Mais ce même décret de la Constituante refuse d'y inclure les fameux affranchis, sans doute pour complaire aux grands propriétaires terriens. Ce qui provoque la colère d'un certain Robespierre... Le décret est finalement révoqué en septembre de la même année, sous la pression d'Antoine Barnave et de Lameth. Mais il faudra attendre 1792 pour que l'Assemblée Législative proclame enfin l'égalité juridique des gens de couleur libres avec les blancs. Affranchis et gens de couleur libres sont donc désormais réunis (avec les mulâtres) sous cette appellation unique de "gens de couleur libres" et sont égaux en droit avec les blancs. Jusqu'en 1802, date du retour de l'esclavage dans nos colonies...
Les affranchis étaient donc d'anciens esclaves redevenus libres.
Aussi choquant que cela puisse paraître, eux aussi pouvaient posséder des esclaves, voire des plantations... Ce qui explique que les esclaves n'appréciaient guère ces "traîtres". On trouvait parmi les affranchis des artisans, des commerçants, qui mettaient un point d'honneur à parler français, méprisant le créole, souvent convertis au catholicisme, rejetant le Vaudou et les cultes locaux ou importés d'Afrique, s'habillant "à la française"... Il n'empêche que, comme les gens de couleur libres, ils ne possédaient pas les mêmes droits que les blancs eux non plus, jusqu'en 1792. Lors des soulèvements d'esclaves sur l'île de Saint Domingue à la Révolution, beaucoup d'affranchis se réfugièrent en France, à Cuba ou en Louisiane.
Il faudra attendre la révolution de 1830 et Louis-Philippe pour qu'à nouveau, les gens de couleur libres dans leur totalité bénéficient des mêmes droits que tous. Ils pourront désormais se vêtir comme ils le voudront et porter des noms "blancs". Ce qui provoquera la colère de certains grands propriétaires blancs, notamment en Martinique, les fameux "Békés". Il faudra attendre une autre révolution, celle de 1848, pour la victoire finale avec l'abolition de l'esclavage.
Femmes de couleur libres avec leurs esclaves et enfants, par Agostino Brunias
Cette appellation désignait donc, dans les colonies françaises, les non-blancs libres. On distinguait principalement trois origines, européenne, africaine et indienne.
C'est après la Guerre de Sept ans que cette distinction apparaît officiellement dans les registres d'état civil et paroissiaux. Mais on la trouve dès 1720 à Saint Domingue pour différencier ces personnes des "affranchis", c'est à dire des anciens esclaves redevenus libres. La dénomination "gens de couleur libres" se référait donc aux non-blancs nés libres, pour les différencier des non-blancs esclaves devenus libres.
Pour autant, ces non-blancs nés libres étaient, comme on l'a vu, privés de certains droits : pas d'accès aux postes à responsabilités, interdiction d'exercer la médecine ou un commandement militaire, interdiction de se faire appeler Monsieur ou Madame... On leur interdisait également de porter des bijoux en or et de s'habiller comme les colons blancs. Des gens libres certes, mais toujours des citoyens de seconde zone. Notons qu'étant libres, ils pouvaient posséder des esclaves.
A partir de 1791, on intègre les mulâtres dans cette catégorie. Mais ce même décret de la Constituante refuse d'y inclure les fameux affranchis, sans doute pour complaire aux grands propriétaires terriens. Ce qui provoque la colère d'un certain Robespierre... Le décret est finalement révoqué en septembre de la même année, sous la pression d'Antoine Barnave et de Lameth. Mais il faudra attendre 1792 pour que l'Assemblée Législative proclame enfin l'égalité juridique des gens de couleur libres avec les blancs. Affranchis et gens de couleur libres sont donc désormais réunis (avec les mulâtres) sous cette appellation unique de "gens de couleur libres" et sont égaux en droit avec les blancs. Jusqu'en 1802, date du retour de l'esclavage dans nos colonies...
Les affranchis
Les affranchis étaient donc d'anciens esclaves redevenus libres.
Aussi choquant que cela puisse paraître, eux aussi pouvaient posséder des esclaves, voire des plantations... Ce qui explique que les esclaves n'appréciaient guère ces "traîtres". On trouvait parmi les affranchis des artisans, des commerçants, qui mettaient un point d'honneur à parler français, méprisant le créole, souvent convertis au catholicisme, rejetant le Vaudou et les cultes locaux ou importés d'Afrique, s'habillant "à la française"... Il n'empêche que, comme les gens de couleur libres, ils ne possédaient pas les mêmes droits que les blancs eux non plus, jusqu'en 1792. Lors des soulèvements d'esclaves sur l'île de Saint Domingue à la Révolution, beaucoup d'affranchis se réfugièrent en France, à Cuba ou en Louisiane.
Il faudra attendre la révolution de 1830 et Louis-Philippe pour qu'à nouveau, les gens de couleur libres dans leur totalité bénéficient des mêmes droits que tous. Ils pourront désormais se vêtir comme ils le voudront et porter des noms "blancs". Ce qui provoquera la colère de certains grands propriétaires blancs, notamment en Martinique, les fameux "Békés". Il faudra attendre une autre révolution, celle de 1848, pour la victoire finale avec l'abolition de l'esclavage.
Calonne- Messages : 1144
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Re: Ailleurs dans le monde en 1789
... une complexité très rigoureusement codifiée.
Cette société stratifiée ressemblait à un mille-feuilles dont les Blancs se croyaient la crème.
Cette société stratifiée ressemblait à un mille-feuilles dont les Blancs se croyaient la crème.
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Mme de Sabran- Messages : 55572
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Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Udaipur et le palais du lac
Retour en Inde où comme nous l'avons vu plus haut, au XVIIIème siècle, l'empire Moghol s'écroule lentement face aux anglais tandis que les français tentent de sauver les meubles.
Cette période troublée n'atteint cependant pas certains...
C'est le cas de Jagat Singh II qui, en 1743, se fait construire un palais d'été de rêve à Udaipur, le palais du lac :
source : trivago.in
C'est un joyau de marbre blanc posé sur l'eau, devenu un incontournable de l'Inde et de ses fastes.
Le palais est situé sur le lac Pichola dont les îles ont depuis longtemps abrité les villégiatures d'été des Maharajas fuyant la fournaise de la saison sèche et des plaines.
Sangram Singh II (1716-1734), en froid avec son fils, le futur Jagat Singh II (1734-1751) interdit à ce dernier de s'y installer. Mais il lui abandonne en compensation l'île voisine de Jag Niwas, 1,5 hectare de superficie, où se trouvaient déjà quelques modestes pavillons. C'est donc là que le nouveau Maharaja fait construire entre 1743 et 1746 ce qui allait devenir le Palais du Lac, un ensemble de pavillons blancs séparés par des jardins et qui furent par la suite reliés par des terrasses et des galeries ombragées, jusqu'à ce que toute l'île ne soit plus qu'un palais. Les seigneurs d'Udaipur se réclamant descendants du soleil, le palais est construit face à l'est, donc face au soleil naissant. La famille royale et la cour s'y retiraient lors de la saison sèche pour fuir la canicule étouffante et profiter de la fraîcheur du lac et des jardins ombragés.
source : mapsofindia.com
En 1857, lors de la Révolte des Cipayes, de nombreux européens s'y réfugient, bien accueillis par le Maharaja Swaroop Singh qui fît même détruire tous les bateaux disponibles pour permettre aux fugitifs de ne pas être poursuivis.
A la fin du XIXème siècle, Pierre Loti décrit le bâtiment comme "tombant lentement en poussière dans les émanations du lac". Les Maharajas se succèdent mais ont du mal à entretenir un tel ensemble. En 1950, le palais est rongé par l'humidité, envahi par les moisissures et les moustiques et s'effrite lentement. C'est finalement Bhagwat Singh (1921-1954) qui décide de convertir le Jag Niwas Palace (c'est son vrai nom) en hôtel de luxe afin de le sauver.
Depuis, rois, stars d'Hollywood, grands de ce monde y ont posé leurs valises. Vivien Leigh, la reine Elizabeth II, le Shah d'Iran, le roi du Népal, Fritz Lang, Jackie Kennedy, Mick Jagger, Angelina Jolie… James Bond y fait un tour sous les traits de Roger Moore dans Octopussy de même que, quelques années plus tôt, les héros du Tigre du Bengale de Fritz Lang. Le bâtiment devient l'une des références du palais indien type, visité, filmé, photographié des milliers de fois.
source : madame.lefigaro.fr
source : cntraveler.com
source : tripadvisor.fr
Architecturalement, le bâtiment s'inspire de l'architecture moghole des seigneurs d'Agra : pavillons ajourés offrant une vue superbe sur le lac, galeries ouvragées de marbre blanc, marbres ciselées comme de la dentelle, jardins ornés de bassins et de jets d'eau… Des centaines d'oiseaux nichent dans les jardins géométriques où se mêlent frangipaniers, chèvrefeuille, jasmin et jacarandas même si les riches vacanciers ont désormais remplacé la Maharani et ses dames…
Les heureux clients privilégiés sont accueillis dès l'aéroport par un personnel en livrée et gants blancs puis conduits jusqu'au palais par bateau privé avant d'aborder sur le quai de marbre blanc sous une pluie de pétales de roses. Raffinement suprême : le mot "welcome" suivi des noms et prénoms des arrivants peut être tracé avec des pétales de fleurs sur le quai... Bien sûr, restaurants, bars, piscine et galerie de boutiques ont été rajoutés.
source : pinterest.com
source : magiclub.com
source: tripadvisor.com
Udaipur
source : Geri
Située à plus de 500 mètres d'altitude au Rajasthan, Udaipur est surnommée "la ville blanche" ou "la cité des lacs". Ces derniers sont effectivement nombreux dans la région. La ville compte aussi de nombreux palais dont plusieurs sur le lac, bâtis sur les îles. Ces derniers servaient le plus souvent de palais d'été pour les Maharajas et leur cour.
Palais des femmes, Palais de la joie, Palais des miroirs, Palais des perles, Jardin des fontaines… Autant de noms évocateurs et poétiques. Udaipur est réputée moins affairée, plus calme que les autres grandes villes indiennes, avec un air plus pur, plus frais, surtout dès qu'on s'éloigne sur les hauteurs.
Il faut savoir également que très tôt, les Maharajas ont mis en place un système élaboré de canaux et dérivations qui relient les principaux lacs entre eux. Ce qui, au moment de la mousson, permet de répartir l'eau des pluies entre les différents lacs et d'y maintenir un certain équilibre. Ainsi, Udaipur brille par sa gestion de l'eau dans un pays où cette question devient chaque jour plus pressante.
Vue aérienne de la ville et du lac avec le palais et plus loin à droite, on aperçoit l'ensemble imposant du City Palace, le palais royal officiel des Maharajas.
source : Saurabh Patwari
Le Jag Mandir Island Palace, un autre de ces palais d'été ou de repos, bâtis sur les îles du lac.
source : southchinamorningpost.com
La forteresse de Sajjan Garth, qui surplombe la ville, sous le ciel noir de la mousson. Le fort est d'ailleurs surnommé "le palais de la mousson" car il fût construit pour voir arriver de loin les nuages annonçant les pluies tant attendues.
source : trell.co
Retour au Palais du lac, vue aérienne. Bien que devenu un hôtel, le palais appartient toujours au Maharaja actuel, descendant de sa lignée.
Calonne- Messages : 1144
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Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Fascinant, mon cher Calonne, tout simplement fascinant !Calonne a écrit: Jagat Singh II, en 1743, se fait construire un palais d'été de rêve à Udaipur, le palais du lac :
C'est un joyau de marbre blanc posé sur l'eau, devenu un incontournable de l'Inde et de ses fastes.
Merci pour ce très beau reportage ...
La Révolte des Cipayes de László Benedek, 1954.Calonne a écrit:
En 1857, lors de la Révolte des Cipayes, de nombreux européens s'y réfugient, bien accueillis par le Maharaja Swaroop Singh qui fît même détruire tous les bateaux disponibles pour permettre aux fugitifs de ne pas être poursuivis.
En 1856, dans le vaste empire britannique des Indes, un brillant officier ( Rock Hudson ) doit donner sa démission après avoir désobéi à un ordre supérieur. Il devient alors chasseur de fauves et va reprendre accessoirement du service en s'introduisant secrètement dans le palais du rajah ...
Les Indes, objet de tous les fantasmes ...
... parmi lesquels l'ensorcelante Debra Paget :Calonne a écrit:
les héros du Tigre du Bengale de Fritz Lang.
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Mme de Sabran- Messages : 55572
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Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Pour info, Debra Paget est toujours vivante (89 ans).
Elle était danseuse à la base. Sa beauté brune et son teint mat l'imposèrent dans nombre de films d'aventures exotiques des années 1950/60.
Fritz Lang lui-même a reconnu que sa tenue dans cette fameuse scène n'avait rien d'indien mais que ce n'était pas ce qu'il recherchait.
Elle était danseuse à la base. Sa beauté brune et son teint mat l'imposèrent dans nombre de films d'aventures exotiques des années 1950/60.
Fritz Lang lui-même a reconnu que sa tenue dans cette fameuse scène n'avait rien d'indien mais que ce n'était pas ce qu'il recherchait.
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J'ai oublié hier, je ne sais pas ce que sera demain, mais aujourd'hui je t'aime
Calonne- Messages : 1144
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Re: Ailleurs dans le monde en 1789
La route du thé en Sibérie
image : Kaiserc
Nous voici sur la route à travers les steppes russes, à la recherche du thé.
En 1689, le traité de Nertchinsk permet à la Russie d'annexer la Sibérie et marque la création de la route de Sibérie, qui devient l'itinéraire privilégié des marchands entre la Russie et la Chine.
Au début du XVIIIème siècle, le thé n'est pas encore courant en Russie, on lui préfère largement l'infusion de tilleul et de menthe. Pierre le Grand lui-même ne l'aime pas et le breuvage reste une mode, réservée à la haute société (le thé est alors un produit de luxe, rare et cher). Mais l'occidentalisation voulue par Pierre Ier passe par là, la Russie se tourne vers l'Europe et l'usage du thé commence à se répandre. Toutefois, s'en procurer demeure difficile : les relations russo-chinoises sont mauvaises, en 1717 et 1718, les caravanes russes sont interdites par la dynastie en place en Chine.
C'est en 1725 que les choses se débloquent avec une expédition ordonnée par Catherine Ière et commandée par Savva Vladislavitch :
image : Javno vlasništvo
Ce dernier est un marchand serbe, audacieux et aventurier, qui a déjà travaillé plus ou moins officieusement pour Pierre le Grand à Rome, Constantinople et Pékin. Les différents ministres des affaires étrangères russes n'hésitent à recourir à ses services. A côté de cela, notre aventurier est aussi un amateur d'art éclairé : à Venise, il fait l'acquisition d'un assortiment de statues en marbre, qui ornent encore le Jardin d'Été à Saint-Pétersbourg et en 1720, Antonio Vivaldi lui dédie l'opéra La verità in cimento. Direction Pékin donc en 1725 pour y apaiser les tensions et signer le traité de Kiakhta en octobre 1727. Il en profite pour rédiger une description soignée de tout ce qu'il observe et met en garde Moscou contre toute guerre avec Pékin.
Les caravanes russes peuvent donc reprendre la route et le thé devient une des marchandises les plus prisées, la ville de Kiakhta en devient même la plaque tournante. A partir de 1730, on importe le thé sous forme de briques, du thé noir, c'est à dire fermenté (nommé thé rouge par les chinois). Les russes les plus riches prisent fort le baikhov, de meilleure qualité.
L'impératrice Elizabeth s'en mêle : en fondant en 1744 la première manufacture de porcelaine russe, elle donne le coup d'envoi de la création en masse du fameux samovar, cette bouilloire à thé inspirée des bouilloires mongoles.
Arrive Catherine II.
Le thé est devenu alors essentiel pour les élites russes, "nécessaire presque comme l'air" dira-t-on plus tard. A tel point que lorsque la route par la Sibérie est bloquée, on l'importe d'Angleterre. En temps normal, par la route de Sibérie, le thé parcourt plus de 15 000 kilomètres pour arriver dans les samovars russes. Une route dangereuse, entre climat difficile, attaque de brigands, tempêtes de neige, accidents de toutes sortes, maladies... On utilise majoritairement des chameaux, mieux adaptés au terrain et aussi des traîneaux, familiers aux russes. On raconte également que lors des bivouacs, la fumée des feux de camp pénétraient les feuilles de thé, ce qui leur donnait un goût particulier... Les caravanes pouvaient compter jusqu'à 300 chameaux, chacun portant ou tirant 200 kilos de thé !
bbc.com
meisterdrucke.lu
Le prix du précieux breuvage reste très élevé, à tel point que contrebande et trafics s'organisent dans l'est du pays. C'est aussi un commerce qui rapporte gros au trésor impérial : en 1770, les taxes prélevées sur l'importation du thé sont les deuxièmes plus importantes derrière celles du safran. On arrive à 5 kopecks pour un poud (unité de mesure russe de l'époque valant environ 16 kilos). Le café, lui, est taxé un kopeck par poud.
C'est à la fin du XVIIIème siècle que le thé se démocratise vraiment. La raison en est la grande chute du prix des textiles qui, en soulageant les dépenses des ménages pour l'habillement, permet de s'offrir du thé. Entre 1792 et 1802, les importations de thé noir triplent. À la mort de Catherine II, en 1796, la Russie importe plus de 1 500 tonnes de thé par an et produit 120 000 samovars dans le même temps. On voit également apparaître les Tchai Naya, maisons de thé russes, inspirées des maisons de thé chinoises.
Pour autant, méfiance... La qualité n'est pas toujours au rendez-vous. Certains marchands peu scrupuleux n'hésitent pas à colorer des feuilles de thé trop claires avec du goudron ou à rajouter du sable dans les paquets pour les rendre plus lourds et ainsi tricher sur le poids (et donc sur les taxes qui vont avec)...
En attendant, certains négociants se bâtissent de petites fortunes avec ce commerce. Certes, il faut être patient : les caravanes effectuent un long périple, traversant Kiakhta, Irkoutsk, Tomsk, Tioumen et Kazan pour finir à Moscou. La contrebande est toujours là, à tel point que toute personne trouvée en possession de plus de 15 kilos de thé est d'office soupçonnée de contrebande. Les autorités exigent que les paquets soit scellés avec un sceau spécifique, en plomb, et que le précieux produit soit emballé dans un emballage particulier. Mais les marchands protestent : le fameux emballage empêche de sentir le thé qu'ils contiennent et les sceaux se révèlent trop fragiles. Ils sont souvent cassés pendant le transport, les marchands doivent alors payer de lourdes amendes. Rien n'y fait donc et la contrebande prospère, presque un tiers du thé transitant par caravane est du thé de contrebande.
La route du thé de la Sibérie décline au XIXème siècle, concurrencée par les voies maritimes, encouragées par les navires à vapeur et surtout par le développement du train. Le temps des aventuriers franchissant les montagnes, traversant les hauts plateaux et les steppes enneigées est alors révolu...
Une tasse de thé ?
envouthe.com
Calonne- Messages : 1144
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Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Il était possible à une épouse du sérail de le quitter pour épouser un grand personnage ? Cela ferait une différence marquée d'avec le harem impérial chinois de la cité interdite.
Lucius- Messages : 11656
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Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Si vous parlez du Sérail de Constantinople évoqué plus haut cher Lucius, oui, c'était possible.
Les femmes assez hauts placées au harem pouvaient gérer leurs affaires, avoir de l'argent et des biens à l'extérieur, qu'elles géraient par l'intermédiaire des ennuques (qui prenaient leur commission au passage). Le sultan avait intérêt à ce que ses femmes soient riches car cela lui coûtait moins cher pour les entretenir. Elles pouvaient ainsi surtout se constituer une dot.
Le cas que nous évoquons survenait principalement à la mort du sultan.
La nouvelle Validé, mère du nouveau sultan, à son arrivée, devait faire de la place pour les favorites de son fils. Les concubines du sultan précédent qui en avaient les moyens pouvaient alors se faire épouser par un grand dignitaire ou un officier de haut rang. La Kiaya (intendante du harem) se chargeait de faire valoir les "mérites" des postulantes auprès des intéressés.
Pour celles qui n'avaient pas les moyens, c'était l'exil à l'Eski Sérail, le vieux palais, où elles finissaient leur vie, oubliées, rongées par l'ennui.
Pour les plus malchanceuses, cela se terminait dans un sac jeté au fond du Bosphore ou par la visite de l'étrangleur et de son petit cordon...
Les femmes assez hauts placées au harem pouvaient gérer leurs affaires, avoir de l'argent et des biens à l'extérieur, qu'elles géraient par l'intermédiaire des ennuques (qui prenaient leur commission au passage). Le sultan avait intérêt à ce que ses femmes soient riches car cela lui coûtait moins cher pour les entretenir. Elles pouvaient ainsi surtout se constituer une dot.
Le cas que nous évoquons survenait principalement à la mort du sultan.
La nouvelle Validé, mère du nouveau sultan, à son arrivée, devait faire de la place pour les favorites de son fils. Les concubines du sultan précédent qui en avaient les moyens pouvaient alors se faire épouser par un grand dignitaire ou un officier de haut rang. La Kiaya (intendante du harem) se chargeait de faire valoir les "mérites" des postulantes auprès des intéressés.
Pour celles qui n'avaient pas les moyens, c'était l'exil à l'Eski Sérail, le vieux palais, où elles finissaient leur vie, oubliées, rongées par l'ennui.
Pour les plus malchanceuses, cela se terminait dans un sac jeté au fond du Bosphore ou par la visite de l'étrangleur et de son petit cordon...
Calonne- Messages : 1144
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Age : 52
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Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Bien avant Napoléon, à la faveur de la Révolution quelques Sans-Culottes louchèrent vers l'Est :Calonne a écrit:La route du thé en Sibérie
En attendant, certains négociants se bâtissent de petites fortunes avec ce commerce. Certes, il faut être patient : les caravanes effectuent un long périple, traversant Kiakhta, Irkoutsk, Tomsk, Tioumen et Kazan pour finir à Moscou.
« Le terrain qui sépare Paris de Pétersbourg et de Moscou sera bientôt francisé, municipalisé, jacobinisé. »
affirme Pierre-Gaspard Chaumette (1763-1794), à l'Hôtel de Ville, le 16 novembre 1792.
( La Révolution française (1965), François Furet, Denis Richet. )
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Mme de Sabran- Messages : 55572
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Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Bref, le pouvoir d'une Validé était grand, entre autres celui de valider la candidature de certaines personnes !La nouvelle Validé, mère du nouveau sultan, à son arrivée, devait faire de la place pour les favorites de son fils.
Lecréateur- Messages : 1715
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Mme de Sabran- Messages : 55572
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Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Ailleurs dans le monde en 1789
En Birmanie
(Source : windows10spotlight.com)
Que se passe-t-il en Birmanie en 1789 ?
Tout d'abord, ce que nous nommons aujourd'hui Birmanie est loin d'exister en tant que telle à l'époque. L'histoire du pays est complexe et prend place dans une succession de conflits et de dynasties au sein de nombreuses régions. Ne retenons donc que le XVIIIème siècle.
La dynastie Taungû s'effondre en 1752, après avoir lutté contre de nombreuses incursions des portugais depuis leur base de Malacca. Autre voisin dangereux, le royaume du Siam, actuelle Thaïlande, dont la capitale est alors Ayutthaya. Rajoutez la Chine des Qing qui lance quatre tentatives d'invasion (toutes repoussées) entre 1765 et 1769 et les français encore présents en Inde qui lorgnent sur ce territoire et on comprendra que les souverains de la dynastie Taungû n'ont pas dû rigoler tous les jours.
Voici donc une nouvelle dynastie, celle de Konbaung, qui va faire connaître à la Birmanie un âge d'or, sous l'autorité d'Alaungpaya.
(Source : Hybernator)
Il s'empare de nombreux territoires et villes, fonde Rangoon et va mettre le siège (en vain) devant Ayutthaya. Il meurt d'ailleurs au cours du siège, en 1760. Un guerrier avant tout, son premier nom signifiant "victoire victorieuse". A son père lui déconseillant un combat vue son infériorité en armes, hommes et matériel, il répond fièrement : "Quand on combat pour son pays, il importe peu qu'on soit rares ou nombreux. ce qui compte est que vos camarades aient un cœur sincère et des bras forts." A côté de ça, il fît creuser un lac pour alimenter en eau sa capitale, édifier un barrage important pour l'irrigation et compila toutes les lois et réglementations dans un code, écrit en langue populaire et non littéraire, afin que tous puissent le lire et le comprendre.
C'est avec un de ses fils, Bodawpaya, qu'arrive le sommet de la dynastie.
(Source : Kantabon)
Portant le titre poétique de "Seigneur des éléphants blancs", il monte sur le trône birman en 1782, il est donc le contemporain de Louis XVI.
En 1784, il lance une campagne de grande ampleur contre l'état de l'Arakan qui est vaincu et intégré au royaume. La prise de la capitale de l'Arakan lui rapporte 20 000 prisonniers qu'il distribue comme esclaves aux moines et à la noblesse. Il ramène également comme souvenirs de magnifiques bronzes Khmers et de nombreuses statues du Bouddha. Le problème, c'est qu'avec cette conquête, les frontières birmanes atteignent désormais celles de l'Inde britannique... Le gouverneur Lord Teignmouth ordonne une enquête sur ce nouveau voisin un peu trop turbulent, compilant de nombreux renseignements à son sujet. En 1794, l'Arakan se soulève et il n'est pas impossible que les anglais fussent mêlés à ces évènements. Bodawpaya tenta lui aussi, à deux reprises, de s'emparer d'Ayutthaya, capitale du Siam, et échoua également à deux reprises.
Sur le plan intérieur, Bodawpaya trouva le temps de faire 62 fils et 58 filles à ses 200 épouses.
Dans le même temps, il se proclama comme étant le nouveau Bouddha mais fût envoyé sur les roses par le Sangha, une sorte de Sénat religieux qui avait son mot à dire sur toutes ces questions. Ce qui n'empêcha pas le souverain de protéger et favoriser le bouddhisme, allant jusqu'à créer un ordre de moines chargés de vérifier et maintenir la "pureté" du fameux Sangha. Si en France on s'était longtemps trucidé entre catholiques et protestants, en Birmanie on se tapait dessus dans les pagodes pour savoir s'il fallait porter la robe monastique en couvrant une seule épaule ou les deux... Bodawpaya trancha en faveur des deux épaules couvertes.
En 1790, le souverain ordonne la construction du plus grand Stûpa du monde, non loin de Mandalay. Cent millions de briques pour une construction inachevée, ne comportant qu'un étage : une prédiction annonçait la ruine et la chute de la dynastie si le monument était achevé. Ce dernier, qui devait culminer à 150 mètres de hauteur, fût donc abandonné et, en 1838, un violent séisme l'ouvrît presque en deux, faisant tomber deux immenses statues de lions dans le fleuve Irrawaddy. On peut aujourd'hui visiter l'endroit et admirer la cloche qui devait l'orner, la cloche de Mingun, qui est la plus grande cloche pouvant encore sonner dans le monde.
(Source : Gerd Eichmann)
(Source : lookphotos.com)
(Source : Ralf André Lettau)
Bodawpaya fût aussi un amateur d'art, notamment de musique et de théâtre, il créa même un ministère chargé de ces disciplines avec des règles strictes et un budget conséquent.
Le souverain mourût en 1819.
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Calonne- Messages : 1144
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Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Merci, mon cher Calonne ! Quel plaisir de vadrouiller à nouveau, sur tes talons, à travers le vaste monde .
N'est-ce pas aussi le pays des envols dans la nuit de lanternes rouges et oranges de papier de soie ?!!
Je les imagine puissants et majestueux comme ceux-ci :Calonne a écrit:
C'est avec un de ses fils, Bodawpaya, qu'arrive le sommet de la dynastie.
Portant le titre poétique de "Seigneur des éléphants blancs".
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55572
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Alors, les fameuses lanternes volantes sont une tradition chinoise ou thaïlandaise (mais qui s'est répandue dans toute l'Asie du Sud-Est, tu n'étais donc pas loin).
Elles ont pour nom "lanterne céleste", "lanterne bougie", "lanterne à souhait" ou "lanterne volante". Elles sont en papier de riz à la base, fixées sur un cercle en bambou avec une bougie ou un morceau d'étoupe enflammé en leur centre, fixé à un croisillon métallique.
Elles furent d'abord utilisées comme signaux militaires avant de l'être pour fêtes et festivals. Elles sont alors lâchées par centaines dans la nuit. On trouve aussi les lanternes flottantes, posées sur l'eau et illuminant fleuves et rivières.
(Source : Carlos Adampol Galindo)
Elles ont pour nom "lanterne céleste", "lanterne bougie", "lanterne à souhait" ou "lanterne volante". Elles sont en papier de riz à la base, fixées sur un cercle en bambou avec une bougie ou un morceau d'étoupe enflammé en leur centre, fixé à un croisillon métallique.
Elles furent d'abord utilisées comme signaux militaires avant de l'être pour fêtes et festivals. Elles sont alors lâchées par centaines dans la nuit. On trouve aussi les lanternes flottantes, posées sur l'eau et illuminant fleuves et rivières.
(Source : Takeaway)
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J'ai oublié hier, je ne sais pas ce que sera demain, mais aujourd'hui je t'aime
Calonne- Messages : 1144
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Age : 52
Localisation : Un manoir à la campagne
Re: Ailleurs dans le monde en 1789
C'est si poétique ! j'adore ......
C'est ainsi que les frères Montgolfier ont eu l'idée de leur fameux ballon, pas à partir d'une lanterne orientale mais de son principe d'élévation dans l'air.
C'est ainsi que les frères Montgolfier ont eu l'idée de leur fameux ballon, pas à partir d'une lanterne orientale mais de son principe d'élévation dans l'air.
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Mme de Sabran- Messages : 55572
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Walter Reinhardt Sombre, fut un mercenaire et aventurier militaire européen opérant dans l'Empire moghol en Inde au XVIIIe siècle. Son lieu de naissance est très controversé, un village près de Strasbourg, en Alsace, dans la région de Trèves en Allemagne près de Trarbach, selon des sources plus tardives au Luxembourg, en Autriche et pourquoi pas la Bavière... au choix !
Après avoir servi dans les armées du roi de France pendant les guerres de succession de Pologne (1733-1738) ou d'Autriche (1740-1748), Walter Reinhardt aurait déserté pour rejoindre les Indes orientales à bord d’un navire hollandais, après la bataille des lignes d’Ettlingen (1734) ou celle de Dettingen (1743).
C'est un personnage assez secret, malin, et parfaitement intégré à la société indienne au point qu'on le considère presque comme un autochtone dans l'élite moghole. Il était connu comme le Sombre (qui deviendra Sumru ou Sumroo), étant donné son caractère ténébreux, et sans doute un teint relativement foncé.
Joseph Sombre est pour la première fois mentionné dans les annales de l’Inde à propos de la bataille perdue en 1761 par Shah Aulum en essayant de défendre la province de Bahar; il faisait partie du bataillon français de Law.
En 1763, il assista aux combats livrés sous les murs de Patna, et , lorsque Mir-Kassim évacua la ville, il fut contraint de passer par les armes les 149 otages anglais, parmi lesquels le résident Ellis. Ce fait lui interdit à jamais de revenir dans les territoires anglais où sa tête est mise à prix. Il défendit avec vigueur le territoire mogol contre le capitaine Knox .
Durant le siège de Delhi (1765), il rencontre une courtisane, Farzana, - la future " Bégum Sombre " -
Farzana était née d’Asad Khan et de Jaddan Bai en 1750. À la mort de son père, en 1760, sa mère fut expulsée de chez elle par son beau-fils. Elle partit pour Delhi emmenant sa fille avec elle. Elles y sont recueillies et hébergées par Khanum Jan qui forme Farzana à l’art de la danse. A l’âge de 15 ans, Farzana est une danseuse réputée.
Debra Paget dans Le Tombeau hindou de Fritz Lang, sorti en 1959.
Comme nombre d’Européens, Sombre s’était lui aussi constitué un harem d’Indiennes. L’une d’entre elles avait plusieurs enfants, parmi lesquels un fils nommé Louis Balthazar, alias Nawab Zafaryab Khan. Sombre se rend à Chauri Bazaar pour se divertir. Frappé par la beauté de Farzana, alors âgée de 15 ans, il l’intègre à son harem – certainement après avoir grassement payé Khanum Jan.
Vers 1772, Sombre se met au service de l’empereur moghol Shah Alam II, de Delhi.
Il est engagé, toujours avec son armée privée, dans de nombreuses batailles sous les ordres de Mirza Najaf Khan (en), général en chef de l’empereur, que cela soit contre les Jats, les Pathanes, les Rohillas, les Mahrattes, les Sikhs ou les Rajpoutes. Ses services sont récompensés par l'obtention du fief de Sardhana, un vaste territoire à une centaine de kilomètres au nord de Delhi, qui lui rapporte annuellement quelque 600 000 roupies.
En s'installant à Sardhana, il devient nabab, c'est-à-dire prince et vassal de l'Empereur moghol Shah Allam II, tout en soutenant Mirza Najaf Khan , l'homme politique le plus puissant de Dehli à cette époque.
Reinhard mourut en 1778, et le vœu des officiers et quelque 400 soldats porta au commandement du bataillon sa femme, la Begum-Sumroo, à l’exclusion d’un fils du premier lit laissé par Reinhard, homme d’une incapacité notoire.
Dans la société extrêmement conservatrice de l’Inde du XVIIIe siècle, il fallait qu’une femme soit exceptionnellement audacieuse pour participer aux affaires publiques. Il fallait en outre qu’elle soit extrêmement courageuse pour aller sur le champ de bataille à la tête de ses troupes. Farzana était une femme de cette trempe. Dans ce poste périlleux, où elle fut confirmée par l’empereur Shah-Allum, la begum eut souvent à donner des preuves d’une résolution toute virile. On connaît les romanesques aventures de la reine de Sirdanah, si célèbre dans les annales de l’Inde sous le nom de Begum Sumräo. Cette fière amazone, imitant l’exemple de beaucoup de princesses hindoues et mahrattes , chargeait l’ennemi à la tête de ses escadrons !
Sardhana, capitale de la principauté dirigée par la Bégum Samru , fut le seul royaume indien ayant à sa tête une princesse catholique.
Farzana y construisit une grande église dédiée à Notre-Dame de grâces (1822) dont elle obtint de Grégoire XVI qu’elle devienne cathédrale avec son aumônier personnel, Julius Caesar Scotti, un prêtre italien, consacré évêque.
Comme les hommes, la Begum était sans pitié. Une fois entre autres, l’officier chargé du commandement actif des bataillons, Allemand de naissance, nommé Paules, venait d’être assassiné : les symptômes les plus alarmants d’insubordination éclataient parmi les soldats et les officiers, lorsque deux jeunes esclaves, pour aller rejoindre leurs amoureux, soldats européens, mirent le feu à la maison où elles étaient renfermées avec d’autres femmes de la suite de la begum et ses objets précieux, puis s’échappèrent au milieu du tumulte de l’incendie. Les deux esclaves ayant été découvertes dans le bazar d’Agra quelque temps après, la begum, à la suite d’une instruction sommaire, les fit fouetter et ensevelir vivantes dans des fosses ouvertes à l’avance devant sa tente, exemple terrible qui conquit pour plusieurs années le respect de cette soldatesque effrénée à l’autorité de son chef enjuponné.
Après la mort du rajah son premier mari, Walter Reinhardt Sombre, Farzana épousa successivement plusieurs européens, dit-on, dont la vigueur ou l’adresse valurent à son petit royaume une sorte de notoriété. En 1778, le premier, un français, M. de Levassoult, chef de l'armée de la Begum exerça alors une certaine influence sur la politique mogole.
Sa beauté et les dramatiques amours de Farzana sont restées légendaires mais aussi ce tact politique qui, au milieu d’une époque troublée , lui assura cinquante
années d’un règne relativement paisible.
Cependant l‘histoire de la Begum de Sirdanah est demeurée fort obscure , les récits et témoignages des voyageurs étant parfois très contradictoires.
M. de Levassoult périt assassiné par Dyce vers 1793; la Begum fut obligée d’accepter en 1803 le protectorat de la Compagnie et mourut en 1836. Des détails circonstanciés sur ces événements qui tiennent plus du roman que de l’histoire sont donnés par des Mémoires de James Skinner (by Baillie Fraser, London, 1851) et ceux de W. Franklin publiés à Calcutta en 1803.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Begum_Samru
https://fr.wikipedia.org/wiki/Walter_Reinhardt_Sombre
Après avoir servi dans les armées du roi de France pendant les guerres de succession de Pologne (1733-1738) ou d'Autriche (1740-1748), Walter Reinhardt aurait déserté pour rejoindre les Indes orientales à bord d’un navire hollandais, après la bataille des lignes d’Ettlingen (1734) ou celle de Dettingen (1743).
C'est un personnage assez secret, malin, et parfaitement intégré à la société indienne au point qu'on le considère presque comme un autochtone dans l'élite moghole. Il était connu comme le Sombre (qui deviendra Sumru ou Sumroo), étant donné son caractère ténébreux, et sans doute un teint relativement foncé.
Joseph Sombre est pour la première fois mentionné dans les annales de l’Inde à propos de la bataille perdue en 1761 par Shah Aulum en essayant de défendre la province de Bahar; il faisait partie du bataillon français de Law.
En 1763, il assista aux combats livrés sous les murs de Patna, et , lorsque Mir-Kassim évacua la ville, il fut contraint de passer par les armes les 149 otages anglais, parmi lesquels le résident Ellis. Ce fait lui interdit à jamais de revenir dans les territoires anglais où sa tête est mise à prix. Il défendit avec vigueur le territoire mogol contre le capitaine Knox .
Durant le siège de Delhi (1765), il rencontre une courtisane, Farzana, - la future " Bégum Sombre " -
Farzana était née d’Asad Khan et de Jaddan Bai en 1750. À la mort de son père, en 1760, sa mère fut expulsée de chez elle par son beau-fils. Elle partit pour Delhi emmenant sa fille avec elle. Elles y sont recueillies et hébergées par Khanum Jan qui forme Farzana à l’art de la danse. A l’âge de 15 ans, Farzana est une danseuse réputée.
Debra Paget dans Le Tombeau hindou de Fritz Lang, sorti en 1959.
Comme nombre d’Européens, Sombre s’était lui aussi constitué un harem d’Indiennes. L’une d’entre elles avait plusieurs enfants, parmi lesquels un fils nommé Louis Balthazar, alias Nawab Zafaryab Khan. Sombre se rend à Chauri Bazaar pour se divertir. Frappé par la beauté de Farzana, alors âgée de 15 ans, il l’intègre à son harem – certainement après avoir grassement payé Khanum Jan.
Vers 1772, Sombre se met au service de l’empereur moghol Shah Alam II, de Delhi.
Il est engagé, toujours avec son armée privée, dans de nombreuses batailles sous les ordres de Mirza Najaf Khan (en), général en chef de l’empereur, que cela soit contre les Jats, les Pathanes, les Rohillas, les Mahrattes, les Sikhs ou les Rajpoutes. Ses services sont récompensés par l'obtention du fief de Sardhana, un vaste territoire à une centaine de kilomètres au nord de Delhi, qui lui rapporte annuellement quelque 600 000 roupies.
En s'installant à Sardhana, il devient nabab, c'est-à-dire prince et vassal de l'Empereur moghol Shah Allam II, tout en soutenant Mirza Najaf Khan , l'homme politique le plus puissant de Dehli à cette époque.
Reinhard mourut en 1778, et le vœu des officiers et quelque 400 soldats porta au commandement du bataillon sa femme, la Begum-Sumroo, à l’exclusion d’un fils du premier lit laissé par Reinhard, homme d’une incapacité notoire.
Dans la société extrêmement conservatrice de l’Inde du XVIIIe siècle, il fallait qu’une femme soit exceptionnellement audacieuse pour participer aux affaires publiques. Il fallait en outre qu’elle soit extrêmement courageuse pour aller sur le champ de bataille à la tête de ses troupes. Farzana était une femme de cette trempe. Dans ce poste périlleux, où elle fut confirmée par l’empereur Shah-Allum, la begum eut souvent à donner des preuves d’une résolution toute virile. On connaît les romanesques aventures de la reine de Sirdanah, si célèbre dans les annales de l’Inde sous le nom de Begum Sumräo. Cette fière amazone, imitant l’exemple de beaucoup de princesses hindoues et mahrattes , chargeait l’ennemi à la tête de ses escadrons !
Sardhana, capitale de la principauté dirigée par la Bégum Samru , fut le seul royaume indien ayant à sa tête une princesse catholique.
Farzana y construisit une grande église dédiée à Notre-Dame de grâces (1822) dont elle obtint de Grégoire XVI qu’elle devienne cathédrale avec son aumônier personnel, Julius Caesar Scotti, un prêtre italien, consacré évêque.
Comme les hommes, la Begum était sans pitié. Une fois entre autres, l’officier chargé du commandement actif des bataillons, Allemand de naissance, nommé Paules, venait d’être assassiné : les symptômes les plus alarmants d’insubordination éclataient parmi les soldats et les officiers, lorsque deux jeunes esclaves, pour aller rejoindre leurs amoureux, soldats européens, mirent le feu à la maison où elles étaient renfermées avec d’autres femmes de la suite de la begum et ses objets précieux, puis s’échappèrent au milieu du tumulte de l’incendie. Les deux esclaves ayant été découvertes dans le bazar d’Agra quelque temps après, la begum, à la suite d’une instruction sommaire, les fit fouetter et ensevelir vivantes dans des fosses ouvertes à l’avance devant sa tente, exemple terrible qui conquit pour plusieurs années le respect de cette soldatesque effrénée à l’autorité de son chef enjuponné.
Après la mort du rajah son premier mari, Walter Reinhardt Sombre, Farzana épousa successivement plusieurs européens, dit-on, dont la vigueur ou l’adresse valurent à son petit royaume une sorte de notoriété. En 1778, le premier, un français, M. de Levassoult, chef de l'armée de la Begum exerça alors une certaine influence sur la politique mogole.
Sa beauté et les dramatiques amours de Farzana sont restées légendaires mais aussi ce tact politique qui, au milieu d’une époque troublée , lui assura cinquante
années d’un règne relativement paisible.
Cependant l‘histoire de la Begum de Sirdanah est demeurée fort obscure , les récits et témoignages des voyageurs étant parfois très contradictoires.
M. de Levassoult périt assassiné par Dyce vers 1793; la Begum fut obligée d’accepter en 1803 le protectorat de la Compagnie et mourut en 1836. Des détails circonstanciés sur ces événements qui tiennent plus du roman que de l’histoire sont donnés par des Mémoires de James Skinner (by Baillie Fraser, London, 1851) et ceux de W. Franklin publiés à Calcutta en 1803.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Begum_Samru
https://fr.wikipedia.org/wiki/Walter_Reinhardt_Sombre
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... demain est un autre jour .
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Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Les évènements en Inde au XVIIIème siècle ont tout pour un parfait roman d'aventures, exotique et romanesque, avec une galerie de personnages assez incroyables.
Pour ce qui est de la très belle Debra Paget, elle est toujours vivante (91 ans) et était à la base danseuse, ce qui explique qu'on la voit beaucoup danser dans ses films.
Mais on pourrait aussi écrire tout un roman avec les évènements qui se déroulèrent entre la Russie de Catherine II et l'empire ottoman d'Abdul Hamid à la fin du XVIIIème. Intéressons-nous au Projet grec de Catherine II...
Si Catherine II a l'obsession des beaux garçons, elle en a une autre : obtenir un accès à la Mer Noire et s'offrir Constantinople. Seul problème, le propriétaire des lieux, le sultan ottoman, Abdul Hamid, n'est pas d'accord.
L'impératrice de toutes les Russies va alors lancer son "Projet grec". Projet ambitieux puisqu'il s'agit, ni plus ni moins, de rétablir "l'empire byzantin" qu'elle offrirait ensuite à son petit-fils Constantin (quand on peut faire plaisir). Un empire avec Constantinople pour capitale et qui comprendrait la Grèce, la Thrace, la Macédoine et la Bulgarie, tandis que les principautés danubiennes formeraient un "royaume de Dacie" promis à Potemkine (généreuse, Catherine entendait gâter son amant autant que son petit-fils). Histoire d'apaiser les craintes de ses voisins, l'impératrice réservait la Bosnie, la Serbie et l'Albanie à l'Autriche. Venise obtiendrait la Morée (une péninsule grecque), la Crète et Chypre. L'avis des populations concernées ? On s'en fout.
Depuis quelques temps déjà, des agents russes infiltrés dans les Balkans agitent les populations contre les ottomans. Mais c'est en Pologne que tout va se jouer...
Depuis la fin de la Guerre de sept ans, des troupes russes stationnent en Pologne dont le roi Stanislas II est favorable à la Russie. Il a même signé avec elle un traité "d'amitié perpétuelle". Ce qui déplait fortement à la noblesse polonaise qui se soulève. Ces rebelles trouvent alors en face d'eux des ukrainiens orthodoxes, les Cosaques Zaporogues.
Ces derniers, favorables à la Russie, décident de s'occuper eux-mêmes de ces fiers seigneurs polonais qui osent se rebeller. Alors qu'ils poursuivent un groupe de fuyards, les Cosaques incendient au passage la petite ville de Balta. Problème : cette dernière est située en territoire ottoman. A Constantinople, le sultan n'apprécie pas et apprécie encore moins quand Catherine II, sommée de s'expliquer, se contente de hausser ses robustes épaules, prétextant que ces cosaques ne sont pas des soldats russes et que, par conséquent, elle s'en lave les mains. Abdul Hamid s'énerve et exige le départ des russes de la Pologne, exigence à laquelle la Tzarine oppose une fin de non-recevoir. La France, qui soutient la rébellion des seigneurs polonais, met la pression sur son ambassadeur à Constantinople pour exciter le sultan qui finit par déclarer la guerre à la Russie fin 1768.
Janvier 1769. Une armée ottomane de 70 000 hommes s'enfonce par surprise en Ukraine jusqu'au centre du pays mais est repoussée par la résistance acharnée de la garnison de Fort Sainte-Elisabeth.
De leur côté, les russes lancent une offensive vers la Mer Noire, prennent Azov puis Bucarest avant de stopper, faute d'intendance correcte et d'approvisionnement.
C'est sur mer que tout va se jouer.
Le comte Alexeï Orlov (qui avait déjà aidé à l'élimination de l'encombrant Pierre III afin de mettre Catherine sur son trône, nous sommes entre gens de bonne compagnie) prend le commandement de la flotte impériale de la Baltique, fait le tour de l'Europe sans être inquiété et rejoint la Méditerranée.
Il débarque en Grèce, en pleine anarchie et où grecs orthodoxes et musulmans du pays en sont à s'égorger dans les rues. Situation tellement instable que le comte préfère faire ses valises et aller voir ailleurs. Les russes abandonnent donc les grecs, qu'ils se débrouillent.
Arrivée en mer Egée, la flotte russe anéantit la flotte ottomane à Tchesmé. Les navires turcs, ancrés dans la baie de l'île de Chios, sont détruits par un gigantesque incendie.
Orlov poursuit jusqu'à Rhodes où il est bien obligé de s'arrêter : les ottomans tiennent fermement les détroits qui donnent accès à Constantinople, impossible de passer.
Contrariée mais l'appétit toujours aiguisé, Catherine II se tourne alors vers la forteresse de Kertch qui commande le passage entre la mer d'Azov et la mer Noire. Elle veut également les provinces danubiennes qu'elle a promis à son Potemkine et une promesse, c'est une promesse, que voulez-vous. Finalement, c'est la Crimée qu'elle s'offre en 1771. L'ancien protectorat ottoman devient protectorat russe.
Mais à l'ouest, il y a du nouveau.
Si Frédéric II de Prusse partage la passion de la Tzarine pour les beaux garçons, il ne partage pas ses idées pour autant et les succès russes commencent à l'inquiéter. L'Autriche aussi commence à s'alarmer de la montée en puissance des russes. A Constantinople, Abdul Hamid attend. Il le sait : personne n'aura jamais Constantinople parce que tout le monde la veut. Catherine comprend qu'il ne faudrait point aller trop loin. Elle rencontre Frédéric II en Moravie en 1770 avant d'arrondir les angles avec l'Autriche de Marie-Thérèse (entre impératrices, on doit bien pouvoir s'entendre, que diable !).
Autriche et Prusse finissent par accepter les gains territoriaux russes mais pas gratuitement. En échange, on va se partager la Pologne.
Un partage qui a des répercussions jusqu'à Versailles. La France est une alliée traditionnelle de la Pologne et de la Sublime Porte, on guette sa réaction. Surtout Marie-Thérèse, dont la fille Marie-Antoinette vient d'arriver pour épouser le dauphin de France. Ce n'est donc pas le moment de mécontenter Louis XV, il faut faire bonne figure à "Papa Roi". Et arrêter de l'énerver en méprisant sa favorite, Madame du Barry... Alors certes, Louis XV est agacé et n'hésite pas à badiner avec Marie-Antoinette (qui n'a rien compris à tout ça) : "Cela nous brouillera et je vais vous renvoyer à Vienne".
Mais Louis XV n'en fera rien.
Il n'a pas les moyens d'une intervention militaire de grande ampleur et il le sait. Il est de surcroît entièrement occupé par sa "Révolution royale" pour mater les Parlements et les affaires intérieures passent avant tout le reste. Il ne dénoncera donc pas le traité et Marie-Antoinette pourra continuer à s'amuser en toute tranquillité.
A Constantinople, Abdul Hamid, qui comptait sur l'appui français, fulmine et traîne des babouches pour accepter la paix. Mais le maréchal russe Roumiantsev franchit le Danube et entre en Bulgarie, ce qui pousse le sultan à céder. Le 21 juillet 1774, la Russie et l'empire ottoman signent (en français s'il vous plaît) le traité de Küçük Kaynarca.
La Russie gagne Azov, la reconnaissance de ses possessions en Pologne et la Crimée. Ses navires de commerce ont désormais libre accès dans les détroits ottomans jusqu'à Constantinople et la Russie obtient un "droit d'ingérence" sur les sujets ottomans de confession orthodoxe (notons au passage que le patriarche orthodoxe de Constantinople, qui espérait sa part, en sera pour ses frais). Les russes ont donc désormais un pied dans la région et surtout un prétexte en or pour intervenir à l'avenir. Au passage, de nombreux armateurs grecs et chrétiens en profitent : ils font battre pavillon russe à leurs navires et profitent de ce droit d'ingérence, échappant ainsi aux contrôles et taxes ottomans, se taillant au passage de colossales fortunes.
De leur côté, prussiens et autrichiens se partagent la Pologne, qui n'a plus que ses yeux pour pleurer. L'impératrice Marie-Thérèse empoche la plus grosse part, tout en affichant des remords, ce qui lui vaut une remarque acerbe du prince de Rohan, alors ambassadeur à Vienne : " Plus elle pleurait, plus elle prenait".
Pour ce qui est de la très belle Debra Paget, elle est toujours vivante (91 ans) et était à la base danseuse, ce qui explique qu'on la voit beaucoup danser dans ses films.
Mais on pourrait aussi écrire tout un roman avec les évènements qui se déroulèrent entre la Russie de Catherine II et l'empire ottoman d'Abdul Hamid à la fin du XVIIIème. Intéressons-nous au Projet grec de Catherine II...
Si Catherine II a l'obsession des beaux garçons, elle en a une autre : obtenir un accès à la Mer Noire et s'offrir Constantinople. Seul problème, le propriétaire des lieux, le sultan ottoman, Abdul Hamid, n'est pas d'accord.
L'impératrice de toutes les Russies va alors lancer son "Projet grec". Projet ambitieux puisqu'il s'agit, ni plus ni moins, de rétablir "l'empire byzantin" qu'elle offrirait ensuite à son petit-fils Constantin (quand on peut faire plaisir). Un empire avec Constantinople pour capitale et qui comprendrait la Grèce, la Thrace, la Macédoine et la Bulgarie, tandis que les principautés danubiennes formeraient un "royaume de Dacie" promis à Potemkine (généreuse, Catherine entendait gâter son amant autant que son petit-fils). Histoire d'apaiser les craintes de ses voisins, l'impératrice réservait la Bosnie, la Serbie et l'Albanie à l'Autriche. Venise obtiendrait la Morée (une péninsule grecque), la Crète et Chypre. L'avis des populations concernées ? On s'en fout.
Depuis quelques temps déjà, des agents russes infiltrés dans les Balkans agitent les populations contre les ottomans. Mais c'est en Pologne que tout va se jouer...
Depuis la fin de la Guerre de sept ans, des troupes russes stationnent en Pologne dont le roi Stanislas II est favorable à la Russie. Il a même signé avec elle un traité "d'amitié perpétuelle". Ce qui déplait fortement à la noblesse polonaise qui se soulève. Ces rebelles trouvent alors en face d'eux des ukrainiens orthodoxes, les Cosaques Zaporogues.
Ces derniers, favorables à la Russie, décident de s'occuper eux-mêmes de ces fiers seigneurs polonais qui osent se rebeller. Alors qu'ils poursuivent un groupe de fuyards, les Cosaques incendient au passage la petite ville de Balta. Problème : cette dernière est située en territoire ottoman. A Constantinople, le sultan n'apprécie pas et apprécie encore moins quand Catherine II, sommée de s'expliquer, se contente de hausser ses robustes épaules, prétextant que ces cosaques ne sont pas des soldats russes et que, par conséquent, elle s'en lave les mains. Abdul Hamid s'énerve et exige le départ des russes de la Pologne, exigence à laquelle la Tzarine oppose une fin de non-recevoir. La France, qui soutient la rébellion des seigneurs polonais, met la pression sur son ambassadeur à Constantinople pour exciter le sultan qui finit par déclarer la guerre à la Russie fin 1768.
Janvier 1769. Une armée ottomane de 70 000 hommes s'enfonce par surprise en Ukraine jusqu'au centre du pays mais est repoussée par la résistance acharnée de la garnison de Fort Sainte-Elisabeth.
De leur côté, les russes lancent une offensive vers la Mer Noire, prennent Azov puis Bucarest avant de stopper, faute d'intendance correcte et d'approvisionnement.
C'est sur mer que tout va se jouer.
Le comte Alexeï Orlov (qui avait déjà aidé à l'élimination de l'encombrant Pierre III afin de mettre Catherine sur son trône, nous sommes entre gens de bonne compagnie) prend le commandement de la flotte impériale de la Baltique, fait le tour de l'Europe sans être inquiété et rejoint la Méditerranée.
Il débarque en Grèce, en pleine anarchie et où grecs orthodoxes et musulmans du pays en sont à s'égorger dans les rues. Situation tellement instable que le comte préfère faire ses valises et aller voir ailleurs. Les russes abandonnent donc les grecs, qu'ils se débrouillent.
Arrivée en mer Egée, la flotte russe anéantit la flotte ottomane à Tchesmé. Les navires turcs, ancrés dans la baie de l'île de Chios, sont détruits par un gigantesque incendie.
Orlov poursuit jusqu'à Rhodes où il est bien obligé de s'arrêter : les ottomans tiennent fermement les détroits qui donnent accès à Constantinople, impossible de passer.
Contrariée mais l'appétit toujours aiguisé, Catherine II se tourne alors vers la forteresse de Kertch qui commande le passage entre la mer d'Azov et la mer Noire. Elle veut également les provinces danubiennes qu'elle a promis à son Potemkine et une promesse, c'est une promesse, que voulez-vous. Finalement, c'est la Crimée qu'elle s'offre en 1771. L'ancien protectorat ottoman devient protectorat russe.
Mais à l'ouest, il y a du nouveau.
Si Frédéric II de Prusse partage la passion de la Tzarine pour les beaux garçons, il ne partage pas ses idées pour autant et les succès russes commencent à l'inquiéter. L'Autriche aussi commence à s'alarmer de la montée en puissance des russes. A Constantinople, Abdul Hamid attend. Il le sait : personne n'aura jamais Constantinople parce que tout le monde la veut. Catherine comprend qu'il ne faudrait point aller trop loin. Elle rencontre Frédéric II en Moravie en 1770 avant d'arrondir les angles avec l'Autriche de Marie-Thérèse (entre impératrices, on doit bien pouvoir s'entendre, que diable !).
Autriche et Prusse finissent par accepter les gains territoriaux russes mais pas gratuitement. En échange, on va se partager la Pologne.
Un partage qui a des répercussions jusqu'à Versailles. La France est une alliée traditionnelle de la Pologne et de la Sublime Porte, on guette sa réaction. Surtout Marie-Thérèse, dont la fille Marie-Antoinette vient d'arriver pour épouser le dauphin de France. Ce n'est donc pas le moment de mécontenter Louis XV, il faut faire bonne figure à "Papa Roi". Et arrêter de l'énerver en méprisant sa favorite, Madame du Barry... Alors certes, Louis XV est agacé et n'hésite pas à badiner avec Marie-Antoinette (qui n'a rien compris à tout ça) : "Cela nous brouillera et je vais vous renvoyer à Vienne".
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Mais Louis XV n'en fera rien.
Il n'a pas les moyens d'une intervention militaire de grande ampleur et il le sait. Il est de surcroît entièrement occupé par sa "Révolution royale" pour mater les Parlements et les affaires intérieures passent avant tout le reste. Il ne dénoncera donc pas le traité et Marie-Antoinette pourra continuer à s'amuser en toute tranquillité.
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A Constantinople, Abdul Hamid, qui comptait sur l'appui français, fulmine et traîne des babouches pour accepter la paix. Mais le maréchal russe Roumiantsev franchit le Danube et entre en Bulgarie, ce qui pousse le sultan à céder. Le 21 juillet 1774, la Russie et l'empire ottoman signent (en français s'il vous plaît) le traité de Küçük Kaynarca.
La Russie gagne Azov, la reconnaissance de ses possessions en Pologne et la Crimée. Ses navires de commerce ont désormais libre accès dans les détroits ottomans jusqu'à Constantinople et la Russie obtient un "droit d'ingérence" sur les sujets ottomans de confession orthodoxe (notons au passage que le patriarche orthodoxe de Constantinople, qui espérait sa part, en sera pour ses frais). Les russes ont donc désormais un pied dans la région et surtout un prétexte en or pour intervenir à l'avenir. Au passage, de nombreux armateurs grecs et chrétiens en profitent : ils font battre pavillon russe à leurs navires et profitent de ce droit d'ingérence, échappant ainsi aux contrôles et taxes ottomans, se taillant au passage de colossales fortunes.
De leur côté, prussiens et autrichiens se partagent la Pologne, qui n'a plus que ses yeux pour pleurer. L'impératrice Marie-Thérèse empoche la plus grosse part, tout en affichant des remords, ce qui lui vaut une remarque acerbe du prince de Rohan, alors ambassadeur à Vienne : " Plus elle pleurait, plus elle prenait".
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J'ai oublié hier, je ne sais pas ce que sera demain, mais aujourd'hui je t'aime
Calonne- Messages : 1144
Date d'inscription : 01/01/2014
Age : 52
Localisation : Un manoir à la campagne
Re: Ailleurs dans le monde en 1789
Merci, mon cher Calonne.
Tes exposés historiques, pourtant très sérieux, me font toujours mourir de rire !
Ces gros potentats nous éberlueront toujours et Catherine peut-être encore plus que les autres. De toute évidence, le sud exerçait sur elle beaucoup d'attrait. Elle ne put pourtant pas réaliser tous ses fantasmes.
Ainsi écrit-elle à Voltaire, le 6 octobre 1772 :
J'aimerais que l'équateur changeât de position: l'idée riante que dans vingt mille ans la Sibérie, au lieu de glaces, pourra être couverte d'orangers et de citronniers, me fait plaisir dès à présent.
Tes exposés historiques, pourtant très sérieux, me font toujours mourir de rire !
Ces gros potentats nous éberlueront toujours et Catherine peut-être encore plus que les autres. De toute évidence, le sud exerçait sur elle beaucoup d'attrait. Elle ne put pourtant pas réaliser tous ses fantasmes.
Ainsi écrit-elle à Voltaire, le 6 octobre 1772 :
J'aimerais que l'équateur changeât de position: l'idée riante que dans vingt mille ans la Sibérie, au lieu de glaces, pourra être couverte d'orangers et de citronniers, me fait plaisir dès à présent.
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... demain est un autre jour .
Mme de Sabran- Messages : 55572
Date d'inscription : 21/12/2013
Localisation : l'Ouest sauvage
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